ψ / Semaine 1

Suicide Torch - PEJAC



[TW à tous les étages : viol, violence, dépression, TCA, suicide, folie, psychiatrie et aussi un peu caca]

Pour celleux qui voudraient se faire une idée de l’enfer : vous pouvez lire. Si vous préférez garder votre candeur ingénue, ah ah, allez faire un tour.

Ça fait trois mois bientôt que je suis hospitalisée, spoiler : ça va mieux, beaucoup mieux, mais j’y suis toujours. Comme j’ai tenu mon journal chaque jour, je peux vous faire ce récit de ce que j’espère être ma Rédemption, au rythme d’un article par semaine (vu que j’ai pas un accès internet foldingue), avec des extraits de mes lectures de temps à autre. Je récupère ma vie.



SEMAINE 1

Jour 1 : mercredi 6 février

Ça fait maintenant quelques semaines que ça ne le fait plus dans ma tête. Je pleure des galons entiers de désespoirs que rien ne peut apaiser et certainement pas la dizaine de joints super serrés que je me mets dans le crâne chaque jour. Mes poumons souffrent, depuis quelques jours je sens mon diaphragme se contracter, ma cage thoracique se fermer ; j’ai mal, je tousse, je crache, putain je meurs Les idées suicidaires ont commencé à émerger dans ma tête, et ça c’est nouveau en 20 ans de dépression. Je pensais être rôdée au mal, savoir vivre avec, et surtout je pensais qu’il ne pouvait pas y avoir plus bas que le trentième dessous. Bah si. J’ai déjà pensé à mourir, mais jamais à le faire. Quelques jours plus tôt, j’ai descendu encore un échelon de plus et je sais que c’est le dernier avant la grosse connerie : j’ai commencé à réfléchir à comment j’allais m’y prendre [TW] : boire du détergent. C’est ultra con pour une anorexique même pas maniaque de la propreté de me dire que je vais crever en buvant du liquide de nettoyage bio. J’ai lu des trucs sur la dépression, le suicide, tout ça, je sais que c’est l’étape qui craint. C’est une pensée extrêmement envahissante, elle se présente d’abord une fois, ensuite tous les jours, puis tous les jours et enfin, à chaque minute, omniprésente. Je la vois comme une fleur, noire, qui pousse, qui pousse, qui prend de plus en plus de place. Ça me parait être la seule solution à tous mes problèmes. Je peux pas faire disparaitre mon père, je peux pas faire disparaitre ma mère, je peux pas faire disparaitre mon ex, ni mes dettes, ni mes doutes, ni ma souffrance… mais moi, je peux disparaitre. Pouf. C’est la solution la plus simple, celle qui résout tout.

Et en même temps, tu vois, je veux pas crever.

J’ai vu Johnny Boy la veille, parce que j’avais envie de le voir bien sûr, mais à chaque fois qu’il quitte ma maison, après le plaisir de l’avoir vu, je re-re-re-re-re-re-re-re-recomprends qu’il ne m’aime plus, qu’il ne m’aime pas, qu’il ne m’a même jamais aimée, que c’est fini.

Je suis maigre, maigre… je ne mange plus depuis des semaines, mon ventre est creux, ma tête vide, mes jambes ne me portent plus qu’à moitié et mon visage fait une gueule de morte.

Je prends la décision aux alentours de midi : je vais me faire hospitaliser. C’est un peu décousu au début, je me dis que je vais me rendre aux urgences de la clinique que je fréquente habituellement pour mon suivi gynéco, le seul de la ville que je connaisse.

À 14h30 j’assure ma dernière heure de soutien scolaire, un gamin qui vaut mieux que nous toustes, cherchez pas. Je crois que ça se voit sur ma tête que je pars en vrille, sa mère me regarde de la tête aux pieds quand elle m’ouvre la porte. Tu sais quoi ? C’est la meilleure séance que j’ai jamais faite de toute ma vie. Le gosse s’est fait beau (il me kiffe, on bosse bien ensemble) : il ne se fait pas prier pour écrire, il fait pas d’erreurs de copie pour la préparation de sa dictée, il met toutes les étiquettes dans le bon ordre, il assure le calcul mental finger in the nose (additionner 18, même moi je sais pas faire aussi bien), j’ai quasi rien à faire. En partant, sa mère parle de ma « magie » pour faire progresser son fils.

Je pleure à chaudes larmes en repartant. Ma caisse accepte de me rentrer malgré ses défaillances qui doivent être le reflet des miennes, quelque part : ses essuie-glaces ne balaient plus la pluie et je perds la direction assistée si je mets la clim. Y a tout qui sent la fin.

Je me dis que je ne peux pas y aller sans prévenir personne et en même temps c’est vite trouvé : je n’ai qu’une amie, la Best, the Meilleure, Machérie. Je lui envoie un SMS auquel elle répond immédiatement par un appel : elle m’accompagne, je ne bouge pas d’ici tant qu’elle n’est pas à mes côtés. Chef oui chef.

Vous saurez que c’est toujours mieux de faire les choses un peu méthodiquement. On essaie de joindre ma généraliste puis ma psy pour connaître la meilleure procédure à suivre, mais aucune des deux ne répond. On appelle les pompiers alors. Oui, je peux marcher jusqu’aux Urgences, mais pas celles de la clinique où je pensais me rendre, plutôt celles de l’hôpital public. Je fume un (avant-)dernier joint et on décolle.

Là, il y a une longue file et un écran qui annonce 7 heures d’attente pour être pris·es en charge par un médecin. C’est un mensonge : il est pas loin de 20h et il y a là quelqu’un qui attend depuis les 14h. Ils « trient » : le gars attend encore et moi je suis prise en charge dans les trois heures, sous le regard outré de ceux qui peuvent continuer à souffrir. On me pèse : 34 kilos. On me fait aussi une prise de sang, on écoute mon cœur pendant 2 minutes et on me prend la tension. La grosse surprise c’est que je suis la presque-morte la mieux en santé de toute la planète : malgré les mois de privations, pas une seule carence en vue, pour un peu tout irait bien si ce n’est cette furieuse tendance à me rapprocher de l’état de cadavre. C’est tout moi ça.

Je suis ensuite orientée vers les urgences psychiatriques, c’est sur le trajet que je fume mon vraiment-dernier joint. Machérie me laisse ici, en me promettant de s’occuper de mes chats. Là je peux passer une nuit assommée au Valium (c’est une grosse exagération : le comprimé de 2 mg est le plus petit qu’on puisse administrer) en même temps qu’on me monte un petit dossier qui me place dans la file d’attente d’une clinique lyonnaise spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire (TCA pour la suite). Le Valium, c’est magique : je pleure plus, je pense plus à rien, tout est doux et léger. C’est la première fois de ma vie que je me médique pour oublier que j’ai vraiment une vie de merde. Ça marche super bien du coup.

Jour 2 : jeudi 7 février

Je découvre la psychiatrie pour de vrai, mais c’est encore soft : je prends mon petit déjeuner vers 8h en compagnie d’un alcoolique rubicond et d’une tunisienne au bout du rouleau, usée par une vie de travail, d’enfants à élever et de mari qui se barre. Elle parle de vide, là, dans son cœur. Sa voix est cassée, ses cheveux en fouillis, elle sert son peignoir contre sa large poitrine, toujours au bord des larmes.

C’est un service d’urgence, il n’est pas possible d’y rester plus de 24h, alors je suis dirigée vers un autre service qui fera la jonction avec la clinique qui me recevra, je ne sais pas quand.

Et là….

Là…

J’ai presque pas envie d’en parler, tiens. Il y a un enfer sur terre, il est là, dans l’unité « Épidaure » du Centre psychothérapeutique de l’Ain (mais je pense que c’est valable dans n’importe quelle autre unité psychiatrique qui s’occupe de cas lourds). Je ne suis clairement pas à ma place, on me le dit, on me le redit, on me re-redit que ça ne durera pas et que je dois essayer de me protéger des autres patient·es - ah oui, je précise que c’est mixte l’enfer. J’atterris là aux alentours de 15h, on me place dans une chambre double, au milieu des psychotiques, des mecs qui bavent, des épileptiques, des schizophrènes, des scarifiées, des suicidaires, des violents et des mythomanes. Ici, personne n’est là sur sa propre volonté, ils sont toustes « sous contrainte », supervisés par des juges, des avocats, des curateurices, des tuteurices… Moyenne d’âge : 40 ans, la plus jeune a 22 ans et la plupart ont mon âge. Dès les premières heures, plusieurs hommes (enfermés là pour certains depuis des mois) me font comprendre que je suis la femme qu’il leur faut tellement on se ressemble… ah ah. Nope. Ils me touchent, c’est insupportable, j’impose verbalement et bruyamment mon refus, qui, étonnamment, est respecté sur-le-champ.

À ce stade, je pense que ça va prendre des mois pour être reçue à Lyon, je pense même pouvoir rentrer chez moi vendredi, parce que c’est le jour où je dois aller chercher ma fille pour la garde des vacances. Tu sais, quand tout est à l’envers, y a pas d’idée plus idiote qu’une autre. En vrai, je ne vais pas la revoir de sitôt, à l’instant où j’écris ces lignes (14 février) je ne l’ai toujours pas revue. J’ai même tellement honte de ce qui se passe que je n’ose pas l’appeler. J’espère que tout ça va se passer comme si rien ne s’était passé.

Jours 3, 4 et 5 : du vendredi 8 au dimanche 10 février

Je groupe parce qu’à partir de ce moment-là j’ai beau prendre des notes, je perds le fil des jours qui de toute façon se ressemblent, tous difficiles, très difficiles, affreusement affreux. Le truc le plus notable, c’est que je ne ressens même pas les affres du manque, qui me font habituellement tellement souffrir (colère, insomnies, suées, tremblement, hyperactivité). Je suis tellement occupée à préserver le peu de santé mentale qui me reste, à monter et descendre ces putains d’escaliers (62 marches) qui mènent à l’extérieur en soufflant ma race, à surveiller l’heure des prises de médicaments que j’en oublie carrément que je suis une toxico.

Malgré tout, je bouffe comme une morfale et je dors comme un bébé.

Vendredi, je reçois un appel de ma fille très inquiète de ne pas parvenir à me joindre chez moi. Je pleure de honte trois secondes, elle de peur et puis on s’explique et les choses se mettent en place : maman se soigne, merci maman. Je parle à son père aussi, qui va prendre le relais pour les vacances, parce qu’il doute que je puisse sortir avant de longues semaines. Il ne me fait pas trop sentir merdeuse, je l’en remercie.

Je découvre les joies de la privation de liberté, même pour quelqu’un qui se trouve ici de son plein gré : se demander les uns les autres, comme en prison, « t’es là la pour quoi toi ? T’es là pour combien de temps ? Tu sors quand ? », demander 48h avant la permission de sortir de l’établissement, espérer qu’un médecin aura le temps de la signer sinon macache wallou, dealer de la clope, troquer des fringues, laver ses slips dans un lavabo avec son gel douche, se faire rabrouer comme une gosse pour 5 minutes de retard, des petits malheurs simples qui font assez vite relativiser. Je pensais avoir une vie de merde, bé non, c’est encore simple pour moi. Et mine de rien, je peux mesurer la quantité de lucidité qu’il me reste : par exemple il ne me viendrait pas à l’idée de nouer une histoire d’amour ici, avec un malade, alors qu’ici tout le monde s’adonne à cette activité s’iel en a l’occasion. Ça baise dans le lit à côté du mien pendant mon sommeil de plomb, dans les petits salons mal surveillés et le tout sans protection, hein, puisque c’est interdit. Le plus dur, c’est d’empêcher ma voisine de se faire du mal sans trop inquiéter les infirmières qui, sans cela, la mettraient à l’isolement. L’isolement, au sein de l’enfer, c’est le vestiaire du diable. Tu veux pas y aller. Tout y est rivé au sol, au mur, mais surtout toi, au lit. Les soignant·es ont un téléphone sur eux pour communiquer mais aussi pour appeler rapidement des « renforts » et qui possède une anecdotique fonction : ce téléphone doit toujours être tenu droit, s’il s’incline (par exemple si lae soignant·e est agressé·e et se retrouve au sol), toustes les soignant·es de tous les étages arrivent en cavalcade. Pas aussi marrant que ma description pourrait le laisser deviner. Quand ça cavale, les vieilles hurlent, les vieux se roulent en boule et tous les autres se cachent pour bien montrer qu’ils n’y sont pour rien. En général lae fauteureuse de troubles est visible, hurlant·e et assume complètement son acte démentiel jusqu’à ce qu’iel soit maitrisé·e - et jeté·e pour deux jours en salle d’isolement. Certain·es provoquent des altercations avec les soignant·es pour profiter du calme de cette pièce que je n’ai pas eu le loisir de visiter - dieu m’en garde.

Malgré le fait que je ne fume plus que très peu, que je mange et que je dorme tout mon soûl, je suis tout le temps essoufflée, fatiguée. J’obtiens une perm’ de deux heures, que je passe à marcher au pas de charge juste pour acheter des clopes et des chaussettes à ma voisine de chambre qui elle n’a pas le droit de sortir. Je reviens exténuée.

Le week end l’équipe de soignant·e est restreinte et ça devient carrément Babylone, ambiance qui dure jusqu’au lundi : pas assez de monde pour gérer les émotions, les colères et les pétages de plomb de tout un·e chacun·e, putain que c’est hard.

L’irrationnalité se manifeste en chacun·e de nous : cellui qui ressent le besoin de mourir la nuit préfère ne pas prendre de somnifère (qui lui permettrait de dormir à l’heure du crime) au prétexte qu’iel se sent nauséeu·se au matin. Mourir ou souffrir, il faut choisir. Le paroxysme de cette magie douteuse a lieu le dimanche : dans l’après-midi, alors que nous voyons des tâches de sang par terre, ma voisine de lit me chambre sur l’air de « Lison tu pourrais mettre une serviette quand tu as tes règles ! » (que je n’ai pas d’ailleurs) et moi je renchéris sur cet humour douteux sur l’air de « C’est pas mes règles, je suis tellement dépressive que je pleure du sang », bah, crois-moi ou crois-moi pas, mais dans les dix minutes, la fille qui nous accompagnait à ce moment là… saignait de l’œil. Et ça continue dans la soirée du dimanche 11 février, lorsqu’on s’organise une séance hurlante de « Libérée, délivrée, je ne mentirais plus jamaiiiiiis », avec la chorégraphie et tout dans le salon le plus isolé de notre couloir de fols. Ça nous a fait du bien mais ce n’était ni juste ni vrai.

Commentaires

  1. Chère Volu,
    Merci pour ce partage. J'ai lu/entendu à de nombreuses reprises les alarmes sur l'état de la psychiatrie en France mais ce reportage de l'intérieur (et même pas d'une journaliste déguisée), c'est précieux.
    Au delà du témoignage personnel mais non dénué d'une portée universelle, dans ton parcours à toi, je reste une fois de plus stupéfait par la force que tu démontres même au quatrième dessous.
    Bon courage pour ce qui t'attend encore...

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  2. Merci :)
    Cette semaine en centre psychiatrique a été très difficile. J y ai compris que j'étais sauvable au moins. Dans la clinique où je suis maintenant c'est très différent, quoique pas tout à fait reluisant non plus...
    Au cours de ma thérapie il est pas mal question de ma force justement ! J'ai fait des pas de géant parce que j'ai sacrément de la ressource et j'ai arrêté de me cramer les neurones. L'horizon devant moi s'est incroyablement élargi.
    Stay tuned.

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