La crise de la culture / Qu’est-ce que l’autorité ? - Hannah Arendt




Youpi, mon sujet préféré, qui s’intéresse à ce à quoi je voue ma plus grande part de haine et de méfiance : l’autorité. Je sais depuis longtemps que j’ai un problème avec elle. Parce que chez nous, ce sont les hommes, le père, les chefs et tous celleux qui décident pour nous qui endossent ce terme. Hannah nous offre quelques nuances intéressantes, parce que l’autorité n’a pas toujours été ce truc qui s’impose en exigeant ton respect. Voici ce qu’elle fut et ce qu’elle pourrait être.
Ah et tiens, pour la première fois, le mot « femme » (mais au pluriel) apparaît. Juste après les mots « la plupart » et juste avant le mot « talon ».



Et pour commencer, quelques définitions que j’ai glanées au fil de la lecture de cet essai passionnant. Il se trouve que cette racine qui exprime la primauté se retrouve dans mon nom de famille alors ça m'a amusée, rapport à mes convictions sus-mentionnées.

PROTE : contremaître dans un atelier d’imprimerie.

PROTO- : (suffixe) qui vient en premier.

PROTÉE : dieu grec qui changeait d’apparence.

III. Qu’est-ce que l’autorité ?

Puisque l’autorité requiert toujours l’obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. L’autorité, d’autre part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. Là où l’on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté. Face à l’ordre égalitaire de la persuasion se tient l’ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique.

[…]

Il existe un accord tacite dans la plupart des discussion entre spécialistes en sciences sociales et politique qui autorise chacun à passer outre aux distinctions et à procéder en présupposant que n’importe quoi peut en fin de compte prendre le nom de n’importe quoi, et que les distinctions ne sont significatives que dans la mesure où chacun a le droit de « définir ses termes ». […] Un exemple commode peut être fourni par la conviction […] que le communisme est une « nouvelle religion », nonobstant son athéisme avoué, parce qu’il remplit socialement, psychologiquement, et « émotionnellement » la même fonction que la religion traditionnelle. […] C’est comme si j’avais le droit de baptiser marteau le talon de ma chaussure parce que, comme la plupart des femmes, je m’en sers pour planter des clous dans le mur. […] On se sert fréquemment du même argument en ce qui concerne l’autorité : si la violence remplit la même fonction que l’autorité, alors - à savoir faire obéir les gens - alors la violence est l’autorité.

Derrière l’identification libérale du totalitarisme à l’autoritarisme et l’inclination concomitante à voir des tendances « totalitaires » dans toute limitation autoritaire de la liberté, se trouve une confusion plus ancienne de l’autorité avec la tyrannie, et du pouvoir légitime avec la violence. La différence entre la tyrannie et le gouvernement autoritaire a toujours été que le tyran gouverne conformément à sa volonté et à son intérêt, tandis que le même le plus draconien des gouvernements autoritaire est lié par des lois.

[…]

Comme image du gouvernement autoritaire, je propose la figure de la pyramide, qui est bien connue dans la pensée politique traditionnelle. La pyramide est en effet une image particulièrement adéquate pour un édifice gouvernemental qui a au-dehors de lui-même la source de son autorité [à savoir les lois], mais où le siège du pouvoir se situe au sommet, d’où l’autorité et le pouvoir descendent vers la base de telle que chacune des strates successives possède quelque autorité, mais moins que la strate supérieure, et où, précisément, à cause de ce prudent processus de filtrage, toutes les couches du sommet à la base sont non seulement solidement intégrées dans le tout, mais sont entre elles dans le même rapport que des rayons convergents dont le foyer commun serait le sommet de la pyramide aussi bien que la source transcendante d’autorité au-dessus de lui. […] La forme autoritaire de gouvernement avec sa structure hiérarchisée est la moins égalitaire de toutes ; elle érige l’inégalité et la différence en principes omniprésents.

Toutes les théories politiques qui traitent de la tyrannie sont d’accord pour l’assimiler aux formes égalitaires de gouvernement ; le tyran est le dirigeant qui gouverne seul contre tous, et les « tous » qu’il oppresse sont tous égaux, c’est-à-dire également dépourvus de pouvoir. Si nous nous en tenons à l’image de la pyramide, tout se passe comme si les couches intermédiaires entre le sommet et la base étaient détruites, de telle sorte que le sommet demeure suspendu, soutenu seulement par les proverbiales baïonnettes, au-dessus d’une masse d’individus, isolés, désintégrés et complètement égaux.

[…]

Par opposition à ces deux régimes, autoritaire et tyrannique, l’image adéquate du gouvernement et de l’organisation totalitaire me parait être la structure de l’oignon, au centre duquel dans une sorte d’espace vide, est situé le chef ; quoi qu’il fasse – qu’il intègre le corps politique comme dans une hiérarchie autoritaire , ou qu’il opprime ses sujets, comme un tyran –, il le fait de l’intérieur et non de l’extérieur ou du dessus. Toutes les parties, extraordinairement multiples, du mouvement : les organisations de sympathisants, les diverses associations professionnelles, les membres du parti, la bureaucratie du parti, les formations d’élite et les polices, sont reliées de telle manière que chacune constitue la façade dans une direction, et le centre dans l’autre, autrement dit joue le rôle du monde extérieur normal pour une strate, et le rôle de l’extrémisme radical pour l’autre.

[…]

La dichotomie entre la vision de la vérité dans la solitude et le retrait, et le fait d’être pris dans les rapports et la relativité des affaires humaines a fait autorité pour la tradition de la pensée politique. […] Le début de toute philosophie est θαυμἀζειν, l’étonnement devant tout ce qui est en tant qu’il est. […] La capacité de s’étonner, voilà ce qui sépare le petit nombre [des dirigeants] de la multitude [des dirigés], et le fait de se consacrer à l’étonnement est ce qui l’éloigne des affaires des hommes.

[…]

La vérité par sa nature même est évidente et ne peut donc être discutée à fond ni démontrée de manière satisfaisante. […] En termes platoniciens, le petit nombre ne peut persuader la multitude de la vérité parce que la vérité ne peut être objet de persuasion, et la persuasion est la seule manière de s’y prendre avec la multitude. Mais la multitude […] peut être persuadée de croire presque n’importe quoi ; les histoires appropriées qui apportent à la multitude la vérité du petit nombre sont des histoires sur les récompenses et les châtiments après la mort ; à persuader les citoyens de l’existence de l’enfer, on les fera se conduire comme s’ils connaissaient la vérité.

[…]

Il est certainement d’une ironie terrible que la « bonne nouvelle » des Évangiles, « la vie est éternelle », ait pu par la suite aboutir non à l’accroissement de la joie mais à un accroissement de la peur sur terre, et n’ait pu rendre à l’homme sa mort plus facile mais plus pénible.

[…]

[Pour Machiavel et Robespierre] [la] justification de la violence s’orientait et recevait sa plausibilité de cet argument implicite : on ne fait pas de table sans tuer des arbres, on se fait pas d’omelette sans casser des œufs, on ne peut faire une République sans tuer des gens.





Alors, tu vis dans une pyramide, une pyramide tronquée ou dans un oignon, selon toi ? Ipso facto, tu vis en autoritarisme, en totalitarisme ou en tyrannie ? En égalité ou point du tout ? C’est pas dingo de se dire qu’on n’est égaux qu’en tyrannie et certainement pas en république et en démocratie où quoi qu’on en dise, on élit un chef sous lequel on se place ?



En lisant cet essai on se rend compte que le concept d’autorité fut alternativement dans le temps et selon les régions du monde défini comme : le résultat d’une contrainte, de la violence ou de la persuasion, d’un charisme naturel, d’une légitimité basée sur le passé, la norme ou le précédent, la relation  entre les jeunes et les vieux, la sagesse, la tradition, l’aptitude ou la spécialisation, validé par les dieux ou la majorité, en terme de pouvoir ou encore de hiérarchie.



Bref, bien malin·e cellui qui viendra nous faire la leçon là-dessus…



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