Saartjie Baartman
Saartjie est une jeune femme Boschimane : une indigène d’Afrique du Sud, du Cap pour être plus précise. Saartjie serait née en 1789 (mais ça n’est pas certain), date qui doit vous évoquer quelque chose… vous savez les droits de l’homme, toussa… et bien, Saartje n’en verra jamais la couleur.
Elle est noire, dans le Sud de l’Afrique. C’est une fille. Et elle possède des particularités physiques qui lui valent d’être livrée par sa famille à sa naissance au baas du coin… Saartjie porte des caractères féminins hypertrophiés : stéatopygie (fesses et hanches) et « tablier hottentot », c’est-à-dire une macronymphie, des organes génitaux protubérants.
Entre ses jambes pousse une sorte de réminiscence du sexe masculin.
Les origines de Saartje (ou Swatche) sont méconnues, tout comme cette première partie de sa vie. Elle dit avoir eu deux enfants d’un homme de sa tribu d’origine, les Khoikhoi.
Mais nous sommes sûrs qu’en 1810, le frère de l’Afrikaner qui lui sert de maître lui fait quitter sa terre natale pour l’Europe, à Londres, sans enfant.
A cette époque, des réseaux de fournisseurs de chair à fric et un monde de Science qui a soif de preuves évidentes de sa supériorité raciale produisent un univers scabreux de vente et de découpage d’êtres humains venus d’Afrique. Saartjie va se faire prendre.
Son maître tente de la vendre, en même temps qu’une peau de girafe, mais choisira finalement d’en faire un monstre de foire. 10 heures par jour, 20 fois de suite, enfermée dans une cage et libérée par son « dompteur », elle s’exhibera, jouera les bêtes sauvages et se laissera palper par une foule échauffée, pendant plusieurs années.
Au cours de cette période, une association de défense de la dignité des Africains intentera un procès au propriétaire de Saartjie, mais elle les déchargera elle-même de toute responsabilité. Elle a signé un contrat avec Caezar, elle se considère comme une actrice.
On peut toutefois douter de la sincérité de ses propos, à l’égard d’elle-même essentiellement. Saartjie avait déjà sombré dans l’alcool, et toute associée qu’elle se prétendait être, elle n’a jamais touché de salaire.
La Vénus Noire, désormais célèbre dans la capitale anglaise, est revendue plusieurs fois, à des foireux montreurs de monstres ou en exposition devant d’académiques savants, avant de tomber entre les mains d’un Français, un certain Réaux.
Celui-ci l’exhibera, pour cher le ticket (3 francs), dans un spectacle peut-être plus luxueux, mais sensiblement identique à tous ceux faits précédemment, dans les beaux salons parisiens.
On a pu déceler ici les réticences de Saartjie à se montrer ainsi. Les intellectuels libertins s’amusent de la voir tenter de maintenir son pagne devant son sexe.
De même, lorsqu’en mars 1815 Réaux la loue aux regards scrutateurs d’une équipée de naturalistes, sont clairement mentionnés les refus de Saartjie de laisser voir ses parties génitales, maintenant devant son sexe un mouchoir ou une pièce de tissu. Pas moyen de décrire enfin, enfin ! le célèbre tablier Hottentot, pur fantasme qui vibre salement avec les théories colonialistes de l’époque.
Mais ils ne furent pas tristes bien longtemps.
Saartjie sera retrouvée morte dans un bordel parisien en décembre de la même année, victime d’une infection indéterminée.
Georges Cuvier, le naturaliste qui l’avait disséquée des yeux au mois de mars, récupérera rapidement le corps pour en faire une observation anatomique méticuleuse. Il découpera son sexe et ses fesses pour les plonger dans le formol, réalisera un moulage en pied, un buste, et un rapport « scientifique » purement écœurant, dans lequel il explique que la jeune femme tient ses origines des orangs outans. Pourtant, Georges Cuvier savait que Saarjie jouait du violon, était bonne chanteuse, portait le beau chapeau aussi bien que tout le monde et parlait couramment plusieurs langues.
[…]
Son squelette et une partie de ces tristes reliques furent maintenus aux yeux du public jusqu’en 1974 au Musée de l’Homme dans la section « anthropologie », passèrent deux années supplémentaires dans les galeries de la portion « Préhistoire », avant d’être pudiquement rangée en réserve.
En 1994, à la fin de l’apartheid, les Khoikhoi soutenus par Nelson Mandela demandent la restitution des restes de Saartjie. Cette demande essuiera les refus successifs de la société scientifique française, jusqu’en 2002, où une loi ad hoc permet au corps violé et morcelé de Saartjie de retrouver sa terre natale.
Elle y fut inhumée selon les rites de son peuple le 9 mai 2002.
En 2010, la vie de Saartjie a fait l'objet d'un film, réalisé par Abdellatif Kechiche, dont nous parlerons demain.
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