ψ / Semaine 4
Resurrection - PEJAC |
J’accélère la cadence... Je balancerai deux ou trois articles par semaine à partir de maintenant.
Quatrième semaine, douce et
paisible. Je ne pense pas trop aux trucs désagréables qui sont la consistance de
ma vie, sauf quand je dors ou quand je suis devant un psy, ce qui les
circonscris assez pour qu’ils ne me parasitent pas. Je bouffe, je bouffe… et
je commence à avoir un peu moins de place dans mes vêtements (ce qui ne va
JAMAIS s’arrêter).
SEMAINE 4
Jour
19 : lundi 25 février
[Cette
nuit-là, je cauchemarde sans discontinuer. À cause de la mésaventure de la
prise de sang de la veille, je rêve que ma main est littéralement transpercée
par l’aiguille et que pour me soulager, on m’enfonce des épingles de couturière
partout dans la main. Je pars avec Johnny Boy à la recherche d’une pharmacie de
garde mais je suis tellement nulle que je le perds de vue et qu’il me largue
parce que je le déçois tellement à être si nulle… Je finis quand même par
trouver cette pharmacie et là, je retire moi-même une à une chacune des petites
épingles dans mes phalanges pendant que la docteure sors de sa poche un gros
ressort en acier rouge qu’elle accroche à l’aiguille fichée dans ma paume et à
l’autre bout, à un treuil arrimé à un camion de chantier… je me réveille, dieu
soit loué, en constatant que ma main va très bien, merci. Je me rendors pour
plonger dans un autre cauchemar : à la recherche d’un magasin où je puisse
acheter de la nourriture, je me retrouve dans un Intermarché où l’on vend des
perles (qu’on m’offre par poignées entières en les mettant d’autorité dans mes
poches), des vêtements moches (que l’on doit essayer entre les rayonnages parce
qu’il n’y a qu’une cabine, au grand dam de la vendeuse qui trouve qu’on fait
fuir les client·es à se changer à la vue de toustes) et des bijoux nuls, mais
pas de bouffe, sauf pour bébé. Dans l’air flotte une odeur insupportable de
produit chimique qui vous entre jusque dans la bouche, c’est dégueulasse,
malgré les boissons que les vendeureuses distribuent gracieusement. Un de mes
frères aînés joue à un jeu qui m’insupporte : il mets les pieds devant les
miens quand je marche, comme les gosses qui se font des croche-pieds.]
Comment ça je vous avais dit que je vous
épargnerais mes rêves ? Je ne vois pas pourquoi je serais la seule à
souffrir. Et puis je sais pas si tu as vu mais ça s’appelle « Volubilis,
magazine intime » ici.
Nouvelle séance avec la psychologue dans
la matinée : je me rends compte avec étonnement que les médocs que je
prends atténuent incroyablement ma tristesse : ce qui m’aurait fait
pleurer toutes les larmes de mon corps il y a trois semaines ne me tire
maintenant qu’une demi-larmichette. Au lieu de buter, buter et rebuter sur les
mêmes problèmes, mon esprit les écarte à l’instant où il comprend qu’il n’aura
pas de réponse dans l’immédiat. Les murs sont devenus des fenêtres que je peux
ouvrir, plus aucune pensée parasite ne vient m’obséder, sans pour autant les
faire disparaître. C’est profondément apaisant. Ça s’appelle la Mirtazapine,
Mirta pour les intimes.
D’ailleurs, je ne sais pas si ceci à un
rapport avec cela, mais l’infirmier qui me la donne le soir, je le trouve
drôlement chouette.
Je passe un moment avec Machérie au
téléphone en fin de soirée, ce qui me fait me coucher juste une demi-heure plus
tard que d’habitude (23h30), les 10 dernières minutes sont blanches dans ma
tête.
Jour
20 : mardi 26 février
J’ouvre les yeux à 6h58, le temps de
regarder l’heure et de me dire, tiens, je n’ai pas rêvé cette nuit, mais ouf,
j’ai encore une heure de sommeil devant moi avant la pesée du mardi lorsque
toc-toc, on vous pèse dans 5 minutes. Je zombe jusqu’à la salle où je me dévêts
devant une armoire à glace (pas le meuble, l’infirmier) qui me tourne
pudiquement le dos. J’ai 2 ans de poils sur les pattes mais j’ai choisi ma plus
belle brassière, assortie à ma plus belle culotte. La pesée se fait « à
l’aveugle » et pas parce qu’il me tourne le dos mais parce qu’on ne nous
communique pas notre poids.
Le soleil s’entête toujours à briller
au-dessus de nos têtes, et les gen·tes s’entêtent encore à trouver ça génial,
tellement bon pour leur moral. Prompte à casser l’ambiance, je leur demande
s’illes trouveront toujours ça cool quand ils ne pourront pas remplir leur
piscine cette été à cause des restrictions d’eau et que la forêt derrière chez
eux prendra feu. J’aime casser tes rêves.
Comme on commence à se demander ce que je
fais de tout ce que je mange (pas dans les toilettes en tout cas), on me
prescrit 1,5 litres d’eau supplémentaire en dehors des repas et j’entame des
allers-retours incessants des toilettes à la chambre et de la chambre aux
toilettes, mais surtout pour pisser.
J’en ai fini avec Hannah et j'entame aussi sec un nouveau bouquin qui me
chagrine très vite : Naissance de l’anthropotechnie - De la médecine au modelage de l’être humain de Jérôme Goffette ;
que je ne vous recommande pas du coup parce qu’il s’acharne à classer, à côté
du dopage et de la chirurgie esthétique, la contraception et surtout l’IVG hors
de la médecine, au prétexte que la grossesse n’est pas une pathologie (on voit
qu’il n’a pas d’utérus celui-là). Je salue sa merdicité d’un joli
panier-poubelle à 4 mètres depuis le fauteuil où je me trouve qui impressionne
tout le monde – je vise bien, je suis Graine Jaune je vous rappelle. Je vais rechercher le livre dans la poubelle et pousser
la lecture jusqu’au bout, voici mes conclusions : l’auteur s’amuse à faire
des phrase compliquée pour exprimer des idées creuses, c’est redondant, barbant
et souvent inapproprié, tout ce qu’il dit a été dit avant lui. Il oublie que la
contraception et un peu tout ce qui se rattache à la fertilité féminine possède
son propre domaine médical, ça n’est pas une zone floue, on l’appelle la
gynécologie, le mot n’est pas cité une seule fois.
D’ailleurs, un peu plus loin, il définit
ce qui relève du pathologique et que le grand Cric me croque si ça ne décrit
pas très rigoureusement une grossesse non désirée :
Ce qui est caractéristique du
pathologique est la menace ou la présence d’une clameur [du corps] :
- inattendue parce qu’elle rompt le
fil de l’attention normalement tournée ailleurs ;
- inappropriée parce qu’elle
introduit une présence insolite, une rupture avec la fluidité habituelle que
nous entretenons avec nous-même … ;
- perturbante parce qu’elle trouble
la personnalité et provoque une crise, une inquiétude, qu’elle soit légère ou
grave, passagère ou durable ;
- douloureuse parce qu’elle va de
pair avec une sensation psychique pénible, un mal être émotionnel et sensitif.
[…]
« La
santé est l’état dans lequel les fonctions nécessaires s’accomplissent
insensiblement ou avec plaisir. »
Paul Valéry
[…]
La maladie apparait comme un écart
aliénant qui surgit entre soi et son corps (maladie somatique), entre soi et
soi ou soi et le monde (maladie psychique).
Par quoi je souhaite faire valoir que 1)
une grossesse non désirée est une pathologie 2) que la contraception est une
prophylaxie 3) et l’avortement un remède.
J’espère ne pas vous avoir donné envie de
le lire. Il y a un seul passage qui me plait bien, parce qu’il définit la
maladie, le pathologique, d’une manière qui me convient bien (et qui devrait
lui faire ouvrir les yeux sur le fait que la grossesse pourrait bien s’y
trouver définie par la même occasion) et qui n’est pas complètement de lui
d’ailleurs. La citation est de G. Canguilhem :
« Le
fait pour un vivant de réagir par une maladie, à une lésion, à une infestation,
à une anarchie fonctionnelle traduit le fait fondamental que la vie n’est pas
indifférente aux conditions dans lesquelles elle est possible, que la vie est
polarité et par là même position inconsciente de valeur ». On voit ainsi comment la maladie est fixée par la
tension de la vie à se maintenir vivante.
Être malade, pour faire bref, c’est
vouloir rester vivant·e. C’est un appel au secours de votre corps, une
tentative désespérée d’exprimer un dysfonctionnement. La maladie est donc le
chemin qui nous mène vers la santé ; ce que je vous confirme.
Jour
21 : mercredi 27 février
[Dans
ce rêve-ci, deux de mes angoisses s’expriment en même temps. D’abord celle de
me retrouver en chambre double, ce qui me pend au nez d’un jour à l’autre
puisque ma mutuelle n’assure pas un cachou sur les chambres individuelles et
que celle-ci m’est pour le moment gracieusement offerte par la clinique au prix
d’une double. Et l’autre qui consiste à me retrouver chaque jour (ou peu s’en
faut) confrontée aux défécations des vieilles dames qui ne maîtrisent pas bien
leurs sphincters et font toujours très largement sur et tout autour des toilettes
de mon étage, visions d’horreur qui peuvent rester là plusieurs jours si on est
le vendredi soir par exemple (l’hygiène est moyenne ici). Je rêve donc que l’on
ajoute non pas un mais deux lits à la paisible chambre que j’occupe
actuellement mais qu’en sus, la personne avec qui je dois partager cet espace
est très sale. Dans le même temps, je deviens cheffe de la clinique et quand je
trouve une, puis deux, puis trois, puis tout l’étage jonché de détritus je me
mets à tout nettoyer. C’est très fastidieux et je me dis que je ne vais tout de
même pas passer tout ce foutu rêve à faire ça (…) et qu’après tout, puisque je
suis cheffe, je charge ma voisine de chambre de le faire. Mais je la surveille
et du coup, si, je la regarde faire, minutieusement, pièce par pièce, mouvement
de balai par mouvement de balai, rassembler les gobelets, la poussière et les
déjections en petits tas puis les ramasser. C’est long et chiant. À la fin mes
collègues m’offrent un cadeau mais je ne sais plus quoi.]
J’ai du mal à sortir du lit ce matin, et
ce n’est pas étonnant puisque j’ai bossé toute la nuit, hein. En plus j’ai
plein de rendez-vous aujourd’hui :
- la psy à 13h30 : il commence à être
clair que la violence a pris beaucoup trop de place dans ma famille et aussi
que la place de chacun·e n’était pas bien claire et saine : les parents
irresponsables, les enfants livrés à eux-mêmes et qui ne sont pas protégés de
ladite violence, et moi qui deviens la femme de mon père (il me tape dessus et
fait de moi sa confidente mais aussi sa domestique), l’amante de mon frère (du
moins l’aurait-il voulu), la mère de mes frères (en l’absence de mon père puis
de ma mère) et ainsi de suite. On a du boulot pour remettre tout ça en ordre
dans ma tête.
- le groupe de parole Addiction qui tourne
au grondement séditieux suite à la prise de sang « alcoolémie
surprise » qui a été très mal vécue par tout le groupe, parce qu’aucune
d’entre nous n’a eu le droit de sortir de la clinique avant le résultats des
test ce qui a pris deux jours – et qu’accessoirement certaines, dont moi,
portent encore les séquelles (je ne bouge toujours que difficilement mon bras
gauche). D’ailleurs tous les tests sont revenus négatifs. Je comprends aussi
que mon problème avec le cannabis commençait à se doubler d’une autre
addiction : l’alcool. Ça me fait vachement réfléchir, parce que je
comprends aussi comment c’est arrivé et que ça concerne deux êtres qui comptent
ou ont compté pour moi : mon père, Machérie et Johnny Boy. En gros il
ressort que : 1) une addiction en chasse, s’ajoute ou en remplace très
facilement une autre 2) que l’alcool est probablement celle dont il est le plus
difficile à se défaire parce que 3) la pression sociale est hyper forte et la
disponibilité du produit, en raison de sa légalité, totale 4) que les
buveureuses ont tendance à faire boire les autres pour se déculpabiliser de
boire eux-mêmes 5) que les buveureuses ne se voient pas et ont même tendance à
oublier ce qu’ielles ont fait et n’accèdent donc que très difficilement à
l’idée que cela dégrade terriblement leur image. Je vous ai déjà parlé de la difficulté que j’ai à assister à la
déchéance de mes ami·es qui boivent. Tout ça me bouleverse pas mal et je sais
qu’il va falloir que j’en fasse quelque chose mais je ne sais pas encore quoi.
- Rendez-vous avec la généraliste en fin
d’après-midi. Elle me prescrit une nouvelle prise de sang pour faire le point
sur mes minéraux et vitamines parce que les résultats communiqués par le centre
psychiatrique qui m’a précédemment prise en charge sont illisibles. Elle est
très étonnée d’apprendre qu’avec le régime « zéro déchet » auquel
j’étais arrivée avant de me faire hospitaliser (à savoir polenta + jaunes
d’œufs quasi exclusivement) me permettait d’aller à la selle alors que je suis
plutôt en mode zéro déchets maintenant que je remange. Au chapitre de la
contraception, elle me rappelle que le préservatif n’en est pas une, ce que je
savais, merci, à force de me l’entendre répéter mais que mon esprit dément
intérieurement à chaque fois.
J’entame une liste de course longue comme
le bras de toutes les choses qui me manquent actuellement et que je vais devoir
acheter quand j’aurai droit à une sortie : du cirage, de nouvelles
semelles, un sac bandoulière, du tabac, le dernier Causette, une tasse thermos,
des chaussettes, des nouveaux slips etc.
En fin de journée, je discute par
téléphone avec Chicorée (ma fille de 11 ans) : elle devient une
meuf !!! Elle des poils, les seins qui poussent et son père lui a acheté
des serviettes hygiéniques, au cas où. S’ensuit une discussion un peu technique
sur la façon de les utiliser et sur le fonctionnement des cycles féminins. Elle
passe pas mal de temps sur Snapchat aussi. Note pour plus tard : mettre
mon nez dedans (même) si son père ne le fait pas.
Jour
22 : jeudi 28 février
[Bim,
ça ne loupe pas, je rêve de cette liste de course que j’ai faite hier : je
suis dans un supermarché avec un de mes ex – alternativement Graindorge puis
Johnny Boy –qui finissent par me
laisser en plan dès qu’ils ont fait leurs petits achats persos et comme j’en
suis furieuse, des employées du magasin se mettent à faire les miennes à ma
place, mais n’importe comment (par exemple au lieu de tampons menstruels je me
retrouve avec des tampons encreurs) et surtout pas gratuitement, ce qui me met encore
plus en colère alors je finis par tout refuser et tout refaire moi-même. Est-ce
que mon esprit essaie de me dire qu’on n’est jamais mieux servi·e que par
soi-même ? Comme souvent, je me fade d’une deuxième séance de rêve :
encore une nouba organisée par la mafia (mais why ?), je passe mille
heures à trouver comment m’habiller et je me retrouve à fuir pour éviter de me
faire assassiner à la place de m’amuser, bon.]
Quand je me réveille, il me vient
immédiatement à l’esprit que la Mafia est parfois aussi nommée « la
famille ». Ça doit être une piste de compréhension à ne pas négliger, je
me promets d’en parler à la psy la prochaine fois.
Après cette nuit très agitée, la journée
est presque inutile, hein… d’ailleurs, elle se déroule paisiblement, toujours
sous ce soleil assommant qui n’en finit plus de briller depuis des jours. Je
règle avec Machérie quelques affaires administratives, je bois et je pisse 2
litres et je vais me coucher avec la même sérénité que la veille,
l’avant-veille et ainsi de suite depuis que je suis ici. Avec la hâte et aussi
un peu de crainte de savoir ce que mon esprit va me trafiquer comme rêve
encore.
Jour
23 : vendredi 1er mars
[Eh
bah ce sera encore dans la veine Famille et mafia : je deviens une balance
à voleurs parce qu’un magasin où je me trouve (ça m’obsède les magasins depuis
quelques semaines que je n’y mets plus les pieds…) a remarqué que j’étais un
putain de radar pour les repérer. Mais je me fais prendre par l’une d’entre elleux
qui me marque avec une encre visible que sous une certaine lumière. Du coup, ça
m’ostracise et en même temps ça m’implique dans les deux camps, celui des
voleurs comme celui des vigiles. En deuxième rêve, j’emmène ma fille en luge un
jour de neige, ce qui me vaut le mépris d’une automobiliste en 4x4 qui me
trouve parfaitement irresponsable et peu pragmatique. Ce qui me travaille ici,
c’est la peine que j’ai à concilier la nécessité d’assumer la garde de ma fille
et celle d’assumer les trajets rendus compliqués par la distance que je mets,
toujours plus grande, entre elle et moi, surtout depuis que j’ai trouvé le
petit paradis de trou perdu dans lequel je vis aujourd’hui.]
Je reçois une carte postale dans la
matinée d’une bonne amie qui a un instinct très sûr. Elle vient de visiter le Palais Idéal du facteur Cheval et s’est
imposée à elle une carte où apparaissent différentes vues de cette monumentale
création, à savoir :
- un dromadaire en bas-relief
- un grotesque en posture de prière devant
un panneau gravé sur lequel peuvent se lire quelques bribes de mots, les autres
étant masqués par l’ombre de la créature recueillie : « m’a tiré du
néant … travail de géant … créature vient admirer ici la nature … tout ce que
tu … »
- une vue extérieur du palais avec en
mention « TRAVAIL D’UN SEUL HOMME »
- un éléphant en bas-relief au-dessus
duquel sont gravés les mots « que tu n’est (sic) que poussière / ton âme
seule est immortelle »
- Un autre grotesque crocodilesque, gueule
ouverte vers le haut
Évidemment tous les détails comptent. Je
suis très touchée. J’en sors avec l’état d’esprit suivant : les hommes
sont des bâtards, mais un seul peut être très bien.
Ma septième étude de la Vierge est
interrompue par la pluie, alléluia.
Mon psy n°2 est fier de moi, il me rend
visite avec le sourire, j’en déduis que je grossis bien. Il m’accorde une
sortie par semaine (le samedi, ce qui se révélera un choix peu judicieux mais
j’ai trop vite envie que ce soit demain) et une collation dans l’après-midi
(une compote sans sucre). Tout ça me met en joie, je suis presque survoltée
dans l’après-midi.
Je bouffe toujours comme un ogre,
proprement halluciné par tout ce que je peux mettre dans mon ventre chaque
jour, repas après repas. Je nettoie mes assiettes jusqu’à la toute dernière
miette. Je me fais aussi la réflexion qu’étant enfant, je n’étais pas si bien
nourris que ça : un « plat de résistance » seulement, et puis du
fromage pour celleux qui aimaient ça mais moi je n’aimais pas ça. Pas d’entrée
ni de dessert. À tel point qu’arrivée au collège, me retrouvant pour la première
fois de ma vie en self-service, je ne savais pas dans quel ordre manger les
plats (l’entrée pouvant ressembler à un dessert, comme le melon, ou encore la
charcuterie qui constituait un plat en soi à la maison… je demandais si on avait
le droit de prendre de tout ?). Bref : il se peut que ma maigreur ne
sois pas constitutionnelle comme je l’ai toujours crue, mais que j’ai peut-être
toujours été mal nourrie.
Ensuite j’ouvre le dico à la lettre L, par
curiosité.
LOUVETEAU : scout de moins de 12 ans.
LOUVETERIE : chasse aux loups et grand animaux
nuisibles*.
LOUVOYER : 1) naviguer en zig zag pour utiliser un
vent contraire 2) prendre des détours pour atteindre un but.
LOVER : terme de marine, ramasser en rond (câble,
corde).
LUBIE : idée, envie capricieuse, parfois
déraisonnable.
LUBRIQUE : (du latin lubricus, glissant puis dangereux) => qui fait tomber dans la
luxure
LUCANE : nom masculin, scarabée
LUCRE : gain, profit recherché avec avidité (donne lucratif)
LUDION : 1) dispositif enfermé dans un bocal qui monte
ou descend quand on fait varier la pression 2) personne ballotée par les
circonstances.
À 21h30, à la distribution de
tisane/médocs, je me rends compte que je crush
sérieusement sur Louis (prénom factice), un des infirmiers, celui qui me
délivre l’antidépresseur du soir et veille ensuite sur notre (donc mon)
sommeil. Yé bo. Yé pourtant pas tout jeune probablement puisqu’il est à la
retraite et qu’il fait ici des vacations la moitié de la semaine. Mais ya beau
sourire et belle gentillesse.
À 22h, alors que je somnole doucement, ma
fille m’appelle pour le bisou du soir. Elle a été bonne cette journée.
Jour
24 : samedi 2 mars
Je ne rêve pas mais je me lève aux
alentours de 4h pour évacuer hors de ma vessie le demi-litre que j’ai bu dans
la soirée. Je suis assez étonnée de voir toutes les petites vieilles que
contient mon étage debout, et Louis en grande conversation avec l’une d’entre
elle. Il me capte au passage. Il passe dans ma chambre pour me demander si ce
n’est pas lui qui m’a réveillée. Je le rassure, le feu aux joues.
[Je
profite de mes deux dernières heures de sommeil pour rêver du coup : j’ai remis
mes piercings, arcade et nombril, mais je me retrouve décontenancée devant une
paire de boucles d’oreilles que j’ai envie de mettre mais qui sont aussi
longues et aussi larges qu’un lustre de grand-mère, pleines de couleurs, de
perles et de nacre. Je ne vais pas les mettre mais les pendre au plafond. En
vrai ça commence à m’inquiéter de ne pas avoir de boucles dans mes oreilles,
les trous vont finir par se reboucher – comme ceux de mes piercings donc – et
j’ai pas envie de perdre ces trous-là.]
Je commence à avoir faim entre les repas
dis-donc. Je fais même une petite baisse de sucre sur les coups de 10h30, avec
paillettes devant les yeux et coup de bambou dans les genoux. J’ai droit à un
petit sirop de grenadine pour remédier à ça.
Toujours plongée dans la lecture de ce
livre qui me laisse dubitative – Naissance de l’anthropotechnie – je me fais
toujours chier mais je poursuis quand même et j’apprends ou réapprend quelques
mots nouveaux qui me touchent de près. Tiens pour le plaisir (certains d’entre
eux n’étaient pas dans le bouquin mais juste sur la page de dictionnaire où je
me trouvais à ce moment-là en cherchant les sens des autres mots) (j’ai remanié
les définitions tant que j’y étais) :
ÉPIPHANIE : vision,
manifestation d’un être (éventuellement divin).
ANACHORÈTE : religieuxe
contemplatife qui se retire dans la solitude (proche du terme ermite). Par extension, personne qui vit
en solitaire.
ÉTIOLOGIE : recherche des
causes des maladies.
SÉMÉIOLOGIE : partie de
la médecine qui s’occupe des signes cliniques (symptômes) des maladies.
NOROÎT : vent du
nord-ouest
SUROÎT : vent du
sud-ouest mais aussi chapeau de marin imperméable.
NOSOLOGIE : forme selon
laquelle un principe actif est administré (par exemple en gouttes, en sirop, en
cachet, en suppositoire etc.)
Et tiens, je découvre mais ça ne me
surprend qu’à peine que le terme AUTONOMIE (se donner à soi-même ses propres
règles de conduite) correspond exactement à l’idée que je me fais de l’ANARCHIE
(souvent définie comme refus de toute autorité).
Et je trouve une autre bonne page qui
mérite d’être citée et de faire réfléchir. L’auteur (Jérôme Goffette) fait
ici allusion à la définition sur laquelle pas mal d’anthropologues se sont mis
d’accord sur ce qu’est l’être humain.e
(à savoir et entre autres choses : il utilise des outils, produit de
l’art, pense à sa propre mort, développe sa conscience et agit sur son environnement).
La naissance de l’humanité en tant
que telle est une naissance à la technique, à l’emprise consciente sur soi et
sur le monde. Cette approche […] est un rejet radical de l’idolâtrie de la
nature humaine, comprise comme un état naturel « authentique ». Pour
l’être humain, l’authenticité, par essence, n’est pas naturelle puisque le
statut d’humanité en tant que telle n’est pas « nature » mais
aptitude à s’en saisir, capacité d’artificialisation.
C’est aussi jour de sortie ! De 15h à
17h30, j’arpente dans les deux sens la rue où se trouve la clinique afin de
rassembler la longue liste de course que j’établis depuis plusieurs jours. Des
trucs de base. Ça me fatigue comme pas permis. Sur mon trajet, je croise l'immeuble qui a été incendié quelques semaines
plus tôt. Il se trouve qu’il s’agit d’une boulangerie qui a été explosé par des
crapules mafiosantes, explosion dans laquelle ont péri une femme enceinte de 8
mois et sa fille. La grille qui a été levée par la police tout autour du
sinistre est couverte de roses blanches et de mots de compassion. Des loulous
traînent tout autour avec des bergers allemands et des pitbulls. Ça sent la
weed aussi et je trouve que ça pue. Je rentre exténuée d’avoir dû faire quatre
supermarchés pour trouver un thermos et le cœur chaviré.
J’engloutis sans coup férir mon repas du
soir pour me remettre de mes émotions et je me pâme doucement et secrètement
devant Louis.
En guise de prière du soir, ma fille me
récite la poésie qu’elle a apprise pour la rentrée, qui est déjà très belle,
mais qui l’est encore plus quand c’est ma fille qui la récite, avec ses
intonations à la fois graves et gracieuses de petite fille qui grandit :
L'enfant de lune
La lune en maraude
au coeur des vergers
Grimpait aux pommiers en jupon d'argent ;
Surgirent des chiens rauques, déchaînés :
La lune s'enfuit, laissant un enfant.
Il vint avec nous en classe au village,
Tout à fait semblable aux autres garçons
Sauf cette clarté nimbant son visage
Sous le feu de joie de ses cheveux blonds.
Il aimait la pluie, les sources, les marbres,
Tout ce qui ruisselle et ce qui reluit ;
Le soir il veillait très tard sous les arbres
Regardant tomber lentement la nuit.
La lune en maraude au cœur des vergers
Vint chercher l'enfant un soir gris d'automne :
Vite, il s'envola. J'entends à jamais
Le bruit de son aile amie qui frissonne.
Grimpait aux pommiers en jupon d'argent ;
Surgirent des chiens rauques, déchaînés :
La lune s'enfuit, laissant un enfant.
Il vint avec nous en classe au village,
Tout à fait semblable aux autres garçons
Sauf cette clarté nimbant son visage
Sous le feu de joie de ses cheveux blonds.
Il aimait la pluie, les sources, les marbres,
Tout ce qui ruisselle et ce qui reluit ;
Le soir il veillait très tard sous les arbres
Regardant tomber lentement la nuit.
La lune en maraude au cœur des vergers
Vint chercher l'enfant un soir gris d'automne :
Vite, il s'envola. J'entends à jamais
Le bruit de son aile amie qui frissonne.
Marc Alyn
Jour
25 : dimanche 3 mars
[La
nuit est aussi agitée émotionnellement que la journée qui l’a précédée. En
première rêverie, je déclare mon désir à Louis en lui déposant un baiser sur
son sourire. Il est surpris, il me dit que ce n’est pas bien, mais il me dit
oui quand même. La suite est un peu floue : elle consiste en une
perpétuelle recherche de discrétion pour ne pas se faire voir par les autres
infirmièr·es, en mode « love affair de lycéens ». C’était bien. La
seconde rêverie l’est nettement moins : la planète Terre a été envahie par
des monstres semblables en tout point à des monstres que l’on croise dans Fall
Out 3 (les Écorcheurs), nommés
« Brindella » (note : c’est une déformation du nom du premier
anti-dépresseur qu’on m’a prescrit et que je n’ai jamais pris). Je fuis avec ma
fille et Johnny Boy (…) mais dans le pick-up de Graindorge (…). On commence par
se garer dans un endroit discret quand on remarque des promeneurs qui se
prennent littéralement sur la tête toute une forêt. Nous nous mettons à courir
à travers champs en escaladant moult barbelés, jusqu’à ce que nous croisons un
militaire affirmant qu’il est bien placé pour savoir qu’on ne peut pas « vaporiser »
ce genre de bestioles puisque c’est lui qui les a conçues. La seule manière d’y
échapper, c’est de trouver un abri souterrain et d’y rester. Une bestiole
traine tout près de nous et là je me réveille, assez contente de ne pas vivre
encore dans ce monde-là.]
Je commence à penser un peu trop à Johnny
Boy à mon goût. Quelques secondes par jour et la nuit, ça commence à bien
faire. Ça me saoule tellement de penser à lui que je décide de ne plus y
penser.
Ce matin-là, une bonne et une mauvaise
nouvelle : la bonne c’est que je n’entre que très difficilement dans mon
slim, aujourd’hui. La mauvaise c’est que je quitte ma chambre demain, pour une
chambre double. Heureusement, je connais ma future colocataire et je sais déjà
qu’elle est cool. Par contre la chambre en question est toute petite. Mais elle
a une salle de bain. Je décide de décider que ce sera bien.
J’écris dans la journée une petite carte
postale à ma Chicorée (avec des flamands roses, pour sa collec’) et une autre
pour Machérie et les copains et les copines de notre association. Je décide
aussi d’écrire une lettre un peu difficile à Machérie, mais je n’y arrive pas
complètement et ça me fait chialer un peu. Je ne sais pas trop comment lui dire
ce que j’ai à lui dire. En même temps, quelle genre d’amie je serais si je ne
lui disais pas ?
La journée et la semaine se terminent avec
une dernière mauvaise nouvelle : Louis annonce qu’il va prendre une
semaine de congés puis espacer ses vacations avant d’arrêter tout à fait. Je
commence à me demander s’il ne faut pas que je l’entreprenne un peu plus
sérieusement avant que ça ne soit plus possible du tout. Je me suis défendue de
le faire dans la mesure où il était mon soignant et moi sa patiente, mais s’il
part, ça ne compte plus non ?
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