ψ / Semaine 6

PEJAC



Allez, les vacances de mes nerfs, c’est fini : j’attaque la sixième semaine, qui signe la mort de mon insouciance. Johnny Boy revient en force (et toujours sans le vouloir).

Beat me.




SEMAINE 6

Jour 33 : lundi 11 mars

[Joli petit rêve post-apocalyptique pour commencer la semaine : j’ai volé une soucoupe extraterrestre que mon compère (un homme qui m’est inconnu en vrai) arrive à faire plus ou moins bien voler. Moi je suis chargée de trouver du carburant. On pille des maisons vides pour se nourrir parce que je refuse qu’on mange nos poissons, qui s’ébattent dans un grand aquarium. J’essaie de pêcher aussi mais je manque de matériel. Évidemment, les poissons, la pêche, c’est encore Johnny Boy qui ne dit pas son nom.]

Avec la psy, aujourd’hui, on cause violence et domination, elle en a les poils qui se dressent quand je fais rapidement le portrait de ma famille, de ma mère, de mon père. Je commence vraiment à me dire que j’ai été « éduquée » dans un foutu bordel.

J’observe un écureuil qui mange une pomme dans le parc (après l’avoir soigneusement épluchée… quand il en mangé un bonne moitié, il la grimpe dans un arbre et la cache dans un trou). Dans l’après-midi, je dessine une nouvelle Vierge sous un nouveau profil. Là-dessus, une vieille dame vient me demander s’il est possible de m’en acheter une… je rougis, je dis que bien sûr que non, c’est gratuit et je la laisse choisir parmi la dizaine que j’ai déjà crayonné. Elle choisit la plus belle, celle que mentalement j’avais mis de côté pour l’offrir à ma fille… ça me pince un peu le cœur mais je me dis que je vais en dessiner d’autres de toute façon, et qu’elles seront encore plus belles.

Je passe le reste de la journée à gagner à Concept et à perdre au Scrabble.

Dans la soirée, je revois Louis et son sourire. Je suis d’excellente humeur.

Jour 34 : mardi 12 mars

[Je suis de passage dans un village quasi moyenâgeux par son ambiance. Un drame s’y est produit, à savoir la mort d’un enfant. L’enquête est bâclée par la police, j’assiste à une mascarade reconstitution (les policiers se placent très loin de la scène, de sorte qu’ils ne voient rien) et au lieu du suspect, c’est la mère de l’enfant qui est accusée du meurtre. Elle est ipso facto condamnée à avoir l’anus cousu, ce qui lui promet une longue et douloureuse mort (putain mais non !!!! Volu, mais.Tu.) Une femme (sa fille ?) décide d’écrire la vérité dans un très beau livre enluminé que personne ne veut lire. Sa grand-mère la cherche, elles se croisent de peu et toutes deux, alors qu’elles ont manifestement fait exprès de se rater, se plaignent l’une de l’autre auprès de moi, en pleurant, du peu d’amour et de reconnaissance qu’elles se donnent. J’essaie de les ramener à la raison.]

Fiou. Je suis contente de me réveiller. Et en même temps, je prends minutieusement note de toute la lourde, très lourde, très très lourde symbolique de tout ça.

Mardi, jour de pesée ! Et jour de sismo aussi. Notre salle de cadrage se transforme en salle d’attente de la dernière chance, elle se remplit de fantômes agitées, d’hommes suicidaires, de cadavres vivants, de vieilles qui psittacisent (« vous êtes là pour la sismo ? ça a commencé ? Vous êtes là depuis longtemps ? Vous allez bien ? Vous êtes là pour la sismo ? etc. »). Ça me gâte un peu l’humeur, parce que je ne peux pas allez ailleurs, ça sent l’acétone, Maria se plaint en portugais et déplace des chaises en faisant crisser les cailloux sur le parquet entre deux danses de Saint Guy.

Sortie de là, je dessine une nouvelle Vierge en écoutant une nouvelle arrivante qui me décrit ses multiples TS, je me promets de ne surtout pas offrir ce croquis-là, hanté probablement par les visions successives de son corps pendu, bleui, anesthésié.

Jour 35 : mercredi 13 mars

[Cette nuit, je rêve que la maison familiale ne possède aucun mur, de sorte que toute notre intimité, à savoir notre linge sale et ma chambre se trouve exposé à la vue de toustes. Ensuite j’ai un bref passage érotique où Louis me lèche les seins en même temps qu’il suçote un cachet (ceci étant un prétexte pour cela), à genoux dans mon dos, sa gaule contre mes reins.]

Ce jour est étrange, un peu lourd et plein de signaux à interpréter. Le repas du midi est l’occasion d’un défilé de plaintes de notre part à l’infirmière qui mange avec nous : les psychiatres jamais à l’heure et après lesquels il faut courir, l’état des sanitaires, les conditions floues et changeantes de certaines prestations (la télé, le nettoyage du linge), tout y passe. Dans la foulée, je discute avec la psychologue de ma colère, toujours latente, toujours prête à surgir dans mes interactions avec autrui, de mon intransigeance qui complique tout. Au cours du groupe de parole Addictions, on cause hérédité de la toxicomanie (ma mère) et de l’alcoolisme (mon père) (hérédité relative : j’ai adhéré à la toxicomanie de ma mère et j’ai rejeté l’alcoolisme de mon père), je suis à deux doigts (jours en fait) d’arrêter de fumer comme on met fin à une longue malédiction. Dans l’après-midi, alors que je suis de nouveau en poste devant la Vierge, la dame qui est venu me demander un croquis me glisse 20 euros dans la main avant de déguerpir pour m’empêcher de les refuser. 20 euros.

Deux nouvelles dans mon environnement direct : une personne à notre table et au cadrage, d’une cinquantaine d’années et en pleine phase d’anorexie, et une nouvelle co-roomette dans ma chambre, une jeune fille déjà connue du service pour ses tapages nocturnes avec ses copines. Je crains un peu pour ma tranquillité (mais ça se passera assez bien, elle ira faire du bruit ailleurs chaque soir).

Pour ce qui est de ma nouvelle commensale, c’est assez difficile : elle attaque le plan de soin par des demi-portions de repas, ce qui lui est pénible à vivre (comme ça l’a été pour moi). C’est un moment stratégique : créer la faim. C’est abominablement dur en fait. Je compatis en dévorant ma portion complète.

Jour 36 : jeudi 14 mars

Cette nuit-là je dors bien mais je ne me souviens pas vraiment de mes rêves, juste quelques bribes qui s’effacent en même temps que je m’éveille. La journée est paisible, je bouquine et je laisse doucement les idées de la veille s’aligner dans ma tête.

Une espèce de lumière s’y fait, qui ne va pas prendre forme tout de suite : ça fait des semaines, des mois même, que mes thérapeutes me parlent de « deuils » à faire, à propos de ma famille, de Johnny Boy, des hommes et de certains évènements de ma vie en général. À chaque fois ça me gratte. J’ai pas l’impression qu’il y a tant de cadavres que cela sur mon passage. C’est là que le mot « réconciliation » me vient, guère plus satisfaisant (j’ai tellement pas envie de me réconcilier avec les personnes sus-citées) mais un brin plus doux à mon esprit. Advienne que pourra, l’idée est là.

Je me paie également 8 séances de PSIO, un système de lunettes + casque qui vous plongent dans un état d’hypnose (à base de mots sussurés et de flashs de lumière) avec la volonté, encore demi-molle, d’arrêter de fumer. Je dois commencer la première séance demain.

Les repas, entre la nouvelle et une ancienne qui vit de plus en plus mal son séjour, deviennent carrément pénibles. Il va falloir des semaines avant que les soignant·es mettent le holà à l’ambiance toute pourrie.

Jour 37 : vendredi 15 mars

[Rêverie très intense cette nuit, où je vais retrouver un motif particulièrement récurent : l’anticipation. Relativement souvent, je rêve qu’il se produit un évènement que je connais déjà, ou bien que je revis plusieurs fois à l’identique, de sorte que je parviens (ou pas) à l’anticiper quand il se reproduit. Parfois je connais l’évènement en question parce que je l’ai déjà rêvé, parfois il se reproduit plusieurs fois de suite dans le même rêve comme cette nuit. Ça se passe sur une île, très isolée, désertique, gelée. Il s’y trouve un refuge. Sans électricité ni eau courante, ça ressemble à un refuge de montagne, avec au centre d’une grande pièce une immense armoire à linge et à vaisselle qui divise l’espace. Un groupe de personnes se posent en avion sur l’île, et quelques temps plus tard se produit une énorme explosion qui tue et détruit tout. Dans un second temps, je revis l’évènement et cette fois je comprends l’origine de l’explosion (une bouteille de gaz) et aussi que la déflagration est circonscrite à un certain périmètre, au-delà duquel on serait donc en sécurité. Dans un troisième temps, je me retrouve moi-même sur cette île et je cours pour échapper à la déflagration mais pas assez vite et je suis morte. Dans un quatrième temps, tout recommence encore et j’arrive à courir assez loin mais c’est limite et je me fais roussir la peau du dos, pelotonnée dans un fossé. Et pour finir, j’essaie carrément d’empêcher l’explosion d’avoir lieu : je surprends deux hommes de main qui sont à l’origine de la manipulation de la bouteille de gaz, je les empêche effectivement de la faire exploser en les surprenant mais je me retrouve prise en otage avec ma sœur (?). J’essaie de crier mais je n’ai plus de voix, j’essaie de frapper mais je n’ai plus de forces. Je parviens toutefois à m’échapper et à passer un appel (en PCV), qui, après une courte page de publicité me met en ligne avec la police. On est sauvées. Dans le véhicule qui les embarque, les deux tueurs se suicident mutuellement par injections létales.]

Je me réveille toute chose, c’est pas souvent que je me réveille avec autant de détails en mémoire. J’aimais bien cette île aussi. J’y serais bien restée.

Aujourd’hui, j’arrête de fumer ! Je fume ma dernière cigarette à 8 heures du matin. Ces derniers jours j’étais descendu à 4 clopes par jour (je vapote à la place de celles que je ne fume pas), la première, fumée à jeun, avait tendance à me coller une claque, c’était tout juste si je tenais assez debout pour me diriger jusqu’à la salle à manger. Celle-ci, particulièrement éprouvante, sera donc la dernière. Je lance ma première séance d’hypnose aux alentours de 15h. J’en ressors une demi-heure plus tard, en pleurs et non-fumeuse. Jour 1. Je vapote toujours, mais assez peu et j’ai la ferme intention de diminuer doucement mon grammage de nicotine (je suis à 11 et je passerai à 6 la semaine suivante).

Je commence une nouvelle lecture : les Ébauches de vertige d’Emil Michel Cioran. J’adorais cet auteur quand j’avais 16 ans, fraichement dépressive. Mais aujourd’hui, franchement, je me dis qu’il aurait dû se faire soigner, ce monsieur. Je me vous fends quand même de quelques extraits, pour le plaisir de regarder l’abîme dans lequel je ne suis pas tombée (et d’apprendre quelques mots).

EXÉGÈSE : interprétation d’un texte obscur.
EXÉGÈTE : spécialiste de l’exégète.
ATARAXIE : tranquillité, impassibilité totale.
ATAXIE : trouble nerveux (de la coordination des mouvements notamment).
PATRICIEN : classe supérieure de citoyens par la naissance (contraire de PLÉBÉIEN)
HEUR : bonne fortune, chance.
ÉPIGONE : successeur, imitateur.
ÉPIGRAMME : 1) petit poème satirique 2) mot spirituel contre quelqu’un·e
ÉPIGRAPHE : 1) inscription sur un édifice pour en indiquer la date ou la destination 2) courte citation en tête d’un livre, d’un chapitre.

Jour 38 : samedi 16 mars

Ce trente-huitième jour annonce chez moi le début d’un moins-bien qui va rapidement s’aggraver, mais heureusement ne pas trop durer. En vrai, j’attaque un SPM qui va rester dans les mémoires. Je me réveille sans aucun souvenir de mes rêves de la nuit mais avec une grosse colère, dirigée contre Johnny Boy. Je sais par Machérie qu’il a pris régulièrement de mes nouvelles et que la veille, il a carrément débarqué chez moi alors qu’elle s’y trouvait parce qu’elle ne lui répondait pas. Il faut savoir tout d’abord que Machérie pense depuis notre rupture qu’il n’est pas bon pour moi que Johnny Boy continue de se manifester à mon bon souvenir, dans la mesure où il fait tout, dans le même temps, pour me tenir à distance. Il fait ça pour avoir la conscience tranquille (il « ne me laisse pas tomber »), parce que clairement, il n’y a pas même le moindre symptôme d’une amitié restante entre nous. Il veut me le faire croire mais aucun acte ne vient consolider cette affirmation, toute péremptoire. Je pète un câble quand j’apprends qu’il continue de prendre de mes nouvelles, mais de loin, sans trop se mouiller, en enquiquinant Machérie qui a autre chose à faire et qui voit tout ça d’un mauvais œil de toute façon. Pour finir, il était spécifiquement entendu qu’il ne mettrait pas les pieds chez moi en mon absence (il avait proposé de s’occuper de mes chats, ce qui nous a fait toutes les deux hennir de rire et de rage). Je pourrais l’appeler « l’homme qui ne voulait pas sortir de ma vie ». Je pleure, je boude, je trépigne et je lui dépose un message sur son répondeur ainsi qu’une série de SMS assassins auxquels il ne répond pas, je passe donc en mode blitzkrieg paranoïaque. Réconciliation, ah ah.

Ça ne le fait tellement pas dans ma tête que je me la prends avec Machérie aussi : persuadée que mes SMS n’arrivent nulle part, parce qu’une copine ne répond pas depuis plusieurs jours et Johnny Boy depuis plusieurs heures, je lui demande si elle les reçoit, elle. Elle m’assure que oui, qu’elle est en ce moment-même à la Marche pour le Climat. Là-dessus, à peu près 10 minutes après, la copine qui n’a pas répondu depuis plusieurs jours me textote (tu suis ?). Je demande alors à Machérie si c’est elle qui lui a demandé de me répondre (ce que je trouve condescendant), ce qu’elle infirme immédiatement. La coïncidence me paraissant trop grosse, je mets sa parole en doute. Elle ne va pas le faire sentir tout de suite mais je l’ai profondément blessée.

Après la copine, c’est Johnny Boy qui finit par me répondre (par SMS), un peu ennuyé, arguant qu’il était à la pêche toute la journée et qu’il découvre donc mes messages colériques avec un brin d’appréhension. Il n’ose pas appeler, as usual, je lui signifie qu’il me doit 200 balles (la dernière livraison de weed, dont je n’aurais pas l’usage) et je fais sonner son téléphone toutes les heures, histoire qu’il ait la conscience aussi agitée que la mienne. Oui, j’ai honte mais pas plus que ça, la colère m'aveugle.

Les autres patientes, qui m’ont vue jusque-là enjouée, volontaire et gaie n’en reviennent pas de cette chute d’humeur. Je leur pleure sur les genoux.

Mon état m’effraie : après ces semaines de bien-être, ça m’effraie de replonger si vite, si fort. Ça m’effraie de voir l’empreinte que ce gars a encore sur ma vie. Ça m’effraie tous ces mois pour en être encore là.

Je fais une petite pause dans mes ruminations en renouvelant mon stock de livres à la bibliothèque et en m’adonnant à quelques jeux de société avec les autres patientes. Je me couche comme je me suis levée, triste, agitée, déprimée.

Jour 39 : dimanche 17 mars

[La nuit est logiquement envahie de cauchemars : je rêve d’un fleuve aux eaux limpides (tout cours d’eau est une métaphore de Johnny Boy) dont le fond est jonché de poissons morts. Un bateau rempli de victuailles menace de s’y échouer. Je suis censée y pêcher de petits crocodiles, qui rôdent dans les hautes herbes. Ils se pêchent à la corde et il est interdit de les tuer, parce qu’ils sont sacrés. Il faut donc les pêcher vivant, en évitant de se faire mordre… Je me retrouve pour cela en équilibre sur une poutrelle, très, très haut au-dessus du fleuve (je suis très sensible au vertige), au-dessus des arbres, au-dessus de tout.]

Je me réveille en colère et avec une sale tronche d’avoir pleuré. J’essaie encore de joindre Johnny Boy mais il a carrément éteint son portable et débranché son téléphone. Je pleure encore un peu et il finit par me rappeler, très en colère, depuis le jardin de la maison d’Odile. En colère parce qu’il s’est fait allumer par Odile à cause de mes nombreux appels (petite joie mesquine intérieure de ma part), qu’il n’a pas envie d’essuyer mon agressivité et que je le « dérange dans sa vie ». En colère surtout parce que c’est le visage qu’il veut montrer à Odile (dans quelques jours, seul, il me rappellera tout sucre et tout miel). Je le traite d’abruti, de piètre ami, de mec sans courage et je réclame encore mes 200 balles, en lui faisant comprendre que tant que cet argent ne sera pas chez moi, il aura des désagréments téléphoniques chaque jour. Il me promet de faire ça dès le lendemain mais ni lui ni moi n’y croyons une seule seconde. Je l’envoie chier, après ça je pleure encore un peu et les infirmiers se relaient pour me réconforter. Ils me disent qu’il faut faire sortir l’ancien pour faire rentrer du neuf. Que je suis au bon endroit pour me laisser à aller mal aussi. Que je suis là pour ça. Que j’ai arrêté de fumer il y a deux jours aussi, je dois avoir les nerfs un peu en pelote quand même. Peu avant le coucher, heure après heure, je me sens libérée d’un poids. Je me dis que je vis. Que je ne veux plus me faire de mal. Que je dois arrêter de l’emmerder aussi.

J’entame une nouvelle lecture, Parole de Femme d’Annie Leclerc, un peu daté mais très juste. Suis le lien ci-dessus pour en lire quelques (longs) (et bienfaisants) extraits.



Commentaires

  1. C'est Edge of tomorrow, ton rêve du 15 mars !
    (ma petite crotte ici)

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    Réponses
    1. Oui, la boucle temporelle est un motif que le cinéma et les série affectionnent pas mal en ce moment :) y en a une foule sur Netflix. C'est aussi un classique de la psychanalyse (les répétitions) et il se trouve que durant mon hospitalisation, j'ai eu l'indicible joie de sortir de la boucle dans laquelle j'étais prostrée.

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