ψ / Horaires, Habitudes et Rituels




Au fil de ces pages consacrées à mon séjour en psychiatrie, je ne vous fais essentiellement part des choses les plus saillantes de mes journées. En réalité, mes journées sont surtout remplies de gestes répétitifs, d’horaires fixes à scrupuleusement respecter et d’actes rituels. J’en ai fait une petite liste, parce que c’est à tout ça que je me consacre le plus. Ce sont les meubles dans la maison de mes jours.



7h30
Réveil
Les infirmières nous réveillent les unes après les autres en distribuant les premiers médicaments de la journée, puis ce sont les « agents hôteliers » (c’est-à-dire les femmes qui font le ménage, distribuent les repas et tiennent l’accueil) qui distribuent les petits-déjeuners dans les chambres… sauf pour moi, qui mange en salle.

- Écrire mes rêves. J’adore rêver. C’est tellement nouveau pour moi. Chaque nuit ressemble à une séance (gratuite) de cinéma, sauf qu’à chaque fois ça parle de moi et j’ai le premier rôle. Selon mon état au réveil, je prends ou pas le temps de les noter. Si je le fais tout de suite c’est mieux, parce qu’après une dizaine de minutes, ils ont tendance à s’effacer de ma mémoire et une heure après il n’en reste plus rien.

8h15 (8h30 les week-ends)
Petit-déjeuner
Café, pain, beurre et confiture, tous les jours, tous les jours, tous les jours, sauf les week-ends où on a le droit à une viennoiserie si on veut mais on veut jamais parce qu’on a peur d’avoir faim toute la matinée (c’est juste de l’air un pain au chocolat si on y regarde bien)… donc pain, beurre, confiture le week-end aussi. Nous devons manger en un quart d’heure minimum, une demi-heure maximum.

8h45 (9h les week-ends)
Rester en « cadrage »
C’est-à-dire qu’après chaque repas, je reste 2 heures dans la pièce où nous avons mangé, avec les 3, 4 ou 5 autres filles qui partagent les « plateaux assistés ». Mine de rien, on passe 8 heures ensemble par jour. Au début, ce temps et cette promiscuité obligée sont difficile à vivre, pour toutes. Et puis au fil des jours, on y trouve de l’intérêt puis des bénéfices et enfin du plaisir. Ça consiste aussi à se retenir d’aller aux toilettes pendant au moins une heure après chaque repas. J’ai donc acquis, au fil des semaines, une vessie XXL. Pendant ces deux heures, on s’occupe comme on peut.

- Dessiner des mandalas, à raison d’un ou deux par jour, le tout sans compas (mais avec un rapporteur et une équerre), ça m'occupe une demi-heure environ. Je les offre autour de moi, parce que tout le monde a besoin de distraction ici et que les mandalas, c’est bien pour ce qu’on a.












- Écouter de la musique ou suivre une conférence sur Youtube. Je ne te cache pas que l’acquisition d’un nouveau téléphone portable et d’un nouvel abonnement d’internet mobile a révolutionné ces foutues heures de cadrage.


10h45
Temps libre
Mais très occupé jusqu’à midi :

- Boire 1,5 litre d’eau. J’ai un pichet dans ma chambre, posé sur un petit napperon qu’une patiente a brodé spécialement pour moi, que je dois vider chaque jour.

- Pisser du coup. Voir supra la vessie XXL.

- Chier. C’est très important de chier, ici. Au début, on passe toutes par, voire même on arrive avec, des problèmes de digestion plus ou moins aigus. Quand tu passes d’une micro-ration quotidienne à trois repas complets, c’est un changement énorme dans ton corps et cet énormité, il lui faut parfois des semaines à la gérer, à la digérer. Concrètement, on est toutes plus ou moins sévèrement constipées. C’est pour ça que je bois d’ailleurs. Je fais bien caca du coup, jamais aux mêmes heures, des fois c’est dur (à tous les sens du terme), mais c’est quotidien, et ça c’est bien.

- Parler avec des psy. Avec les psychiatres, c’est toujours 5 minutes montre en main, et ça consiste essentiellement à négocier des sorties, me faire féliciter pour ma prise de poids et l’avancée de mes soins et à ajuster mon traitement (un peu de Valium la journée et un peu de Mirtazapine le soir). Par contre, avec la psychologue, une petite stagiaire bien sympathique, ça bosse dur, 2 fois une demi-heure par semaine. Je comprends des trucs : mes rêves de mafia par exemple, c’est ma famille. On ne quitte pas la Famille facilement, you know… violence, silence, ça se tient. Je détermine ce que j’attends de mes amours, de mes amitiés, je remonte quelques souvenirs, j’établis une chronologie. Au début je pleure, mais ça ne dure pas. Il va y avoir l’épisode Johnny Boy un peu violent, mais vite essoré.

- Faire mes lessives. Comme j’ai peu de fringues et encore moins de fric, je me refuse à confier mes habits sales au service de nettoyage de la clinique qui, pour la non modique somme de 35 euros par mois vous prend votre linge le jeudi et vous le restitue nettoyé et plié le… lundi. Je fais ça dans le lavabo, avec du savon de Marseille et je l’étends un peu partout, aux fenêtres, sous la clim, sur les paravents tous pourris sensés séparés nos lits, dans la douche… c’est interdit (sauf pour les petites choses) mais je les emmerde fort.

Midi
Déjeuner
Les repas commencent toujours par la prise des médicaments (Valium pour moi), un rappel des règles si nécessaire puis on mange avec autant d’enthousiasme que possible. Des portions qui m’ont paru improbables quand elles ont commencé à augmenter, puis que j’ai englouties sans coup férir. À savoir : une entrée de crudités, un plat principal fait de viande ou de poisson, de féculents et de légumes, un fromage ou tout autre laitage et enfin un dessert, généralement un fruit et de temps en temps une gâterie à base de chocolat. Les règles à table sont : on mange tout le contenu de son plateau, dans l’ordre normal du repas, on ne parle pas de bouffe ni de nos traitements médicamenteux, le tout dans le temps imparti (½ heure à ¾ d’heure le midi et le soir). On finit avec un petit déca (avec deux sucres).

12h45
Cadrage
Again…

- Lire. Beaucoup. Et prendre en note tout ce qui me touche, me transcende, m’apprend ou m’émerveille. Je vais te faire bientôt une liste de lecture.

- Écrire, ce journal, mais aussi retranscrire mes passages préférés des lectures que j’ai faites, corriger et poursuivre La Fille….

14h45
Temps libre

- Jongler. Je mets de la musique, j’attends d’être seule (ou pas) et roulez jeunesse. Je ne le fais pas tous les jours, généralement quand je suis irritée, ce qui n’est pas très souvent (une fois par semaine disons). Comme l’activité physique est restreinte et même proscrite, c’est un truc que je fais en cachette (les infirmières pensent que ces balles sont des balles anti-stress).

- Chercher un temps et un lieu pour mes séances de yoga et de Qi Gong, vu, donc, que c’est proscrit. Quand je suis seule et que je suis certaine de ne pas être dérangée, ce qui n’arrive pas souvent, je pratique quelques Salutations au Soleil le matin et 9 fois chacun des 5 RitesTibétains dans la journée. Pas question de voir fondre le peu de musculature qui me reste.

- Prendre les motifs du carrelage en photo. Ils sont magnifiques ces carrelages.





- Dessiner la Vierge, cette belle madone qui trône dans l’une des trois cours qui constituent notre espace extérieur. Chaque jour sous un nouvel angle, sous une nouvelle lumière. Au bout d’un moment, les gens ont commencé à vouloir me les acheter (du coup je ne possède plus les plus réussies).


- Fredonner quand je suis seule. J’ai peur d’oublier mes chansons préférées. Surtout que depuis que je ne fume plus, mon organe s’embellit. J’ai hâte de sortir pour ça surtout, pour retrouver ma voix.

- Marcher dans le parc. Moi j’y marche doucement, mais ici il y a des filles avec des TCA super sévères, qui marchent, tournent, inlassablement, à un rythme soutenu et sans arrêt. D’autant qu’il est tout petit ce parc, contrairement à ce qu’en dit le site de la clinique, puisqu’ils sont en train de déménager et que les trois-quarts du parc ont déjà été vendus et que toute la journée, on observe l’avancée des travaux qui s’y déroulent, à savoir une enfilade impressionnante d’immeubles en béton et en brique (bruit et poussière).




- Observer les écureuils, les merles et les pigeons, les corbeaux, les lézards, mais aussi les forsythias, les chèvrefeuilles, les platanes, les muscaris, les jonquilles, les violettes, les pervenches, les noisetiers, les rhododendrons, les magnolias et les pivoines qui s’ébattent dans le parc.

- Observer l’avancée des travaux, donc. Un étage par quinzaine quasiment. Des grues immenses surplombent notre espace, les hommes s’interpellent, hurlent, tapent et chantent « Étoile des neiges », c’est drôle et viril.

- Écrire et recevoir du courrier, de la part de Machérie, de ma fille, à la MGEN, aux impôts… L’ouverture de tout courrier un peu volumineux se fait sous l’œil attentif d’un·e infirmièr·e, qui veille à ce que vous ne receviez pas de quoi manger ou vous suicider.

- Prendre une douche, à l’heure où personne n’y va, parce qu’elles sont libres et sèches. J’utilise les douches communes les premières semaines, avant de changer de chambre, avec douche.

16h
Collation
Une compote et trois biscuits, pris sous la surveillance d’une infirmière….

18h45
Dîner
Idem : médocs, règles, repas, discussions légères puis…

19h30
Cadrage

- Jouer. La clinique possède un petit stock de jeux de société, qui permettent de sociabiliser en se bidonnant. J’adore le Concept mais je ne crache pas sur un Time’s Up ou un petit Scrabble.

21h30
Tisane et médicaments
On fait la queue devant l’aide-soignante qui nous sert un jus de feuilles totalement insipide et dont le parfum change chaque soir sans qu’on puisse pour autant en deviner la composition. On avale notre dernier cachet devant l’infirmier, pour moi un antidépresseur sensé m’aider à dormir et m’ouvrir l’appétit.

22h
Coucher
Le couvre-feu est à 23h, on a donc le temps de se faire une petite toilette et de bouquiner avant le premier passage de l’infirmier de nuit, qui repassera aux alentours de 1h puis de 4h pour s’assurer qu’on est au lit, qu’on dort et qu’on est vivante.

- Laver mes pieds, tous les soirs. Faut dire que je passe mes journées dans mes Doc Martens, ça marine un peu. Mais je ne sais pas si ce mon changement d’alimentation ou quoi, mais mes pieds n’ont jamais été aussi beaux : mes ongles sont plus fins, la corne disparait, ils sont moins secs… Après 2 mois de réalimentation, ils commencent à devenir un peu douloureux (au niveau de la voûte plantaire), il me faut quelques jours pour comprendre que ce sont les nouveaux kilos qu’ils ont à supporter qui font ça, ce qui rend la douleur presque jouissive. Lors de mon changement de chambre j’aurais droit à une douche particulière et donc la possibilité de me laver toute entière, ce qui est hyper appréciable.

- Me regarder grossir, avec une joie sans pareille. Je prends mon visage en photo à intervalles réguliers, mais ça n’est pas vraiment sur ma tête que les changements se voient, mais bien dans mes vêtements. Il faudra 2 mois pour commencer à craquer mes boutons de pantalons et à devoir racheter des fringues à ma nouvelle taille.

- Dormir. 8 à 9 heures par nuits, pleines de rêves et d’aventures palpitantes, angoissantes, révélatrices… Au début, je garde mon rythme habituel, c’est-à-dire réveillé à 6h30, debout à 6h31. Et puis, semaines après semaines, c’est de plus en plus tard et c’est de plus en plus dur de sortir du lit. Je suis crevée à longueur de journée, je baille, je somnole, je me traine, je sieste, je me détends et je me repose. C’est bon.

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