La crise de la culture / Qu’est-ce la liberté ? - Hannah Arendt
Allez, digère ça et tu peux repasser ton bac finger in the nose.
Puis le mot « femme » apparait
une seconde fois, toujours au pluriel, relégué en note cette fois et juste
avant les mots « moins que les hommes soumises à la raison ». Je me
suis souvent demandé à la lecture de ces essais si Hannah avait remarqué
qu’elle était une femme et qu’elle était douée de raison.
IV. Qu’est-ce
que la liberté ?
IV.
Qu’est-ce que la liberté ?
Les expériences de la liberté
intérieure sont dérivées [de la liberté extérieure, « dans le
monde »] en ceci qu’elles supposent toujours un repli hors du monde, où la
liberté était refusée, dans une intériorité à laquelle personne n’a accès.
L’espace intérieur où le moi est à l’abri du monde ne doit pas être confondu
avec le cœur ou l’esprit, qui existent et fonctionnent tous deux seulement en
interrelation avec le monde […]. Historiquement, il est intéressant de
remarquer que l’apparition du problème de la liberté dans la philosophie de Saint Augustin fut ainsi précédée par
la tentative consciente de séparer de la politique la notion de liberté, pour
parvenir à une formule grâce à laquelle on pourrait être un esclave dans le
monde et demeurer libre.
[…]
Épictète
transposait ces relations mondaines en relation à l’intérieur de l’homme
lui-même, et il découvrait qu’aucun pouvoir n’est aussi absolu que celui que
l’homme exerce sur lui-même, et que l’espace intérieur où l’homme lutte contre
lui-même et se maitrise lui-même est plus entièrement sien, à savoir plus
sûrement protégé de l’ingérence extérieure, que ne pourrait jamais l’être aucun
foyer dans le monde. […] Il semble qu’on puisse affirmer que l’homme ne saurait
rien de la liberté intérieure s’il n’avait d’abord expérimenté une liberté qui
soit une réalité tangible dans le monde. Nous prenons conscience d’abord de la
liberté ou de son contraire dans notre commerce avec d’autres, non dans le
commerce avec nous-même. […] Sans une vie publique politiquement garantie, il
manque à la liberté l’espace mondain où faire son apparition. Certes, elle peut
encore habiter le cœur de hommes comme désir, volonté, souhait ou
aspiration ; mais le cœur humain, nous le savons tous, est un lieu très
obscur, et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné comme
un fait démontrable. […] Cependant … la montée du totalitarisme, sa revendication
d’avoir subordonné toutes les sphères de la vie aux exigences de la politique
et sa non-reconnaissance logique des droits civils … nous font douter non
seulement de la coïncidence de la politique et de la liberté, mais encore de
leur compatibilité.
[…]
Chez Hobbes … la condition de toute liberté et le fait d’être libéré de
la peur [de la violence, de la mort violente]. […] Ce ne fut pas par désir de
liberté que le peuple exigea finalement de participer au gouvernement ou d’être
admis dans le domaine politique, mais par défiance envers ceux qui détenaient
le pouvoir sur sa vie et sur ses biens.
[…]
Médée, Eugène Delacroix (1862) |
La solitude augustinienne
d’"ardente lutte" à l’intérieur de l’âme elle-même était
entièrement inconnue [dans l’Antiquité classique], car le combat dans lequel il
s’était trouvé engagé n’était pas un combat contre la raison et la passion,
entre l’entendement et le θυμοσ*.
*
Médée, avant de tuer ses enfants dit
[chez Euripide] : « Et je
ne sais quels crimes je suis sur le point de commettre, mais le θυμοσ est plus
fort que mes raisons. » […] L’important est que toujours la raison, le
savoir, le discernement, etc. sont trop faibles pour résister à l’assaut du
désir, et ce n’est peut-être pas un accident si le conflit éclate dans l’âme
des femmes qui sont moins que les hommes soumises à la raison.
[Note de Volu : Le nom "Médée" signifie "la raison".]
[…]
L’effet paralysant que la volonté
semble avoir sur elle-même apparait d’autant plus surprenant que son essence
même est à l’évidence de commander et d’être obéie. C’est pourquoi il apparait
comme une « monstruosité » que l’homme puisse commander à soi-même et
ne pas être obéi, une monstruosité qui peut être expliquée seulement par la
présence simultanée d’un je-veux et d’un je-ne-veux-pas. […] Ce n’est que là où
le je-veux et le je-peux coïncident que la liberté à lieu. […] Par conséquent,
la volonté est la fois puissante et impuissante, libre et non-libre.
[…]
[Selon Saint Augustin], l’homme ne
possède pas vraiment la liberté, bien plutôt, lui, ou mieux, sa venue dans le
monde s’identifient avec l’apparition de la liberté dans l’univers […] C’est
parce qu’il est un commencement que l’homme peut commencer, être un homme et être
libre sont une seule et même chose. Dieu a créé l’homme dans le but
d’introduire dans le monde la faculté de commencer, la liberté.
[…]
Il est dans la nature même de tout
nouveau commencement qu’il fasse irruption dans le monde comme une
« improbabilité infinie », mais c’est précisément cet infiniment
improbable qui constitue en fait la texture même de tout ce que nous disons
réel. Toute notre existence repose, après tout pour ainsi dire, sur une chaîne
de miracles, la naissance de la terre, le développement de la vie organique à
sa surface, l’évolution du genre humain à partir des espèces animales.
Je
suis, tu es, nous sommes un miracle, un monstrueux miracle. Nous avons toustes
expérimenté les affres du je-veux
parce que je-sais mais je-ne-peux-pas parce que je-ne-veux-pas ou bien je-ne-peux-pas, cette ignoble
frustration d’être humain.e, emprisonné·es
dans des corps, dans des sociétés et des boîtes crâniennes qui nous limitent.
Et en même temps, nous avons toustes expérimenté nos pouvoirs presque sans
limites de décider et de faire tout ce que l’on veut. Challenge you everyday.
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