Hard Lemon - Volubilis




Cette nouvelle est, parmi les textes que j'y publie, celle qui marche le mieux sur Wattpad : avec 120 000 lectures à son actif, elle se classe dans les premières positions de la catégorie #Nouvelles depuis pas mal de mois.
 
[EDIT : ce texte a fini par se faire striker, je ne sais pas trop pourquoi, on est sur un niveau de porn assez light, mais bon. Flemme de la remettre en ligne, lisez-la donc ici !]

Elle se présente comme une parodie de 50 nuances de Grey (que je n’ai pas lu, donc bon…) et se base sur ma propre expérience des relations de domination / soumission. À une certaine époque de ma vie, j’ai tremper un orteil dedans : un mec m’avait captée sur je ne sais plus quel site et on avait commencé un petit jeu… il avait mis en place des règles (qui sont devenues les chapitres de cette histoire) et m’a lancé quelques challenges à relever, genre me pisser dessus, me branler d’une certaine façon à heure fixe etc… le dernier, c’était d’acheter en même temps, et seulement… un concombre et une boite de capotes. En fait, ça me faisait marrer, je n’ai pas du tout pris le truc au sérieux et ça s’est arrêté là, on ne s’est jamais rencontrés. Je crois que si je devais aller vers ce genre de pratiques, ce serait plutôt moi, la dominante. Je supporte pas qu’on me dise ce que je dois faire. Et c’est le cas d’Aurore, l’héroïne de cette histoire.

Bonne lecture.


Besoin d'un petit coup de fouet ? Il te faut du Lemon. Et en même temps tu en as marre de tout ces pornos en nuances de gris qui te font douter de ton féminisme ? Il te faut du Hard Lemon !
Hard Lemon


Règle n°1 : appelle-moi Monsieur.

Je m’appelle Aurore, j’ai vingt-cinq ans et j’ai plusieurs particularités.
Une particularité, c’est une chose qui te caractérise parce que tu ne la partages avec personne d’autre. Dans les faits, cette définition est inexacte : les êtres humains sont trop identiques pour être individuellement originaux, mais il y a des traits qui sont plus inédits que d’autres. Demandez aux roux.
C’est quand vous additionnez vos particularités que vous devenez unique.
Ma première particularité, celle que l’on voit en premier quand on me croise, c’est aussi la plus commune : je suis une fille très, très, jolie. Mon visage est tellement beau et régulier que la plupart des gens ne sont pas capables de le regarder très longtemps. Ma seconde particularité, il paraît qu’elle gâte la première, c’est que je n’aime pas les gens, tous sans exception. Je suis hargneuse, misanthrope et colérique. Ma troisième particularité est impossible à percevoir au premier abord : je suis vierge, mais pas le signe astrologique, ce qui est une conséquence logique de la précédente assertion. Enfin, ma dernière particularité, c’est que je suis sourde et muette, pour tout le monde.
Je suis réellement sourde, mais je ne suis pas vraiment muette. J’ai appris à parler sur les genoux de ma grand-mère, quand j’avais l’âge où tous les enfants apprennent à parler, après que mes parents se soient tués dans un accident de voiture. Mais je ne parle pas. Je n’ai jamais parlé qu’à ma grand-mère et elle est morte. Je n’ai pas appris la langue des signes, être sourde ne me donne pas particulièrement envie de communiquer avec des muets.
Je lis très bien sur les lèvres et j’ai aussi appris à rester à l’affût des ondes, des vibrations, des parfums, des humeurs, des mouvements de l’air, à tout ce monde invisible à vos yeux. Rien ne m’échappe.
J’ai encore une autre particularité, malheureusement trop partagée pour être qualifiée d’avantage : on me croise uniquement la nuit. Je suis videuse. J’ai commencé au Palm’s quand j’avais dix-huit ans, depuis j’ai veillé sur le seuil du Devil, de l’Antre Mou, du Blue Davidson et depuis trois ans, le gérant du Black Graound me paie une fortune pour laisser dehors ce qui ne doit pas rentrer chez lui.
Je suis blonde, moyennement grande, plutôt robustement faite, mais ce qui marche mieux pour mettre tout le monde au pas, c’est ma cruauté affichée. Et si ça ne suffit pas, de toute façon, rien, rien, ne peut me faire bouger de l’endroit où je me trouve si je ne veux pas en bouger. Car rien, ni personne, ne m’a jamais fait faire ce que je ne voulais pas faire. C’est impossible. J’y suis peut-être allée un peu fort au début, au Palm’s et au Devil, mais après ça, les gars me connaissaient et ils savaient qu’il ne fallait pas me faire chier. Plusieurs sont repartis sans l’usage de leurs testicules et ils n’ont jamais pu prouver que je l’avais fait exprès.

Ce soir, j’officie exceptionnellement devant les portes des water-closed du Lemon With X, qui recrutait pour sa soirée Tabata Wonder. J’ai assisté à l’arrivée de la starlette quand je garais mon scooter, j’étais contente d’être sourde quand je l’ai vue agiter ses lèvres boudinées par le botox, avec des grands moulinets de ses mains acérées.
À l’intérieur, il y a effectivement foule, mais avec mon sourire de garçon-boucher, postée sous la pancarte Ladies, il n’est pas permis de me prendre pour une noceuse. Alors que la star de la soirée prend sa pause en coulisses après une longue étreinte sexuelle avec une barre chromée verticale, une foule échauffée entreprend d’aller se piner dans les chiottes. Certains ne comprennent pas que je ne laisse entrer que les filles, mais jamais très longtemps, d’habitude.
Il n’est pas encore minuit qu’un grand naze fait la sourde oreille à mon front borné, et commence à me pousser pour accéder à la porte qui ne doit laisser passer que les Dames. Mon épaule en béton armé le surprend un peu, il cherche les meilleures insultes à me servir. Je ne bouge pas, il fait mine de tourner le dos, mais je sais qu’il prend juste de l’élan.
Il se retourne après quelques mètres et je constate que les gars à l’entrée n’ont pas fait leur boulot : il porte un couteau, qu’il brandit en me fonçant dessus.
Je ne l’ai jamais vu et si je ne l’ai jamais vu, c’est que ce n’est personne. Je vais lui faire sa fête, il va savoir qui je suis, moi. Ma jambe est juste un peu plus longue que son bras tendu ; en m’étirant sur le dos, je peux lui placer mes crampons dans le foie et garder sa lame à distance. La force avec laquelle il s’est jeté sur moi lui fait faire une jolie cabriole, il tombe l’occiput en premier, puis le dos en vrac, cul par-dessus tête et enfin les genoux dans le nez. Il se relève à bouts de bras en s’éloignant rapidement, mission accomplie.
Pendant l’heure qui suit, tout le monde a bien compris où sont les toilettes pour Hommes et où sont les toilettes pour Femmes.

Peu après deux heures du matin, le gérant envoie Bernig – c’est ce qu’il y a marqué sur son badge, à la poche de son uniforme jaune-lemon – tenter de me faire comprendre qu’il veut me parler. Le pauvre Bernig reluque désespérément mes nichons pour ne pas laisser mes yeux dévorer son âme, en faisant des euh et en pointant du doigt la porte du bureau, au bout de la coursive qui domine le dance-floor. Je traverse cet espace rédhibitoire en longeant les murs sur lesquels les plus déchirés s’appuient, puis monte les escaliers en m’interrogeant. Est-ce que le client est allé se plaindre ?
Je frappe à la porte qui doit rendre un son métallique et pose la main sur la poignée.
Ne pouvant attendre que les gens ne viennent m’ouvrir, à défaut de pouvoir entendre leur invitation à entrer, j’ouvre toute porte un peu délicate en trois temps.
J’abaisse la poignée, je sais que cela fait du bruit.
Je relâche la poignée, sans l’accompagner mais pas trop brusquement non plus et surtout sans ouvrir le battant de la porte. C’est également bruyant, je parviens souvent moi-même à percevoir le cliquetis du mécanisme heurté.
Puis je pousse la porte en restant en-deçà du seuil, assez lentement. Normalement, en procédant ainsi, je ne surprends personne et en même temps, je fais mon petit effet.
Quand je l’aperçois, il fait très sombre dans le bureau et il est seul. Il y a toujours beaucoup de monde dans le bureau de ces gens-là. Je n’avance pas tant qu’il ne m’y invite pas.
Il est large, il est fat, épaté des doigts, du portefeuille et des chaussures de cuir, les jambes étendues sous son bureau. Il fume un cigare, bien entendu. Il le pose dans le cendrier, il ne m’invite pas à entrer et je suis toujours sur le seuil.
J’entre, d’autorité, j’ai peut-être été inattentive un instant, je n’ai peut-être pas vu qu’il me parlait. Mais il fronce les sourcils et je comprends que c’est à cause de ça. Je m’arrête, à mi-chemin entre le bureau et la porte. Il commence à me parler, comme s’il ne savait pas que je suis sourde, ce qui n’est pas possible. C’est lui qui m’a recrutée et c’est écrit en très gros sur mon CV. Je m’accroche immédiatement à ses lèvres, pour ne pas rater une occasion de comprendre ce qui se passe. Il articule proprement, des mots simples, en plaçant son visage dans la lumière d’une petite lampe posée à côté de lui. Je parie que dès la première phrase, il commet plusieurs impairs à l’égard d’une personne sourde et a priori muette.
« J’ai entendu parler de toi. J’attendais que tu me demandes du travail. Tu as besoin d’argent ? »
Je cligne des yeux, la conversation prend directement une tournure inattendue. Heureusement, je peux faire croire que je n’ai qu’une seule option : je garde le silence.
« Le Black Graound te paie bien, non ? Qu’est-ce que tu fais ici ? »
Je n’aime pas cette impression d’avoir été attendue. J’ai effectivement besoin d’argent. De beaucoup d’argent. Je garde toujours le silence, je ne fais pas un mouvement qui puisse être interprété d’une façon ou d’une autre.
« Il me faut quelqu’un comme toi. »
Il faudrait être aveugle pour ne pas le comprendre… Je ne bouge pas. Ce sont les conditions qui m’intéressent.
« Il me faut quelqu’un capable d’obéir scrupuleusement. »
Je réfléchis : quel ponte du banditisme local va-t-il me proposer de passer à tabac ?
« Je cherche une partenaire qui saura se plier à mes exigences. »
Il se tait et croise les mains au-dessus de son ventre. Comme j’attends encore des explications après ça et qu’elles ne viennent pas, je reconsidère ses paroles pour y trouver le sens qui a dû m’échapper. J’ai du mal comprendre. Lâchant du regard ses lèvres résolument immobiles, je relève mes yeux sur les siens ; ils luisent bien fort. Je comprends alors le sens qu’il donne à « partenaire » et pourquoi il a mis un féminin devant, ce qui n’est pas utile quand on ne veut pas le souligner. Je trahis un petit mouvement de surprise et d’hésitation. Je me demande si je dois quitter la pièce. Il ouvre la bouche, je m’immobilise. Il laisse une seconde en suspens avant d’articuler :
« Nous conviendrons de nos règles préalablement. »
Je ne bouge pas.
« J’exige de toi une pleine obéissance à mes instructions. Es-tu prête à me servir ? »
Je suis estomaquée. Plantée sur place par ce qu’il me chante, celui-là. C’est quoi ses exigences ? Quelles règles ? Je ne bouge toujours pas. Il ouvre encore la bouche.
« Reviens demain. »
Encore un ordre. Je fais volte-face mais il amorce immédiatement un mouvement en avant sur sa chaise pour capter mon attention, je m’arrête. Il se rassoit lentement sans me lâcher des yeux, puis il parle encore :
« Tu dois me répondre et m’adresser par Monsieur. »
Il a vraiment dit « m’adresser » ? Il est tellement gonflé que je sens mon visage se tordre dans un sourire irrépressible. Je sais que j’ai l’air encore plus folle comme ça. Il se met à sourire lui aussi.
Il est vraiment sérieux. Il me faut deux secondes, pas plus, pour prendre une décision.
De ma voix gutturale, rocailleuse et hachée de ceux qui ne s’entendent pas, j’articule lentement « Oui Monsieur », puis je sors de son bureau.

Règle n°2 : ne te masturbe jamais sans ma permission. Réserve-toi à moi.

J’ai retrouvé mon poste devant les toilettes pour Dames plus contrariée que jamais. Je devais donner l’aspect d’une chape de plomb incandescente, personne ne m’a approchée, même les femmes hésitaient à aller au petit coin. Pendant des heures, je n’ai pas compris pourquoi j’étais en colère.

Quand le Lemon a enfin fermé ses portes, au petit matin, j’avais envie de baffer tout ce qui passait à ma portée. C’est quand j’arrive chez moi que je comprends que je suis furieuse envers ma propre attitude. Un vrai petit robot, un petit chien. Il me posait trop de questions, il les posait trop vite, j’étais trop déstabilisée. Ce n’était pas ainsi que j’aurais dû répondre.
Je tourne en rond dans la pièce qui me sert de logement, un placard un peu grand en fait. Y tourner en rond revient à grimper sur le rebord de la fenêtre, en descendre, trépigner face au canapé indépliable et faire demi-tour devant la table qui supporte le mini-frigo et mon ordinateur. Je m’affale dans les coussins.
Il suffirait de ne pas y retourner. Même si j’y retournais, il suffirait de ne pas aller dans son bureau.
Je me lève pour aller me cogner la tête, une fois, deux fois, cinq fois, dix fois sur le chambranle de la porte. Bien sûr que je vais y retourner. Il a quelque chose que je veux absolument.
Faut que je me calme.
Je sors ma petite boîte magique de sous les coussins du canapé et je me roule un gros pétard. Je le fume à la fenêtre, pour ne pas exciter l’alarme incendie. Je regarde la ville qui se réveille.
En face, à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau, il y a une grande tour moche qui me barre la vue. À peu près à la hauteur de mon étage, dès que je me pointe à la fenêtre, il y a une autre fenêtre qui s’ouvre aussi. C’est un gars qui a repéré que je vis souvent à poil chez moi avec la fenêtre ouverte et qui s’est acheté une paire de jumelles. Il doit être déçu aujourd’hui, je n’aurais pas complètement perdu ma journée.
Juste en dessous, un livreur occupe les deux voies de la chaussée et il y a toute une colonne de mécontents qui ragent dans leur bagnole derrière lui. Je suis encore contente d’être sourde, j’imagine que cette scène est bruyante et qu’elle pourrait m’empêcher de penser.

C’est beaucoup plus intéressant de regarder au-dessus des toits.

Là, il n’y a personne, mais il y a trois choses que j’aime par-dessus tout. Il y a du soleil, du vent et des oiseaux. Eux, j’aimerais les entendre.
Ouhla, je l’ai bien chargé ce pétard, ça gratte. Je devrais bien dormir.
J’aimerais bien entendre les oiseaux. Je vous fiche mon billet qu’ils ne passent par leur temps à dire des conneries, eux. Ils pépient, chantent, conversent harmonieusement, le strict contraire du monde dans lequel je vis, bavard et tapageur. Ils vivent sur le souffle du vent, que je sais être doucement chantant lui aussi. Et quand il est chargé de soleil, il me semble presque entendre la note que ça fait. Une note chaude et profonde, qu’on ne pourrait percevoir que dans le silence le plus parfait. Cette note, je la sens sur ma peau, elle m’inonde de joie, de plaisir, de bonheur.
Et encore, là, je m’inonde du soleil de Paris. Le pied total, ce serait d’être au-dessus des toits d’aucune ville, sans aucun humain dedans.
Je tapote mon joint, sa cendre disparaît en virevoltant. Deux moineaux se chamaillent sur la gouttière du toit d’en face. J’imagine que les trouées d’arbres, les parcs parisiens, qui font comme des nuages déposés au fond d’une vallée, se mettent à submerger les toits. Ils les engloutissent, il n’y a plus que la canopée, qui pépie, qui chante, qui converse harmonieusement.
Je voudrais une île déserte. Rien qu’à moi, avec juste du soleil, du vent, des arbres et des oiseaux dedans. Alors, à ce moment-là, je voudrais avoir retrouvé l’usage de mes tympans.
Ce sont deux rêves qui coûtent très chers, mais j’y parviendrai. Je ne me consacre qu’à ça depuis sept ans. J’avance à pas de géant, parce que je suis une fille travailleuse, qu’il y a du boulot pour les filles travailleuses comme moi et que je n’arrête pas, je n’arrête pas un instant de travailler depuis sept ans. C’est très bien payé et personne n’essaie jamais de négocier avec moi.
Et là, il y a le gérant du Lemon qui entre dans le paysage.
J’écrase mon mégot.
J’étais calme et apaisée au-dessus de ma canopée, je me relève montée sur ressorts. Je me fous à poil, avant de fermer la fenêtre et les rideaux d’un geste sec. Je bondis en aveugle dans le canapé, les couvertures bouffent autour de moi. Puis je ne bouge plus, j’écoute mon silence.
Je le trouve très agité.
Après quelques contorsions, j’ai déroulé la couverture sur moi, calé les coussins à coups de poing sous ma tête. J’ai froid mais assez vite, trop chaud. Je gamberge.
C’est quoi ses exigences ? Il aurait pu être plus clair, il avait pourtant l’air de savoir précisément ce qu’il voulait. C’est sexuel son truc, mais ce n’est sûrement pas le problème. Le gars ne m’a pas proposé une passe. C’est autre chose, son histoire d’obéissance.

En me réveillant dix heures plus tard, j’ai mal aux cheveux. Je regarde l’heure au mécanisme nu qui me sert d’horloge au-dessus de la porte d’entrée. Le Lemon ouvre ses portes dans trois heures. Quelle idée de me réveiller si tôt !
Je fais un demi-tour sur moi-même dans la couverture, ce qui me permet de m’étirer pour m’éveiller tout à fait et de me préparer sur la table juste à côté un déca d’une seule main. Mes pensées s’ordonnent tandis que la bouilloire se met à vibrer.
Après, je pose la tasse brûlante à même la peau de mon ventre.
Je plonge ma main droite sous la couette en prenant garde à ne pas renverser une goutte du liquide d’encre, pour accompagner mes pensées de quelques caresses. Ça m’arrangerait que ce ne soit pas que du sexe, voire pas du sexe du tout. Peut-être qu’il ne veut pas me sauter. Non, il veut sûrement autre chose, de ces plaisirs alambiqués et torturés que certains cultivent. Je dois reconnaître que ça me titille. Il a parlé de règles à convenir ensemble… il suffirait qu’il ne me touche pas.
À la condition qu’il ne me touche pas, ce pourrait être une expérience enrichissante, après tout.
Ça me fait comme une boule dans le ventre, qui énerve ma main.
Il est comme les autres, il me trouve belle et il veut m’avoir. Qu’est-ce que je pourrais me contenter de lui donner ? Et puis, pourquoi je voudrais lui donner quelque chose, de toute façon ?
J’ai un geste d’impatience - ma branlette n’avance pas - ce qui renverse une lapée du liquide brûlant sur la peau de mon ventre. Je me calme. Pourquoi j’ai dit oui ?
Je ne sais pas, il ne m’a pas traitée comme une sourde, voilà tout. Non, c’est pas ça.
La tasse oscille encore, ma main a repris son trajet sous la couverture. J’aime bien être toute nue sous les couvertures, je me sens presque comme une petite chose douce et fragile, la peau contre les draps. Ça me caresse partout en même temps. Mais il faut faire attention, sinon la tasse…
Qu’il me veuille non plus, ça ne compte pas dans ma décision… c’est vrai qu’il a l’air de me vouloir fort celui-là - et un peu spécialement – mais ça me donnerait plutôt envie de le snober.
Non, ça me donne envie de le jouer ; il ne se débinera pas, j’en suis sûre. C’est ça ! J’ai un adversaire à ma taille. J’y retourne !
Attends, attends. Les contreparties.
Qu’est-ce que je pourrais me contenter de lui donner ? Qu’est-ce que je peux donner ? Je me rends compte que ce qu’il est susceptible de me demander est très varié. Sans même m’y être jamais intéressée, je sais qu’il y a des gens qui aiment se mettre des plumes ou des bougies dans les fesses, les fouets, les liens, les fessées, le champagne et la dentelle, le sexe en grand nombre, les miroirs, les insultes, les pinces sur les tétons, les grands cheveux, la brutalité, les travestissements, les pieds, les jambes, les bas, les talons aiguilles, les poils. Je dois en oublier. Rien que là, je ne peux pas faire le tri.
Je m’imagine ; j’ai dû voir ça à la télé ou dans les magazines. Avec des talons très hauts et très noirs, les jambes habillées uniquement de bas et un collier de perles en sautoir pour tout vêtement. Les mains sur les hanches ? Je suis grotesque. Le rouge à lèvre, beurk, même pas en rêve. J’enlève le collier de perles et les bas, je vais les filer en un rien de temps de toute façon. C’est mieux. Je suis plus à l’aise. On voit bien que mes jambes sont effilées avec ces chaussures, ça fait jouer les muscles et puis il faut le reconnaître, j’ai un beau grain de peau. Je m’approche tout près de lui, il est sur sa chaise, à son bureau, et d’un ample mouvement, souple et gracieux, je passe une jambe par-dessus lui pour m’asseoir, la chatte à même l’étoffe de son pantalon. Je sens qu’il bande. Ses bras sont tout près, comme son haleine. Je le gifle, mais sans conviction.
Je me rends compte que j’ai encore arrêté de me masturber. Trop stressant. J’essaie autre chose.
Cette fois, je suis vraiment à l’aise : jeans et chemisier négligemment ouvert, il y a du vent dans mes cheveux et tout. Non, mieux : je cours sous le soleil, disons dans un champ de blé.
Le plat de ma main fait rouler le petit bouton de chair qui surmonte le seuil de mon vagin, qui se dilate et s’épanouit. Puis je le coince entre deux doigts. Le plaisir qui me saisit renverse une goutte de café, qui met quelques secondes à me brûler. Je souffle doucement sur la petite tâche mouillée qu’elle a fait sur mes abdominaux. Je ferme les yeux en me touchant plus doucement.
D’abord il fait noir et les parois de mon ventre commencent leurs tractations. La tasse vacille ; elle est vraiment pleine. J’en étais où ?
Mes yeux s’agacent, rien n’apparaît, comme cette nuit, j’enrageais de ne pas mieux voir le visage de mon interlocuteur, dans ce foutu bureau. Le fil de mes films ne se déroule pas comme d’habitude, je n’arrive pas à comprendre pourquoi.
Le liquide, dans la tasse, verse encore. Je n’en ressens presque pas la morsure, tant le brasier est fort sous ma peau. Je suis nouée et fiévreuse !

Oh et puis merde, je vais au Lemon maintenant.
Je me lève, la tasse valdingue en répandant son liquide tâchant sur les couvertures, le canapé, le tapis et le plancher.

Règle n°3 : avoue-toi, mets-toi nue devant moi.

J’ai jamais touché à toutes ces saloperies que les habitués des boîtes où je travaille se mettent dans le nez, mais quand je pousse la porte du Lemon, je reconnais chez moi le catalogue des symptômes qui caractérisent la béatitude chimique : nervosité électrique, fil des pensées en pelote, mains moites. Accessoirement, je mouille comme une dingue, parce que plus j’approche de son bureau, ce que je fais à grands pas, plus je sais ce qui va se passer. C’est peut-être la lumière du jour qui se couche qui me rend plus lucide - ça n’est pas le bon mot - ou le gris du trottoir qui m’aide à rationaliser - ah ah ah - en tout cas j’arrive à éliminer les scenarios fantasmagoriques les moins probables en quelques minutes - je ne vis pas très loin du Lemon en scoot, ce serait plus compliqué de prendre le métro - alors que j’ai gambergé toute la nuit pour juste me compliquer la vie.
Vas-y, ma belle, comme tu l’as toujours fait. Mais non, t’as pas peur. Tu fais toujours feu de tout bois, et le petit patron, là, tu le manges, peu importe la sauce.
Quand je frappe à sa porte, je suis en nage, j’ai le palpitant qui fait des trucs inédits, les muscles de mon visage se crispent et je remarque que l’établissement est absolument désert. Je n’ai croisé personne.
Je souffle, regarde ma montre, mais j’ai oublié de la mettre.
On est au moins à deux heures de l’ouverture. Fiou.
J’enlève mon casque, tiens.
J’espère qu’il ne va pas ouvrir.
La porte s’ouvre. Il est plus grand qu’hier, debout, si près.
Plus un seul de mes muscles ne bouge, je ne sais même pas quelle tête fait ma figure. En une seconde, celle où il pose les yeux sur moi, tout se joue : il a un sourire de satisfaction et de magnanimité en même temps qui déclenche en moi une réponse à toutes les questions que je me pose depuis hier et toutes celles aussi, je le sais déjà, que je vais me poser dans les heures, jours, mois, années à venir, inch Allah.
L’avenir de notre relation m’apparaît avec une limpidité totale. C’est jouissif.
Il me dit bonjour en fermant gentiment les yeux, je dis « Bonjour Monsieur. »
Je ne dis pas « Bonjour Monsieur » comme le dirait Marylin ou Greta, mais ça a l’air de lui plaire quand même. Il ouvre grand ses bras pour m’inviter à entrer, je fais deux pas à l’intérieur. Il referme la porte derrière moi avant de faire le tour de la pièce pour baisser les persiennes qui occultent les fenêtres avec un sourire entendu.
Puis il retourne l’une des deux chaises qui font face à son bureau, comme chez le dentiste, et il s’assoit, environ à trois mètres de moi. Je vais avoir une conversation.
Tous les symptômes d’un stress post-traumatique ont disparu, je me sens même d’excellente humeur. Je me félicite intérieurement d’avoir provoqué une telle situation.
Il commence. Il pointe un doigt sur moi et articule :
« Déshabille-toi. »
Je ne peux pas dire que je ne suis pas surprise. Je pensais qu’il y aurait toute une tapée d’étapes, avant. Mais je l’ai laissé engager, je suis bien obligée d’accepter ce premier échange et de relancer.
Je constate que j’ai encore perdu l’usage de mes muscles faciaux, cette fois parce que je ne sais pas du tout quelle tête il faut faire dans cette situation. Une partie de mon cerveau l’imagine très bien - la télé, les magazines - mais je ne dois pas avoir les neurones adaptés. Il faudrait minauder la bouche en cœur, onduler, être mignonne, sauf que, voyez-vous, la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. La gentillesse, je sais pas faire.
Il faut pourtant formuler une sorte de réponse. Qui rentre dans les bornes que je devine déjà.
Je me contente de ne faire aucune tête en particulier et je me déshabille.
Les petites cuillères et moi possédons un incroyable point commun : l’absence totale de pudeur. Je ne couvre mon corps qu’à la portion obligatoire, celle que la situation exige, quelle qu’elle soit. Quand je ne travaille pas et qu’une nécessité vitale me pousse à sortir en direction de la boucherie, de la friperie ou du marché, j’enfile un vieux caleçon et une vieille tunique qui baille toute la journée, mais si je travaille, je suis en jeans et en t-shirt. Le reste du temps, je suis nue chez moi. Et si je prends, d’aventure, des vacances, c’est doudoune au ski ou topless à la plage, comme n’importe qui devrait le faire. Je ne porte jamais de soutien-gorge, ça se soutient seul. Quand je bosse, je dissimule l’ultra-sensibilité de mes tétons sous des brassières qui feraient pâlir d’envie un col Claudine. Ça évite au débat de glisser quand un client essaie de parlementer et je peux taper sans me faire mal. Le reste du temps, mes nichons vivent leur vie, confortablement. C’est la même chose pour mes jambes, mes cheveux, mon cul, je n’exige rien d’eux en dehors du boulot. Je leur offre toute latitude pour bouger et respirer, je n’attache rien, je n’enferme pas. Tellement qu’on pourrait se demander comment je me débrouille pour être toujours vierge. Grâce à mes muscles et à l’atrocité de mon regard, bien sûr. Contrairement à la petite cuiller, personne ne m’a jamais mis la main dessus.
Je tiens en respect la gente masculine depuis plus de deux décennies, mais là, j’ai un spécimen en face de moi, qui pourrait bien me faire sortir des bornes que je me suis toujours fixées.
J’ai tout enlevé, il fait traîner ses yeux sur moi.
Ils ont toujours la même tête quand ils font ça, une tête tellement tordue, tellement inquiétante de vulgarité, qu’on a inventé un mot aussi vulgaire pour la décrire : concupiscence. Concupiscence, ça lui pisse des yeux. Ils ne cillent plus et s’exorbitent, se cramponnent à la partie inférieure de votre corps, aussi luisants que des doigts plein de gras. Un regard gras et lourd au point qu’après vous vous sentez maculée. Le reste de leur physionomie se fige, sauf leur visage gourmand-content et leur queue qui bondit dans leur pantalon. Vous leur diriez qu’aujourd’hui exceptionnellement c’est leur anniversaire et que vous leur offrez en cadeau les pleins pouvoirs sur l’univers, ce serait pareil.
Je ne connais pas le plaisir qu’il y a à enfiler une chatte supplémentaire au bout de sa queue, je ne dois pas pouvoir comprendre. Il semble que ce soit un indicible plaisir, au-dessus de tous les autres. Personnellement, je ne suis pas fâchée de ne pas être soumise à un ressort psychique aussi primaire et surtout aussi inapproprié. Je vis ma vie depuis vingt-cinq ans sans enfiler aucune chatte et je suis putainement satisfaite de ce qu’elle est. Inversement, j’ai remarqué la tendance chez ceux qui enfilent et de celles qui se laissent enfiler à avoir des vies de merde. C’est pourtant plus évident qu’un nez au milieu du visage.
Le sexe est une porte et il y a trois types d’individus face à elle : ceux qui entrent, ceux qui ouvrent et ceux qui défendent leur territoire.
Voilà, je suis toute enduite de son envie, il en a vraiment mis partout.
Il est très à l’aise, je ne suis pas trop belle pour lui. Depuis quelques secondes, il fixe ma chatte avec un sourcil contrarié. Je sais ce qui ne va pas : j’aurais dû consacrer l’heure précédente à enlever les longs poils drus et frisés qui poussent dessus. J’aurais eu l’air encore plus vierge comme ça.
Mais c’est ma première condition et il l’a compris.
Avec un geste de l’index, il dit « Tourne-toi. » Je lui présente immédiatement l’autre face, avec le même enthousiasme consciencieux que la bouchère quand elle me montre les deux côtés du morceau de paleron : « C’est pour combien de personnes ? »
Je sais qu’à ce moment il ne voit que mon cul. Il est haut, rebondi et je le fais bronzer. J’imagine que si je me mettais à l’agiter, l’effet serait fantastique. Au lieu de ça, j’écarte largement les jambes et je me penche en avant jusqu’à poser mes mains par terre. Je le vois à l’envers, entre mes genoux, les yeux cramponnés à la béance que je viens de lui mettre sous le nez. Je suis souple et agile. Je me regarde ensuite moi-même : j’ai bien mouillé, c’est un peu encollé sur les bords. L’index et le majeur de la main droite en V, comme Victoire, je repasse sur les deux lignes qui forment cet œil ouvert et qui le regarde de travers.
Il ne cille pas, mais sa bouche articule très vite :
« Ne mets rien dedans ! »
Ok.
Je prononce : « Oui monsieur ».
Je retire mes doigts de là et je pose mes deux mains au sol pour rester comme ça, pliée en deux au milieu des habits que je viens de retirer, le cul tendu. Je ne l’entends pas mais je vois qu’il tousse. Il se lève.
Il fait trois pas dans ma direction, s’arrête, me tourne autour. Puis il détache sa cravate, sans se presser. Le sang pulse à mes oreilles. Il s’approche un peu plus, tout près de moi, je ne peux plus voir ce qu’il fait avec ses mains. S’il les pose sur moi, je le défonce.

Règle n°4 : sois propre et précise

Après quelques secondes, je sens la pointe de tissu de la cravate glisser sur la peau de mes fesses. Elle effleure ma fente, caresse l’intérieur de ma cuisse avant de remonter sur mes fesses puis redescendre sur le versant de mon dos. Je m’applique à être bien droite, bien tendue. Il dépose enfin la cravate entre mes deux fesses. Elle est encore tiède, lovée là comme un serpent.
Il fait volte-face et se dirige vers son bureau. Cela me permet de voir sa bouche. Le fait d’être à l’envers complique un peu la difficulté, mais j’aime les défis. Il prononce en montrant du doigt la cravate :
« Lave-toi. »
Il est quand même fantastique celui-là. Sous-entendrait-il que je suis sale ? Allez, je ne vais pas faire mine de ne pas comprendre, le jeu c’est d’être conciliante. En passant une main entre mes cuisses, je prends la cravate et je m’essuie comme si je venais de faire pipi. Pendant ce temps, il se sert un whisky comme je me fais un déca le matin, sans regarder ce qu’il fait pour ne pas perdre une seule miette de mes gestes.
Quand je pense que c’est « propre », je lui tends la cravate entre mes deux jambes.
Il fait deux grandes enjambées sans renverser son whisky, me prend le bout de tissu des mains et retourne s’asseoir. Il se la passe sous le nez. J’imagine. Je connais bien l’odeur de mes culottes. J’ai pas pris de douche depuis…. Tiens, bonne question. Si, je me souviens, c’était hier soir, avant de venir ici. Entre-temps, j’ai travaillé, j’ai dormi dix heures, j’ai tenté de me branler et j’ai renversé une tasse de café.
Je sens qu’il sent l’entourloupe.
« Tu t’es masturbée ? »
Je me rends compte que c’est la première fois que quelqu’un prononce ce mot devant moi, c’est la première fois que je les lis sur des lèvres.
« Oui Monsieur », je fais, en faisant bien sentir la majuscule que mérite la situation.
Il plisse le front horizontalement et me fais les gros yeux. Son index fait non avant de montrer sa poitrine.
« Tu ne dois pas. Tu ne dois pas te toucher sans ma permission. »
« Oui Monsieur »
Vacherie, j’ai jamais autant parlé de ma vie, parole, et pourtant, je ne suis pas fatiguée. En fait, ce système, ordre/obéissance, est tout simplement génial. Pratique à l’extrême et d’une économie de temps ! Cette distribution permet une liberté de jeu que je devine sans bornes pour le rôle principal, tandis que ceux qui lui donnent la réplique savent toujours ce qu’ils doivent faire. Ajoutez du lubrifiant et ça devient de la mécanique de précision. Comme quoi, y a plus retors que moi. Non, ça m’étonnerait, sincèrement.
Il joue encore un moment avec la cravate sous son nez, sans arrêter de me regarder. Je suis dans cette position depuis plusieurs minutes, le sang cogne dans ma tête, je dois être devenue toute rouge et j’ai l’impression que mes sourcils pèsent cinquante kilos.
Histoire d’appliquer immédiatement les principes qu’il met en place, il ordonne :
« Caresse-toi. »
En passant mon poids sur le bras gauche, je glisse ma main droite entre mes jambes et je caresse mon sexe ouvert.
« Ne mets rien dedans ! »
Ça va, j’ai compris. Je ne mets rien dedans. Toujours l’idée que je sois bien vierge à 100%... Avec un doigt en plus ça doit bien faire 20% de virginité en moins, peut-être pire.
Il demande justement :
« Tu as déjà mis quelque chose dedans ? »
 Je secoue la tête, mes cheveux balaient le sol. Non seulement je n’ai jamais rien mis dedans, mais en sus j’ai depuis toujours la ferme intention de maintenir cet état de fait. Il n’est absolument pas nécessaire que quoi que ce soit entre là-dedans pour me procurer les plaisirs les plus grands et les plus variés. Tout se passe dans ma tête. Bon, évidemment, quand je m’imagine avec des bas résilles et du rouge à lèvre, ça n’a aucune chance d’aboutir ; j’ai des fantasmes et des mythes sexuels que personne ne soupçonne et qu’il est sûrement à mille lieues d’imaginer. Même quand je rêve, je ne mets rien dedans.
Il est très satisfait de ma réponse négative, il sourit largement.
« Tu es parfaite. Lève-toi. »
Enfin. Je me relève avec précaution, le sang dans ma tête reflue. Je me tourne face à lui. Cette fois, son index fait un mouvement vers le sol.
« Accroupis-toi. »
J’obéis, mécaniquement, sans réfléchir ; je m’assois sur mes talons, dans la position que je pense être celle qui convient, les mains sur les genoux. Ma chatte est à quelques centimètres de sa moquette. Il devient tout rouge, ouvre sa braguette.
« Pisse. »
Trop facile. Je me relâche un tout petit peu et un jet d’un jaune pâle jaillit d’entre mes jambes. J’asperge juste devant moi en faisant plein de petites gouttes brillantes qui s’accrochent dans les bouclettes du revêtement. Je me regarde faire en même temps ; sans le voir je sais qu’il a sorti sa queue et qu’il a commencé à se branler.
Je suis née pour ça, pour pisser dans ton bureau.
C’était une grosse envie, j’ai fait une jolie petite flaque que la moquette à toutes les peines du monde à boire. Je relève la tête en lâchant les dernières gouttes, ses lèvres murmurent « c’est très bien, c’est très bien ». Sa main droite va et vient sur sa bite bien grosse, pendant que sa main gauche triture sa cravate sous ses narines. Il marmonne des choses que je n’arrive pas à comprendre. Il regarde fixement la tâche d’urine entre mes pieds. Les poils de mon pubis dégoulinent encore un peu, une goutte glisse le long de ma cuisse et dans un délicat mouvement de spirale, s’enroule à mon mollet, dévale vers mes chevilles, puis roule jusqu’à mes orteils.
Sans arrêter de se masturber, il lève les yeux dans les miens. Il soutient mon regard sans tiquer. Il retire la cravate de devant son nez avant de dire :
« Jouis. Fais-toi jouir. »
Il continue en articulant bien et en formant bien les mots sur sa bouche, en s’aidant des mains et des doigts pour être plus clair :
« Juste avant, tu claques trois fois ta chatte. Trois fois. C’est compris ?
« Oui Monsieur. »
Bien. Tu vas voir ce que tu vas voir.
De ma position légèrement batracienne, j’en adopte une autre plus arachnéenne : je bascule en arrière et je pose mes mains derrière moi, en décollant les fesses largement au-dessus du sol. Là, je commence à tanguer, de haut en bas, en serrant et en desserrant les muscles de mon périnée en cadence.
Rien dedans et même rien dehors, sans les mains, sans rien. Il suffit de malaxer les fibres pénétrantes de mon clitoris, en contractant et décontractant les muscles qui l’entourent.
Je lui jette un œil. Ma méthode le surprend, visiblement.
Je peux rester longtemps comme ça, j’ai les biceps qui vont bien. Quand je le fais dans mon appartement, j’occupe toute la place. Je peux me tenir en calant juste ma nuque contre le canapé, mais je ne peux pas me coucher tout à fait, mon living-room est trop petit. Ici, j’ai de l’espace.
Je balance la tête en arrière en laissant râler ma gorge. En même temps, je me fais un film.
Celui que je débobine le plus souvent, c’est la scène de la jupe-sirène. C’est juste une image, finalement, que je fais bouger longtemps et à laquelle je donne du son. Il y a toujours du son dans mes fantasmes. Ils sont hors de la réalité, ils se déroulent même probablement sur une autre planète. D’ailleurs, ce n’est jamais moi.
Je suis dans le décor carrelé des toilettes du Lemon, celle qui sont juste en dessous de nous à cet instant, celles que je garde quand je travaille ici. C’est très propre, très hygiénique. J’entends le battement sourd de la musique s’intensifier à chaque fois que la porte s’ouvre. Elle ne se referme pas tout à fait silencieusement mais presque, une lumière de néon violacée se reflète un instant sur les murs. La faïence, partout, est blanche et bleue mais quelques tons plus clairs que la jupe en question.
La jupe est faite dans un tissu irisé, pailleté, changeant, elle invite tantôt les mers turquoise, tantôt elle évoque le luisant gluant, saumoneux, du corps nerveux d’un long poisson. Elle est portée par une femme qui s’est égarée. Ses cuisses et ses mollets sont très blancs, ses escarpins très hauts, de la même couleur que sa jupe, vernis. Celui qu’elle porte au pied droit est tombé juste à côté de l’homme qui la tient plaquée contre le mur, poussé entre ses cuisses. On voit juste les jambes de la fille, comme des lignes de perspective un peu tordues, qui convergent vers l’endroit où le gars s’enfonce en elle. Il y a des gens qui regardent, qui attendent leur tour.
L’homme qui prend la femme est de dos. Il n’a pas de visage, pas plus qu’elle.
Ce n’est pas un petit théâtre où je prendrais l’apparence d’un objet saoul, cette fille ce n’est pas moi. Je suis cette femme et cet homme dans cet endroit avec tous ceux qui regardent.
La somme d’idées que contient cette image suffit à me rendre turgescente. Derrière cette porte de chiottes, je laisse vivre l’expression la plus brute de ma puissance sexuelle. Cette porte, je veille dessus chaque jour.
Je sens le liquide épais de mon plaisir couler sur mes lèvres, quelques bulles se forment en écume. Même si j’ai très envie de savoir quelle tête il fait, je garde mes yeux étroitement fermés et ne perd pas le fil de ma concentration.
Je la vois bien. Les deux jambes tressautent au rythme des efforts de l’homme, elles sont très pâles, quasiment vertes. Elle, elle est totalement abandonnée, oubliée, lâchée. C’est une épave, un bateau ivre, il en faudrait plus que ça pour la réveiller. Le pied qui porte l’escarpin, un peu plus lourd que l’autre, monte et descend comme un ressort. L’homme exprime un cri de libération.
Je me laisse tomber sur les épaules et comme il me l’a demandé, je me tapote trois fois la chatte juste au moment où ça pète. Je laisse la vague me passer dessus toute entière. Elle me roule, elle m’écrase au sol.
J’aimerais tellement m’entendre quand je fais ça. Je dois en faire du bruit, parce que j’ai toujours la gorge râpeuse après.
Je le regarde en relevant la tête. Il a l’air sérieusement ébranlé : il ne se masturbe plus et son sourire est bizarre. Il répète encore : « Tu es parfaite. »

Règle n°5 : dépasse-toi

Il se lève, grave, puis il sort d’un pas pressé par une porte derrière son bureau. J’ai bien l’impression que tout ce que nous faisons depuis le début est très sérieux pour lui. Il ne s’amuse pas, pourtant il joue un truc.
Il revient deux secondes plus tard avec une bassine et une serviette éponge blanche dans les mains. Il me demande de m’asseoir en montrant sa chaise du menton.
Y a une faille là, je pige pas ce qu’il veut. Je me lève en inventoriant tous les films où le héros porte une bassine dans les mains, mais je ne trouve aucune explication. Je m’assois.
Il pose la bassine à mes pieds et là je comprends. Je suis à deux doigts de lui foutre mon pied plein de pisse dans la gueule. Il sent que son manège rencontre ma réticence :
« Tu dois être parfaitement pure ».
Ah non, mais il me scie lui. Il a dit ça très sérieusement, sur le ton de l’évidence. Je sens bien qu’un refus pourrait interrompre le charme de la scène, je tâche de me convaincre qu’après tout, je peux bien me laisser purifier un peu. Juste un peu. Si je trouve qu’il me purifie trop, je le rectifie, tant pis.
Je le laisse faire. Il trempe sa petite serviette dans la bassine, puis il prend mon pied droit. Le contact de sa main me fait sursauter. C’est que mes pieds. C’est que mes pieds. C’est que mes pieds.
Il le lave, très doucement, avec de la tendresse me semble-t-il. Il insiste entre les orteils, l’eau de la bassine se grise un peu en surface. Je regarde autour de nous. Elle a dû en voir cette moquette.
Je sais bien pourquoi je n’ai pas plus de curiosité à l’égard de mon prochain : vous êtes tous des malades mentaux, des fous. Je fais une entorse à mon règlement pour une raison que je considère supérieure à mon indifférence ; mon système de défense, lui, est toujours opérationnel - je ne l’éteins jamais. Je suis donc en alerte rouge. Mon palpitant se remet à faire des manières, je me cramponne au dossier du fauteuil. Je surveille chacun de ses doigts.
Quand il a fini, il me sèche avec un coin de la serviette, sans trop me toucher. C’était supportable. Il suffit de faire abstraction de sa tiédeur moite, qui reste longtemps à la surface de ma peau, comme une empreinte vivante. Mes pieds auront son odeur après ça.
Ensuite il passe au pied gauche. C’est que mon pied. C’est que mon pied. C’est que mon pied. Sa main est chaude. Son index caresse un peu ma cheville et il fait durer le trempage de la serviette dans la bassine pour me reluquer les orteils. Je retire mon pied.
Il lève des yeux sévères sur moi, mais je vous jure que ça n’est rien à côté de ceux que je lui sers en réponse. Il pâlit jusqu’à la racine des cheveux. Il y a des gens qui m’ont dit que d’autres gens leur avaient dit qu’ils avaient eu peur que je les tue, à cause des yeux que je leur avais faits une fois. Mon visage est comme ça : d’une cruauté totale si je ne l’accommode pas. Là, je m’applique à bien exprimer la brutalité qui pourrait me prendre s’il recommençait.
Il a cessé de respirer. Finalement, il est comme les autres, pas plus fort. Il se redresse et prend immédiatement un mètre de recul. Il a dû me voir faire devant la porte des toilettes pour Dames.
C’est con, j’ai sûrement tout foiré en rétablissant les rôles un peu vite. En même temps, je suis sourde et peut-être muette, j’avais pas trente-six solutions. Ce serait bien s’il voyait les choses sous cet angle-là, j’ai bien envie que ça continue. Je lui retends le pied qu’il n’a pas fini de purifier.
Sa tête oscille. Je suis la reine de la vaseline, qui l’aurait cru. Il s’agenouille et reprend son ouvrage en parvenant à ne pas me toucher du tout. C’est possible en utilisant correctement la serviette. Quand il a fini, j’ai presque envie de le féliciter.
Il n’a pas repris sa couleur d’origine. En fait, il a l’air carrément bouleversé. Il va ranger la bassine, revient vers moi. Je suis dans son siège et maintenant, c’est lui qui est debout devant moi.

Règle n°6 : si tu obéis, je te récompense, si tu désobéis, je te punis.

On dirait qu’il essaie d’avaler un truc qui ne passe pas. Quand il ouvre la bouche, je comprends qu’il a plutôt envie de vomir, il grimace.
Il prend une grande inspiration, gonfle le torse, histoire de se donner du courage et de la hauteur.
« Tu es parfaite », articule-t-il.
Il a dû le dire si fort, ou bien tellement dans les aigus que je ressens la vibration de ces trois mots jusque dans mon pavillon. On le saura !
« J’ai besoin de toi. Je veux que tu sois comme tu es. Ne change pas. »
Tout ça c’est ok.
« J’ai sur-tout besoin de ta dis-cré-tion. »
, il me parle comme à une sourde. J’espère que c’est vraiment important ce qu’il a à me dire.
« C’est le plus important. »
Il a bien insisté sur le mot plus, avec ses mains. Ça y est, je crois que je comprends.
« Oui Monsieur » mâchouille-je.
Il montre la moquette d’un geste vague :
 « Ce qui se passe dans ce bureau ne sort pas de ce bureau. »
J’hoche la tête :
« Oui Monsieur. »
« J’ai compris tes limites. Elles me conviennent. Si tu obéis toujours ainsi, je te récompenserai. Si tu désobéis… Je devrai te punir. »
Je mobilise toute ma volonté pour ne pas laisser mon sourcil gauche s’infléchir, comme je le fais en toute situation de profération de menaces à mon encontre.
« Tu dois m’obéir scru-pu-leu-se-ment. Tu dois être pré-cise. C’est compris ? »
La précision, ça me connaît.
« Oui Monsieur. »
« Bien. »
Il a l’air d’aller mieux, il est moins blanc mais plus agité. Je sens qu’il y en a une énorme qui va arriver.
J’ai bien compris son petit manège ; pourquoi moi et pas une autre. Évidemment, je suis plus bonne que la plus bonne de ses copines mais surtout, je suis sourde et quasiment muette.
Il a un secret à me dire, il va me confier quelque chose et je vais devoir le garder. Il veut que je sois son temple.
Est-ce que j’ai vraiment envie de prendre quoi que ce soit, moi ? C’est pas mon habitude de me charger du barda des autres. En plus, ça promet d’être coton. J’examine rapidement la situation. Je peux toujours me sortir de là si je le veux, je ne suis pas en danger. Ce ne sont que des mots qui vont sortir de sa bouche, je pourrai choisir de les oublier, de les ignorer ou de les lui remettre entre les dents.
Il se remet à parler, très hésitant :
« J’ai défendu l’accès à ce bureau pour toute la nuit. Nous ne serons pas dérangés. Je… »
Pas dérangés ? Toute la nuit ? Pour quoi faire ? Je ne vais pas passer ma soirée à pisser sur sa moquette, même si ça me fait plaisir.
« Je… Je voudrais que tu fasses quelque chose. »
Et moi je voudrais qu’il soit rapidement plus clair, je ne suis moi-même pas tellement patiente.
« Tu seras parfaite pour ça. »
Il est quasiment fébrile. Je ne bouge pas d’un poil, en n’affichant pas trop d’antipathie.
« Je veux… que tu me domines. »
Je cligne plusieurs fois des yeux. Encore une faille putain. Il s’approche de moi, décidé.
« Frappe-moi. Fais-moi mal. »
Aaaah non mais, ouais, d’accord, c’est un soumis contrarié. Des malades mentaux, je vous dis.
Je me lève. Il reprend encore une bonne inspiration. Nous nous regardons bien droit dans les yeux.
Alors voilà, mon apprentissage est terminé et nous sommes arrivés dans cette gare-là. J’avais le choix entre les plumes, les bougies, les liens, mais j’ai droit à celui qui veut qu’on le tabasse sans que ça se sache. Je pensais qu’il y aurait un nombre savant d’étapes indispensables avant d’en arriver là.
J’ai toujours envie de bien faire. Je prends un air un peu embarrassé. Il ne m’a pas donné de protocole, comme tout à l’heure, quand je devais me frapper trois fois la chatte.
Il comprend. Il y a une véritable connexion entre lui et moi, j’en suis bluffée.
« Traite-moi comme une merde. Cogne-moi ! »
Il est exalté maintenant. Comme une merde ? C’est plus une faille, il y a carrément fracture dans l’espace-temps. C’est bien le gérant du Lemon qui me parle ? Rien à foutre, je suis payée pour faire ça.
Va pour le traitement « client anonyme ».
Je choisis l’attaque en deux temps. Premier temps : coup de genou dans les bourses pour lui interdire toutes velléités de défense instinctive. Deuxième temps : je l’attrape par le col et lui enfonce mon front dans le nez. Je le lâche, il s’effondre.

Règle n°7 : ne pose pas de questions. Garde le secret.

Alors c’est vrai, j’ai un peu pris son dernier ordre à contrepied et de mauvaise foi.
Mais je pense bien qu’il en a eu pour son argent ; je suis tout à fait certaine que c’est le genre de masochiste qui en demande encore tant qu’il n’a pas de traumatisme crânien ou la rate éclatée. Là, il aura une migraine de compétition.
J’ai pu ouvrir chaque tiroir, chaque carton de son bureau et faire tourner la photocopieuse sans le réveiller. J’ai tout rincé, ses comptes, ses dossiers, ses impôts, son téléphone portable, son carnet d’adresse, ses papiers d’identité, ses cartes bancaires, ses chéquiers.
Une heure plus tard, il dormait toujours, mais il allait bien, la respiration un peu nasillarde. Je photocopiais tout ce qui me passait sous la main, les clients ont commencé à arriver sous nos pieds mais nous n’avons pas été dérangés, conformément à sa demande.
Ensuite j’ai allumé son ordinateur, il n’y avait même pas de mot de passe. J’y ai trouvé un planning pas du tout professionnel, l’accès à ses mails, son historique de connexion, des dossiers marqués « Confidentiel », des textes improbables, beaucoup d’images et de vidéos, certaines faites par lui-même et qui, à mon avis, pourrait en faire marrer plus d’un.
J’ai tout mis sur une clé et j’ai ajouté un mot de passe.
Quand j’ai eu fini, j’ai pris soin de tout remettre en ordre derrière moi, chaque chose à sa place.
Alors seulement je me suis rhabillée, avec ma vieille tunique et mon vieux caleçon, j’ai pris dans mes bras la pile très conséquente de papier - j’ai bien dû passer trois ramettes complètes - j’ai déverrouillé la porte de son bureau et j’ai pris la sortie de secours.

FIN

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