Hard Lemon - Volubilis
Cette nouvelle est, parmi les textes que j'y publie, celle qui marche le mieux sur Wattpad :
avec 120 000 lectures à son actif, elle se classe dans les premières
positions de la catégorie #Nouvelles depuis pas mal de mois.
[EDIT : ce texte a fini par se faire striker, je ne sais pas trop pourquoi, on est sur un niveau de porn assez light, mais bon. Flemme de la remettre en ligne, lisez-la donc ici !]
Elle se présente
comme une parodie de 50 nuances de Grey (que je n’ai pas lu, donc bon…) et se
base sur ma propre expérience des relations de domination / soumission. À une
certaine époque de ma vie, j’ai tremper un orteil dedans : un mec m’avait
captée sur je ne sais plus quel site et on avait commencé un petit jeu… il
avait mis en place des règles (qui sont devenues les chapitres de cette
histoire) et m’a lancé quelques challenges à relever, genre me pisser dessus,
me branler d’une certaine façon à heure fixe etc… le dernier, c’était d’acheter
en même temps, et seulement… un concombre et une boite de capotes. En fait, ça
me faisait marrer, je n’ai pas du tout pris le truc au sérieux et ça s’est
arrêté là, on ne s’est jamais rencontrés. Je crois que si je devais aller vers
ce genre de pratiques, ce serait plutôt moi, la dominante. Je supporte pas qu’on
me dise ce que je dois faire. Et c’est le cas d’Aurore, l’héroïne de cette
histoire.
Bonne lecture.
Besoin d'un petit coup de fouet ? Il te faut du Lemon. Et en même temps tu en as marre de tout ces pornos en nuances de gris qui te font douter de ton féminisme ? Il te faut du Hard Lemon !
Hard
Lemon
Règle n°1 : appelle-moi Monsieur.
Je m’appelle Aurore, j’ai vingt-cinq
ans et j’ai plusieurs particularités.
Une particularité, c’est une chose
qui te caractérise parce que tu ne la partages avec personne d’autre. Dans les
faits, cette définition est inexacte : les êtres humains sont trop
identiques pour être individuellement originaux, mais il y a des traits qui
sont plus inédits que d’autres. Demandez aux roux.
C’est quand vous additionnez vos
particularités que vous devenez unique.
Ma première particularité, celle que
l’on voit en premier quand on me croise, c’est aussi la plus commune : je
suis une fille très, très, jolie. Mon visage est tellement beau et régulier que
la plupart des gens ne sont pas capables de le regarder très longtemps. Ma
seconde particularité, il paraît qu’elle gâte la première, c’est que je n’aime
pas les gens, tous sans exception. Je suis hargneuse, misanthrope et colérique.
Ma troisième particularité est impossible à percevoir au premier abord : je
suis vierge, mais pas le signe astrologique, ce qui est une conséquence logique
de la précédente assertion. Enfin, ma dernière particularité, c’est que je suis
sourde et muette, pour tout le monde.
Je suis réellement sourde, mais je
ne suis pas vraiment muette. J’ai appris à parler sur les genoux de ma
grand-mère, quand j’avais l’âge où tous les enfants apprennent à parler, après
que mes parents se soient tués dans un accident de voiture. Mais je ne parle
pas. Je n’ai jamais parlé qu’à ma grand-mère et elle est morte. Je n’ai pas
appris la langue des signes, être sourde ne me donne pas particulièrement envie
de communiquer avec des muets.
Je lis très bien sur les lèvres et
j’ai aussi appris à rester à l’affût des ondes, des vibrations, des parfums,
des humeurs, des mouvements de l’air, à tout ce monde invisible à vos yeux.
Rien ne m’échappe.
J’ai encore une autre particularité,
malheureusement trop partagée pour être qualifiée d’avantage : on me
croise uniquement la nuit. Je suis videuse. J’ai commencé au Palm’s quand
j’avais dix-huit ans, depuis j’ai veillé sur le seuil du Devil, de l’Antre Mou,
du Blue Davidson et depuis trois ans, le gérant du Black Graound me paie une
fortune pour laisser dehors ce qui ne doit pas rentrer chez lui.
Je suis blonde, moyennement grande,
plutôt robustement faite, mais ce qui marche mieux pour mettre tout le monde au
pas, c’est ma cruauté affichée. Et si ça ne suffit pas, de toute façon, rien,
rien, ne peut me faire bouger de l’endroit où je me trouve si je ne veux pas en
bouger. Car rien, ni personne, ne m’a jamais fait faire ce que je ne voulais
pas faire. C’est impossible. J’y suis peut-être allée un peu fort au début, au
Palm’s et au Devil, mais après ça, les gars me connaissaient et ils savaient
qu’il ne fallait pas me faire chier. Plusieurs sont repartis sans l’usage de
leurs testicules et ils n’ont jamais pu prouver que je l’avais fait exprès.
Ce soir, j’officie exceptionnellement
devant les portes des water-closed du Lemon With X, qui recrutait pour sa
soirée Tabata Wonder. J’ai assisté à l’arrivée de la starlette quand je garais
mon scooter, j’étais contente d’être sourde quand je l’ai vue agiter ses lèvres
boudinées par le botox, avec des grands moulinets de ses mains acérées.
À l’intérieur, il y a effectivement
foule, mais avec mon sourire de garçon-boucher, postée sous la pancarte Ladies,
il n’est pas permis de me prendre pour une noceuse. Alors que la star de la
soirée prend sa pause en coulisses après une longue étreinte sexuelle avec une
barre chromée verticale, une foule échauffée entreprend d’aller se piner dans
les chiottes. Certains ne comprennent pas que je ne laisse entrer que les filles,
mais jamais très longtemps, d’habitude.
Il n’est pas encore minuit qu’un
grand naze fait la sourde oreille à mon front borné, et commence à me pousser
pour accéder à la porte qui ne doit laisser passer que les Dames. Mon épaule en
béton armé le surprend un peu, il cherche les meilleures insultes à me servir.
Je ne bouge pas, il fait mine de tourner le dos, mais je sais qu’il prend juste
de l’élan.
Il se retourne après quelques mètres
et je constate que les gars à l’entrée n’ont pas fait leur boulot : il
porte un couteau, qu’il brandit en me fonçant dessus.
Je ne l’ai jamais vu et si je ne
l’ai jamais vu, c’est que ce n’est personne. Je vais lui faire sa fête, il va
savoir qui je suis, moi. Ma jambe est juste un peu plus longue que son bras
tendu ; en m’étirant sur le dos, je peux lui placer mes crampons dans le
foie et garder sa lame à distance. La force avec laquelle il s’est jeté sur moi
lui fait faire une jolie cabriole, il tombe l’occiput en premier, puis le dos
en vrac, cul par-dessus tête et enfin les genoux dans le nez. Il se relève à
bouts de bras en s’éloignant rapidement, mission accomplie.
Pendant l’heure qui suit, tout le
monde a bien compris où sont les toilettes pour Hommes et où sont les toilettes
pour Femmes.
Peu après deux heures du matin, le
gérant envoie Bernig – c’est ce qu’il y a marqué sur son badge, à la poche de
son uniforme jaune-lemon – tenter de me faire comprendre qu’il veut me parler.
Le pauvre Bernig reluque désespérément mes nichons pour ne pas laisser mes yeux
dévorer son âme, en faisant des euh et en pointant du doigt la porte du bureau,
au bout de la coursive qui domine le dance-floor. Je traverse cet espace rédhibitoire
en longeant les murs sur lesquels les plus déchirés s’appuient, puis monte les
escaliers en m’interrogeant. Est-ce que le client est allé se plaindre ?
Je frappe à la porte qui doit rendre
un son métallique et pose la main sur la poignée.
Ne pouvant attendre que les gens ne
viennent m’ouvrir, à défaut de pouvoir entendre leur invitation à entrer,
j’ouvre toute porte un peu délicate en trois temps.
J’abaisse la poignée, je sais que
cela fait du bruit.
Je relâche la poignée, sans
l’accompagner mais pas trop brusquement non plus et surtout sans ouvrir le
battant de la porte. C’est également bruyant, je parviens souvent moi-même à
percevoir le cliquetis du mécanisme heurté.
Puis je pousse la porte en restant
en-deçà du seuil, assez lentement. Normalement, en procédant ainsi, je ne
surprends personne et en même temps, je fais mon petit effet.
Quand je l’aperçois, il fait très
sombre dans le bureau et il est seul. Il y a toujours beaucoup de monde dans le
bureau de ces gens-là. Je n’avance pas tant qu’il ne m’y invite pas.
Il est large, il est fat, épaté des
doigts, du portefeuille et des chaussures de cuir, les jambes étendues sous son
bureau. Il fume un cigare, bien entendu. Il le pose dans le cendrier, il ne
m’invite pas à entrer et je suis toujours sur le seuil.
J’entre, d’autorité, j’ai peut-être
été inattentive un instant, je n’ai peut-être pas vu qu’il me parlait. Mais il
fronce les sourcils et je comprends que c’est à cause de ça. Je m’arrête, à
mi-chemin entre le bureau et la porte. Il commence à me parler, comme s’il ne
savait pas que je suis sourde, ce qui n’est pas possible. C’est lui qui m’a
recrutée et c’est écrit en très gros sur mon CV. Je m’accroche immédiatement à
ses lèvres, pour ne pas rater une occasion de comprendre ce qui se passe. Il
articule proprement, des mots simples, en plaçant son visage dans la lumière d’une
petite lampe posée à côté de lui. Je parie que dès la première phrase, il
commet plusieurs impairs à l’égard d’une personne sourde et a priori muette.
« J’ai entendu parler de toi. J’attendais
que tu me demandes du travail. Tu as besoin d’argent ? »
Je cligne des yeux, la conversation
prend directement une tournure inattendue. Heureusement, je peux faire croire
que je n’ai qu’une seule option : je garde le silence.
« Le Black Graound te paie
bien, non ? Qu’est-ce que tu fais ici ? »
Je n’aime pas cette impression d’avoir
été attendue. J’ai effectivement besoin d’argent. De beaucoup d’argent. Je
garde toujours le silence, je ne fais pas un mouvement qui puisse être
interprété d’une façon ou d’une autre.
« Il me faut quelqu’un comme
toi. »
Il faudrait être aveugle pour ne pas
le comprendre… Je ne bouge pas. Ce sont les conditions qui m’intéressent.
« Il me faut quelqu’un capable
d’obéir scrupuleusement. »
Je réfléchis : quel ponte du banditisme
local va-t-il me proposer de passer à tabac ?
« Je cherche une partenaire qui
saura se plier à mes exigences. »
Il se tait et croise les mains
au-dessus de son ventre. Comme j’attends encore des explications après ça et
qu’elles ne viennent pas, je reconsidère ses paroles pour y trouver le sens qui
a dû m’échapper. J’ai du mal comprendre. Lâchant du regard ses lèvres
résolument immobiles, je relève mes yeux sur les siens ; ils luisent bien
fort. Je comprends alors le sens qu’il donne à « partenaire » et
pourquoi il a mis un féminin devant, ce qui n’est pas utile quand on ne veut
pas le souligner. Je trahis un petit mouvement de surprise et d’hésitation. Je
me demande si je dois quitter la pièce. Il ouvre la bouche, je m’immobilise. Il
laisse une seconde en suspens avant d’articuler :
« Nous conviendrons de nos
règles préalablement. »
Je ne bouge pas.
« J’exige de toi une pleine
obéissance à mes instructions. Es-tu prête à me servir ? »
Je suis estomaquée. Plantée sur
place par ce qu’il me chante, celui-là. C’est quoi ses exigences ? Quelles
règles ? Je ne bouge toujours pas. Il ouvre encore la bouche.
« Reviens demain. »
Encore un ordre. Je fais volte-face
mais il amorce immédiatement un mouvement en avant sur sa chaise pour capter
mon attention, je m’arrête. Il se rassoit lentement sans me lâcher des yeux,
puis il parle encore :
« Tu dois me répondre et
m’adresser par Monsieur. »
Il a vraiment dit
« m’adresser » ? Il est tellement gonflé que je sens mon visage
se tordre dans un sourire irrépressible. Je sais que j’ai l’air encore plus
folle comme ça. Il se met à sourire lui aussi.
Il est vraiment sérieux. Il me faut
deux secondes, pas plus, pour prendre une décision.
De ma voix gutturale, rocailleuse et
hachée de ceux qui ne s’entendent pas, j’articule lentement « Oui
Monsieur », puis je sors de son bureau.
Règle n°2 : ne te masturbe jamais sans ma
permission. Réserve-toi à moi.
J’ai retrouvé mon poste devant les
toilettes pour Dames plus contrariée que jamais. Je devais donner l’aspect
d’une chape de plomb incandescente, personne ne m’a approchée, même les femmes
hésitaient à aller au petit coin. Pendant des heures, je n’ai pas compris
pourquoi j’étais en colère.
Quand le Lemon a enfin fermé ses
portes, au petit matin, j’avais envie de baffer tout ce qui passait à ma
portée. C’est quand j’arrive chez moi que je comprends que je suis furieuse
envers ma propre attitude. Un vrai petit robot, un petit chien. Il me posait
trop de questions, il les posait trop vite, j’étais trop déstabilisée. Ce n’était
pas ainsi que j’aurais dû répondre.
Je tourne en rond dans la pièce qui
me sert de logement, un placard un peu grand en fait. Y tourner en rond revient
à grimper sur le rebord de la fenêtre, en descendre, trépigner face au canapé
indépliable et faire demi-tour devant la table qui supporte le mini-frigo et
mon ordinateur. Je m’affale dans les coussins.
Il suffirait de ne pas y retourner.
Même si j’y retournais, il suffirait de ne pas aller dans son bureau.
Je me lève pour aller me cogner la
tête, une fois, deux fois, cinq fois, dix fois sur le chambranle de la porte.
Bien sûr que je vais y retourner. Il a quelque chose que je veux absolument.
Faut que je me calme.
Je sors ma petite boîte magique de
sous les coussins du canapé et je me roule un gros pétard. Je le fume à la
fenêtre, pour ne pas exciter l’alarme incendie. Je regarde la ville qui se
réveille.
En face, à moins d’un kilomètre à
vol d’oiseau, il y a une grande tour moche qui me barre la vue. À peu près à la
hauteur de mon étage, dès que je me pointe à la fenêtre, il y a une autre
fenêtre qui s’ouvre aussi. C’est un gars qui a repéré que je vis souvent à poil
chez moi avec la fenêtre ouverte et qui s’est acheté une paire de jumelles. Il
doit être déçu aujourd’hui, je n’aurais pas complètement perdu ma journée.
Juste en dessous, un livreur occupe
les deux voies de la chaussée et il y a toute une colonne de mécontents qui
ragent dans leur bagnole derrière lui. Je suis encore contente d’être sourde,
j’imagine que cette scène est bruyante et qu’elle pourrait m’empêcher de penser.
C’est beaucoup plus intéressant de
regarder au-dessus des toits.
Là, il n’y a personne, mais il y a
trois choses que j’aime par-dessus tout. Il y a du soleil, du vent et des
oiseaux. Eux, j’aimerais les entendre.
Ouhla, je l’ai bien chargé ce pétard,
ça gratte. Je devrais bien dormir.
J’aimerais bien entendre les
oiseaux. Je vous fiche mon billet qu’ils ne passent par leur temps à dire des
conneries, eux. Ils pépient, chantent, conversent harmonieusement, le strict
contraire du monde dans lequel je vis, bavard et tapageur. Ils vivent sur le
souffle du vent, que je sais être doucement chantant lui aussi. Et quand il est
chargé de soleil, il me semble presque entendre la note que ça fait. Une note
chaude et profonde, qu’on ne pourrait percevoir que dans le silence le plus
parfait. Cette note, je la sens sur ma peau, elle m’inonde de joie, de plaisir,
de bonheur.
Et encore, là, je m’inonde du soleil
de Paris. Le pied total, ce serait d’être au-dessus des toits d’aucune ville,
sans aucun humain dedans.
Je tapote mon joint, sa cendre
disparaît en virevoltant. Deux moineaux se chamaillent sur la gouttière du toit
d’en face. J’imagine que les trouées d’arbres, les parcs parisiens, qui font
comme des nuages déposés au fond d’une vallée, se mettent à submerger les
toits. Ils les engloutissent, il n’y a plus que la canopée, qui pépie, qui
chante, qui converse harmonieusement.
Je voudrais une île déserte. Rien
qu’à moi, avec juste du soleil, du vent, des arbres et des oiseaux dedans.
Alors, à ce moment-là, je voudrais avoir retrouvé l’usage de mes tympans.
Ce sont deux rêves qui coûtent très
chers, mais j’y parviendrai. Je ne me consacre qu’à ça depuis sept ans.
J’avance à pas de géant, parce que je suis une fille travailleuse, qu’il y a du
boulot pour les filles travailleuses comme moi et que je n’arrête pas, je
n’arrête pas un instant de travailler depuis sept ans. C’est très bien payé et
personne n’essaie jamais de négocier avec moi.
Et là, il y a le gérant du Lemon qui
entre dans le paysage.
J’écrase mon mégot.
J’étais calme et apaisée au-dessus
de ma canopée, je me relève montée sur ressorts. Je me fous à poil, avant de
fermer la fenêtre et les rideaux d’un geste sec. Je bondis en aveugle dans le
canapé, les couvertures bouffent autour de moi. Puis je ne bouge plus, j’écoute
mon silence.
Je le trouve très agité.
Après quelques contorsions, j’ai
déroulé la couverture sur moi, calé les coussins à coups de poing sous ma tête.
J’ai froid mais assez vite, trop chaud. Je gamberge.
C’est quoi ses exigences ? Il aurait
pu être plus clair, il avait pourtant l’air de savoir précisément ce qu’il
voulait. C’est sexuel son truc, mais ce n’est sûrement pas le problème. Le gars
ne m’a pas proposé une passe. C’est autre chose, son histoire d’obéissance.
En me réveillant dix heures plus
tard, j’ai mal aux cheveux. Je regarde l’heure au mécanisme nu qui me sert
d’horloge au-dessus de la porte d’entrée. Le Lemon ouvre ses portes dans trois
heures. Quelle idée de me réveiller si tôt !
Je fais un demi-tour sur moi-même
dans la couverture, ce qui me permet de m’étirer pour m’éveiller tout à fait et
de me préparer sur la table juste à côté un déca d’une seule main. Mes pensées
s’ordonnent tandis que la bouilloire se met à vibrer.
Après, je pose la tasse brûlante à
même la peau de mon ventre.
Je plonge ma main droite sous la
couette en prenant garde à ne pas renverser une goutte du liquide d’encre, pour
accompagner mes pensées de quelques caresses. Ça m’arrangerait que ce ne soit
pas que du sexe, voire pas du sexe du
tout. Peut-être qu’il ne veut pas me sauter. Non, il veut sûrement autre chose,
de ces plaisirs alambiqués et torturés que certains cultivent. Je dois
reconnaître que ça me titille. Il a parlé de règles à convenir ensemble… il suffirait
qu’il ne me touche pas.
À la condition qu’il ne me touche
pas, ce pourrait être une expérience enrichissante, après tout.
Ça me fait comme une boule dans le
ventre, qui énerve ma main.
Il est comme les autres, il me
trouve belle et il veut m’avoir. Qu’est-ce que je pourrais me contenter de lui
donner ? Et puis, pourquoi je voudrais lui donner quelque chose, de toute
façon ?
J’ai un geste d’impatience - ma
branlette n’avance pas - ce qui renverse une lapée du liquide brûlant sur la
peau de mon ventre. Je me calme. Pourquoi j’ai dit oui ?
Je ne sais pas, il ne m’a pas traitée
comme une sourde, voilà tout. Non, c’est pas ça.
La tasse oscille encore, ma main a
repris son trajet sous la couverture. J’aime bien être toute nue sous les
couvertures, je me sens presque comme une petite chose douce et fragile, la
peau contre les draps. Ça me caresse partout en même temps. Mais il faut faire
attention, sinon la tasse…
Qu’il me veuille non plus, ça ne
compte pas dans ma décision… c’est vrai qu’il a l’air de me vouloir fort
celui-là - et un peu spécialement –
mais ça me donnerait plutôt envie de le snober.
Non, ça me donne envie de le
jouer ; il ne se débinera pas, j’en suis sûre. C’est ça ! J’ai un
adversaire à ma taille. J’y retourne !
Attends, attends. Les contreparties.
Qu’est-ce que je pourrais me
contenter de lui donner ? Qu’est-ce que je peux donner ? Je me rends compte que ce qu’il est susceptible
de me demander est très varié. Sans même m’y être jamais intéressée, je sais
qu’il y a des gens qui aiment se mettre des plumes ou des bougies dans les
fesses, les fouets, les liens, les fessées, le champagne et la dentelle, le
sexe en grand nombre, les miroirs, les insultes, les pinces sur les tétons, les
grands cheveux, la brutalité, les travestissements, les pieds, les jambes, les
bas, les talons aiguilles, les poils. Je dois en oublier. Rien que là, je ne
peux pas faire le tri.
Je m’imagine ; j’ai dû voir ça
à la télé ou dans les magazines. Avec des talons très hauts et très noirs, les
jambes habillées uniquement de bas et un collier de perles en sautoir pour tout
vêtement. Les mains sur les hanches ? Je suis grotesque. Le rouge à lèvre,
beurk, même pas en rêve. J’enlève le collier de perles et les bas, je vais les
filer en un rien de temps de toute façon. C’est mieux. Je suis plus à l’aise.
On voit bien que mes jambes sont effilées avec ces chaussures, ça fait jouer
les muscles et puis il faut le reconnaître, j’ai un beau grain de peau. Je
m’approche tout près de lui, il est sur sa chaise, à son bureau, et d’un ample
mouvement, souple et gracieux, je passe une jambe par-dessus lui pour
m’asseoir, la chatte à même l’étoffe de son pantalon. Je sens qu’il bande. Ses
bras sont tout près, comme son haleine. Je le gifle, mais sans conviction.
Je me rends compte que j’ai encore
arrêté de me masturber. Trop stressant. J’essaie autre chose.
Cette fois, je suis vraiment à
l’aise : jeans et chemisier négligemment ouvert, il y a du vent dans mes
cheveux et tout. Non, mieux : je cours sous le soleil, disons dans un
champ de blé.
Le plat de ma main fait rouler le
petit bouton de chair qui surmonte le seuil de mon vagin, qui se dilate et
s’épanouit. Puis je le coince entre deux doigts. Le plaisir qui me saisit
renverse une goutte de café, qui met quelques secondes à me brûler. Je souffle
doucement sur la petite tâche mouillée qu’elle a fait sur mes abdominaux. Je
ferme les yeux en me touchant plus doucement.
D’abord il fait noir et les parois
de mon ventre commencent leurs tractations. La tasse vacille ; elle est
vraiment pleine. J’en étais où ?
Mes yeux s’agacent, rien n’apparaît,
comme cette nuit, j’enrageais de ne pas mieux voir le visage de mon
interlocuteur, dans ce foutu bureau. Le fil de mes films ne se déroule pas
comme d’habitude, je n’arrive pas à comprendre pourquoi.
Le liquide, dans la tasse, verse
encore. Je n’en ressens presque pas la morsure, tant le brasier est fort sous
ma peau. Je suis nouée et fiévreuse !
Oh et puis merde, je vais au Lemon maintenant.
Je me lève, la tasse valdingue en
répandant son liquide tâchant sur les couvertures, le canapé, le tapis et le
plancher.
Règle n°3 : avoue-toi, mets-toi nue devant
moi.
J’ai jamais touché à toutes ces
saloperies que les habitués des boîtes où je travaille se mettent dans le nez,
mais quand je pousse la porte du Lemon, je reconnais chez moi le catalogue des
symptômes qui caractérisent la béatitude chimique : nervosité électrique,
fil des pensées en pelote, mains moites. Accessoirement, je mouille comme une
dingue, parce que plus j’approche de son bureau, ce que je fais à grands pas,
plus je sais ce qui va se passer. C’est peut-être la lumière du jour qui se couche
qui me rend plus lucide - ça n’est pas le bon mot - ou le gris du trottoir qui
m’aide à rationaliser - ah ah ah - en tout cas j’arrive à éliminer les
scenarios fantasmagoriques les moins probables en quelques minutes - je ne vis
pas très loin du Lemon en scoot, ce serait plus compliqué de prendre le métro -
alors que j’ai gambergé toute la nuit pour juste me compliquer la vie.
Vas-y, ma belle, comme tu l’as
toujours fait. Mais non, t’as pas peur. Tu fais toujours feu de tout bois, et
le petit patron, là, tu le manges, peu importe la sauce.
Quand je frappe à sa porte, je suis
en nage, j’ai le palpitant qui fait des trucs inédits, les muscles de mon
visage se crispent et je remarque que l’établissement est absolument désert. Je
n’ai croisé personne.
Je souffle, regarde ma montre, mais
j’ai oublié de la mettre.
On est au moins à deux heures de
l’ouverture. Fiou.
J’enlève mon casque, tiens.
J’espère qu’il ne va pas ouvrir.
La porte s’ouvre. Il est plus grand
qu’hier, debout, si près.
Plus un seul de mes muscles ne
bouge, je ne sais même pas quelle tête fait ma figure. En une seconde, celle où
il pose les yeux sur moi, tout se joue : il a un sourire de satisfaction et de
magnanimité en même temps qui déclenche en moi une réponse à toutes les questions
que je me pose depuis hier et toutes celles aussi, je le sais déjà, que je vais
me poser dans les heures, jours, mois, années à venir, inch Allah.
L’avenir de notre relation
m’apparaît avec une limpidité totale. C’est jouissif.
Il me dit bonjour en fermant gentiment
les yeux, je dis « Bonjour Monsieur. »
Je ne dis pas « Bonjour
Monsieur » comme le dirait Marylin ou Greta, mais ça a l’air de lui plaire
quand même. Il ouvre grand ses bras pour m’inviter à entrer, je fais deux pas à
l’intérieur. Il referme la porte derrière moi avant de faire le tour de la pièce
pour baisser les persiennes qui occultent les fenêtres avec un sourire entendu.
Puis il retourne l’une des deux
chaises qui font face à son bureau, comme chez le dentiste, et il s’assoit,
environ à trois mètres de moi. Je vais avoir une conversation.
Tous les symptômes d’un stress
post-traumatique ont disparu, je me sens même d’excellente humeur. Je me
félicite intérieurement d’avoir provoqué une telle situation.
Il commence. Il pointe un doigt sur
moi et articule :
« Déshabille-toi. »
Je ne peux pas dire que je ne suis
pas surprise. Je pensais qu’il y aurait toute une tapée d’étapes, avant. Mais je
l’ai laissé engager, je suis bien obligée d’accepter ce premier échange et de
relancer.
Je constate que j’ai encore perdu
l’usage de mes muscles faciaux, cette fois parce que je ne sais pas du tout
quelle tête il faut faire dans cette situation. Une partie de mon cerveau
l’imagine très bien - la télé, les magazines - mais je ne dois pas avoir les
neurones adaptés. Il faudrait minauder la bouche en cœur, onduler, être mignonne,
sauf que, voyez-vous, la plus belle femme du monde ne peut donner que ce
qu’elle a. La gentillesse, je sais pas faire.
Il faut pourtant formuler une sorte
de réponse. Qui rentre dans les bornes que je devine déjà.
Je me contente de ne faire aucune
tête en particulier et je me déshabille.
Les petites cuillères et moi
possédons un incroyable point commun : l’absence totale de pudeur. Je ne
couvre mon corps qu’à la portion obligatoire, celle que la situation exige,
quelle qu’elle soit. Quand je ne travaille pas et qu’une nécessité vitale me
pousse à sortir en direction de la boucherie, de la friperie ou du marché, j’enfile
un vieux caleçon et une vieille tunique qui baille toute la journée, mais si je
travaille, je suis en jeans et en t-shirt. Le reste du temps, je suis nue chez
moi. Et si je prends, d’aventure, des vacances, c’est doudoune au ski ou
topless à la plage, comme n’importe qui devrait le faire. Je ne porte jamais de
soutien-gorge, ça se soutient seul. Quand je bosse, je dissimule l’ultra-sensibilité
de mes tétons sous des brassières qui feraient pâlir d’envie un col Claudine.
Ça évite au débat de glisser quand un client essaie de parlementer et je peux
taper sans me faire mal. Le reste du temps, mes nichons vivent leur vie, confortablement.
C’est la même chose pour mes jambes, mes cheveux, mon cul, je n’exige rien
d’eux en dehors du boulot. Je leur offre toute latitude pour bouger et
respirer, je n’attache rien, je n’enferme pas. Tellement qu’on pourrait se
demander comment je me débrouille pour être toujours vierge. Grâce à mes
muscles et à l’atrocité de mon regard, bien sûr. Contrairement à la petite
cuiller, personne ne m’a jamais mis la main dessus.
Je tiens en respect la gente masculine
depuis plus de deux décennies, mais là, j’ai un spécimen en face de moi, qui
pourrait bien me faire sortir des bornes que je me suis toujours fixées.
J’ai tout enlevé, il fait traîner
ses yeux sur moi.
Ils ont toujours la même tête quand
ils font ça, une tête tellement tordue, tellement inquiétante de vulgarité,
qu’on a inventé un mot aussi vulgaire pour la décrire : concupiscence.
Concupiscence, ça lui pisse des yeux. Ils ne cillent plus et s’exorbitent, se
cramponnent à la partie inférieure de votre corps, aussi luisants que des
doigts plein de gras. Un regard gras et lourd au point qu’après vous vous
sentez maculée. Le reste de leur physionomie se fige, sauf leur visage
gourmand-content et leur queue qui bondit dans leur pantalon. Vous leur diriez
qu’aujourd’hui exceptionnellement c’est leur anniversaire et que vous leur
offrez en cadeau les pleins pouvoirs sur l’univers, ce serait pareil.
Je ne connais pas le plaisir qu’il y
a à enfiler une chatte supplémentaire au bout de sa queue, je ne dois pas
pouvoir comprendre. Il semble que ce soit un indicible plaisir, au-dessus de
tous les autres. Personnellement, je ne suis pas fâchée de ne pas être soumise
à un ressort psychique aussi primaire et surtout aussi inapproprié. Je vis ma
vie depuis vingt-cinq ans sans enfiler aucune chatte et je suis putainement
satisfaite de ce qu’elle est. Inversement, j’ai remarqué la tendance chez ceux
qui enfilent et de celles qui se laissent enfiler à avoir des vies de merde.
C’est pourtant plus évident qu’un nez au milieu du visage.
Le sexe est une porte et il y a
trois types d’individus face à elle : ceux qui entrent, ceux qui ouvrent
et ceux qui défendent leur territoire.
Voilà, je suis toute enduite de son
envie, il en a vraiment mis partout.
Il est très à l’aise, je ne suis pas
trop belle pour lui. Depuis quelques secondes, il fixe ma chatte avec un
sourcil contrarié. Je sais ce qui ne va pas : j’aurais dû consacrer
l’heure précédente à enlever les longs poils drus et frisés qui poussent
dessus. J’aurais eu l’air encore plus vierge comme ça.
Mais c’est ma première condition et
il l’a compris.
Avec un geste de l’index, il dit
« Tourne-toi. » Je lui présente immédiatement l’autre face, avec le
même enthousiasme consciencieux que la bouchère quand elle me montre les deux côtés
du morceau de paleron : « C’est pour combien de personnes ? »
Je sais qu’à ce moment il ne voit
que mon cul. Il est haut, rebondi et je le fais bronzer. J’imagine que si je me
mettais à l’agiter, l’effet serait fantastique. Au lieu de ça, j’écarte
largement les jambes et je me penche en avant jusqu’à poser mes mains par terre.
Je le vois à l’envers, entre mes genoux, les yeux cramponnés à la béance que je
viens de lui mettre sous le nez. Je suis souple et agile. Je me regarde ensuite
moi-même : j’ai bien mouillé, c’est un peu encollé sur les bords. L’index
et le majeur de la main droite en V, comme Victoire, je repasse sur les deux
lignes qui forment cet œil ouvert et qui le regarde de travers.
Il ne cille pas, mais sa bouche
articule très vite :
« Ne mets rien
dedans ! »
Ok.
Je prononce : « Oui
monsieur ».
Je retire mes doigts de là et je
pose mes deux mains au sol pour rester comme ça, pliée en deux au milieu des
habits que je viens de retirer, le cul tendu. Je ne l’entends pas mais je vois
qu’il tousse. Il se lève.
Il fait trois pas dans ma direction,
s’arrête, me tourne autour. Puis il détache sa cravate, sans se presser. Le
sang pulse à mes oreilles. Il s’approche un peu plus, tout près de moi, je ne
peux plus voir ce qu’il fait avec ses mains. S’il les pose sur moi, je le
défonce.
Règle n°4 : sois propre et précise
Après quelques secondes, je sens la
pointe de tissu de la cravate glisser sur la peau de mes fesses. Elle effleure
ma fente, caresse l’intérieur de ma cuisse avant de remonter sur mes fesses puis
redescendre sur le versant de mon dos. Je m’applique à être bien droite, bien
tendue. Il dépose enfin la cravate entre mes deux fesses. Elle est encore
tiède, lovée là comme un serpent.
Il fait volte-face et se dirige vers
son bureau. Cela me permet de voir sa bouche. Le fait d’être à l’envers
complique un peu la difficulté, mais j’aime les défis. Il prononce en
montrant du doigt la cravate :
« Lave-toi. »
Il est quand même fantastique
celui-là. Sous-entendrait-il que je suis sale ?
Allez, je ne vais pas faire mine de ne pas comprendre, le jeu c’est d’être
conciliante. En passant une main entre mes cuisses, je prends la cravate et je
m’essuie comme si je venais de faire pipi. Pendant ce temps, il se sert un
whisky comme je me fais un déca le matin, sans regarder ce qu’il fait pour ne
pas perdre une seule miette de mes gestes.
Quand je pense que c’est
« propre », je lui tends la cravate entre mes deux jambes.
Il fait deux grandes enjambées sans
renverser son whisky, me prend le bout de tissu des mains et retourne
s’asseoir. Il se la passe sous le nez. J’imagine. Je connais bien l’odeur de
mes culottes. J’ai pas pris de douche depuis…. Tiens, bonne question. Si, je me
souviens, c’était hier soir, avant de venir ici. Entre-temps, j’ai travaillé, j’ai
dormi dix heures, j’ai tenté de me branler et j’ai renversé une tasse de café.
Je sens qu’il sent l’entourloupe.
« Tu t’es masturbée ? »
Je me rends compte que c’est la
première fois que quelqu’un prononce ce mot devant moi, c’est la première fois
que je les lis sur des lèvres.
« Oui Monsieur », je fais,
en faisant bien sentir la majuscule que mérite la situation.
Il plisse le front horizontalement
et me fais les gros yeux. Son index fait non avant de montrer sa poitrine.
« Tu ne dois pas. Tu ne dois
pas te toucher sans ma permission. »
« Oui Monsieur »
Vacherie, j’ai jamais autant parlé
de ma vie, parole, et pourtant, je ne suis pas fatiguée. En fait, ce système,
ordre/obéissance, est tout simplement génial. Pratique à l’extrême et d’une
économie de temps ! Cette distribution permet une liberté de jeu que je
devine sans bornes pour le rôle principal, tandis que ceux qui lui donnent la
réplique savent toujours ce qu’ils doivent faire. Ajoutez du lubrifiant et ça
devient de la mécanique de précision. Comme quoi, y a plus retors que moi. Non,
ça m’étonnerait, sincèrement.
Il joue encore un moment avec la
cravate sous son nez, sans arrêter de me regarder. Je suis dans cette position
depuis plusieurs minutes, le sang cogne dans ma tête, je dois être devenue
toute rouge et j’ai l’impression que mes sourcils pèsent cinquante kilos.
Histoire d’appliquer immédiatement
les principes qu’il met en place, il ordonne :
« Caresse-toi. »
En passant mon poids sur le bras
gauche, je glisse ma main droite entre mes jambes et je caresse mon sexe
ouvert.
« Ne mets rien
dedans ! »
Ça va, j’ai compris. Je ne mets rien
dedans. Toujours l’idée que je sois bien vierge à 100%... Avec un doigt en plus
ça doit bien faire 20% de virginité en moins, peut-être pire.
Il demande justement :
« Tu as déjà mis quelque chose
dedans ? »
Je secoue la tête, mes cheveux balaient le
sol. Non seulement je n’ai jamais rien mis dedans, mais en sus j’ai depuis
toujours la ferme intention de maintenir cet état de fait. Il n’est absolument
pas nécessaire que quoi que ce soit entre là-dedans pour me procurer les
plaisirs les plus grands et les plus variés. Tout se passe dans ma tête. Bon,
évidemment, quand je m’imagine avec des bas résilles et du rouge à lèvre, ça
n’a aucune chance d’aboutir ; j’ai des fantasmes et des mythes sexuels que
personne ne soupçonne et qu’il est sûrement à mille lieues d’imaginer. Même
quand je rêve, je ne mets rien dedans.
Il est très satisfait de ma réponse
négative, il sourit largement.
« Tu es parfaite.
Lève-toi. »
Enfin. Je me relève avec précaution,
le sang dans ma tête reflue. Je me tourne face à lui. Cette fois, son index
fait un mouvement vers le sol.
« Accroupis-toi. »
J’obéis, mécaniquement, sans
réfléchir ; je m’assois sur mes talons, dans la position que je pense être
celle qui convient, les mains sur les genoux. Ma chatte est à quelques
centimètres de sa moquette. Il devient tout rouge, ouvre sa braguette.
« Pisse. »
Trop facile. Je me relâche un tout
petit peu et un jet d’un jaune pâle jaillit d’entre mes jambes. J’asperge juste
devant moi en faisant plein de petites gouttes brillantes qui s’accrochent dans
les bouclettes du revêtement. Je me regarde faire en même temps ; sans le
voir je sais qu’il a sorti sa queue et qu’il a commencé à se branler.
Je suis née pour ça, pour pisser
dans ton bureau.
C’était une grosse envie, j’ai fait une
jolie petite flaque que la moquette à toutes les peines du monde à boire. Je
relève la tête en lâchant les dernières gouttes, ses lèvres murmurent
« c’est très bien, c’est très bien ». Sa main droite va et vient sur
sa bite bien grosse, pendant que sa main gauche triture sa cravate sous ses
narines. Il marmonne des choses que je n’arrive pas à comprendre. Il regarde
fixement la tâche d’urine entre mes pieds. Les poils de mon pubis dégoulinent
encore un peu, une goutte glisse le long de ma cuisse et dans un délicat
mouvement de spirale, s’enroule à mon mollet, dévale vers mes chevilles, puis
roule jusqu’à mes orteils.
Sans arrêter de se masturber, il
lève les yeux dans les miens. Il soutient mon regard sans tiquer. Il retire la
cravate de devant son nez avant de dire :
« Jouis. Fais-toi jouir. »
Il continue en articulant bien et en
formant bien les mots sur sa bouche, en s’aidant des mains et des doigts pour
être plus clair :
« Juste avant, tu claques trois
fois ta chatte. Trois fois. C’est compris ?
« Oui Monsieur. »
Bien. Tu vas voir ce que tu vas
voir.
De ma position légèrement batracienne,
j’en adopte une autre plus arachnéenne : je bascule en arrière et je pose
mes mains derrière moi, en décollant les fesses largement au-dessus du sol. Là,
je commence à tanguer, de haut en bas, en serrant et en desserrant les muscles
de mon périnée en cadence.
Rien dedans et même rien dehors,
sans les mains, sans rien. Il suffit de malaxer les fibres pénétrantes de mon
clitoris, en contractant et décontractant les muscles qui l’entourent.
Je lui jette un œil. Ma méthode le
surprend, visiblement.
Je peux rester longtemps comme ça,
j’ai les biceps qui vont bien. Quand je le fais dans mon appartement, j’occupe
toute la place. Je peux me tenir en calant juste ma nuque contre le canapé,
mais je ne peux pas me coucher tout à fait, mon living-room est trop petit.
Ici, j’ai de l’espace.
Je balance la tête en arrière en
laissant râler ma gorge. En même temps, je me fais un film.
Celui que je débobine le plus
souvent, c’est la scène de la jupe-sirène. C’est juste une image, finalement,
que je fais bouger longtemps et à laquelle je donne du son. Il y a toujours du
son dans mes fantasmes. Ils sont hors de la réalité, ils se déroulent même
probablement sur une autre planète. D’ailleurs, ce n’est jamais moi.
Je suis dans le décor carrelé des
toilettes du Lemon, celle qui sont juste en dessous de nous à cet instant,
celles que je garde quand je travaille ici. C’est très propre, très hygiénique.
J’entends le battement sourd de la musique s’intensifier à chaque fois que la
porte s’ouvre. Elle ne se referme pas tout à fait silencieusement mais presque,
une lumière de néon violacée se reflète un instant sur les murs. La faïence,
partout, est blanche et bleue mais quelques tons plus clairs que la jupe en
question.
La jupe est faite dans un tissu
irisé, pailleté, changeant, elle invite tantôt les mers turquoise, tantôt elle
évoque le luisant gluant, saumoneux, du corps nerveux d’un long poisson. Elle
est portée par une femme qui s’est égarée. Ses cuisses et ses mollets sont très
blancs, ses escarpins très hauts, de la même couleur que sa jupe, vernis. Celui
qu’elle porte au pied droit est tombé juste à côté de l’homme qui la tient
plaquée contre le mur, poussé entre ses cuisses. On voit juste les jambes de la
fille, comme des lignes de perspective un peu tordues, qui convergent vers
l’endroit où le gars s’enfonce en elle. Il y a des gens qui regardent, qui
attendent leur tour.
L’homme qui prend la femme est de
dos. Il n’a pas de visage, pas plus qu’elle.
Ce n’est pas un petit théâtre où je
prendrais l’apparence d’un objet saoul, cette fille ce n’est pas moi. Je suis
cette femme et cet homme dans cet endroit avec tous ceux qui regardent.
La somme d’idées que contient cette
image suffit à me rendre turgescente. Derrière cette porte de chiottes, je
laisse vivre l’expression la plus brute de ma puissance sexuelle. Cette porte,
je veille dessus chaque jour.
Je sens le liquide épais de mon
plaisir couler sur mes lèvres, quelques bulles se forment en écume. Même si
j’ai très envie de savoir quelle tête il fait, je garde mes yeux étroitement
fermés et ne perd pas le fil de ma concentration.
Je la vois bien. Les deux jambes tressautent
au rythme des efforts de l’homme, elles sont très pâles, quasiment vertes.
Elle, elle est totalement abandonnée, oubliée, lâchée. C’est une épave, un
bateau ivre, il en faudrait plus que ça pour la réveiller. Le pied qui porte
l’escarpin, un peu plus lourd que l’autre, monte et descend comme un ressort.
L’homme exprime un cri de libération.
Je me laisse tomber sur les épaules
et comme il me l’a demandé, je me tapote trois fois la chatte juste au moment
où ça pète. Je laisse la vague me passer dessus toute entière. Elle me roule, elle
m’écrase au sol.
J’aimerais tellement m’entendre
quand je fais ça. Je dois en faire du bruit, parce que j’ai toujours la gorge râpeuse
après.
Je le regarde en relevant la tête.
Il a l’air sérieusement ébranlé : il ne se masturbe plus et son sourire
est bizarre. Il répète encore : « Tu es parfaite. »
Règle n°5 : dépasse-toi
Il se lève, grave, puis il sort d’un
pas pressé par une porte derrière son bureau. J’ai bien l’impression que tout
ce que nous faisons depuis le début est très sérieux pour lui. Il ne s’amuse
pas, pourtant il joue un truc.
Il revient deux secondes plus tard
avec une bassine et une serviette éponge blanche dans les mains. Il me demande
de m’asseoir en montrant sa chaise du menton.
Y a une faille là, je pige pas ce
qu’il veut. Je me lève en inventoriant tous les films où le héros porte une
bassine dans les mains, mais je ne trouve aucune explication. Je m’assois.
Il pose la bassine à mes pieds et là
je comprends. Je suis à deux doigts de lui foutre mon pied plein de pisse dans
la gueule. Il sent que son manège rencontre ma réticence :
« Tu dois être parfaitement
pure ».
Ah non, mais il me scie lui. Il a
dit ça très sérieusement, sur le ton de l’évidence. Je sens bien qu’un refus
pourrait interrompre le charme de la scène, je tâche de me convaincre qu’après
tout, je peux bien me laisser purifier un peu. Juste un peu. Si je trouve qu’il
me purifie trop, je le rectifie, tant pis.
Je le laisse faire. Il trempe sa
petite serviette dans la bassine, puis il prend mon pied droit. Le contact de
sa main me fait sursauter. C’est que mes pieds. C’est que mes pieds. C’est que
mes pieds.
Il le lave, très doucement, avec de
la tendresse me semble-t-il. Il insiste entre les orteils, l’eau de la bassine
se grise un peu en surface. Je regarde autour de nous. Elle a dû en voir cette
moquette.
Je sais bien pourquoi je n’ai pas
plus de curiosité à l’égard de mon prochain : vous êtes tous des malades
mentaux, des fous. Je fais une entorse à mon règlement pour une raison que je
considère supérieure à mon indifférence ; mon système de défense, lui, est
toujours opérationnel - je ne l’éteins jamais. Je suis donc en alerte rouge.
Mon palpitant se remet à faire des manières, je me cramponne au dossier du
fauteuil. Je surveille chacun de ses doigts.
Quand il a fini, il me sèche avec un
coin de la serviette, sans trop me toucher. C’était supportable. Il suffit de
faire abstraction de sa tiédeur moite, qui reste longtemps à la surface de ma
peau, comme une empreinte vivante. Mes pieds auront son odeur après ça.
Ensuite il passe au pied gauche.
C’est que mon pied. C’est que mon pied. C’est que mon pied. Sa main est chaude.
Son index caresse un peu ma cheville et il fait durer le trempage de la
serviette dans la bassine pour me reluquer les orteils. Je retire mon pied.
Il lève des yeux sévères sur moi,
mais je vous jure que ça n’est rien à côté de ceux que je lui sers en réponse.
Il pâlit jusqu’à la racine des cheveux. Il y a des gens qui m’ont dit que
d’autres gens leur avaient dit qu’ils avaient eu peur que je les tue, à cause
des yeux que je leur avais faits une fois. Mon visage est comme ça : d’une
cruauté totale si je ne l’accommode pas. Là, je m’applique à bien exprimer la
brutalité qui pourrait me prendre s’il recommençait.
Il a cessé de respirer. Finalement,
il est comme les autres, pas plus fort. Il se redresse et prend immédiatement
un mètre de recul. Il a dû me voir faire devant la porte des toilettes pour
Dames.
C’est con, j’ai sûrement tout foiré
en rétablissant les rôles un peu vite. En même temps, je suis sourde et
peut-être muette, j’avais pas trente-six solutions. Ce serait bien s’il voyait
les choses sous cet angle-là, j’ai bien envie que ça continue. Je lui retends
le pied qu’il n’a pas fini de purifier.
Sa tête oscille. Je suis la reine de
la vaseline, qui l’aurait cru. Il s’agenouille et reprend son ouvrage en
parvenant à ne pas me toucher du tout. C’est possible en utilisant correctement
la serviette. Quand il a fini, j’ai presque envie de le féliciter.
Il n’a pas repris sa couleur
d’origine. En fait, il a l’air carrément bouleversé. Il va ranger la bassine,
revient vers moi. Je suis dans son siège et maintenant, c’est lui qui est
debout devant moi.
Règle n°6 : si tu obéis, je te récompense, si tu désobéis, je te
punis.
On dirait qu’il essaie d’avaler un
truc qui ne passe pas. Quand il ouvre la bouche, je comprends qu’il a plutôt
envie de vomir, il grimace.
Il prend une grande inspiration,
gonfle le torse, histoire de se donner du courage et de la hauteur.
« Tu es parfaite »,
articule-t-il.
Il a dû le dire si fort, ou bien
tellement dans les aigus que je ressens la vibration de ces trois mots jusque
dans mon pavillon. On le saura !
« J’ai besoin de toi. Je veux
que tu sois comme tu es. Ne change pas. »
Tout ça c’est ok.
« J’ai sur-tout besoin de ta
dis-cré-tion. »
Là, il me
parle comme à une sourde. J’espère que c’est vraiment important ce qu’il a à me
dire.
« C’est le plus important. »
Il a bien insisté sur le mot plus,
avec ses mains. Ça y est, je crois que je comprends.
« Oui Monsieur »
mâchouille-je.
Il montre la moquette d’un geste
vague :
« Ce qui se passe dans ce bureau ne sort
pas de ce bureau. »
J’hoche la tête :
« Oui Monsieur. »
« J’ai compris tes limites.
Elles me conviennent. Si tu obéis toujours ainsi, je te récompenserai. Si tu
désobéis… Je devrai te punir. »
Je mobilise toute ma volonté pour ne
pas laisser mon sourcil gauche s’infléchir, comme je le fais en toute situation
de profération de menaces à mon encontre.
« Tu dois m’obéir
scru-pu-leu-se-ment. Tu dois être pré-cise. C’est compris ? »
La précision, ça me connaît.
« Oui
Monsieur. »
« Bien. »
Il a l’air d’aller mieux, il est
moins blanc mais plus agité. Je sens qu’il y en a une énorme qui va arriver.
J’ai bien compris son petit
manège ; pourquoi moi et pas une autre. Évidemment, je suis plus bonne que
la plus bonne de ses copines mais surtout, je suis sourde et quasiment muette.
Il a un secret à me dire, il va me confier quelque chose et je vais devoir
le garder. Il veut que je sois son
temple.
Est-ce que j’ai vraiment envie de
prendre quoi que ce soit, moi ? C’est pas mon habitude de me charger du
barda des autres. En plus, ça promet d’être coton. J’examine rapidement la
situation. Je peux toujours me sortir de là si je le veux, je ne suis pas en
danger. Ce ne sont que des mots qui vont sortir de sa bouche, je pourrai
choisir de les oublier, de les ignorer ou de les lui remettre entre les dents.
Il se remet à parler, très
hésitant :
« J’ai défendu l’accès à ce
bureau pour toute la nuit. Nous ne serons pas dérangés. Je… »
Pas dérangés ? Toute la
nuit ? Pour quoi faire ? Je ne vais pas passer ma soirée à pisser sur
sa moquette, même si ça me fait plaisir.
« Je… Je voudrais que tu fasses quelque chose. »
Et moi je voudrais qu’il soit rapidement
plus clair, je ne suis moi-même pas tellement patiente.
« Tu seras parfaite pour
ça. »
Il est quasiment fébrile. Je ne
bouge pas d’un poil, en n’affichant pas trop d’antipathie.
« Je veux… que tu me
domines. »
Je cligne plusieurs fois des yeux.
Encore une faille putain. Il s’approche de moi, décidé.
« Frappe-moi. Fais-moi
mal. »
Aaaah non mais, ouais, d’accord, c’est
un soumis contrarié. Des malades mentaux, je vous dis.
Je me lève. Il reprend encore une
bonne inspiration. Nous nous regardons bien droit dans les yeux.
Alors voilà, mon apprentissage est
terminé et nous sommes arrivés dans cette gare-là. J’avais le choix entre les
plumes, les bougies, les liens, mais j’ai droit à celui qui veut qu’on le
tabasse sans que ça se sache. Je pensais qu’il y aurait un nombre savant
d’étapes indispensables avant d’en arriver là.
J’ai toujours envie de bien faire.
Je prends un air un peu embarrassé. Il ne m’a pas donné de protocole, comme
tout à l’heure, quand je devais me frapper trois fois la chatte.
Il comprend. Il y a une véritable
connexion entre lui et moi, j’en suis bluffée.
« Traite-moi comme une merde.
Cogne-moi ! »
Il est exalté maintenant. Comme une
merde ? C’est plus une faille, il y a carrément fracture dans
l’espace-temps. C’est bien le gérant du Lemon qui me parle ? Rien à foutre, je
suis payée pour faire ça.
Va pour le traitement « client
anonyme ».
Je choisis l’attaque en deux temps.
Premier temps : coup de genou dans les bourses pour lui interdire toutes
velléités de défense instinctive. Deuxième temps : je l’attrape par le col
et lui enfonce mon front dans le nez. Je le lâche, il s’effondre.
Règle n°7 : ne pose pas de questions. Garde le secret.
Alors c’est vrai, j’ai un peu pris
son dernier ordre à contrepied et de mauvaise foi.
Mais je pense bien qu’il en a eu
pour son argent ; je suis tout à fait certaine que c’est le genre de
masochiste qui en demande encore tant qu’il n’a pas de traumatisme crânien ou
la rate éclatée. Là, il aura une migraine de compétition.
J’ai pu ouvrir chaque tiroir, chaque
carton de son bureau et faire tourner la photocopieuse sans le réveiller. J’ai
tout rincé, ses comptes, ses dossiers, ses impôts, son téléphone portable, son
carnet d’adresse, ses papiers d’identité, ses cartes bancaires, ses chéquiers.
Une heure plus tard, il dormait
toujours, mais il allait bien, la respiration un peu nasillarde. Je
photocopiais tout ce qui me passait sous la main, les clients ont commencé à
arriver sous nos pieds mais nous n’avons pas été dérangés, conformément à sa
demande.
Ensuite j’ai allumé son ordinateur,
il n’y avait même pas de mot de passe. J’y ai trouvé un planning pas du tout
professionnel, l’accès à ses mails, son historique de connexion, des dossiers
marqués « Confidentiel », des textes improbables, beaucoup d’images
et de vidéos, certaines faites par lui-même et qui, à mon avis, pourrait en
faire marrer plus d’un.
J’ai tout mis sur une clé et j’ai
ajouté un mot de passe.
Quand j’ai eu fini, j’ai pris soin
de tout remettre en ordre derrière moi, chaque chose à sa place.
Alors seulement je me suis
rhabillée, avec ma vieille tunique et mon vieux caleçon, j’ai pris dans mes
bras la pile très conséquente de papier - j’ai bien dû passer trois ramettes
complètes - j’ai déverrouillé la porte de son bureau et j’ai pris la sortie de
secours.
FIN
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