Bob le Blob

Encore une passion que je n’explique pas. À la base, j’en avais marre d’entendre ma fille réclamer des produits diversement dangereux et/ou coûteux pour fabriquer son slime. C’est sa passion à elle que je n’explique pas, avec les chatons et les « vidéos satisfaisantes ». Mais je suis comme ça moi, je m’informe et je négocie. En tapant « slime » sur ton moteur de recherche et en cherchant longtemps tu trouves des trucs. C’est comme ça que je suis devenue l’heureuse propriétaire d’un Blob.

C’est quoi ?

AKA le slime vivant, encore nommé slime mold (moisissure visqueuse) en anglais et Physarum Polycephalum en grécolatin. Ce sont les scientifiques qui l’ont étudié qui l’ont appelé « Blob », en référence au film de 1958 du même nom (avec Steve McQueen jeune) et parce que ça lui va bien.

Il faut dire que l’énergumène étonne : il possède de nombreuses caractéristiques qu’on ne retrouve habituellement pas ensemble chez un être vivant…

- C’est un eucaryote, comme les cellules qui te composent, mais ce n’est pas un champignon, ce n’est pas une plante, ce n’est pas un animal : c’est un amibozoaire. Un de nos plus anciens cousins. De la classe des myxomycètes, on en trouve plus de mille espèces différentes sur toute la planète (c’est-à-dire des individus appartenant à la même classe mais avec autant de différences qu’entre vous et une vache).

- C’est un être unicellulaire mais avec plusieurs noyaux ; une cellule unique qui peut atteindre 10 m². Il n’a donc pas de cerveau, ni aucun organe.

- Il possède 221 sexes / genres différents et ça ne pose de problèmes à personne.

- Il peut anticiper des évènements cycliques (températures). Il se déplace, de 1 à plusieurs centimètres par heure, grâce au cytoplasme (nutriments et vitamines) qui circule dans ses veines protoplasmiques. Il crée des réseaux ultra performants, résout des labyrinthes les doigts dans le nez.

- Il sécrète un mucus qui lui sert de mémoire pour savoir où il est déjà passé.

- Si tu le coupes en deux tu as deux blob. Si les deux moitiés se recroisent, elles refusionnent, tout ça sans douleur ni cicatrice.

- Il sait ce qui est bon pour lui : il a des préférences alimentaires qui amusent tout le monde (il n’aime ni le sel ni l’amertume, ni la saucisse de Francfort mais il aime la banane). Tu peux lui apprendre à aimer ce qu’il n’aime pas et il pourra apprendre à son tour aux autres Blob, en fusionnant avec eux, à aimer ce qu’ils n’aiment pas. Pour faire ça… il se gorge de la substance en question (s’il n’a pas le choix, hein, par exemple s’il ne peut passer que par là) et bim, il la tolère. Ça marche avec du café, du sel ou des pesticides. Mais ensuite, remis dans des conditions plus favorables il « vomit » tout (entend qu’il dégorge) parce qu’il sait toujours qu’il n’aime pas ça et si on lui donne le choix, hein, faut pas pousser.

- Ça en fait la coqueluche des labos, parce qu’en plus il est facile à vivre. Il se cultive facilement in vitro, ou même chez vous dans une boîte, sur une couche d’agar-agar (il a besoin d’humidité). Il faut alors le nourrir tous les jours. Il adore les flocons d’avoine. Il double de taille chaque jour, ça fout un peu les jetons. Il faut le découper et le transplanter régulièrement pour lui garder une taille gérable. L’exemplaire que j’ai reçu vit ainsi depuis 70 ans en laboratoire…

- Il n’aime pas la lumière : il craint les UV, qui peuvent le tuer. C’est à l’ombre, par une température de 25°C qu’il s’épanouit le mieux.

- Si tu fais sécher un vieux Blob, il se réveillera jeune.

Bref, ce petit génie sans cerveau a déployé toutes sortes de stratégies pour avoir l’air intelligent, dont certaines astuces qu’on n’a pas encore comprises : par exemple, comment fait-il pour sentir ? Cette façon qu’il a de se jeter sur la nourriture en droite ligne ne peut pas vous laisser croire qu’il évolue au hasard : il sent et se dirige. Sans nez, sans réseau nerveux, sans cerveau.

Je sais pas si on perçoit mon enthousiasme ?

Dans la première vidéo ci-dessous, un joli récap. À la suite, une passionnante conférence d’Audrey Dussutour, la spécialiste française du Blob et autrice de « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Blob sans oser le demander », avec moult détails.

Pour quoi faire ?

Je vais être honnête avec toi : le Blob n’est pas mignon comme un chaton, pas fidèle ou affectueux comme un chien, pas beau comme un poisson, il ne chante pas comme un oiseau, ne fait pas de grimace de singe… il est dégueu et vit dans une boite de Pétri. C’est-à-dire qu’éventuellement si tu es chercheureuse au CNRS ou que tu es / as un ou une enfant, ça peut le faire.

Un Blob, ça s’observe essentiellement, et ça s’entretient. Il a une espérance de vie illimitée, il dessine de jolies arabesques sur sa couche d’agar-agar, il aime le fructose et ne fait aucun bruit, n’a pas de puces et ne perd pas ses poils, ce qui, à mon avis, surpasse tous les chiens, chats, singes, poissons et oiseaux qu’on voudra bien mettre en concurrence avec lui. Bref, si tu aimes les animaux mais pas chez toi, le Blob est pour toi.

Un blob chez moi ?

Mais oui, faire pousser une moisissure dans un carton sous l’évier ou dans un placard dans la chambre des enfants, qui n’en a pas rêvé ?

Audrey Dussutour te fait un topo là :

Que je récapitule de suite.

Il te faut :

- 1 blob : tu peux acheter des sclérotes (un Blob séché) en ligne auprès des laboratoires Sordalab, qui se feront aussi une joie de te vendre le matériel nécessaire, boites de pétri, flocons d’avoines aseptisés et couche de culture pour une quarantaine d’euros. Sinon, je veux bien troquer avec toi quelques sclérotes, j’en ai tout plein en réserve !  Et si tu es vraiment patient·e… tu peux en chercher un dans la nature, Audrey Dussutour te dis comment faire dans la vidéo ci-dessus.

- Des boites de Pétri : une demi-douzaine pour un élevage simple, des dizaines si tu veux te lancer dans la production de masse…

- De l’agar-agar : ce sera son milieu de vie, c’est tout simple à préparer et ça sent bon les algues.

- Des flocons d’avoine : sa nourriture de base mais tu peux essayer d’autres trucs : les épluchures de pomme de terre, la carotte, la polenta…

- Un genre d’emporte-pièce pour découper le blob, faut que ce ne soit pas plus gros qu’une pièce de 1 euro, moi j’utilise le bouchon en plastique d’une fiole d’huile d’amande douce.

Tu as tout ce qu’il te faut ? Tu peux maintenant préparer un milieu de culture.

Préparer ses boites de Pétri

Dans une casserole, verse un grand verre d’eau (environ 10cl) froide, puis jettes-y la moitié d’un sachet d’agar-agar (environ 2g). Remue avec une cuiller en bois jusqu’à dissolution de la poudre puis porte à ébullition. Remue encore et éteins le feu.

Laisse refroidir quelques instants (pas trop, il ne faut pas que ça fige) puis répartit le liquide obtenu dans 5 ou 6 boites de Pétri (environ à la moitié de chaque boite). Laisse durcir.

Conserve tes boites au frigo, une petite semaine maximum (au-delà des champignons s’y développent qui vont faire du mal à ton Blob). La boite que tu utilises pour faire pousser ton Blob peut rester quelque jour dans un endroit frais, sec et aéré, dans l’obscurité.

Tu peux aussi faire pousser ton Blob sur du Sopalin humide mais c'est nettement moins pratique pour changer sa litière...

Okay, tu es prêt·e à réveiller le Blob !! Il sera tout beau, tout neuf et tout frais.

Réveiller le Blob

Dépose le papier sur lequel se trouve la sclérote sur une préparation d’agar-agar, puis mouille-le de quelques gouttes d’eau. Dépose quelques flocons d’avoine à quelques centimètres de lui (mais surtout pas sur lui).

Quelques heures plus tard, il est réveillé et il a faim !! Tu peux dès maintenant le regarder se ruer sur les flocons d’avoines à la vitesse d’un centimètre par heure !!!

24 heure plus tard, le Blob vit sa vie, il a quitté le papier que tu peux retirer pour qu’il ne moisisse pas sur la couche d’agar.

Souviens-toi que les moisissures ne sont pas les amies de ton Blob, sa boite doit rester propre sinon tu contamineras toutes tes cultures…Il faut également le nourrir… tous les 1 ou 2 jours sinon… il quittera sa boite. Et souviens-toi qu’il double de volume chaque jour.

Nourrir le Blob

Rien de compliqué : il suffit d’ajouter des flocons d’avoine chaque jour dans sa boite à côté de lui (jamais sur lui). Tu peux l’aider en humidifiant ses flocons de quelques gouttes d’eau.

Tu peux essayer d’autres sortes de nourriture pour découvrir ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas.

Si tu veux le voir grandir, il faut non seulement lui donner toujours plus à manger, mais il faut également le transférer dans une nouvelle boite, toute propre. Au début tu vas transférer un petit bout d’une boite à l’autre avec l’emporte-pièce, puis tu pourras découper des morceaux de plus en plus gros.

Transférer le Blob… et le faire grandir

Pour lui garder une taille raisonnable tout en gardant sa boite propre, on découpe avec l’emporte-pièce un petit bout du Blob, que l’on dépose dans un trou que l’on a fait avec le même emporte-pièce dans une nouvelle boite. On lui donne une nouvelle ration de flocons d’avoine et le tour est joué.

Mais si tu veux avoir un gros Blob, il faut lui donner… plus de flocons. Le premier jour tu en remplis un quart de la boite, et le second tu remplis le reste de la boite … Le Blob va s’étendre sur les flocons. Quand il a rempli toute la boite, tu en coupes la moitié… que tu déposes dans une nouvelle boite. Tu remplis la moitié vide… il l’aura entièrement colonisée le jour suivant. Et ainsi de suite.

En transférant ton Blob, tu vas te rendre compte que tu vas devoir en jeter de grandes quantités. Qu’en faire ? Je n’ai pas trouvé d’avis unanimes sur la question. Certains tuent les souches à la javel avant de les jeter à la poubelle mais c’est moyennement nature friendly… Tu peux aussi les mettre à la poubelle vivant mais attends-toi à ce qu’il en colonise l’intérieur… Ou encore le jeter dans ton compost. C’est la solution que j’ai retenue dans la mesure où je n’ai pas entendu dire qu’il avait une quelconque forme de nocivité pour son environnement ou les autres espèces vivantes. D’ailleurs, je ne l’ai jamais revu.

J’ai déjà tué mon Blob… par exemple quand je me suis fait hospitaliser 4 mois durant : sa couche de culture a pourri, il a été envahi par les champignons et n’a pas été nourri… jusqu’à ne ressembler qu’à un vieux fond de soupe abandonné dans l’évier d’un·e célibataire. C’était moche… mais comme j’avais produit des sclérotes par dizaines, je n’ai pas perdu mon Blob et j’ai pu relancer une nouvelle culture. C’est en cela que le Blob est immortel. Et c’est ce que je te conseille de faire pour ne pas perdre ton Blob en cas de coup dur.

Endormir le Blob pour former des sclérotes

Tu découpes tout simplement un petit morceau de ton Blob avec l’emporte-pièce et tu le déposes sur un papier absorbant, type filtre à café découpé à la taille d’une boite de Pétri. Tu peux faire ça avec plusieurs morceaux de Blob pour produire plusieurs sclérotes mais n’en mets qu’un par boite.

Stocke ces boites dans un recoin calme, noir et pas trop chaud de ta cuisine ou de ta chambre et n’y touche plus. Plus du tout du tout. Pendant au moins 1 semaine. Laisse-le complètement sécher.

Après un bon moment, la souche de Blob s’est un peu baladée sur le papier, a constaté qu’il n’y avait rien à manger (il est peut-être même sorti de sa boite) puis s’est ramassée dans un coin du papier en formant un petit tas plat et granuleux jaune foncé : une sclérote. Félicitations.

Découpe le papier autour de la sclérote et tu peux les stocker pendant une ou deux années.

Si tu es un·e enfant, nul doute que tu vas t’amuser. Si tu es un·e adulte et que tu t’amuses quand même, je te félicite !!