Des armes



On en voit tous les jours, dans les mains d’insurgés, de nos GI, de nos flics, dans les films bruyants, les jeux vidéos… Elle provoque chez nous ce petit frisson qu’on accorde à ce qui nous dépasse : « Wouah, ça tue ! »

Découvrons ensemble cette chose qui a injecté l’esprit du taylorisme dans le meurtre de masse.


Observons cet objet.

La première chose qu’il faut en dire, c’est que ça a de la gueule. En soi. C’est lourd, c’est solide, c’est de la mécanique de pré-ci-sion. Sais-tu à quel point d’ailleurs ?

Source : forum France Airsoft


Ceci est un « éclaté », du Desert Eagle, un pistolet mythique, parce qu’il a été le premier à tirer la cartouche .357 Magnum, une qui lui fait un très gros trou dans le cul sans te faire trop mal au bras (relativement). Si tu veux, tu peux le chambrer avec de l’encore plus gros calibre. Aucune armée d’état ne l’utilise, quoiqu’on lui prête des affinités avec Israël (un complot de plus, certainement) : trop gros, trop lourd, too much. C’est une arme « pour la frime », pour les tireurs sportifs, Lara Croft, les chasseurs ou les membres de gang qui veulent envoyer du lourd.

En fait, c’est carrément un tromblon, qui vous arrache l'épaule et vous éjecte ses douilles à la gueule. Allure agressive, faible capacité de chargement, c’est une vraie arme de collection qui fait vraiment peur et qui tue pour de vrai.

Une arme est avant tout un objet technologique, ce qui lui confère une « âme », un certain prestige. Je me souviens d’avoir fait un topo sur le blog précédent, sur le trajet d’une balle dans un pistolet. Ceci pour vous convaincre que ce genre de joujou, c’est du Meccano niveau 12 :


1 balle, 2 douille ou étui
3 charge propulsive, 4 culot, 5 amorce












Mon index enfonce la queue de détente. 
Un ressort vient informer le mécanisme suivant (chien, percuteur) qu’il doit vivement réagir… au final, le percuteur s’abat sur le cul de la munition, là où se trouve l’amorce, qui met à feu la poudre de ladite… ce qui propulse la balle hors de son étui. L’onde de choc est palpable. Avec le recul déjà, vos doigts, votre poignet, votre coude et vos épaules absorbent le choc l’un après l’autre, parce que c’est sur eux que la balle pousse pour partir très très très vite [350 m/s]. 
L’arme recycle l'énergie ou les gaz de l’explosion pour ouvrir la culasse et éjecter la douille (l’étui). La culasse revient immédiatement en place en engageant une nouvelle balle au passage.

En fait, c’est simple. Mais fallait y penser. Une arme est un objet qui utilise des lois physiques fondamentales, élémentaires et incontournables, de type action/réaction, E=MC², mécanique des fluides etc. des trucs que je ne maîtrise pas vraiment mais pour lesquels j’ai beaucoup de respect quand même.

C’est un peu comme une grosse voiture, un beau bijou ou une montre suisse : ça coûte cher, c’est beau, c’est audacieux, c’est la preuve du génie humain !

Premier constat, donc : une arme est un (bel) objet.

Observons ses intentions : une arme, c’est bien ou mal ?

Ah ben du coup, non, hein.

C’est d’ailleurs le premier argument en faveur de l’usage civil des armes, et tous les amateurs d’armes vous le diront : c’est juste un objet, ça ne peut pas être mauvais en soi, un objet.

J’ai découvert dans le monde du jeu vidéo un concept qui illustre très exactement ce point de vue.

Il s’agit d’un jeu en développement, SCP Containment Breach, ( SCP pour « Sécuriser, Contenir, Protéger ») dans lequel le joueur progresse en survivant à toutes sortes de rencontres avec des objets ou des êtres paranormaux. Pour cela, il doit confiner les menaces dans des conteneurs adaptés à la dangerosité de l’objet rencontré. Il y a trois principaux niveaux de menace : Sûr, Euclide, Keter. Je laisse les aficionados vous définir ces trois notions :

Sûr 
Les Objets de type Sûr sont aisément mis en quarantaine et facilement étudiés. Cependant, même les Objets Sûrs peuvent présenter un danger s'ils sont mal manipulés. Les Objets Sûr peuvent être consultés par tous les membres du personnel avec une autorisation d'accès du SCP de niveau 1. 
Pour l'ensemble du personnel de la Fondation SCP : s'il vous plaît, notez que même les objets de classe Sûr sont capables d'infliger d'importantes blessures ou peuvent provoquer la mort s'ils ne sont pas traités correctement. 
Renseignez-vous sur toutes les procédures de confinement et les protocoles avant d'accéder à n'importe quel objet SCP Sûr. 
Euclide 
De par leur nature dangereuse, les Objets de classe Euclide ne sont pas facilement mis en quarantaine et encore moins étudiés. Le confinement d'Objets de classe Euclide est difficile ou peu fiable, et ils peuvent constituer un danger pour tout le personnel lors de leur manipulation. Les Objets peuvent être classés comme Euclide si les propriétés de celui-ci se comportent en violation des lois physiques, ou si l'objet répond à des stimulis de façon erratique. 
Les Objets de classe Euclide peuvent être rétrogradés à « Sûr » si une meilleure compréhension de leurs propriétés est atteinte, ou déplacés vers le niveau « Keter » s'il y a une menace systématique envers le personnel, ou une incapacité à établir une mise en quarantaine fiable. 
Keter 
Les objets de classe Keter sont les objets les plus dangereux et sont actuellement désignés par la Fondation comme « objets de nature hostile à toute forme de vie ». Ils sont impossibles à maintenir en quarantaine de façon fiable. Les objets de classe Keter sont contenus dans de grandes difficultés, et ne peuvent être manipulés que par le personnel de catégorie Delta ( D ), sauf dans des circonstances particulières. Ces Objets sont soit d'une immense valeur stratégique militaire si un contrôle de cet objet peut être établi de manière fiable, soit ne peuvent pas être détruits par des moyens conventionnels. 
En raison du danger des objets de classe Keter, tout le personnel doit se renseigner sur la documentation disponible sur ces Objets et particulièrement les procédures de confinement avant d'effectuer des recherches sur lesdits Objets.

Une arme, dans ce jeu, à moins qu’elle ne soit, faisons une hypothèse, curieusement enrayée (elle serait Euclide) ou possédée par le démon (Keter), est un objet SÛR.

Tu vas me dire que c’est juste un jeu sorti d’un esprit malade, mais je te ris au nez. C’est exactement la logique qui anime le militantisme pro-armes. Une arme, c’est comme un chien : il n’y a que des mauvais maîtres. S’il est bien dressé, il garde la maison. C’est l’idée.


Tu vois, une arme, c’est mieux que BIEN : c’est un objet BON, les héros, les casques bleus et les gardiens de la paix en portent. Et on pourrait même ajouter que le premier chasseur, celui qui a transformé le singe en humain, a commencé sa carrière en affutant son javelot. Et toc.

On peut aller encore plus loin, on ne se gêne pas pour le faire, et affirmer que les armes ne tuent que ceux qui n’en ont pas. En vertu de quoi, ça devrait être obligatoire. Paf.

Voilà, on peut facilement se convaincre du bien-fondé de l’existence des armes à feu : c’est beau, c’est bon, c’est bien.

Il suffit juste de faire abstraction que ça sert à tuer.


Concluons : c'est de la merde

Nous tolérons tout naturellement que nos policiers, nos soldats, nos chasseurs soient armés. Un peu moins nos délinquants mais ça c’est autre chose. Nous avons besoin d’armes. Pour défendre les banques, pour tuer la viande, ou pour se détendre le dimanche. Même si nous n’en avons jamais utilisé, même si nous ne comptons jamais le faire, chacun d’entre nous admet comme une évidence leur existence et leur usage.

Et bien je ne suis pas d’accord.

En matière de valeurs humaines, je propose qu’on mette le taquet toujours aussi haut que possible, que l’on s’accorde l’absolu, la totale, la croyance ferme et entière qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire.

Ces choses qu’on ne peut pas faire, évidemment, sont fondamentales (j’entends par « fondamentales » que dessiner des prophètes n’en fait pas partie) et attachées à des valeurs non moins fondamentales : la vie, l’intégrité physique, la propriété. Ces actes qu’on ne peut pas faire sont tuer, violer, voler, pris au sens large de leur appréciation.

Ces trois interdits me paraissent fondamentaux et universels. J’ai envie de pinailler pour la propriété, mais on s’en fout, celui-ci est hors-débat.

Une arme sert essentiellement à accomplir les deux premiers de ses actes qui me semblent sainement inconcevables. Tuer, menacer, blesser et ainsi s’offrir toutes sortes de nouvelles possibilités jouissives extorquées sur la liberté de vivre d’autrui, si ce n’est pas le but premier de celui qui lève une arme, c’est son second.

Des millions et des millions d’armes (875 millions selon Amnesty International en 2012) circulent à travers le monde. Leur commerce est des plus opaques, ce qui à la fois s'explique par et en ajoute à cette immoralité intrinsèque. Ce sont des animaux infidèles : elles passent de mains en mains, servent une armée puis une autre, se retournent contre leurs propriétaires. Leur industrie et leur utilisation est lourde, polluante, mais Ô combien rémunératrice, si l’on sait entretenir un état de guerre permanent.

N’en jetez plus. Cet objet tire l’humanité vers le bas, carrément. Il autorise par sa simple existence des monstruosités qui te glacent à 20 heures dans le journal, mais te divertissent sur grand écran. Tu oublies, tu t’habitues, tu sais bien que le monde tourne comme ça. Le meurtre est un non-évènement. On n’est pas des bisounours, quoi.

Revenons au Desert Eagle : certes c’est un objet, il n’a pas d’intentions propres, mais il a été construit dans un but, je me demande donc : quelle est sa raison d’être, si ce n’est de provoquer une mort violente de manière spectaculaire ? Est-ce que c’est pas un tout petit peu un problème ?

Enfermée dans une boîte, une arme, pistolet, revolver, fusil, mitrailleuse, bazooka, char, ne serait un danger pour personne. Il suffirait juste qu’un mec qui n’a pas croisé le bon calibre de munitions n’ouvre pas la boîte. Fastoche.

Quand tu as juste une toute petite idée de la quantité d’armes acquises légalement ou illégalement de par le monde, tu sais qu’un type a déjà trouvé le bon calibre de munitions et cherche activement la boîte. J'ai regardé Lord of War (Andrew Niccol, 2005) merci. On n’est pas des bisounours.

On hurle au loup, en ce moment, concernant des livres brûlés, des statues millénaires abbatues... en disant que "quand on brûle les livres, on brûle les humains", oui, mais oh, eh, nous, on fabrique des armes, et quand on fabrique des armes, on est comme à deux doigts de brûler de la cervelle tout pareil. Après le topo "voyage d'une balle dans un pistolet semi-automatique", on pourrait faire "voyage d'une balle dans ton corps".

C’est pour ça qu’il faut interdire les armes. Parce qu'on n'est pas des bisounours !

En vérité, je crois que les armes sont tombées dans les pires mains qui soient : celles des hommes blancs, puis celles des fous. C’est un objet conçu pour les fous : il demande un contrôle de soi au plus haut degré, mais il sert à assouvir la colère, la pulsion, à affronter le danger, l’inconnu.

J’ai fréquenté pendant quelques temps un stand de tir, j’ai dézingué de la cible et vidé du chargeur avec assiduité pendant quelques mois. Juste quelques mois, parce que les gens rencontrés sur le pas de tir avaient le cerveau cramé par leur fascisme.

Pour autant, je me souviendrai toujours du sentiment de puissance que l’on ressent à utiliser cette chose. C’est, je le pense intimement, sa raison d’être. Et je la combat.

Je suis prête à arrêter de tuer mon prochain : je suis contre la fabrication d’armes à feu, de poing, légères, lourdes, nucléaires ou tout ce que tu veux, destinées à tuer autrui.

J’ai envie de conclure avec un film, histoire d’imager mon propos concernant les petits blancs qui seraient de vilains maîtres.

Attention. Vous êtes dans la Killzone.



Killzone USA États-Unis, la loi des armes
de Helmar Büchel pour ARTE


Le documentaire analyse le phénomène des tueries de masse (le plus souvent perpétrées dans des lieux où les armes sont interdites) en lien avec la législation sur les armes à feu aux USA ; petit extrait :


« Il ne s’agit pas simplement d’un meurtre de masse, mais de suicide par meurtre de masse. Les tueurs s’identifient aux héros de films d’actions américains, qui se sacrifient, auréolés de gloire, dans une explosion et ne laissent aucun survivant derrière eux.

Le sociologue Michael Kimmel étudie ce phénomène depuis des années. Il a forgé le concept de « l’homme blanc en colère ». Un profil d’hommes généralement jeune, qui vivent pour la plupart loin des grandes villes, et qui fréquentent des écoles à majorité blanche, où tout individu qui ne correspond pas aux critères classiques de la masculinité est bien souvent victime de harcèlement.

Les tueries de masse des 15 dernières années montrent que les forcenés sont non seulement en colère, blanc, et de sexe masculins, mais qu’ils souffrent bien souvent de troubles psychiques. »

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