Johnny Boy : reckoning song

Shusaku Takahoka


Quand je dis « demain », c’est un euphémisme pour dire « plus tard, le temps d’aller en enfer et de revenir », okay ?

J’ai recommencé 106 fois cet article. D’abord j’ai essayé de vous parler de la relation que j’avais avec Johnny Boy et maintenant j’essaie de vous parler de la relation que j’ai eue. Si c’était si difficile pendant et si compliqué après, c’est parce Johnny Boy et moi on a été très occupés à jouer au marchand de monnaie de singe.

Je vais te la faire aussi fast et pas trop furious que possible.



Pour rappel : 2016, année pas marrante (un peu comme 2015, 2014, 2013 et 2012 avant elle), j’ai un karma en béton tu sais. En janvier de cette année-là, je suis placée en congé de longue maladie depuis déjà un an, je me suis fâchée très fort avec à peu près toute ma famille, on s’est reniés, je me suis retrouvée à la rue deux fois et je reste cramponnée à l’idée que je vais finir par trouver le micro-logement à la hauteur de ma précarité, je fais 400 bornes par semaine pour assurer la garde de ma fille, mon frère aîné se plante un couteau dans le cœur en m’accusant des pires horreurs, je gère son placement en psychiatrie et je suis récupérée avec ma fille par ma meuf sûre, nous l’appellerons Ma Chérie, dans une grande maison en pierre qu’elle partage avec des chats. C’est ma vie, je ne me débine pas, je fais tout ce que je peux pour donner forme à un monde dans lequel j’accepterais de vivre, je cherche à poser les actes créateurs qui structureront tout ce bordel et échapper au suicide, pitié. Je pense à ma fille, à un travail, un toit, une santé, des relations humaines, juste les basiques qui me manquent. Bah, c’est là, en 2016, dans cette maison en pierre pleine de chats, que tout ça a eu lieu, essentiellement grâce à Ma Chérie : j’ai écrit, dessiné, suivi des formations depuis la chambre qu’elle m’a donnée, j’ai rencontré des gens et elle m’a tenu la main pour sortir de temps en temps de mon labeur, je suis doucement devenue bénévole dans l’association culturelle où elle officiait déjà et où j’ai rencontré Johnny Boy. C’est Ma Chérie qui l’a mis dans mon viseur.

 
Si tu as besoin d’une chronologie de nos débuts, c’est par là, il faut juste intégrer que ces articles ont été rédigés plusieurs mois après les faits qu’ils décrivent :





J’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas y aller par quatre chemins avec lui. Ça donne des discussions un peu denses et angoissantes où je parle de MST, d’échangisme et de dépression nerveuse. Je fais ça pour ne surprendre personne, pour faire le tri - souvent ils s’enfuient vite vite - et pour montrer l’exemple : parler c’est chercher à se connaître, il n’y a pas de sujets qui ne puissent être abordés et le sexe est LE sujet qu’il faut aborder. J’ai commencé des mois avant de sortir avec lui. Il m’a envoyée paître deux fois, c’est marrant cet entêtement que j’ai eu dès le départ, tiens. On a quand même fini dans les bras l’un de l’autre le 16 décembre de cette année-là. J’ai exprimé mes envies, mes besoins et mes limites avant qu’on aille plus avant (c’est un euphémisme pour dire baiser) et puis je l’ai invité à faire pareil. Ça donnait ça :

- il m’a expliqué qu’il ne cherchait pas à s’engager ou se poser, qu’il avait tendance à se lasser, à mettre des mois, voire des années à quitter une fille, et puis aussi qu’il n’aimait pas les engueulades. Qu’il était trop une « pâte à modeler ». Ça faisait très « préparation de ma future fuite sans que ça te surprenne ou te déçoive puisque tu es prévenue », c’était bizarre…

- moi, j’ai dit que je cherchais un partenaire amoureux stable sans qu’on se mette à la colle pour autant, je l’ai prévenu que j’avais besoin d’un mec autonome, que je n’étais pas la domestique qui s’occupe automatiquement des repas et des lessives, que je ne supportais pas les bobards et que j’avais un passif qui me rendait prompte à la méfiance. Que j’avais l’air d’être gentille là comme ça, mais que je pouvais devenir un truc assez hargneux à l’opposé de la pâte à modeler. Ça faisait très « Tu vas en chier mec, te voilà prévenu », c’était bizarre aussi.

C’était bizarre, mais du coup c’était honnête (d’ailleurs TOUT s’est vérifié). J'émettais quelques conditions qu'il était tout à fait libre de refuser ou de négocier. Quelques jours après le Match Point, on avait un jeu de règles que voici. Il y a les règles sur lesquelles on est tombés tout de suite d’accord et celles sur lesquelles j’ ai bien insisté.


On n’est pas un « couple »

Chacun.e garde une certaine liberté sexuelle

À condition d’en parler

À condition de se protéger

Et à condition que ce ne soit pas trop souvent

Chacun.e a ainsi la possibilité de se dégager de la relation si elle ne lui convient pas

Et ça ne doit pas être un drame


Ensuite, c’est devenu compliqué. C’est impossible de démêler les choses en quelques mots. Pendant que j’étais prise dans la relation, j’étais incapable de la décrire et de vous en parler ici, c’était déjà trop la galère de savoir quoi avec lui. Dans les mois qui ont suivi la rupture, c’était difficile aussi parce que je ne comprenais toujours pas ce qui s’était passé, ça me paraissait périlleux de discuter de choses floues qui ne concernent pas que moi et puis je ne trouvais pas d’angle d’attaque, comment raconter notre histoire ? Je voulais que ce soit sincère et constructif, pas juste un lâcher de hargne. Mon avis, c’est qu’on a toujours tous les torts, on est toujours lae premiere à la manœuvre pour se mettre dans des situations de merde. Même si je vais passer un peu de temps dans les jours à venir à vous dire que Johnny Boy a eu tort, qu’il a fait de la crotte et que je lui en veux beaucoup, il faut bien sûr comprendre que j’ai fait n’importe quoi. En relisant ma petite liste de règles, ci-dessus, je me suis dit que c’était valable comme schéma narratif, ça permet d’apporter la chronologie qui va bien d’abord (notre non-couple), les détails qui comptent ensuite (le cul) et de conclure intelligemment (la séparation). J’ai l’intention d’être très précise, de livrer des introspections sincères et même des extraits d’échanges SMS. Je vais rattraper le temps perdu les enfants ! Je me rends bien compte que je n’ai moi-même vécu qu’une partie de l’histoire que Johnny Boy a vécue : il a gardé beaucoup de choses pour lui et je ne sais pas à quel point les histoires qu’il a vécues ont pesé dans notre histoire à nous. Inversement, je ne sais pas à quel point notre histoire a joué dans ses histoires à lui, mais a priori c’est pas brillant. Je ne peux pas savoir non plus ce que Johnny Boy voulait dire quand il utilisait de la monnaie de singe, j’en suis venue à beaucoup douter de sa parole. Je ne peux pas savoir mais… je tiens un journal et je suis en mesure de dire ce qui m’est arrivé. Je vais donc raconter les choses comme je les ai perçues, ce qui est un peu différent de la manière dont elles se sont passées vraiment. Il m’a fallu des jours d’écriture, de relecture et de ré-écriture, Johnny Boy l’a lue et l’a commentée, ça n’est pas la sienne non plus, il en raconterait sûrement une autre (et j’adorerais la découvrir) mais voilà, c’est mon histoire de notre histoire.


Une chronologie de nos sentiments, mais aussi de notre vie commune.

La chronologie de nos aventures en polyamour.

Le premier truc qui a coincé.

Le deuxième truc qui a coincé.

Le troisième truc qui a coincé.

Comment ça a fini par se finir.

Et enfin comment ça n’est pas tout à fait fini.




Et ça commence demain, avec le premier chapitre : On n’est pas un couple.


(tu te souviens ce que j’entends par « demain », hein ?)

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