Johnny Boy : prémisses et rencontre






Ouhla ! Ça prend la poussière par ici ! Je vais ouvrir portes et fenêtres et faire rentrer de l’air frais dans les jours à venir. Et je vais même commencer tout de suite : je t’ai promis de te parler de Johnny Boy. C'est le mec que je suis avec.

C'est peut-être rapport à mon innocence (ah ah) que j'ai perdue maintenant que je suis grande (j'ai pas tout perdu je te rassure, je me suis encore trouvé de beaux restes de naïveté il n'y a encore pas si longtemps), mais elle a été étrange à nouer cette relation. J'ai rarement été aussi lucide et ça a rarement été aussi compliqué. Je voulais une relation sur-mesure et le plus long, bah, ça a été de prendre les mesures... 

J'y suis arrivée quand même.
Blanche neige - Franz Jüttner (1905)



Prémisses

Tu te souviens? J’en étais là, coincée au milieu de mon échelle de l’engagement, entre la peur de redescendre et celle d’aller plus haut, toute frustrée d’avoir autant de sexe que je voulais, mais pas un gramme d’amour à palper réellement, à me demander cékoilamouraufon ? Je voulais convoler, mais je commençais à me dire qu’il n’y avait peut-être pas chaussure à mon pied parce que je me faisais des idées 1) sur mes pieds 2) sur les chaussures qu’il me faut (merdique cette métaphore). Et si je me vautrais dans le fantasme, dans cette recherche d’un homme qui n’existe peut-être pas ? Et si j’allais au-devant d’une chimère ? Je vous fais un portrait de la chimère ?



Le Prince Charmant de Volu

Les indispensables :

- Célibataire
- Instruit
- Expressif
- Spirituel
- Tolérant
- Curieux
- Autonome
- Connaît le clitoris
- Ni fidèle ni jaloux
- Patient

Les subsidiaires :

- Danseur de claquettes (level Fred Astaire)
- Musicien
- Poète (test de l’alexandrin)
- Gros lecteur
- Brun, yeux marron
- Pas trop plus grand / petit / gros / maigre / vieux / jeune que moi
- Amateur de cunnilingus


Les rédhibitoires :

- Raciste
- Machiste
- Violent
- Alcoolique
- Bourgeois
- Pudibond
- Menteur
- Religieux / politisé


Le roi grenouille - conte de
Grimm, illustration
de Walter Crane
En regardant bien, on se rend compte que c'est un peu le négatif (hyper positif) de mes déboires amoureux passés.

Rien d’odieux, je crois, je cherche quelqu’un qui me ressemble et je veux être sa régulière. Je sais bien que ce sera sur les points d’altérité que ça va être marrant. Et aussi qu’être la régulière d’un mec pas fidèle, ça s’appelle un challenge.

Je me mets à la place des hommes de mon entourage : à peu près personne n’a envie de passer sous des fourches caudines aussi… féministes. Je ne veux pas vraiment être en couple, je ne veux pas être un plan cul, je veux partager du quotidien, mais pas tous les jours, je ne veux pas faire d’enfant, je ne veux pas vivre avec lui, je ne veux pas prendre la pilule, je ne veux pas être fidèle, je ne veux pas qu’il le soit, je ne veux pas qu’il me mente, je ne veux pas avoir à le faire, je ne veux pas faire de promesses ni en entendre, je ne veux pas qu’il m’attache et je ne veux pas qu’il me fasse tourner en bourrique ; le tout avec amour. Ça promet de chaudes discussions avec l’insouciant qui tente sa chance avec moi. L’expérience m’a prouvé qu’il fallait des heures sur des jours de discussion assidue pour commencer seulement à comprendre un peu à qui vous parlez (cf point n°3 de ma Charte : je ne veux pas coucher avec des inconnus). Il m’en faut pas mal pour sortir l’inconnu de l’unknwon-zone et encore plus pour le mettre dans mon lit (frontières peu perméables). C’est un trekking que j’attaque à chaque fois, avec la motivation de Blanche-Neige (rapport au nombre de ses prétendants et le mal qu’elle a forcément eu à choisir - mais qui en parle ?), la patience de la Belle au Bois Dormant (.) et les méthodes d’un agent du FBI sur la frontière mexicaine.


Sleeping Princess - Viktor Vasnetsov (1926)

Blanche Neige - Franz Jüttner (1905)
J’aimerais pouvoir dire, tel bouddha (euh), que tout vient à point à qui sait attendre mais seulement voilà, saison après saison, petit scarabée, je constate que les hommes que j’aime, ça pousse pas dans les choux en été, ça tombe pas des arbres à l’automne et ça fleurit pas dans les crocus au printemps. Non. Ça se plante au bon moment, au bon endroit, ça s’arrose régulièrement et ça s’observe longtemps. D’ailleurs, j’ai fini par conclure en plein hiver et c’est pas arrivé par hasard ! Il a fallu ramer des jours en pleine nuit. J’aurais même pu le rater, c’est ce que je me dis avec le recul. Pas à cause de mes impitoyables exigences - qui ne sont pas si impitoyables, d’ailleurs - plutôt parce qu’elles ont été compliquées à exprimer. Aujourd’hui, il répète souvent « je m’attendais pas à ça »…


Rencontre

Blanche Neige - Franz Jüttner (1905)
Notre première rencontre a lieu en avril 2016, dans une salle de concert, que je fréquente seulement depuis quelques semaines : une petite salle bien rurale, fréquentée par tout ce que la région compte d’alters, de buveurs de bière, de fumeurs de joints, d’horticulteurs bios et de chômeurs. C’est assez sympa dans son genre, jusqu’à deux heures du matin, quand la viande saoule renverse ses bouteilles d’HK et qu’elle veut t’initier à la pensée de Dieudonné. L’heure où il faut arrêter de danser pieds nus et commencer à fermer les yeux sur beaucoup de conneries faites et prononcées. L’heure où je rentre chez moi, d’habitude.

En début de soirée, en tout cas, c’est bon enfant. J’aime bien quand les gens sont bons enfants, ça me les rend sympathiques. Le concert commence, la tireuse entre en action. Ma meilleure, qui est aussi la barmaid et qui connaît tout le monde, me file le ticket : il y a un gars, là, c’est marrant, il a ton âge et ta taille, elle me dit. C’est déjà une blague en soi, parce que je suis vraiment petite. Ma meilleure elle sait aussi que j’essaie de tirer un trait sur un gars qui n’est vraiment pas pour moi (celui qui tape à 96 sur l’échelle de l’engagement) et aussi elle sait que j’en ai marre des vieux, à peu près autant que j’en ai marre des jeunes. J’ai envie de quelqu’un qui comprend quand je parle, sur ma longueur d’onde, ni coincé dans le siècle précédent, ni encore occupé à résoudre son œdipe. Alors un mec de 1984, ce serait parfait.

Elle a dit vrai : il fait à peine 5 cm de plus que moi. Bien gaulé, sapé hétéro-normé, mal coiffé, peau difficile. Un adolescent de 30 ans, mais avec un peu de barbe. Il tient une bière dans la main, je ne sais plus quelle blague il me fait, mais il me fait une blague. C’est doublement drôle parce qu’au moment où il me fait cette blague (dont je ne me souviens pas parce que) je me fais une autre blague dans la tête, un truc dont j’ignore l’origine, une de ces association d’idée que l’esprit fait tout seul : « mauvaise peau, mauvais karma », je me dis. Non, ce n’est pas si inintéressant que ça en a l’air : c’est un élan de compassion vers lui et j’ai eu presque le même le jour où j’ai rencontré mon futur mari (qui avait une bonne peau mais des cheveux épouvantables et là j’ai pensé à une jambe de bois). C’est peut-être pas une association d’idées à la con, parce que c’est ce qui m’a immédiatement fait penser que ce gars était sympathique. C'était comme une faille trop visible et moi j'aime bien les gens qui ont des failles. Il a un sourire large comme ça et on voit bien que c’est habituel chez lui. Il respire la marrade.

The twelve dancing princesses -
Conte de Gimm, illustration
d'Eleonore Abott
D’ailleurs la seule conversation que nous aurons ce soir-là fut particulièrement fendarde : on était entre filles devant la porte de la salle, à fumer et à parler bruyamment de sodomie (une de mes conversations préférée - c'est amusant en soi et le côté pratique, c’est que ça permet de repérer les personnes qui sont à l’aise avec le sexe, critère fondamental de sélection d’un Prince Charmant, voire prérequis de base), ce qui a sainement attiré son attention. Il n'a pas beaucoup participé à la discussion parce qu'il était plutôt impressionné par ces femelles bruyantes qui parlaient de cul devant lui mais il a écouté sagement en sortant quelques vannes quand l'occasion se présentait (facile vu le sujet ; la seule dont il se souvienne c'est qu'il a dit qu'il n'était pas expert en musique. Cette blague résume à elle seule toutes celles qu'il peut faire). Ce qui fait que je lui ai parlé d’orgasme anal et d’hémorroïdes avant de bien le connaître et ça, c’est très très drôle. 

Au cours de cette première soirée, je me contente de l’observer, je ne lui fais pas de rentre-dedans. J’imagine qu’il est célibataire a priori, puisqu’il est là, tout seul et que mon indic n’a pas détecté de conjugalité ; ça sent même carrément le mec en chasse. Il fait des calembours comme il respire et il accorde ses subjonctifs quand il parle. Il a le dialogue facile, il est sociable et il manie des concepts abstraits : c’est bon signe ça. Physiquement, il est charmant sous sa couperose : regard malicieux, sourire décontracté, épaules carrées, grandes paluches (toi-même tu sais), beau cul, se tient droit, très à l’aise, une tignasse épaisse couleur de foin sec, yeux marrons très clairs. Il dégage tranquillité et bonne humeur, avec un bagou de fou. C’est ce genre de gars qui traine avec lui son gros djembé et tu sais, quand les gars commencent à taper sur ces choses-là, les nanas se mettent à danser. J’y ai passé toute l’énergie qui me restait, ce soir-là. Un mec qui m’épuise et me rend heureuse physiquement dès le premier soir de la première rencontre, il a des chances de me plaire, oui. On dirait un peu un chien fou, mais en réalité il est très calme, très poli, très bien habillé. Je crois que c’est ça qui me met en mode trekking. Y a un décalage entre son allure de premier de la classe et la vitesse à laquelle il descend ses bières. C’est évident qu’il n’est pas aussi sage qu’il veut en donner l’impression. Bref il me plaît.

Ohlala.


Du coup, à l’issue de cette prime rencontre avec lui (Johnny Boy ! ), j’aurais pu cocher les cases suivantes dans mon petit tableau :

Les indispensables :
- Célibataire
- Instruit
- Expressif

Les subsidiaires :
- Musicien
- Poète (test de l’alexandrin)
- Brun, yeux marron
- Pas trop plus grand / petit / gros / maigre / vieux / jeune que moi

Les rédhibitoires :

- Alcoolique 

Je dois me rendre à l’évidence : à trente ans, mon cœur ne bat plus comme à vingt. Bien sûr, à ce moment-là, je me suis dit Oh la la, c’était magique et tout mais tout de suite après, j’ai mis en branle le protocole trekking_PrincessesDisney_FBI et je me suis plus prise la tête à m’emmêler les pinceaux qu’autre chose. Lui pareil j’crois, genre l’alarme à chieuse plein tube. Ah ah. La vie est bonne, bonne, bonne !!





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