Johnny Boy : approche et parade
J’avais l’air un peu trop amoureuse, ou trop déterminée à l’être, je sais pas, en tout cas, je lui ai plutôt fait peur. Je dois vraiment avoir l’odeur d’une princesse Disney, alors que je ne suis que stupre et égoïsme ! Non, non je ne suis pas tombée amoureuse, mais oui, j’avais l’intention de le devenir. Attends, attends, j’te raconte.
Donc,
je le rencontre, je me dis Oh la la
et le trekking commence. N’imagine pas un interrogatoire serré et anxiogène
avec force vino pour trouver la veritas, non, je fais ça avec douceur et
circonspection : de loin, j’observe, j’écoute, ça me prend des semaines. Il est
toujours souriant avec moi, il cherche la conversation mais ça reste assez
distant. Je questionne un peu ses amis, je prends note du rythme de ses
beuveries, j’évalue aussi subtilement que possible sa vie sociale et je
détermine la valeur de quelques critères moraux de base, par exemple son
rapport à l’argent, à la nature, au travail, aux femmes, à la violence. J’ai
ainsi découvert un curieux mélange de matérialisme et d’écologisme, avec une
tchatche cultivée pas trop testostéronée, voire franchement cordiale, le tout largement saupoudré d’humour. Non, je n’ai pas un petit calepin où je
compile mes renseignements, en vrai il m’a fallu des mois pour retenir son prénom. Je glane, je moissonne ici ou là,
à l’occasion. En plus, j’ai un autre gars sur le feu (le « 96 ») et
puis un amant sporadique (le plan Q), du coup je tiens moi aussi mes distances.
On se lance de menues perches, des petites œillades amicales.
Sleeping Beauty - Arthur Rackham (1920) |
Le Prince Charmant de Volu
(Johny Boy)
| |
Les indispensables :
+ Célibataire
+ Instruit
+ Expressif
- Spirituel
+ Tolérant
+ Curieux
+ Autonome
- Connaît le clitoris
- Ni fidèle ni jaloux
- Patient
|
Les subsidiaires :
-
+ Musicien
+ Poète
- Gros lecteur
+
+ Pas trop plus grand / petit / gros / maigre / vieux / jeune que moi
- Amateur de cunnilingus
|
Les rédhibitoires :
- Raciste
- Machiste
-
|
+ Alcoolique
- Bourgeois
-
- Menteur
-
|
Romeo and Juliet - Jennie Harbour |
Parade
Et
je me vautre. Bien.
Le problème ? Deux niveaux d'engagement apparemment trop différents.
Chuis une salope romantique, dans le fond. Je crains bien toute forme de réciprocité obligée (cette machine à faire de la dette intime), mais ça ne veut pas dire que je ne veux pas donner ! Je ne veux être l’obligée de personne et la seule réciprocité que j’envisage est celle, fondamentale, d’accorder à autrui tout ce que je m’accorde - essentiellement la non-obligation. La liberté, si tu préfères. Je ne veux plus rien attendre encore moins exiger de personne - surtout pas de mon amoureux ! Seulement, j’ai compris que si j’avance avec ma liberté en bandoulière, ça fait fuir les gars qui voudraient - comme moi bordel !!! - construire un truc. Construire, c’est suivre un plan, c’est fatalement se placer dans le temps - c’est ça que je veux, oui, oui, oui !!! - dans le long terme. Ben, je sais pas pourquoi, il y en a qui trouvent ça contradictoire, comme quoi s’engager et être libre, ça peut pas. Allons donc.
Chuis une salope romantique, dans le fond. Je crains bien toute forme de réciprocité obligée (cette machine à faire de la dette intime), mais ça ne veut pas dire que je ne veux pas donner ! Je ne veux être l’obligée de personne et la seule réciprocité que j’envisage est celle, fondamentale, d’accorder à autrui tout ce que je m’accorde - essentiellement la non-obligation. La liberté, si tu préfères. Je ne veux plus rien attendre encore moins exiger de personne - surtout pas de mon amoureux ! Seulement, j’ai compris que si j’avance avec ma liberté en bandoulière, ça fait fuir les gars qui voudraient - comme moi bordel !!! - construire un truc. Construire, c’est suivre un plan, c’est fatalement se placer dans le temps - c’est ça que je veux, oui, oui, oui !!! - dans le long terme. Ben, je sais pas pourquoi, il y en a qui trouvent ça contradictoire, comme quoi s’engager et être libre, ça peut pas. Allons donc.
Concrètement,
je ne promets pas de rester avec lui. Mais je lui promets de faire de mon mieux
pour que notre relation soit la meilleure possible. Je rends toujours autant
que je peux les bienfaits que je reçois, je m’applique à être attentive à
l’autre, à participer à son confort, à son bien-être, je m’efforce de découvrir
de nouvelles choses simplement parce que ce sont des choses qu’il fait etc… ça
n’est pas ça que j’appelle « réciprocité obligée ». Ça c’est de
l’amour et de la vie, c’est normal, c’est spontané, c’est pas beaucoup
d’efforts. Je suis carrément là pour ça. Le genre de « réciprocité »
qui ne me convient plus, c’est le « contrat caché symétrique ». C’est
quand sans t’en rendre compte, t’as ouvert une ardoise et que t’as commencé à
aligner tout ce que le gars/la fille n’a pas fait pour toi, alors que toi tu le
fais pour lui/elle. C’est quand tu découvres que ce qui est important pour toi
ne l’est pas pour l’autre et que ça t’est insupportable. Les reproches suivent
irrémédiablement. Je ne veux ni faire ni subir ça. Je n’en suis pas encore
absolument certaine, mais je crois que pour l’éviter, il faut être :
Little Red Riding Hood - Arthur Rackham |
- autonome émotionnellement. Si on
a besoin d’un mec pour se sentir
vivante et aimée alors c’est qu’il nous manque quelque chose. Cherchons-le, de
toute façon nous n’aurons que des histoires de merde tant que nous ne l’aurons
pas trouvé.
- autonome matériellement. Ne
pas être dans l’obligation de rester sous le toit et dans le lit de quelqu’un,
ça fait toute la différence. Il vaut mieux pour la santé psychique de toute
femme de ne pas se retrouver coincée dans ces deux lieux cruciaux en période de
crise amoureuse, ça fausse l’entièreté de la situation.
Du
coup, quand t’es une femme, donc statistiquement mal payée, peu confiante et sur le qui-vive dès
qu’un mec t’approche, c’est chaud. Mais c’est faisable. En gros, ça consiste
juste à être bien centrée et à pouvoir
t’écarter si tu sens que ça bascule dangereusement.
À l'usage, j'en viens même à penser qu'il vaut mieux être libre, pour bien s'engager.
À l'usage, j'en viens même à penser qu'il vaut mieux être libre, pour bien s'engager.
Fairy Tales for Adults - Artus Scheiner (1925) |
C’est
à ça que je m’applique depuis deux ans, c’est un gros travail de fond sur
moi-même et c’est un peu compliqué à expliquer, comme ça de but en blanc. Nous
n’avons pas pu avoir cette discussion avant d’avoir couché l’un avec l’autre (mais je t’assure que ça l’a suivi de peu).
Au moment de l'abordage - on se croise pour la énième fois au milieu d'un festival / concert - mon angle d'attaque ç'a été: « Je crois qu’on se drague, non ? »
Au moment de l'abordage - on se croise pour la énième fois au milieu d'un festival / concert - mon angle d'attaque ç'a été: « Je crois qu’on se drague, non ? »
Le verre de mousse dans la main droite, la gauche plongée dans une barquette de frites, il tombe des nues. Ah bon, on se draguait ? J’admets que non,
on ne s’est pas dragués (je fais tout pour que ça n’arrive pas), mais je
crois qu’on se plait. Du coup je pense que ce n’est
peut-être pas vrai : si ça se peut on ne se plait pas ! Bon, il me plait raisonnablement
(c’est-à-dire qu’un oh la la n’est
pas tout à fait un coup de foudre) et le plus gros compliment qu’il m’ait fait
jusque-là a été de vanter mon esprit (genre « j’aime bien ton
esprit »), ce qui me fait plaisir bien sûr, mais je sais ce que ça veut
dire, « avoir de l’esprit », dans la bouche d’un homme. C’est pas un
compliment en fait. Ça veut dire que je suis une fille compliquée à gérer,
potentiellement incompréhensible.
Donkey-Skin - Harry Clarke (1922) |
Et
ça, c’est affreux. Compiler au fait que je suis une fille « libre »,
je suis un cauchemar sur pattes. Imagine : je ne fais que ce que je veux,
tout le temps, et mes décisions sont les fruits de mon esprit. Mouhahahahaha.
Si tu es de ceux qui rangent les femmes dans la case « grand
mystère », tu ne poses pas tes mains sur moi. Face à ce sombre inconnu que
je propose (mesquine que je suis, j’imagine) en guise de relation, ce trou noir
dévorant qu’est mon corps, on me qualifiera de succube. La bonne blague. Ils ne me connaissent pas ceux-là !
C’est me prêter des intentions (malsaines) que je n’ai pas. Mais surtout ils
font peu de cas de leur propre individualité, font preuve de peu de
connaissance de la loooooongue l’histoire de l’humanité et de peu d’imagination
pour finir. Le fait qu’ils ne comprennent pas les femmes, selon moi, fait
plutôt état de la bêtise des hommes que de la complexité des femmes. Qui est
réelle, pourtant ! Mais enfin, on va sur Mars, on soigne le cancer, mais
on ne comprend pas les femmes ? Comment donc est-ce possible ?
The iron Stove - Warwick Goble (1812) |
Bref,
avec mon air habituel et goguenard de la fille (avecdel’esprit) qui se prend pas pour de la
merde qu’il n’a pas pu confondre avec un air de fille qui flirte (j’avoue qu’il m’arrive de
prendre des airs très concentrés en soirée, toute seule dans mon coin, comme si
je mâchais une couille particulièrement coriace) mais qui lui fait du
rentre-dedans là-tout-de-suite, il ne comprend pas bien ce qui se passe, ça devient la séquence
drague la plus laborieuse du monde. Il me sauve presque en me disant qu’il est
amoureux d’une fille géniale, là, c’est dommage. Pas très subtilement, il m'explique que pour du sérieux, la place est prise mais que pour la
bagatelle, y a moyen. Droite comme la justice, mon verre de jus de pomme à la main, je rétorque que ce
n’est pas ce que j’ai envie de faire avec lui.
Sleeping Beauty - Arthur Rackham (1920) |
Il
est malin comme un singe celui-là, je me dis, parce qu’au final, c’est
quasiment moi qui lui ai dit non. Comme quoi, c’est pas une hallu mon échelle de l’engagement :
quand on parle d’amour, personne ne place le curseur au même endroit et si on
n’entre pas dans les détails, bé on parle carrément pas de la même chose, en
fait. Faut voir les détails aussi : massifs quand même. Baiser ou pas
baiser, ça fait une différence ou pas ?
Bon.
Tu vois comme je me prends la tête ?
Évidemment,
ça me chagrine un peu d’être refoulée. Mais j’accepte, c’est tout aussi
évident. Je continue mon chemin, lui le sien, mais je garde un œil sur lui. Je décoche la case « célibataire » de mon tableau Prince Charmant et puis je coche à moitié « ni fidèle ni jaloux » en me promettant de creuser la seconde moitié de cette exigence. Secrètement, sadiquement, je me plais à penser qu’il pourrait redevenir libre
dans pas trop longtemps.
Secrètement,
sadiquement, j’ai le plaisir de me voir exaucée deux mois plus tard :
j’entends dire, grâce à mon réseau d’informatrice (ma barmaid), qu’il s’est
pris un râteau par la fille géniale. Ah aha. Toute honte bue, je retourne à la
charge. Il m’a envoyé un petit sms sympa deux semaines plus tôt (une invitation
à le rejoindre en soirée), je me sens en terrain conquis.
Et
puis finalement j’essuie un second refus, tout à fait similaire au premier. La
fille géniale ne s’est pas évaporée, nesspa, même si elle a l’air de résister
quelque peu. J’en profite cette fois pour exprimer plus clairement mes
intentions : je ne cherche pas à baiser, j’ai ce qu’il faut, je cherche
quelqu’un avec qui construire quelque chose. Ça le fait encore plus flipper.
Cinderella - Honor Charlotte Appleton |
Et
puis, un bon râteau bien fait, c’est jamais perdu, a fortiori deux râteaux
c’est encore mieux ! Il peut en déduire deux choses :
-
il me plait à ce point
-
je suis patiente
Et
je pense bien que ça a fait du point, parce que dès que cette fille lui a mis à
lui aussi un deuxième râteau, et ben je me suis retrouvée en tête de la liste
d’attente.
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