La psychologie évolutionniste




Avant de vous proposer l’analyse d’un bouquin de Martie Haselton sur les hormones féminines, je voulais vous toucher un mot ou deux sur le domaine de recherche scientifique sur lequel il repose : la psychologie évolutionniste. Le sujet est aussi brûlant que complexe, je n'ai pas d'animosité a priori à son égard et j'ai fait ce que j'ai pu pour comprendre de quoi il retourne, mais je peux faire fausse route... si des spécialistes passent par là, je serai ravie d'en discuter.


0) Pour commencer, petits rappels sur l’évolution.



1) La psychologie évolutionniste, kézaco ?

Haselton est psychologue de l’évolution et se définit comme une « féministe darwinienne ».



« La psychologie évolutionniste, évolutive ou évolutionnaire, parfois nommée évopsy ou évo-psy, est un courant de la psychologie […] dont l'objectif est d'expliquer les mécanismes de la pensée humaine et de ses comportements à partir de la théorie de l'évolution biologique. Elle repose sur l'hypothèse fondamentale que le cerveau, tout comme les autres organes est le produit de l'évolution, et constitue donc une adaptation à des contraintes environnementales précises auxquelles ont dû faire face les ancêtres des hominidés. Elle repose également sur l'hypothèse du « cerveau social » selon laquelle les comportements sociaux s'expliquent pour l'essentiel par le fonctionnement cérébral traitant des stimuli sociaux dans le sens d'une meilleure adaptation individuelle au groupe. »

« La psychologie évolutionniste repose sur le postulat que nos pensées et comportements, ainsi que nos caractéristiques physiques, sont le résultat de l’évolution soumise aux mécanismes de la sélection naturelle et de la sélection sexuelle. […] S’appuyant sur une hypothèse de base voulant que notre cerveau, comme celui de n’importe quelle espèce animale se compose de circuits neuronaux programmés par des millions d’années d’évolution et que chaque espèce a développé des attitudes et des comportements particuliers pour survivre, les psychologues évolutionnistes se proposent de montrer comment notre cerveau préhistorique continue à former nos comportements dans notre crâne du xxie siècle. »



C’est donc une science (la psychologie peut difficilement être qualifiée de science mais l'évo-psy s’appuie sur des expérimentations scientifiques) qui tente d'expliquer génétiquement et par le processus de l’évolution les programmes cognitifs qui influent sur le comportement humain.

2) Déterminisme biologique ?

Non, la psychologie évolutionniste ne postule pas la prépondérance de l’acquis sur l’inné. C’est peut-être l’omniprésence du discours biologique qui nous le laisse penser. Au contraire, les relations entre humains et humaines sont au centre de leurs recherches. En revanche leur propos est bien de dire que ces interactions sociales ont gravé dans le marbre de nos gènes et de nos cerveaux des programmes comportementaux choisis comme opérants par l’évolution. La société et notre éducation actuelles peuvent modifier ces comportements, mais cela, la psycho-évo n’en parle pas car ce n’est pas l’objet de son étude.

La psychologie-évolutive cherche donc à décrire des comportements auxquels nos gènes nous prédisposent, sans fondamentalement en dire quelque chose au niveau moral ni prétendre que nous sommes "conditionnés". Ce qui est douteux, c’est le dévoiement juste systématique de cette discipline par les mouvements essentialistes, à qui elle offre du pain béni.

3) Sexiste ?

Il lui est notamment reproché de trop souvent justifier une hypothèse qu’elle ne veut pas contester : les hommes et les femmes seraient différents et « complémentaires », posture bien pratique quand on ne veut pas dire qu’ils sont inégaux - et que c’est très bien comme ça. Bien sûr, il est assez évident qu’hommes et femmes ont évolué conjointement et en interférence l’une avec l’autre, il est clair qu’ils sont « différents » mais bien souvent, les partisans de la psychologie évolutionniste cherche à valider des hypothèses-clichés très modernes et fonde, au-delà de la leurs différences, leurs inégalités. Ainsi le classique :

« L’homme s’est adapté à la chasse sur de grands espaces […] Le cerveau de la femme, pendant ce temps, s’est adapté à l’élevage de sa progéniture et au partage verbal, dans le cadre restreint de la grotte. Ainsi, sur le plan biologique, les hommes sont programmés pour la compétition, les femmes pour la coopération ».
Ginger, 2002

De là à dire qu’elles sont faites pour rester à la maison, puisqu’elles ont évolué dans des grottes, il n’y a qu’un pas, sans cesse franchi par le premier qui passe. Pour illustrer ce propos, tu peux aussi jeter un œil à mon article sur Men vs Monkeys, de Gilles Azzopardi, qui en est un exemple criard. On peut toutefois estimer qu'il est assez logique que cette discipline se penche sur les stéréotypes de genre, puisqu'elle s'intéresse aux traits caractéristiques de l'espèce humaine. Et bien souvent, ces recherches concluent à l'existence de justifications matérielles de ces stéréotypes, comme la violence masculine, par exemple, bien documentée, ou encore la tendance féminine à avoir moins de partenaires sexuels, qui trouvent tous deux des explications biologiques et matérielles solidement étayées. Le problème, c'est que nos cultures flattent pour ainsi dire ces caractéristiques naturels, les renforcent et les légitiment.

Dans la même veine, en France on a Peggy Sastre, qui a fait de la psychologie évolutive (elle dit « évolutionnaire » parce que les -iste c’est mal) son cheval de bataille. Pour le courant féministe qui s'appuie sur cette disipline (comme le livre que je partagerai avec vous demain) l’empouvoirement de la femme passe par la maîtrise de son essence féminine, à savoir la séduction et le contrôle de sa fertilité. Parce que les assignations de genre reposent très logiquement sur des caractéristiques moyennes matérielles de chaque sexe, voilà, fin du débat. Nous comprenons cette notion de « caractéristiques moyennes et matérielles » observées par les scientifiques. Ce que nous rejetons c’est la récupération de ces données pour légitimer l’assignation genrée. Tout ce petit monde assure ne délivrer aucune morale et ne valider aucunement les comportements répréhensibles des hommes et des femmes mais à tous les coups ça sert in fine à essentialiser à tout crin.

On ne peut peut-être pas reprocher à l’évo-psy d’être sans cesse récupérée par les tenants de l’essentialisme, nous faisons juste le constat de cette récupération. Et que ses tenants, bien souvent, la récupère allégrement. On ne les voit pas militer contre le viol, eux qui connaissent si bien ses implications évolutives… En revanche, Sastre a défendu, avec bien d’autres, « la liberté d’importuner » suite au mouvement #MeToo, partisane d’une domination masculine qui aurait été acceptée par les femmes dans l’intérêt des unes comme des autres, précisément parce que, s’appuyant sur les « caractéristiques moyennes observées », elle ne voit aucune raison de les contrarier socialement. D’ailleurs, en vrai, qui peut dire qui domine l’autre, hmm ? Les MGTOW adorent ce raisonnement. Récemment encore, Peggy Sastre s’est désolée de l’horrible censure qui plane sur les auteurs pédophiles, comme s’il n’y avait pas plus grave que d’empêcher un homme d’écrire, fût-ce sur ces sujets. La culture du viol ? Connaît pas.


Les mascus MGTOW et "coachs en séduction" définissent la "pilule rouge" (référence à Matrix) comme "la vérité sur les dynamiques hommes/femmes", qui s'appuie sur les recherches en psychologie évolutives. Celle-ci, d'après eux "détruit la théorie du genre", car dans leur esprit, biologie et constructivisme social ne peuvent cohabiter.



« Les femmes ont les hommes qu’elles méritent.
Dans la nature les femelles ont les mâles qu’elles façonnent »
« Le viol c’est la stratégie du mec qui va pas rester le lendemain. »
« L’équivalent du viol pour les femmes est de faire élever un enfant qui n’est pas le sien. »
« Vous voulez que les femmes violées aillent mal ? C’est ça votre féminisme ? »
« On n’est pas en train d’avoir un avis moral sur les choses. »

Sastre a beau répéter que la psycho évolutionnaire n’est pas déterministe, pas naturaliste et bien scientifique, on ne la voit guère soulever autre chose que des clichés sociaux en les gravant dans le marbre de nos cerveaux 100% naturels et en qualifiant « d’environnement »… les lacs et les montagnes qui nous entourent depuis toujours (et pas les sociétés changeantes, toutes différentes qui nous ont précédés, dont on ne sait pas grand-chose finalement). Elle fait juste semblant de parler de psycho-évolution.

Les Couilles sur la table a produit un podcast fort intéressant à ce sujet, qui nous rappelle que les comportements humains, c’est 100% naturel et 100% culturel : on ne nait pas homme ou femme, on le devient.

4) des « Just-so stories » ?

Ce qui frappe à la lecture des hypothèses de la psychologie évolutionniste relayées par les médias, ce sont ses explications à base d’extrapolations comportementales qui romancent la vie de nos aïeux les premiers sapiens. Par exemple « Les femmes distinguent mieux les couleurs pour pouvoir mieux discerner les baies dans les buissons. » Les médias se délectent de ce genre de récits, qu’ils servent maladroitement, sans expliciter les expériences qui ont mené à ces conclusions. Que les femmes distinguent plus de nuances de couleurs, c’est une chose qui peut être établi scientifiquement. De même, on peut éventuellement démontrer que les premières Sapiens possédaient déjà ce trait et pas leurs homologues masculins. Mais expliquer que c’est pour cueillir des baies sans se tromper, la vie du clan étant en jeu, c’est une hypothèse, certes logique et satisfaisante, mais pas scientifique, qui frôle la narration et la supputation dans la mesure où ça ne peut guère être établi de manière expérimentale. On peut apporter, bien souvent, plusieurs hypothèses logiques pour le même trait. Sur le thème de la violence masculine, par exemple, il a été démontré qu'elle était en lien avec notre mode de reproduction polygynique et notre territorialité, et ces constats ont pu être posés à partir de l'observation de la taille des mâles et de leurs testicules d'autres mammifères partageant ces caractéristiques. On peut en déduire que les hommes des premiers temps avaient besoin de se battre pour se réserver un maximum de femelles, mais pas seulement : pour accaparer des ressources et agrandir son territoire également. Et bien souvent, ce ne sont pas les études d’évo-psy qui nous mènent à ces raccourcis, mais bien la vulgarisation et la récupération qui en sont faites. Et puis, au surplus "on" pourra toujours en déduire que c'est quand même la preuve que l'homme est là pour batailler, voler, violer, tuer, alors que les femmes sont douces et gentilles, ce qui revient à inverser l'ordre des choses, en mode serpent qui se mord la queue. Si l'on s'écarte deux secondes de la psychologie évolutive, on constate qu'on peut apprendre la violence aux femmes et la douceur aux hommes. La tendance à jeter cette science dans le domaine des relations hommes / femmes et la "guerre des sexes" en allant vite en besogne n'est pas forcément représentative des recherches de cette spécialité, mais du régal qu'en font la presse et ses vulgarisateurices.


La psychologie évolutive, pour résumer grossièrement, établit finalement que nos stéréotypes culturels seraient plus naturels qu’on ne le pense. Ils sont le résultat de considérations très pragmatiques élaborées par les cerveaux de nos ancêtres et favorisés par le temps de l’évolution. Il n’y a aucune raison de s’en tenir là. Et encore une fois, la psychologie évolutionniste offre un appui bien pratique à une pensée conservatrice : « ça a toujours été comme ça et ça avait de bonnes raisons d’être ». Ma réponse est : on devient féministe pour lutter contre ce genre d’atavisme, on ne donne pas, ne serait-ce qu’aux femmes, des armes pour jouer toujours dans la même cour biologique du struggle for life. L’humain n’est plus en danger de disparaitre, si ce n’est par le poids, dorénavant, de son incroyable démographie. S’assurer une descendance en plus grand nombre possible n’est plus d’actualité et n'a pas été non plus le seul souci de l'espèce humaine à ses débuts. Cela peut nous être utile de savoir que l’on est passé par là pour déjouer les vilains tours de la domination masculine. Pas pour la nourrir.

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