La Fille | Tome 1 - Volubilis
Voici
ma petite chérie… Un roman commencé en 2012, impatiemment écrit, puis longuement corrigé,
réécrit, encore corrigé… Elle prend enfin une forme que je dirais presque
définitive (à chaque fois que je replonge le nez dedans des trucs me sautent
aux yeux, mais moins qu’avant). Trois tomes sont d’ores et déjà achevés, le
quatrième peine encore à sortir de son œuf. Alors, pour m’encourager, je dépose
ici son premier tome. Je vous mets le lien vers Wattpad, et puis ici le premier
chapitre. Il se présente sous forme d’un journal de bord : un jour, un
chapitre.
Est-ce
que ça vous donne envie d’en savoir plus ? De savoir d’où elle vient et où
elle va ? Y a-t-il assez de soleil et de sable ? Même s’il n’en aura
pas l’air tout d’abord (it’s a trap),
ce roman est féministe. Violent. Pornographique et même graphique tout court.
Jouissif à écrire. Largement inspirée de tous un tas d’autres œuvres (la série
de BD Neige, le jeu Fall Out, l’Incal de Jodorowki, les mondes de Jeremiah…) elle reprend des thèmes classiques de la SF : le
post-apo, le nucléaire, les hommes-machines, une géographie terrienne
bouleversée… J’espère que tu auras autant de plaisir à la lire que moi à l’écrire.
Ne te prive surtout pas de laisser un commentaire sur tes impressions,
remarques… j’en ai follement besoin.
Bonne
lecture.
LA FILLE
TOME 1
Chapitre 1
Le premier jour de cette histoire eut lieu en Afold.
Les hommes se disputaient des ruines au milieu
d'un désert : ce ne serait pas
une histoire très sage.
À ce moment-là, Afold était un grand vide brûlant rempli de sable, borné
par des montagnes stériles, les Doloms à l’ouest, les vieilles Carpates au
nord-est et les monts poussiéreux des Vardars au sud. L’Oasis se trouvait sur
sa frontière ouest, aux pieds des Doloms.
Ce petit fort de grès blanc passait pour un havre de paix dans ce coin du
désert, parce qu’on y trouvait de l’ombre. C’était un vieux fortin, construit
par les Bédouins pendant la guerre sino-européenne pour défendre l’accès à la
vallée qui s’ouvrait derrière lui entre les flancs de la montagne, autant dire qu’il
était là depuis toujours. Il était quasiment tel qu’il avait été construit,
c’était le monde autour de lui qui avait changé.
Après la dernière pluie, l’herbe avait brûlé, la vallée avait séché et l’Oasis
tournait maintenant le dos à un tas de rocs noirs brûlants. Les efforts
conjugués du sable, du vent et du temps l’avaient rongé mais l’épaisseur de ses
murs laissait encore espérer des siècles d’abrasion.
Si longtemps blanchi par les jours, assez élevé pour être vu de loin, il émergeait
d’entre les dunes comme un phare, toujours plus éclatant, attirant le voyageur
accablé de soleil. On comprenait en l’approchant qu’il était un bijou délicat
et fragile. Les remparts extérieurs présentaient un aspect de dentelle grêleuse,
la pierre partait en poudre sous les ongles. Chaque bloc posé pour ériger ces
murs s’était lentement transformé en pain de sable compact dont ne saillaient
plus que les grains les plus gros et les plus durs. Une porte de métal haute de
plusieurs mètres et dévorée par la rouille en constituait l’unique l’entrée. Dégondée,
elle reposait à demi sur le sol et plusieurs hommes étaient nécessaires pour
l’ouvrir à cause de tout le sable qu’il fallait déplacer en même temps. Au
sommet du rempart, les créneaux érodés ne protégeaient plus qu’à peine le
chemin de ronde de pavés lisses auquel on accédait par quatre tours de garde
carrées. La tour d’angle nord était la plus haute et la plus large, elle
reposait sur le bastion lui-même, construit sur les courtines nord-est et
nord-ouest. Constitué de deux niveaux, il ne contenait que trois pièces, une
grande salle qui s’ouvrait sur la cour et deux autres à l’étage qui servaient
de chambrée et de couvain. Tout le bâti était fait de cette même simplicité
rigoureusement rectiligne et typiquement militaire, sans souci de luminosité ni
fantaisie. La cour était ceinte d’arcades sur les remparts sud ; il y avait de
l’ombre pour une centaine d’hommes ici.
L’ombre, c’était la seule chose qui n’avait pas changé. Il n’y avait plus
d’arbres, il n’y avait plus d’eau, mais le fort était toujours frais. Ses
vieilles pierres blanches gardaient intacte cette obscurité froide où l’on
entre en soupirant d’aise, tandis que l’ombre de la montagne derrière le fort,
gigantesque et bienfaisante, s’étendait sur lui lorsque le soleil atteignait le
dernier tiers de sa course quotidienne. Grâce à cette ombre, l’Oasis était un
lieu de repos au milieu de nulle part, une sorte de luxe que s’accordait Afold.
Il était trop fragile pour qu’on s’y battît, trop incommode pour y vivre, de
sorte qu’il n’appartenait à personne et que personne ne le revendiquait. Mais
cela aussi devait changer.
En janvier de l’année 762, Favel y stationnait un embryon de meute,
situation qui ne devait être que provisoire. Ce matin-là, il prenait le frais
sur le chemin de ronde. Le sable était si paisible et les murs de l’Oasis si
agréables qu’il remettait leur départ au lendemain depuis plusieurs jours. Lui
et ses hommes avaient quitté l’Afrique depuis trois mois – peut-être quatre,
tous les jours se ressemblaient dans ce foutu désert – et gagnaient le Nord
pour prendre possession de nouveaux territoires, fortuitement gagnés. La
traversée d’Afold devait être l’étape la plus calme du voyage. Au cœur du
désert des Flandres, cerné de ses montagnes bouillantes, coincé entre les murs
de l’Europe et les plaines de sel, Afold était un coin de désert difficile à
atteindre, sans grand intérêt de surcroît. Cela rendait sa traversée ennuyeuse
mais aussi moins dangereuse que par les grandes pistes qui le contournaient et
trop largement fréquentées par les Bédouins et les Chiens. En Afold ne
survivaient que quelques centaines d’hommes, la plupart dans la ville-nombril de
ce bac à sable, Medina. Favel avait en outre entendu parler d’une meute d’une
trentaine d’individus qui occupait une base souterraine au sud-ouest de la
ville. Pour ce qu’il en savait, elle se contentait de faire régner le calme
autour d’elle en chassant les Chiens qui parvenaient jusque-là. Son chef, un
dénommé Calife, avait commis l’exploit de vider la région de ses tribus rivales
en quinze ans. À la lisière des Carpates, la Route des Flamboyants, la voie
commerciale sacrée qui nourrissait leur monde désertique, achevait sa course à
Tendra, un comptoir chinois qui suffisait encore à alimenter la région. Le
calme alentour signait probablement la mort du lieu.
Favel avait de toute façon des ambitions autrement plus grandes qu’Afold.
Il s’était rendu propriétaire d’un empire entier par le jeu d’heureuses
circonstances. Il avait tué et ainsi dépouillé le grand Tomnyos en personne.
Ses armes, ses femmes et ses places fortes étaient maintenant siennes. Cela
s’était fait si vite, si opportunément ! Y avait-il exploit plus grand que
de tuer l’homme le plus grand du monde ? Quand il y repensait, il se
trouvait invincible. Cet instant où il avait appuyé sur la gâchette et explosé
la tête du seigneur de guerre avait concentré dans ses mains plus de pouvoir
qu’aucun homme n’en avait possédé avant lui.
Infatigable, Tomnyos avait étendu son territoire depuis Napis, la porte
d’entrée de l’Europe, jusqu’au cœur de l’Afrique en traversant successivement
l’est des Flandres, la plaine d’Ionie puis le Sâara d’est en ouest avant d’installer
son autorité sur les monts de la Sierra. De là, il avait franchi d’une traite
les champs de sorgho de Brazza, jusqu’à la vallée de la Victoire. Sur le chemin
de ses conquêtes, Tomnyos avait construit des routes, creusé des puits. Adulé
par ses hommes, il avait été un meneur qui avait eu pour la guerre une
intelligence hors du commun. Son avancée avait été violente et irrésistible. Malheureusement
pour lui, le seigneur de guerre avait un jeune frère qui devait causer sa perte :
Antoine. Le cadet avait grassement payé Favel pour faire tourner la roue de la
fortune ; il était maintenant son associé. Les dunes, le sel et le sorgho,
tout ça était à eux maintenant et il comptait bien prendre sa part de
gloire. C’était comme ça que les dunes changeaient de propriétaire et qu’un
homme se faisait un nom. Il était pourtant parti bien bas… Cela rendait, selon
lui, sa gloire encore plus éclatante.
Favel était né à Menkhlès dix-sept ans plus tôt, sous le toit du
propriétaire de la station d’épuration. Menkhlès était en quelque sorte la
poubelle de Magnanis, qui était, elle, la ville la plus belle et la plus
glorieuse de tous les déserts. Les habitants de Menkhlès passaient leur vie à récupérer,
démonter, traiter et recycler tout ce que la grande cité leur expédiait par convois
de camions monstrueux. Elle leur envoyait aussi ses effluents les plus immondes :
les eaux usées de Magnanis était transformées en eau potable par des procédés
gardés secrets et revendue à prix d’or. Pendant toute sa vie d’esclave, il avait
curé des fosses d’aisance dans les plus grandes maisons de la ville. À onze
ans, après l’avoir libéré de sa condition d’esclave, son père lui avait appris
les rudiments des armes et du commerce. Plus habile au tir qu’aux négociations
chiffrées, il avait été chargé du maintien de l’ordre autour des livraisons
d’eau. Posséder une arme et vendre le précieux liquide lui avait permis de
devenir une personne crainte et respectée à l’âge de treize ans. Il avait
rançonné la moitié de la ville, accumulé pouvoir et richesses. Il pouvait
rentrer dans chaque maison, écouter à toutes les portes et faire parler les
moins bavards. C’était parce qu’il était l’homme fort de Menkhlès qu’Antoine
l’avait contacté depuis son quartier général de Napis, alors que son frère
Tomnyos était de passage en ville. Bien payé et bien informé, Favel avait
surpris le grand conquérant nu dans sa baignoire, sans armes et sans garde
personnelle. Il devait maintenant rejoindre les Flandres où l’attendait Antoine
pour officialiser cette coopération qui allait faire de lui le nouvel empereur de
cet âge. Tomnyos avait vécu.
Mais il fallait avouer qu’il avait la peau dure. L’annonce de la mort du maître
de guerre avait provoqué de sérieux remous sur tout le continent africain. Tomnyos
était adoré par ses hommes comme une idole et après son assassinat, ils
promirent à Favel la mort plutôt que la soumission. Il avait dû quitter
Menkhlès précipitamment pour éviter d’être lynché par ses officiers qui avaient
mis le feu à la ville. En fait, rien ne s’était passé comme prévu. Des
phalanges entières de l’armée conquise avaient refusé de le suivre. Leur
démission avait été une immense vexation. En quittant l’Afrique avec une soixantaine
d’hommes, il avait pensé pouvoir recruter sur son chemin une foule de
volontaires fiers de se battre pour les territoires pris au grand Tomnyos. Mais
de la plaine Ionienne jusqu’en Afold, il n’avait pas trouvé plus de trois
hommes armés assez courageux pour quitter avec lui l’abri de leur ville ou de leur
village. Il avait encore perdu les deux tiers de ses hommes pendant la
traversée des plaines profondes, où ils avaient rencontré la peste chaude. Il
ne lui restait plus qu’une vingtaine de soldats, ainsi qu’une poigné de femmes
qu’il était chargé de livrer à destination.
Du haut du chemin de ronde de l’Oasis, face aux dunes d’Afold au-dessus
desquelles se levait un jour nouveau, Favel s’efforçait de chasser ces mauvais
souvenirs de sa mémoire. Il fallait oublier l’Afrique, son destin était au nord,
maintenant. Ses forces unies à celles d’Antoine, c’était l’Europe qu’ils
allaient mettre à genoux.
Cherchant à chasser l’anxiété, il se posta sur la courtine sud-est pour contempler
le soleil naissant. Le sable était encore frais à cette heure, il huma la brise
en s’attendant à la trouver calme et légère, mais au lieu de cela, il la trouva
lourde et poussiéreuse. Il tendit l’oreille. N’y avait-il pas comme un
bruit ? Il plissa les yeux pour pouvoir porter son regard le plus loin
possible dans les dunes sans être ébloui. Sur l’horizon s’élevait un nuage de
sable qui signifiait que quelque chose
faisait route vers eux depuis plusieurs heures. Favel sentit son estomac se
contracter : le petit-déjeuner était compromis.
Il n’avait pas imaginé un seul instant que ses nouveaux voisins pussent ne
pas être au fait de son hégémonie. En Afrique, les bruits couraient plus vite
que le feu. En Afold, au contraire, le vide jouait le rôle d’un tampon qui
n’était que difficilement franchi par les fureurs du Sud. Les rumeurs d’Afold n’excrétaient
pas davantage vers l’extérieur. Si cela avait été le cas Favel serait resté sur
ses gardes. Les dunes ne dormaient que d’un œil et en fait de meute d’une
trentaine d’individus, c’était plutôt une véritable armée motorisée qui lui
rendait visite. Maintenant, il entendait distinctement leur hurlement mécanique.
Quelques instants plus tard les premières voitures surgirent d’entre les dunes
les plus proches. Abasourdi, il compta une quinzaine de véhicules armés.
Tirant ses hommes du sommeil, Favel se hâta de répartir ses vingt-deux
soldats sur les remparts du fort, la peur au ventre. Le surnombre était
écrasant. Cédant à la panique, il donna trop vite l’ordre de faire feu. À cette
distance, leurs balles ne produisirent que des étincelles sur les carrosseries renforcées.
La stratégie adverse fut rapidement visible : les véhicules se disposaient
en ronde dans un mouvement rodé autour du fort pour les encercler. Quand ils
furent cernés, l’ennemi lâcha sur eux une pluie de balles. Les remparts
volèrent en poussière, les privant de défense, ils durent interrompre la
riposte pour s’aplatir au sol.
À leur arrivée sous l’Oasis, Favel avait fait monter une tourelle au sommet
de la tour nord, comme étendard puisqu’il ne pensait pas devoir s’en servir. Il
y dépêcha un soldat qui gravit les cent-cinquante-deux marches de pierres
inégales de la vieille tour pour y accéder. Cette mitrailleuse avait l'heureuse
originalité d'être fixée à un siège pivotant qui permettait au tireur de suivre
des cibles mouvantes en distribuant du 9 mm. Elle contraignit une première Jeep
à l’arrêt, pneus crevés et moteur fumant, avant d’en abattre les occupants. Le
reste de la meute hurlante harcelait les artilleurs de Favel sans discontinuer.
Le jeune chef fit armer un lance-roquette sur le rempart nord-est : c’était
encore le plus rapide pour mettre hors d'état de nuire un véhicule armé, mais
ses munitions étaient comptées – trois exactement. De manière inespérée, il lui
restait un canonnier assez compétent et courageux pour l’utiliser face au feu
ennemi. La roquette partit dans un bruit de tonnerre et atteignit un véhicule qui
s’éparpilla sur plusieurs mètres. Ces premières victoires laissèrent à Favel la
courte impression qu’ils pourraient s’en sortir.
Des tireurs ennemis s’étaient cachés dans les dunes, à bonne distance, le soldat
de la tourelle fut le premier à être pris pour cible. La mitrailleuse se tut et
son corps s’écrasa vingt mètres plus bas. Les remparts se vidaient à vue d’œil
de leurs combattants, au fur et à mesure que l’artillerie adverse en
désagrégeait les créneaux. Ceux qui restaient demeuraient recroquevillés au
sol, la tête dans les épaules sous la mitraille. Les plus chanceux avaient déjà
rampé jusqu’aux escaliers des tours de garde pour rejoindre la sécurité de la
cour. Le lancement d’une seconde roquette les fit trembler aussi bien de
terreur que d’espoir ; un second véhicule vola en éclat, dans une
explosion assourdissante. Le dernier canonnier vit son courage salué par les
salves des tireurs de Calife quelques secondes plus tard. La bataille était
perdue.
Un soldat qui cherchait à se protéger derrière le corps d’un des siens reconnut
le visage criblé de balles de Favel, gisant sur la muraille. Ses hurlements
lancèrent le signal de la débandade. Les assiégés détalèrent pour se terrer
dans les profondeurs de l’Oasis, à l’exception du dernier officier qui avait
arraché sa chemise pour en faire un drapeau blanc. Au sommet du rempart, il
tentait de manifester leur intention de se rendre lorsque le hoquet énervé de
la tourelle reprit au-dessus du fort. Un demeuré avait dû prendre la place
vacante au poste de tir.
Calife jubilait à l’ombre de son chapeau. Ils n’allaient en faire qu'une
bouchée. La victoire était un peu facile mais elle avait le mérite de maintenir
éveillée l’ardeur délicate de ses soldats. C’était un excellent entraînement
pour ses nouvelles recrues. Les occasions de taper dans du vrai dur se faisaient
de plus en rares, en raison probablement du fait qu’il avait lui-même enrôlé un
quart de la population de la région à lui seul. Il ne savait pas qui étaient
ces types qui se croyaient en Afold comme chez eux, mais ils arrivaient à point
nommé.
Il arpentait le désert depuis sa naissance à Bestha, un petit village perdu
à la frontière sud d’Afold, au bord de la route qui traversait les Vardars. Son
père, Forcus, était un chef de meute qui lui avait appris à marcher et à se
battre dans les dunes, qui ne tenait jamais en place et qui lui avait donné en
héritage la soif de vaincre, la faim d’aventure. À sa mort, il avait poursuivi
les rêves de grandeur de son géniteur. Il y était parvenu, il avait de quoi
être fier d’ailleurs, seulement il sentait depuis quelques mois, peut-être même
depuis quelques années, que ce triomphe n’était pas si satisfaisant que
cela ; il avait fini par s’endormir sur ses lauriers. Il avait une meute
conséquente en nombre et en courage, une base que tout le désert lui aurait
jalousée si seulement il en avait connu l’existence et quelques faits de guerre
qui dilataient encore son orgueil quand il y repensait. À trente-cinq ans, il
avait à la fois l’impression de tout posséder et celle de ne pas en avoir
encore assez. Il pouvait, il voulait plus. Plus de gloire, plus de sang, plus
de bruit et d’adrénaline. Une occasion comme celle-là lui permettait de garder
vif son ego de meneur d’hommes et d’homme de guerre. Il savait aussi que le
hasard faisait mieux les choses que les meilleurs plans de conquêtes. Jamais il
n’aurait pu prévoir les évènements les plus décisifs qui étaient advenues dans
sa vie : l’assassinat de son père par un de ses propres hommes, un abruti
nommé Plast qui avait été assassiné – dévoré – à son tour par l’un de ses
soldats, la découverte de la Montagne, sa chère base dissimulée sous le sable,
les rencontres qu’il avait eu l’honneur de faire parmi les plus grands hommes
du désert, comme le Comte Neige… Son destin l’avait tour à tour, volé, vengé et
comblé, il lui avait suffi de rester en vie et de se tenir là où il le fallait,
quand il le fallait. Tout cela était arrivé sans qu’il y soit préparé et si
rien n’avait été facile à vivre tout s’était produit avec une étonnante
fluidité, jusqu’à aujourd’hui. Pour toutes ces raisons, il se considérait comme
un homme à la fois chanceux et raisonnablement intelligent, sans fausse
modestie. Il avait hâte de voir ce que cette opportunité allait lui offrir,
quand il l’aurait ficelée.
Les éructations solitaires de la tourelle le sortirent de ses pensées. L’ennemi
était retors, il hissait le drapeau blanc sans cesser le feu. Soit leur chef
était mort, soit il était idiot. Calife ralluma son cigare ; il
considérait l’honnêteté comme la première politesse. Toutefois, la témérité du
tireur malotru méritait d’être récompensée ; tous les véhicules et tous
ses snipers avaient dirigé leurs canons sur lui après avoir massacré l’officier
au drapeau et l’enfoiré continuait de mouliner. Finalement, cette bande de
couards possédait quelques bons éléments, il pourrait envisager de recruter des
prisonniers au lieu de tout revendre. Et faire main-basse sur l’arsenal de ces
ahuris, plutôt bien équipés. Dans son souvenir, la salle d’armes se trouvait en
sous-sol, sous la tour ouest. Ce serait bien s’il y avait des femmes, aussi. Elles
devaient se trouver à l’étage du bastion, juste sous la tourelle qu’il avait
l’intention de neutraliser. Il aurait aimé infliger le moins de dégâts possible
au fort, mais il paraissait difficile d’attaquer cette vieille tour branlante
sans abîmer l’édifice en-dessous. Heureusement qu’il avait avec lui des experts
du travail délicat. Arrêtant son Hummer à l’écart de la ronde des Jeeps, Calife
chercha son second du regard – Vizir était son meilleur tireur à longue
distance et se postait toujours à l’écart de la ronde. Il le trouva étendu à
flanc de dune à plusieurs dizaines de mètres de là, occupé à lui adresser de grandes
gesticulations du bras gauche pour lui faire comprendre qu’il ne parvenait pas
à mettre le tireur de la tourelle dans son collimateur. Ils n’allaient pas
pouvoir faire dans la dentelle. Tant pis pour les femmes.
Calife ordonna aux officiers qui le suivaient, Dos et Calibre, de s'armer
de leurs canons. Pour trimballer ces deux-là pourvus de leurs gros joujoux, il
avait dû faire équiper leurs véhicules personnels d’amortisseurs spéciaux. Les
autres Jeeps continuaient de tourner mais il ne restait quasiment plus de
défenseurs au sommet des remparts. Il était temps de passer à la phase
suivante : investir les lieux avant de rendre à l’Oasis sa vacuité
originelle.
Un instant plus tard une spécialité incendiaire expédiée par Dos l’Aîné
atteignit le sommet de la tour nord. La mitrailleuse et son tireur disparurent
dans l’énorme torchère de bois et de pierres qui s’effondra sur le toit du
bastion. À son tour, Calibre, un géant approchant les deux-cents kilos, envoya
un second projectile qui réduisit dans un fracas aigu la lourde porte de métal
et tout le pan de mur au-dessus d’elle en un tas fumant de poussière. L’Oasis
venait d’ouvrir ses cuisses toutes grandes.
Les voitures se rejoignirent devant l'ouverture, les hommes mirent pied à
terre et escaladèrent les débris de la porte pour s’engouffrer dans le fort.
Ils traversaient la cour en abattant tout ce qui s'enfuyait devant eux lorsque
le feu roulant de la tourelle repartit de plus belle, les surprenant tous. Une
longue colonne d’hommes fut fauchée par les balles, sans que personne ne sût
d’où venaient les tirs. Les soldats de Calife se réfugièrent dans la pénombre
des arcades pour chercher le tireur des yeux. Un homme avait redressé la
mitrailleuse sur le toit du bastion pourtant en proie aux flammes et les
arrosait sans complexes. Il était impossible de sortir à découvert pour
répliquer, il leur fallait passer par le chemin de ronde pour le contourner. Calife
et ses officiers empruntèrent les premiers escaliers vers le sommet du rempart.
Le gars les doucha dès qu’ils apparurent mais Calibre eut le temps de lui
accorder une toute grosse munition, qui éventra le second étage du bastion dans
un bouquet de flammes. Cette fois, leur adversaire devait être fondu. Le
silence, un silence de feu qui ronfle, retomba sur le fort. Rejoint par Vizir, Calife
donna l’ordre d’investir les lieux.
– Trouvez l'arsenal ! Jetez du sable sur les feux !
L’unité d’ouvriers qu’ils avaient emmenée avec eux se chargeait déjà de
maîtriser les incendies, tandis que les soldats se répandaient dans le fort en
plusieurs équipes, chacune menée par un officier. Il s’agissait de ratisser
chaque pièce pour la vider de tout objet utile , en priorité les armes et
les objets en métal. Femmes et esclaves devaient se trouver dans l’incendie du
bastion, il n’était plus envisageable de les en tirer vivants. Une déflagration
les arrêta net ; de longues gerbes de feu jaillirent de la façade ouest, où une
partie des hommes de Calife cherchaient la salle d’armes. De toute évidence, il
restait un défenseur qui jouait avec des bombes incendiaires. Plusieurs
combattants inidentifiables s’échappèrent du mur éventré, hurlant dans les
flammes qui leur collaient à la peau.
Calife chercha des yeux ses officiers. De nouvelles explosions ébranlèrent
les murs de l’Oasis et leur propagation rendit visible la course du lanceur de bombes.
Calife l’aperçut, une ombre courant sous les arcades. Il distribuait les
grenades en se dirigeant vers la grande porte. Le chef lui adressa une longue
rafale de son fusil mitrailleur mais ne sembla pas l'atteindre. Ses hommes
commençaient à faire marche arrière et à revenir dans la cour pour échapper aux
flammes qui dévoraient le fort. La silhouette du forcené disparut dans les nuées
de débris. Les murs s’effondraient autour d’eux, l’air était chargé de sable,
de fumée et de cris. Calife sentit la peur saisir ses bras, il n’avait pas
prévu de telles difficultés. Il hurla par-dessus la fureur de la bataille.
– Il faut sortir ! Sortez ! Sortez !
L’Oasis allait devenir un brasier et les pertes étaient déjà préoccupantes.
Il fallait également pouvoir sortir.
D’ici quelques minutes, ce qui restait de bois et de charpente allait
s’effondrer. Il n’eut pas le temps de s'entretenir sur ces questions avec Vizir
: le tireur fou avait changé d'arme et les dézinguait au fusil d’assaut depuis
l'unique pan de mur que les flammes avaient épargné. Les hommes se dispersèrent
encore, mais il leur était maintenant impossible de se réfugier à l'intérieur
de l’édifice. Après quelques rudes secondes de panique, les tirs cessèrent. Le
gars devait manquer de munitions. Il ne pourrait pas s’échapper de cet enfer,
il suffisait de l’y laisser.
– Aux véhicules !
Du bras, Calife incita sa meute à quitter le fort par l’entrée effondrée. Son
second relaya l’information, rassemblant ses hommes à pleins poumons. La nuée
désordonnée de soldats dirigeait sa course vers l'ouverture lorsqu’ils se
firent cueillir par le fusil que le tireur était parvenu à recharger plus
rapidement que prévu.
Les valides se tapirent sous les ruines des arcades, chacun traînant avec
lui un blessé. L’ennemi ne pouvait plus les contourner, tout le fort brûlait.
Il fallait mettre fin au carnage. D’un regard, Calife fit le compte de ses
hommes, pendant que le gars vidait son chargeur devant lui. Vizir, Calibre,
Beau Brun, Ruffian, Cric, Pasteur, Filandrin, Braque et les frères Dos étaient
à ses côtés... Où étaient les autres officiers, Marco, Conti et Prince ? Où
étaient leurs hommes ? Il espérait qu'ils fussent parvenus à l'extérieur, ou
à se terrer dans les décombres.
Le gars avait de la ressource. Lorsque le fusil se tut, il fut presque
immédiatement suivi d’un jet de grenade qui fit voler leur abri en poussière,
les contraignant à ramper vers d'autres débris, à se disperser encore. Une fois
hors de portée, les survivants lui adressèrent une volée de balles, le tireur
s'enfuit. Les hommes sortirent immédiatement de leurs cachettes, courant à la
rencontre de leur intraitable ennemi.
Ils le distinguèrent dans la fumée, plongeant entre les corps et les gravats,
probablement pour se munir d’un nouveau moyen d’attaque. Dos l’Aîné rechargeait
son propre canon lorsqu’une nouvelle grenade tomba parmi eux. La roquette
partit pour s'écraser presque immédiatement, à une dizaine de mètres de son
point de départ. Le souffle des deux explosions les jeta au sol en leur
arrachant la peau, les vêtements et des cris de douleur.
Lorsque les derniers débris du rempart tombèrent en pluie lourde sur leurs
têtes, ceux qui n’y étaient pas passé surent qu'ils avaient mis le résistant
hors-jeu. Ulcérés par ses retours incessants, ils se relevèrent et voulurent
aller constater sa mort de leurs propres yeux.
– Dos ? Dos !
Dos, le Cadet, fit demi-tour ne voyant pas son frère le suivre, tandis que
les autres escaladaient les ruines du mur d’enceinte. L'homme qui leur avait
fait vivre un tel calvaire était toujours vivant et bougeait encore, rampant tête
la première sur ce qui restait du rempart démoli, en s'écorchant sur les pierres
et les bouts de bois. Ils descendirent à sa suite pour l’encercler de leurs fusils.
Ils l’entendirent râler de douleur, sa jambe ensanglantée traînait derrière
lui. Lorsqu'ils furent à moins de deux mètres, ils marquèrent un temps d’arrêt ;
l’homme avait le crâne rasé ; c’était une femme.
Déroutés par cette rencontre incohérente, les soldats ne se rendirent pas compte
qu'elle avançait jusqu'à la crosse d’un pistolet émergeant des décombres.
Calife eut la présence d'esprit de la remettre en joue.
– Non. Non, femme, ou je te tue.
Ses doigts se refermèrent sur l’arme, mais elle parut réfléchir à sa
proposition. Elle finit par renoncer à son geste et se retourna péniblement
pour leur faire face. Ils la dévisagèrent en s’approchant davantage. Elle était
effroyablement blessée, barbouillée de sang et de débris. Elle portait la
longue tunique grise des femmes de harem, déchiquetée et couverte de sang. Son
ventre exhibait une plaie noire et suintante. Elle reculait et fuyait toujours,
ils ne savaient pas trop par quel prodige vu son état. Elle avait atteint le
sable brûlant et se traînait sur les coudes au milieu des éclats. Sa tunique se
déchira un peu plus, donnant à voir sa chair brunie. Elle grogna, se mit à
genoux et voulut se lever mais sa jambe gauche refusait de la porter. Elle
tituba à quatre pattes, offrant son dos aux hommes devant lesquels elle fuyait.
Ils la suivaient comme des moucherons une lumière dans la nuit, abasourdis. La
voix de leur chef les tira de leur effarement.
– Où est-ce que tu comptes aller ? Reste là.
Calife attrapa sa jambe estropiée et la tira à lui. La fille hurla de
douleur et se retourna vers les soldats qui la menaçaient. Il se plaça
au-dessus d'elle, un pied sur sa jambe blessée. Mis à part le nombre et la
gravité de ses blessures, il sautait aux yeux que c’était une femme saine :
son corps paraissait solide et mobile. C’était même probablement une nourrice,
vu l’ampleur de ses seins. Par contre, son ventre était salement abîmé. Calife
saisit le col de sa tunique et la souleva de terre pour chercher son regard. Ses
yeux étaient révulsés et des flots de sang s’écoulaient de sa bouche. C'était
un poids mort, bientôt mort. Il la relâcha, elle retomba lourdement sur le dos,
gémissante. Ses mains rougies cherchaient mollement l'air qui lui manquait, elle
suffoquait mais elle tentait encore de reculer en plantant ses talons dans le
sable et en poussant sur ses jambes avec des râles de bête égorgée. Calife se
demandait s’il allait l’achever, quand un cri leur parvint depuis le rempart.
Dos le Cadet surgit à son sommet effondré, en larmes, beuglant. Il dévala l'éboulis
en s’époumonant comme un damné.
Il s'arrêta net devant le corps de la fille et dut chercher ses mots. Ne
les trouvant pas, il se rua sur elle pour écraser son cou entre ses mains.
– Elle a tué Dos ! Elle a tué mon frère !
Cette déclaration fit parmi eux l'effet d'une bombe. Le grand frère était
mort. Le pilier de la troupe était tombé. Certains ressentirent le besoin de
s’écarter de quelques pas du monstre mourant. Calife recula lui aussi, les yeux
rivés sur le corps qui délivra un hoquet humide avant de s’affaisser mollement.
Tremblant de colère, Dos écrasait entre ses mains la nuque de la fille, dont le
corps et la tête formaient un angle qui signifiait sa mort. L’officier insista
encore, longtemps, jusqu’à ce que Beau Brun murmurât elle est morte.
Lâchant le corps inerte, Dos se
releva, le visage couvert de poussière et de larmes, toujours vibrant de colère.
Les mains de Vizir tremblaient et ses dents mordaient ses lèvres au sang. Tous
les hommes encore debout étaient salement brûlés, leurs vêtements et leurs
cheveux noircis, les regards perdus. Filandrin, l’une de leurs plus jeunes
recrues, pleurait affalé par terre. C’était sa première sortie.
Calife tentait de rassembler ses esprits. Comment tout cela avait-il pu se
produire ? Il était parti avec cinquante de ses soldats armés jusqu’aux
dents pour mettre une correction à une meute qui ne devait pas compter plus de
vingt combattants. Ils n’étaient plus que dix, très entamés. Que faisait cette femelle
armée au milieu de ce charnier ? Les hommes pleuraient, la tête dans les
mains. Ils écoutaient le fort s'effondrer. Vizir, qui était parvenu à desserrer
ses mâchoires, résuma les données du problème dans un spasme de colère.
– On s'est fait écraser, qu’est-ce qui s’est passé ? Ils se
rendaient !
L’incendie hurlant derrière eux fut d’abord sa seule réponse. Puis ils
virent la dépouille à leurs pieds tousser et bouger. Dans un cri presque inaudible,
elle se redressa et attrapa les jambes de Calife debout à ses côtés pour se mettre
assise. Elle n’était pas morte.
– Impossible.
Après un long silence, Vizir demanda :
– Qui a dit ça ?
– Elle a parlé, répondit Calife d’une voix blanche.
Calibre se massa le crâne de ses énormes mains.
– On hallucine… C’est un cauchemar.
Les femmes ne parlaient pas. Les femmes ne parlaient pas, mais ils savaient
que parfois la nature faisait naître des monstruosités. Ils étaient de toute
évidence face à l’une d’entre elle.
– Non, elle a vraiment parlé, répéta Vizir.
– Oui, elle a parlé, confirma encore le chef.
– Qu’est-ce qu’elle a dit ?
Elle avait lâché Calife et tentait à nouveau de s’enfuir à quatre pattes.
Dos lui mit un coup de pied dans le ventre avec un rugissement furieux. Elle se
replia sur elle-même en poussant un cri de douleur, mais après quelques
secondes elle recommençait à ramper. Elle était d’une foutue constitution
celle-là.
D'un mouvement de la main, Calife interdit à Dos de réitérer son geste. Le
chef fixait la fille avec la plus grande attention. Après un long moment de
silence atterré, il la saisit par un bras puis la traîna vers le véhicule le
plus proche.
– On l'emmène avec nous.
Ce fut un tollé. Soldats et officiers hurlèrent qu’elle ne pouvait pas
vivre, qu’elle était déjà morte, qu’il fallait la crever oui et tout de suite
encore. L'indignation de Dos, pleurant de haine, s'exprimait jusqu'au bout de
ses mains tremblantes. Il hoqueta qu’il ne pouvait pas laisser respirer un
instant de plus cette charogne qui avait tué son frère sous ses propres yeux. L’argument
arrêta Calife. Il lâcha finalement le corps ensanglanté, en appuyant de tout
son poids de son pied droit sur l’un de ses bras pour couper court à ses
velléités de fuite. Il ne pouvait pas se permettre de perdre la confiance de
ses hommes. Il convoqua tout ce qui lui restait d’assurance pour ne pas laisser
trembler sa voix. C’étaient pendant les instants comme ceux-là qu’il devait se
montrer à la hauteur de son statut de chef.
– Voilà ce que je propose... Nous allons la laisser là, au soleil. Nous
allons retirer de ce maudit fort les corps de nos frères et… tout ce qui n’a
pas brûlé. Si elle est toujours vivante à notre retour, nous l'emmènerons avec
nous.
Il conclut en assénant sur le crâne de la fille un vigoureux coup de crosse
de son fusil mitrailleur qui l’allongea, enfin, immobile sur le sable.
Dos eut un long regard de mépris en direction du corps inerte. Elle était
déjà morte après tout. Un sifflement faiblard sortait de sa bouche, ses membres
étaient agités de spasmes de douleur. À leur retour, il la mettrait en charpie.
Les autres parurent se satisfaire de la proposition de leur chef, probablement
persuadés qu’en effet elle serait morte dans quelques heures.
Les hommes de Calife retournèrent difficilement dans les ruines de l'Oasis.
Le feu ronflait plus fort que jamais, plus une voix ne se faisait entendre. Pas
le moindre cri, pas la moindre alerte. Ils étaient les seuls à avoir survécu. Sur
les ruines du bastion, ils dégagèrent une moitié de corps qui avait été Dos
l’Aîné, le cadet pleura encore longtemps devant ce moignon d’humain. Ils
trouvèrent dans la cour quelques cadavres criblés de balles, d’autres rongés
par les flammes, mais il était impossible de tirer des décombres brûlants ceux
qui y étaient ensevelis. Le brasier allait mettre des heures à s’éteindre,
peut-être même des jours… si l’arsenal n’avait pas été atteint d’ici là. Il
valait mieux alors avoir décampé et assister de loin à la rencontre de la flamme
et de la poudre. Après quelques heures de recherches dans une fournaise insupportable,
ils rassemblèrent leur maigre butin et retournèrent aux voitures.
La fille n'était plus là où ils l'avaient laissée. Elle ne voulait
décidément pas mourir. Elle s'était traînée jusqu'à l’ombre d’une Jeep et se
reposait adossée contre la portière, la tête dodelinant. Cette vision suffit à
mettre Dos hors de lui. Il courut à elle en hurlant, Calife s’interposa
immédiatement. L’officier aboya, ragea, mais il dut se rendre aux ordres de son
chef. Nyomê et Beau Brun, plus obéissants, la saisirent sans ménagement et la jetèrent
à l'arrière du Hummer de Calife.
Ils durent
laisser sur place trois de leurs véhicules, faute de conducteurs. Ils se répartirent
derrière les volants restants en pensant aux amis qui se trouvaient à côté
d'eux à l'aller. Ils étaient venus en vainqueurs, ils repartaient mortifiés.
Ils ne pourraient jamais dire qu’ils avaient gagné cette bataille.
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