Projet d'une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes - Sylvain Maréchal
1801 ; la Révolution, c’était hier. Les élites
intellectuelles et politiques sont en effervescence, on érige des idéologies,
des pensées, on construit des rêves, on exige des lois ! Athéisme,
collectivisme et anarchisme sont sur toutes les lèvres, on les combat ou on les
défend. Ce sont d’ailleurs de ces valeurs que se réclame Sylvain Maréchal, écrivain et militant républicain qui se distingua
lors de la Conjuration des Égaux au
côté de Gracchus Babeuf. Un « progressiste », dirait-on, qui voulait
libérer l’Homme de toute servitude.
Mais nous sommes au temps où « tous les hommes naissent libres et égaux en droits » ne
concernait pas encore les femmes.
Aussi devons-nous à sieur Maréchal ce mémorable
pamphlet, qui prend la forme d’une proposition de loi pour interdire aux femmes
la lecture et l’écriture.
La première partie est une compilation des arguments
les plus éculés et les plus vexatoires contre l’éducation des femmes. La suite
apporte les conclusions pratiques : comment s’y prend-t-on au juste pour
maintenir les femmes dans l’ignorance ?
AUX CHEFS DE MAISON,
AUX PÈRES DE FAMILLE,
ET AUX MARIS.
Femme Lisant Jean-Baptiste Camille Corot (1869) |
AUX FEMMES.
Si l’on vous
interdit l’arbre de la science,
Conservez sans
regret votre douce ignorance,
Gardienne des
vertus, et mère des plaisirs ;
À des jeux innocents consacrez vos loisirs, etc.
[…]
MOTIFS DE LA LOI.
Considérant :
1° Que l’amour honnête, le chaste hymen, la tendresse maternelle, la piété filiale, la reconnaissance des bienfaits… etc., sont antérieurs à l’invention de l’alphabet et de l’écriture, et à l’étude des langues ; ont subsisté, et peuvent encore subsister sans elles.
2° Les inconvénients graves qui
résultent pour les deux sexes, de ce que les femmes sachent lire.
3° Qu’apprendre à lire
aux femmes est un hors-d’œuvre, nuisible à leur éducation naturelle : c’est un
luxe dont l’effet fut presque toujours l’altération et la ruine des mœurs.
4° Que cette fleur d’innocence qui
caractérise une vierge, commence à perdre de son velouté, de sa fraîcheur, du
moment que l’art et la science y touchent, du moment qu’un maître en approche. La
première leçon que reçoit une jeune fille est le premier pas qu’on l’oblige à
faire pour s’éloigner de la nature.
5° Que l’intention de
la bonne et sage nature a été que les femmes exclusivement occupées des soins
domestiques, s’honoreraient de tenir dans leurs mains, non pas un livre ou une
plume, mais bien une quenouille ou un fuseau.
Le Journal James Jacques Tissot (1883) |
6° Combien une femme
qui ne sait pas lire est réservée dans ses propos, pudibonde dans ses manières,
parcimonieuse en paroles, timide et modeste hors de chez elle, égale et
indulgente… Combien, au contraire, celle qui sait lire et écrire a
de penchant à la médisance, à l’amour propre, au dédain de tous ceux et de
toutes celles qui en savent un peu moins…
7° Combien il est
dangereux de cultiver l’esprit des femmes, d’après la Réflexion morale de la
Rochefoucault qui les connaissait si bien : « L’esprit de la plupart des femmes
sert plus à fortifier leur folie que leur raison. »
8° Que la nature
elle-même, en pourvoyant les femmes d’une prodigieuse aptitude à parler, semble
avoir voulu leur épargner le soin d’apprendre à lire, à écrire.
9° Que le joli babil
des femmes dédommagera avec usure de l’absence de leur style.
10° « Que chaque sexe
a son rôle. Celui de l’homme étant d’instruire et de protéger, suppose une
organisation forte dans toutes ses parties. Le rôle de la femme doit être bien
moins prononcé. Douceur et sensibilité en sont les deux principaux caractères.
Tous ses droits, tous ses devoirs, tous ses talents se bornent là, et ce lot
vaut peut-être bien l’autre. »
11° « Que la société
civile, dans la distribution de ses rôles, n’en a donné qu’un passif aux
femmes. Leur empire a pour limites le seuil de la maison paternelle ou
maritale. C’est là qu’elles règnent véritablement. C’est là que, par leurs
soins journaliers, elles dédommagent les hommes des travaux et des peines
qu’ils endurent hors de leurs foyers. Compagnes tendres et soumises,
les femmes ne doivent prendre d’autre ascendant que celui des grâces et des
vertus privées ; et ce plan de conduite, conforme à la nature, a constamment
rendu heureuses celles qui ont eu le bon esprit de ne pas porter leurs vues
plus haut. La félicité du genre humain repose, toute, sur les mœurs
domestiques. »
12° Que les hommages que le premier
sexe s’est fait une douce habitude de rendre à l’autre, ne sont point adressés
au savoir des femmes, mais seulement à leurs grâces et à leurs vertus.
13° Que les femmes qui
se targuent de savoir lire et de bien écrire, ne sont pas celles qui savent
aimer le mieux.
« L’esprit et le
talent refroidissent le cœur. »
S…
Femme en train de lire Pieter Janssens Elinga (1668-1670) |
14° Que la coquetterie
d’esprit est dans les femmes un travers qui, comme l’autre coquetterie, mène au
ridicule, et quelquefois au scandale.
15° Que si la belle Aspasie n’eût point été à la hauteur
des lumières acquises de Périclès ; Périclès ne voyant en elle qu’une femme
aimable, destinée aux délassements d’un homme d’état, Athènes n’aurait point
achevé de perdre ses mœurs sous le gouvernement tacite d’une courtisane.
16° Que si Louise Labè ou la belle Cordière de
Lyon, n’avait point eu la manie des vers, la chronique du temps ne se serait
point hasardée de signaler ainsi cette femme : « Elle avait une prédilection
particulière pour les poètes et les savants, les préférant aux grands seigneurs
et leur faisant courtoisie plutôt gratis, qu’aux autres pour grand nombre
d’écus ; aussi leur communiquait-elle privément les pièces les plus secrètes
qu’elle eût. »
17° Que Marguerite de Navarre, première femme
de Henri IV, aurait été moins galante, si elle n’avait pas su écrire.
Une femme qui tient la
plume pense être en droit de se permettre plus de choses que toute autre femme
qui ne connaît que son aiguille.
18° Que si Catherine de Médicis n’avait point su
lire, il n’y aurait point eu en France de journée de la St.-Barthélemi.
19° Que si la duchesse de Longueville n’eût été
qu’une bonne ménagère, sans culture et sans lettres, elle n’eût point abusé de
son ascendant sur le grand Turenne, au point de faire tourner la tête et les
armes de ce général contre sa patrie.
20° Que si l’on n’eût
point appris à lire aux femmes, celles de l’hôtel de Rambouillet ne se seraient
pas donné le ridicule ineffaçable de préférer Voiture à Corneille et Pradon à
Racine. Ce qui prouve en même temps que les femmes qui savent lire ne sont pas,
en fait de littérature, meilleurs juges que les autres.
Sainte Madeleine lisant
Maître des demi-figures (XVI°)
|
21° Que si madame Guyon s’était contentée d’être
jolie, sans apprendre à lire, elle n’aurait point égaré le beau génie de
Fénélon : le cœur seul du plus sensible de tous les prélats, se serait permis
une tendre faiblesse.
22° Les risques que
court l’innocence d’une jeune fille livrée aux leçons d’un grammairien peu
sage.
On ne trouve plus des Origène d’humeur à cesser d’être homme
pour apprendre impunément à lire aux jeunes filles et aux jeunes femmes
d’Alexandrie.
23° Combien la seule conjugaison du
verbe Amo, j’aime, a occasionné de chûtes.
24° Combien une jeune fille qui sait
lire a de peine à résister à la tentation de jeter les yeux sur les lettres
d’amour d’un séducteur éloquent.
25° Combien les romans
et les ouvrages de dévotion font de ravage dans le tendre cerveau des femmes.
26° Combien la lecture
est contagieuse : sitôt qu’une femme ouvre un livre, elle se croit en état d’en
faire ;
Et « femme qui
compose en sait plus qu’il ne faut. »
Molière.
27° Que l’érudition de
madame Dacier la fit changer de sexe
; elle oublia dans ses discussions savantes toute l’aménité du sien.
28° Que la culture des
lettres n’eût pas le pouvoir d’adoucir l’humeur violente, le caractère emporté
et le brusque abord de mademoiselle de Gournay,
la fille d’alliance de Michel Montaigne.
29° Que si madame de Lasuze n’avait point été poète,
nous aurions quelques jolis vers de moins ; mais elle n’aurait point donné à
ses contemporains et à la postérité le contagieux exemple d’un ménage en désordre,
à force d’esprit.
30° Que madame de Ville-Dieu, veuve de trois
maris, et auteur de douze volumes, n’en fut pas moins galante : les Muses ne
lui apprirent pas à mettre plus d’harmonie dans sa conduite.
Jeune Fille lisant - Gustav Adolph Hennig (1828) |
31° Que pour
l’ordinaire, une femme perd de ses grâces et même de ses mœurs, à mesure qu’elle
gagne en savoir et en talents.
Pour peu qu’elle sache
lire et écrire, une femme se croit émancipée, et hors de la tutelle où la
nature et la société l’ont mise pour son propre intérêt.
32° Que la cause
supprimée, l’effet tombe de lui-même : ainsi, les femmes ne sachant plus lire,
ne nous offriront plus le risible travers de ces diplomates femelles, qui du
fond d’un boudoir, le Publiciste à la main, disposent des empires, font la part
aux rois, aux républiques… etc.
33° Que la qualité de
femme qui sait lire, n’ajoute rien aux titres sublimes et touchants de
bonne fille, bonne épouse et bonne mère, ni aux moyens d’en
remplir les devoirs doux et sacrés.
34° Que la place d’une
femme n’est point sur les bancs d’une école, encore moins dans une chaire de
théologie, de physique ou de droit, comme il s’est vu plus d’une fois à
Bologne, en Italie.
Jeune femme lisant
Charles Guillaume Steuben (1788-1856)
|
35° Que le cardinal
Barbarigo ne voulut jamais permettre à la savante Hélène Lucrece-Piscopia Cornara de se faire recevoir membre de
l’université de Padoue ; persuadé qu’il était qu’un chapeau de fleurs ou de
plumes, sied beaucoup mieux sur la tête d’une femme qu’un bonnet de docteur.
36° Que les femmes
ayant reçu une organisation physique plus frêle et un caractère moral moins
décidé que les hommes ; l’étude des lettres n’est pas un puissant moyen de
donner de la force et de l’énergie. De l’aveu des philosophes eux-mêmes, les
lettres énervent quand elles ne corrompent point.
Fénélon a dit :
« Les femmes ont,
d’ordinaire, l’esprit encore plus foible que les hommes. »
Voyez son traité de
l’éducation des filles.
37° Que les femmes les
mieux instruites, les plus savantes n’ont jamais enrichi les sciences et les
arts d’aucune découverte. « Il n’y a jamais eu de femmes inventrices » dit
Voltaire dans ses Questions Encyclop. L’invention de la gaze n’est pas même due
à une femme.
38° Que, quoiqu’on en
ait dit, l’esprit et le cœur ont un sexe comme le corps dans la dépendance
duquel ils sont tous deux, le moral et le physique étant unis d’une intimité si
étroite qu’ils ne font qu’un.
39° La mort précoce de plusieurs
jeunes filles que leurs mères avaient condamnées à l’étude des langues et à
d’autres sciences toutes aussi peu compatibles aux forces et aux goûts naturels
d’une jeune personne.
40° Que presque
toujours quand les femmes tiennent la plume, c’est un homme qui la taille. Le
mathématicien Clairaut rendit ce service à madame Duchatelet.
Colletet faisait les
vers de sa servante, devenue sa femme.
41° Que, les femmes
n’étant assujetties à aucune charge publique, à aucune fonction administrative,
n’ayant pas même droit aux fauteuils de l’Institut, elles n’ont nul besoin de
savoir lire, écrire…
42° Que les femmes ont trop
d’occupations dans leur ménage, pour trouver du temps de reste et à perdre en
lectures, écritures…
43° Que les douces
fonctions de la vie privée sont assez multipliées pour occuper toute entière
une femme de mérite ; et que celle qui embrasse la profession d’écrire, n’est
pas moins ridicule que ces soldats qui pendant les loisirs de la caserne,
prennent l’aiguille de la marchande de modes, ou le tambour de la brodeuse. »
44° Qu’il y a scandale
et discorde dans un ménage, quand une femme en sait autant ou plus que le mari.
45° Combien doit être
difficile le ménage d’une femme qui fait des livres, unie à un homme qui n’en
sait pas faire.
Alexei Tkachev |
46° Combien la
première éducation des enfants, nécessairement confiée à leur mère, souffre
quand la mère est distraite de ses devoirs par la manie du bel esprit.
« La couvée est mal tenue, quand la
poule veut chanter aussi haut que le coq, » dit un vieux proverbe.
47° Que l’art de
plaire et la science du ménage ne s’apprennent pas dans les livres.
L’art d’aimer d’Ovide
n’a rien appris aux femmes.
48° Combien il est
ridicule et révoltant de voir une fille à marier, une femme en ménage ou une
mère de famille enfiler des rimes, coudre des mots, et pâlir sur une brochure,
tandis que la mal-propreté, le désordre ou le manque de tout se fait sentir
dans l’intérieur de la maison.
49° Qu’une femme, pour
ne point savoir lire, n’en est pas moins estimable, moins digne d’être aimée,
moins en état de remplir toutes ses obligations d’épouse, de mère, de parente
et d’amie.
Au contraire, qu’un
époux de bon sens trouve plus de véritables jouissances auprès d’une femme
naturelle et sans lettre, qu’avec une autre remplie de prétentions au savoir et
aux applaudissements.
50° Combien un maître de maison jaloux
de remplir les devoirs de l’hospitalité, est confus, quand il a pour épouse et
compagne une femme plus occupée de livres et de manuscrits que des détails du
ménage : tout s’y fait mal, ou mal-à-propos ; la table est mal servie ; le lit
est mal dressé ; et le voyageur, en partant, plie les épaules, et se dit tout
bas : « Que les Dieux me préservent d’une maison dont la maîtresse sait lire !
»
51° Qu’une femme peut
se passer de savoir lire, pour savoir vivre, pour être polie et prévenante
envers les étrangers, pour faire les honneurs d’une table, pour être l’âme
d’une fête, pour donner un sage avis dans une assemblée de famille, pour calmer
les emportements d’un mari, pour ramener à la sagesse un fils égaré, ou une
fille surprise par un suborneur, etc. etc.
Sainte Madeleine lisant
Ambrosius Benson (vers 1525)
|
52° Combien les femmes
deviennent négligentes, paresseuses, hautaines, exigeantes, acariâtres, peu
soumises, pour peu qu’elles sachent lire et écrire ; combien est insoutenable
celle qui vise à l’esprit ou au savoir, celle qui parle comme un livre.
(Voyez le 6e. Considérant.)
53° Que depuis qu’on rencontre dans
toutes les professions, des femmes qui savent lire, la nourrice fait jeûner son
nourrisson ; la marchande néglige son comptoir, et la cuisinière son service ;
l’ouvrière commence plus tard et finit plus tôt sa journée ; la coëffeuse
distraite brûle la blonde chevelure de sa dame ; la garde-malade et l’épicière-droguiste
tuent leurs malades par des qui-pro-quo ; et la jeune fille devenue
raisonneuse, dit que sa maman radote, et traite son papa de bon-homme.
54° Que si jamais les
femmes n’avaient su lire, ni écrire… Juvénal, Molière et Boileau ne se seraient
point armés contre elles des verges de la satyre.
55° Que si jamais les
femmes n’avaient osé porter la main à l’arbre de la science, Salomon ou
St.-Paul n’aurait jamais trouvé de motifs pour parler d’elles en ces termes :
Melior est iniquitas
viri, quam mulier benefaciens.
56° Que le sage
Salomon qualifie de Femme forte, non pas la femme esprit fort, ou bel esprit, «
mais celle qui emploie avec intelligence le lin et la laine, tourne le fuseau,
et donne par année deux paires d’habits à ses serviteurs des deux sexes. »
(Ce sont les propres
termes de la Sainte Bible.)
57° Que dire son
chapelet est aussi méritoire devant Dieu que de lire son office du matin et de
l’après-midi.
58° Que dans les
premiers tems, la lecture de la Bible, elle-même, était interdite aux Juives ;
c’est pour cela qu’on ne leur apprenait point à lire.
Femme lisant
François Bonvin (1817-1887)
|
60° Que Sappho eût conservé sa réputation, si
elle n’eût jamais su écrire : du moins on n’aurait jamais parlé d’elle, au
grand scandale de son sexe.
61° Que les
femmes-beaux-esprits consentiraient difficilement à suivre l’exemple de la
jeune Erinne : cette contemporaine
de Sappho, mais plus sage, pour ne point fâcher sa mère, ne se permit de
composer qu’un seul poème dont le sujet était l’éloge de la Quenouille.
62° Que chez les sages
Égyptiens, sur les bords du Nil, on ne voyait pas, comme sur les rives de la
Seine, les femmes sortir de leurs maisons et quitter le berceau de leurs enfants,
pour aller apprendre à lire à l’école d’un pédant ex-moine.
63° Que les Amazones
(dont pourtant il faut blâmer et repousser l’institution martiale, si étrangère
aux mœurs naturelles des femmes), les Amazones qui étonnèrent les héros de leur
tems par une bravoure égale à la leur, ne savaient pas lire.
64° Que les Vierges
Lacédémoniennes, dans des ballets décents, savaient enflammer le courage des
jeunes Spartiates, et ne savaient pas lire.
65° Que parmi les
occupations des femmes des héros de l’antiquité, on leur recommandait, avant tout,
de faire de la toile.
Dans Homère, elles
mettent leur vanité, non pas à savoir lire ou écrire, mais bien à filer.
Théocrite, pour donner
une haute idée de la belle Hélène, dit qu’elle filait mieux que toutes ses
femmes.
66° Que Pénélope si fidèle à son mari-voyageur, savait, en tissant, jour et
nuit, repousser les amants qui l’assiégeaient, et ne savait pas lire.
67° Qu’Andromaque, l’épouse du vaillant
Hector, si touchante dans Homère, quand elle fait ses adieux au héros son
époux, ne savait pas lire.
68° Que la princesse Nasicaa, la fille du roi Alcinoüs,
lavait, elle-même, les habits de son père, et ne savait pas lire.
Si elle avait su tenir
la plume, peut-être que la princesse royale eût dédaigné de lever le battoir.
69° Que les Sabines
n’eurent pas besoin de savoir lire, pour réconcilier sur le champ de bataille,
les deux peuples féroces auxquels elles appartenaient par le sang et par l’hyménée.
70° Que la chaste Lucrèce, qui se poignarda pour ne point
survivre au déshonneur du lit conjugal, ne savait pas lire.
Les fils de Tarquin la trouvèrent chez
elle, et bien avant la nuit, occupée au milieu de ses femmes, à travailler, de
ses mains, à des ouvrages de laine.
71° Qu’Horace, pour
ramener aux devoirs de leur sexe les dames de Rome, leur propose les Sabines, excellentes ménagères qui ne
savaient pas lire.
72° Que cette romaine
qui allaita sa mère condamnée à mourir de faim dans un cachot, ne savait pas
lire : « c’était une femme du peuple, humilis in plebe, » dit Pline le
naturaliste.
Le sénat romain lui
décerna une statue ; les mêmes honneurs ne furent point rendus à Sulpicie, faiseuse de satyres.
73° Que, quand l’Ange
Gabriel descendit du firmament, pour annoncer à Marie, (l’épouse de St.-Joseph) la conception d’un Dieu dans ses
flancs virginaux, Gabriel ne surprit point la bonne vierge faisant une lecture
; elle réparait les chausses de son époux, car son ignorance avait trouvé grâce
devant le St.-Esprit.
74° Que Mahomet, qui
aimait tant les femmes, ne voulait point qu’elles sussent lire ; plus sage en
cela que son malheureux prédécesseur ; (voyez l’évangile des deux sœurs Marthe
et Marie, selon St.-Luc, chap. X, verset 38.)
Les épouses de
Mahomet, et la célèbre Fatime, sa
fille, ne savaient pas lire.
Il n’est pas même bien
prouvé que Mahomet lui-même sût lire. Son ignorance n’empêcha pas qu’il ne
devînt le fondateur d’une grande religion.
75° Que la reine Zénobie, moins savante, eût été moins
ambitieuse, et par conséquent n’eût jamais consenti qu’on assassinât son époux.
76° Que nos Gauloises,
toujours consultées utilement par nos bons aïeux dans les affaires les plus
délicates, les plus épineuses, ne savaient pas lire.
77° Que Charlemagne, qui le premier,
en France, ouvrit des écoles, en législateur profond n’y appela point les
femmes. Et cet Empereur-roi prêcha d’exemple
: il ne donna à ses filles d’autre éducation que celle de coudre et de filer.
78° Que dans les
siècles brillants de la chevalerie, époque si honorable et si glorieuse pour
les femmes, elles n’avaient pas besoin d’apprendre à lire pour inspirer les
braves : il suffisait de leur beauté et de leur vertu.
79° Que Jeanne d’Arc sût bien délivrer la France, sans savoir lire.
80° Qu’avant cette
héroïne, la bergère de Nanterre qui sauva Paris en trouvant grâce devant
Attila, Géneviève ne savait pas lire
; quoiqu’un peintre niais l’ait représentée gardant ses moutons, l’évangile à
la main.
81° Que plusieurs
d’entre les reines de France ne savaient pas lire ; et ce ne furent pas les
plus intrigantes.
Madame de Maintenon qui avait des prétentions au savoir
et à la politique, rapetissa, comme on sait, le génie de Louis le Grand, et
compromit le salut de l’État.
82° Que le cardinal de
Retz, un jour, se désista d’une criminelle attaque, vaincu par les larmes d’une
villageoise vertueuse ; le prélat n’eût peut-être pas même eu de combat à
soutenir avec une fille lettrée.
83° Que l’amour de la
science n’a pas la vertu de refréner les passions ; témoin Christine, reine de Suéde qui fit assassiner son amant sous ses
yeux dans la galerie de Fontainebleau.
84o. Combien la science mal digérée
donne de bile.
Antoinette Bourignon, l’une des femmes qui fit le plus de livres, fut par
cela même l’une des femmes les plus maussades, les plus difficiles à vivre.
85° Combien les
charmantes lettres de madame de Sévigné,
et les poésies gracieuses de madame Deshoulières ont fait de mauvaises copies.
86° Que la belle Laure, dont les chastes appas firent
tant d’impression sur le cœur de Pétrarque, et qui nous valut tant de beaux
vers de ce poëte sensible, ne savait pas les lire.
« C’était, disent les
historiens du temps et du pays, une pastourelle naïve, qui ne savait que garder
un troupeau. »
87° Que la belle et
riche Marguerite Sarrochia, dame de
Naples, aurait pu vivre longuement et être honorée de ses compatriotes :
quelques talents en littérature lui inspirèrent tant de vanité qu’elle mourut
jeune, flétrie par le chagrin, et chargée du mépris public.
Marie-Adélaïde de France
Jean Etienne Liotard (1753)
|
88° Que si milady Montaigue, l’épouse de l’ambassadeur
anglais à Constantinople, n’eût sçu ni lire ni écrire, elle n’eût point dégradé
les lettres en repoussant d’un style de corps-de-garde, l’imputation
vraisemblable que lui fit Pope d’avoir reçu les honneurs du mouchoir dans la
caserne des Janissaires.
Nous compterions un recueil de lettres
curieuses de moins, et une femme estimable de plus.
89° Que les
Américaines du midi portent seules tout le poids du ménage, et accouchent sans
douleur ; elles seraient moins robustes, moins saines, moins laborieuses, si
elles savaient lire.
Il est prouvé que les Femmes-Auteurs
sont moins fécondes que les autres.
L’exemple de Sainte-Brigitte, mère de douze enfans
et auteur de douze volumes, ne prouve rien : l’exemple d’une sainte n’est qu’une
exception.
90° Combien il est choquant dans le langage
ainsi qu’en morale, d’être obligé de donner aux femmes des qualifications
masculines, telles que Mademoiselle est auteur, Madame est amateur, ou bien :
« Les femmes
Beaux Esprits, n’ont pas un bon esprit. »
S…
Cette dissonance
grammaticale tend à prouver que les femmes semblent abjurer leur sexe, quand
elles exercent les professions que ces mots désignent.
Femme lisant dans un intérieur
Hammershoi (1864 - 1916)
|
91° D’ailleurs,
qu’empêcher les femmes d’apprendre à lire, c’est un grand pas de fait pour
arrêter la multiplication des livres, et pour opérer une salutaire réforme dans
la littérature tombée en quenouille.
92° Ce que les auteurs
de la Galerie universelle des Hommes Illustres placent dans la bouche de
Voltaire :
« Du moment que le
sexe, né pour plaire, eut la prétention de vouloir instruire, la morale et la
littérature allèrent en décadence. »
93° Combien l’esprit naturel des
femmes qui ne demande point à être cultivé, baisse de son prix, pour peu que
l’art en approche.
Qui ne préfère, aux
airs factices du serin, au jargon étudié de la pie ou du perroquet, le chant
libre et sans apprêt du rossignol ?
94° Qu’il n’est pas
très-nécessaire aux femmes d’apprendre l’A, B, C, pour se former le
jugement ; puisque Molière se trouvait bien de consulter sa servante, laquelle
ne savait pas lire.
Malherbe aussi prenait
l’avis de sa ménagère.
95° Que dans les
campagnes, beaucoup de fermières intelligentes gouvernent elles-mêmes
l’intérieur et le dehors de la ferme, sans savoir lire.
96° Qu’une jardinière
qui ne sait pas lire, mais qui dans chaque saison fait éclore les fleurs les
plus brillantes, est préférable à ces dames occupées matin et soir de
l’assortiment de leurs pensées.
97° Que les femmes
insisteraient en vain sur la nécessité d’apprendre à lire, puisque Duguesclin
lui-même, connétable de France, et le plus grand homme de son siècle, ne savait
ni lire, ni écrire.
98° Que les femmes
douées d’un bon esprit seront les premières à consentir la présente loi, quand
elles en auront pesé les motifs dans leur sagesse, et dans l’intérêt qu’elles
inspirent. Elles verront dans cette mesure urgente et nécessaire, non pas une
extension du despotisme viril, mais bien plutôt un rappel à la raison.
« Toute l’habileté
d’une femme est dans sa quenouille ; » — et ce proverbe français :
« Femme sage
Reste à son ménage. »
100° Ce qu’on lit dans
Aristote :
« La femme ne doit
penser qu’à la conservation de ce qui se trouve dans l’intérieur de la maison.
»
(Les Économiques.)
101° La solidité de
ces paroles de Fénélon :
« Les filles qui ont
de l’esprit s’érigent souvent en savantes et en précieuses ; elles lisent tous
les livres qui peuvent nourrir leur vanité, et se remplissant l’esprit de je ne
sais quelles idées chimériques, elles se gâtent même par là pour le monde. »
(Éducation des Filles.
1687.)
102° Le grand sens
renfermé dans ces paroles du P. Mallebranche :
« C’est aux femmes à
décider des modes, à discerner le bon air et les belles manières ; elles ont
plus de science, d’habileté et de finesse que les hommes sur ces choses. Tout
ce qui dépend du goût est de leur ressort ; mais… etc. »
(Recherche de la
vérité.)
103° Ce passage
considérable de la première Encyclopédie :
« On pourrait douter si l’étude des
lettres ne coûte point aux femmes un peu d’innocence. »
« La gloire d’une
femme est de vivre ignorée » — et de rester ignorante, aurait dû ajouter
Desmathis, pour dire tout ce qu’il pensait.
105° De quel poids est
cette autre citation de Michel Montaigne :
« La plus utile, la
plus honorable science d’une mère de famille est la science du ménage. »
« Si les bien nées
(les dames) me croient, elles se contenteront de faire valoir leurs propres et
naturelles richesses… Que leur faut-il, que vivre aimées et honorées ? Elles
n’ont et ne savent que trop pour cela. »
(Essais. III. 3.)
106° Ce qu’a dit
Balzac :
« J’aimerais mieux
avoir une femme qui eût de la barbe, qu’une femme qui eût du savoir. »
107° La valeur de ce
mot de S.-Evremont :
« On se défend d’une
savante, mais on ne se défend point d’une femme : on a quelqu’estime sèche et
stérile pour la capacité de l’une ; mais le cœur s’allume pour les agréments de
l’autre. »
(S.-Evremoniana.)
« … À Paris, il y a
des femmes qui écrivent et qui font des livres ; les plus sages font des enfants.
»
108° En outre l’autorité
de ce passage, tiré de la Bibliothèque des femmes :
« Partout les lois, en réservant aux hommes la
plume et l’épée, ont semblé borner le sexe aux soins du ménage. »
109° L’autorité plus
grave encore de J. J. Rousseau, dans une Note (K) de sa lettre à Dalembert,
qu’il serait par trop dur de reproduire ici. Il nous sera plus doux de
rapporter la citation suivante du plus éloquent des philosophes :
« Est-il au monde un
spectacle aussi touchant, aussi respectable que celui d’une mère de famille
entourée de ses enfants, réglant les travaux de ses domestiques, procurant à
son mari une vie heureuse et gouvernant sagement sa maison, etc. »
110° La justesse de ce
passage :
« La fluidité du sang
et l’agilité des esprits animaux rendent les femmes incapables d’apporter une
attention sérieuse à tout ce qui est un peu abstrait ;
et le dégoût qu’elles sentent pour tout raisonnement suivi, prouve la
délicatesse de leur imagination, qui n’a pas la force de soutenir cet effort. »
(Du Bel-Esprit, 1695.
Paris.)
Study at a Reading Desk - Lord Frederick Leighton (1877) |
111° Que quelqu’un a dit :
« L’étude et les livres ne servent
qu’à rendre une femme insupportable. »
(P. Com.)
Un écrivain plus
moderne encore a dit :
« Le défaut du siècle
est d’avoir le cœur sec et de tout faire avec l’esprit, défaut particulier aux
femmes. »
112° Ce qu’Homère met
dans la bouche de Jupiter s’adressant à Vénus :
« Contentez-vous des
jeux, des ris et des appas. Présidez aux amours… »
(Iliade V.)
… Mais n’étudiez pas !
pourrait-on ajouter,
en généralisant la citation et en l’appliquant à toutes les femmes.
« Renoncez (dit le
continuateur d’Homère) renoncez à un dessein dont l’exécution surpasse vos
forces, et reprenez dans l’intérieur de vos maisons et les toiles, et les ouvrages
propres à votre sexe. »
(Quintus, de Smyrne,
trad. par Tourlet, Ch. i. T. i. in-8o. 1800.)
113° Enfin la justesse
et la convenance de ces bons vers :
Il n’est pas bien
honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu’une femme étudie et
sache plusieurs choses.
Former aux bonnes
mœurs l’esprit de ses enfans,
Faire aller son
ménage, avoir l’œil sur ses gens,
Et régler sa dépense
avec économie,
Doit être son étude et
sa philosophie.
Nos pères sur ce point
étaient gens bien sensés
Qui disaient qu’une
femme en sait toujours assez…
Les leurs ne lisaient
point ; mais elles vivaient bien ;
Leurs ménages étaient
tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé,
du fil et des aiguilles,
Dont elles
travaillaient au trousseau de leurs filles ;
Les femmes d’à présent
sont bien loin de ces mœurs ;
Elles veulent écrire,
et devenir auteurs…
Molière.
TEXTE DE LA LOI.
EN CONSÉQUENCE
I.
La raison veut (dut-elle passer pour Vandale) que les
femmes (filles, mariées ou veuves) ne mettent jamais le nez dans un livre,
jamais la main à la plume.
Jeune fille au livre - Pietro Antonio Rotari |
II.
La Raison veut :
À l’homme, — l’épée et la plume.
À la femme, — l’aiguille et le
fuseau.
À l’homme, — la massue d’Hercule.
À la femme, — la quenouille
d’Omphale.
À l’homme, — les productions du
génie.
À la femme, — les sentiments du
cœur.
III.
La Raison veut que chaque sexe soit
à sa place, et s’y tienne.
Les choses vont mal, quand les deux
sexes empiètent l’un sur l’autre.
La lune et le soleil
ne luisent point ensemble.
S…
IV.
La Raison ne veut pas plus que la
langue française, qu’une femme soit auteur : ce titre, sous toutes ses
acceptions, est le propre de l’homme seul.
V.
La Raison veut que les sexes diffèrent
de talents comme d’habits.
Il est aussi révoltant et scandaleux
de voir un homme coudre, que de voir une femme écrire ; de voir un homme
tresser des cheveux, que de voir une femme tourner des phrases…
VI.
La Raison maintient ce vieux
Proverbe :
« Les paroles sont des
femelles, les écrits sont des mâles. »
En ce qu’il semble faire les parts
et assigner à chacun des deux sexes le talent qui lui convient.
N. B. Toute la sagesse des nations
est dans leurs proverbes.
VII.
La Raison veut que l’on dispense les
femmes d’apprendre
— à lire,
— à écrire,
— à imprimer,
— à graver,
— à scander,
— à solfier,
— à peindre, etc.
Quand elles savent un peu de tout
cela, c’est trop ordinairement aux dépens de la science du ménage.
VIII.
La Raison veut donc que la plume à
écrire et le pinceau, le crayon et le burin, soient interdits à la main des
femmes ; l’aiguille à coudre et le fuseau, à la main des hommes.
IX.
La Raison veut que dans les arts du
dessin, de la peinture et de la gravure, les femmes ne perdent pas le temps à
porter leurs prétentions au-delà de celles de la sensible Dibutade.
Cette jeune beauté de Sycione traça
sur la muraille, à la lueur d’une lampe, le pourtour de l’ombre de son jeune
ami, obligé de faire un long voyage.
(V. l’Hist. Nat. de Pline, XXXV,
12.)
Jeune fille lisant
Franz Eybl (1806-1880)
|
X.
La Raison veut et la décence
n’approuvent point du tout que de jeunes dessinatrices passent des journées
entières à contempler et à copier les belles proportions de l’Apollon du
Louvre, ou du Lantin, ou de l’Hercule Farnèse… etc.
Périssent tous les arts, plutôt que la
pudeur !
S…
XI.
La Raison veut que les femmes, dans
leurs loisirs, apprennent naturellement à chanter, sans livres et sans maîtres
; mais qu’elles ignorent toute leur vie combien il y a de notes dans la
musique, de lettres dans l’alphabet, de syllabes dans un vers alexandrin ou
pentamètre.
Les femmes sont nées pour être
aimables et vertueuses, et non pour devenir des virtuoses et des savantes.
XII.
La Raison veut que les maris soient les seuls livres de
leurs femmes ; livres
vivants, où nuit et jour, elles doivent apprendre à lire leurs destinées.
« Il serait bienséant
et honorable (dit un vieux livre) d’ouir une femme qui dirait à son mari : mon
ami, tu es mon précepteur, mon maître de philosophie… etc. »
(Institution de l’homme, 1626. p.
441. in-8o.)
N. B. Une femme bel-esprit et auteur
de cinq à six gros livres, vint rendre visite à une mère de trois filles et de
trois garçons :
« Voici, dit la mère de famille, (en
présentant ses enfans et leur père à la dame-auteur) voici mes productions et
ma bibliothèque. »
XIII.
La Raison veut que les femmes
sachent leur langue maternelle, seulement :
« C’est une vanité aux femmes (a dit
quelqu’un) de parler une langue étrangère. »
(Lettre à une demoiselle, p. 149,
in-12. 1737.)
XIV.
La Raison veut que l’on fasse grâce
aux femmes de l’étude aride et sèche de la grammaire ; les femmes étant
destinées à des occupations plus agréables et moins stériles.
XV.
La Raison veut aussi que l’on
dispense les femmes des éléments non moins ingrats de la géographie et de
l’histoire ; leur mémoire fragile porte mal le fardeau des dates et d’une
lourde nomenclature.
Quel inconvénient, d’ailleurs, à ce que les femmes
fassent des anachronismes ?
XVI.
La Raison veut que les femmes
n’apprennent point à lire aux astres : qu’elles comptent les œufs de la
basse-cour, et non les étoiles du firmament !
XVII.
La Raison veut que l’on interdise
aux femmes la botanique par principe : qu’elles se bornent à la connaissance
des plantes potagères et de quelques simples !
XVIII.
La Raison n’approuve pas les femmes
qui assistent aux leçons de la chimie : les cuisinières qui ne savent pas lire,
sont celles qui font la meilleure soupe.
N. B. Le législateur des femmes
espère qu’on lui pardonnera ces menus détails. L’utile avant tout.
« Rien n’est vil dans l’intérieur du
domestique, pour une femme sage, » dit un poète de la Chine.
An Interesting Book
Seymour Joseph Guy (1824-1910)
|
XIX.
La Raison souffre de voir les femmes
grossir le troupeau des gens de lettres ; elles ont assez déjà des infirmités
attachées à leur sexe, sans s’exposer encore à celles de cette profession.
XX.
La Raison veut que le médecin d’une
femme de lettres lui ordonne, avant tout, de poser la plume et de renoncer aux
livres, à tout jamais.
La nièce de Descartes mourut de la
pierre, causée par son obstination à l’étude.
Or, le plus beau livre ne vaut pas
une femme saine de corps et d’âme.
XXI.
La Raison veut que l’on dise
toujours les trois Grâces, mais que l’on ne dise plus les neuf Muses ;
mythologie injurieuse au sexe, puisqu’elle tend à faire croire que sur douze
femmes, on en compte neuf de pédantes, sur trois seulement d’aimables.
« Le goût des lettres chez les
femmes, (dit Thomas) a été regardé comme une sorte de pédantisme. »
(Essai sur les Femmes.)
XXII.
La Raison déclare qu’une mère de
famille n’a pas besoin de savoir lire, pour bien élever ses filles.
XXIII.
La Raison et la décence veulent qu’une fille reçoive des
leçons de sa mère seulement.
L’éducation du sexe n’eut d’abord
(dans le tems que Rome était vertueuse) pour objet, que l’économie intérieure
de la maison, et les ouvrages que les mères apprenaient elles-mêmes à leurs
filles.
XXIV
La Raison n’approuve pas ces maisons
d’éducation pour les jeunes demoiselles, où on leur apprend tout, excepté la
seule chose qu’elles doivent connaître, la science du ménage.
La belle éducation donnée à S.-Cyr
aux jeunes filles nobles et pauvres, en faisait des femmes pédantes et
hautaines.
XXV.
Il n’y aura plus de maîtresses d’école.
XXVI.
Les femmes artistes, virtuoses,…
etc., ne feront plus d’élèves.
XXVII.
La Raison veut que lorsqu’on
s’occupera d’une loi sur l’adoption, on se donne de garde d’en accorder l’usage
aux femmes lettrées, virtuoses,… etc.
XXVIII.
La Raison veut que toute fille de bonne maison, avant
d’obtenir un mari, fasse preuve de talents utiles.
XIX.
La Raison veut qu’une jeune vierge,
instruite par sa mère aux seules vertus privées, aux seuls détails du ménage,
et bien pénétrée de l’amour de ses devoirs et du travail, soit dispensée d’avoir
une dot pour avoir un mari.
Bishop Isabel (1902-1988) |
XXX.
La Raison ne conseille à personne de
choisir pour épouse et compagne la fille d’une femme lettrée.
XXXI.
La Raison veut que les épousées ne devant point savoir
lire, et par conséquent ne pouvant signer leur contrat de mariage, on se
contente de leur consentement verbal devant le magistrat et les témoins.
Une femme bien née ou bien élevée, doit être crue sur
sa parole.
XXXII.
La Raison veut que l’on grave sur le
frontispice des salles de mariage, l’apophtegme suivant :
Demande.
Quel est l’homme le plus heureux ?
Réponse.
L’homme le plus heureux, c’est le
mari d’une femme sage sans livres.
XXXIII.
La Raison recommande aux époux ce
proverbe Chinois :
« Cultiver la vertu est la science des
hommes ; renoncer à la science est la vertu des femmes. »
XXXIV.
La Raison veut que la sur-veille des
noces, le meilleur ami ou le plus proche parent d’un épouseur, lui répète par
trois fois les paroles suivantes, qu’Euripide met dans la bouche du jeune
Hyppolite ; et que le trop galant Racine s’est bien gardé de nous transmettre :
« … Heureux l’époux
qui ne voit en sa maison qu’une femme simple ! car le comble du malheur, c’est
une femme bel-esprit. Me préservent les Dieux d’une épouse qui sait plus
qu’elle ne doit savoir !… »
(Act. III. Scène 2. Phèdre et
Hyppolite.)
N. B. Phèdre se piquait de bel-esprit, voire même de philosophie ; Phèdre
!…
XXXV.
La Raison veut que dans le
cérémonial du mariage chez les modernes, on imagine quelqu’incident du genre de
celui-ci pratiqué par les anciens :
En Béotie, les nouvelles mariées
étaient conduites avec pompe à la maison de leur époux, montées sur un char
dont on brûlait l’essieu à la porte, afin de leur faire entendre qu’elles n’en
devaient plus sortir.
XXXVI.
Dans Rome ancienne, quand une
nouvelle mariée posait le pied sur le seuil de la maison maritale, on lui
demandait :
Que savez-vous ?
Elle ne répondait pas : je sais
lire, je sais écrire, je sais peindre, etc.
Elle disait simplement, Je sais
filer.
La Raison veut que l’on renouvelle
cet ancien usage.
Les bons usages ne devraient jamais passer de mode.
XXXVII.
La Raison invite à compulser le
greffe des tribunaux civils et criminels ; on
y verra dans le nombre des épouses divorcées beaucoup plus de femmes de
lettres, virtuoses,… etc., à proportion que d’autres.
Est-ce pour éviter ce scandale que
les neuf Muses gardent le célibat ?
XXXVIII.
La Raison veut qu’une femme soit
aussi réservée à montrer en public les trésors de son esprit, que les charmes
secrets de sa beauté.
XXXIX.
La Raison veut que, pour donner
l’exemple, les épouses de nos premiers Magistrats, Sénateurs, Tribuns, Juges,
Généraux, etc. aux thés, aux cercles, aux conversations et autres assemblées
oiseuses, substituent chez elles des veillées laborieuses et utiles, où on les
verrait avec édification, mettre elles-mêmes la main aux vêtements de leurs
augustes époux.
Andromaque et Pénélope, femmes de
deux héros, ne dédaignaient pas de présider à tous les détails domestiques.
Femme lisant
Pierre-Auguste Renoir (1895)
|
XL.
Les maîtresses de maison pourront
coudre un vêtement, pour l’offrir à titre de reconnaissance ou de cadeau à
l’homme de lettres, dont elles auront entendu, pendant leurs veillées, un
ouvrage rempli de sentiments vertueux et de talent.
La bonne madame Geoffrin, l’amie de
d’Alembert, en agissait ainsi ; elle faisait présent de hauts-de-chausses de
velours aux auteurs qui l’avaient intéressée par leurs lectures.
XLI.
La Raison veut que chaque bal soit
précédé par quelques heures d’un travail à l’aiguille ou au fuseau.
XLII.
La Raison interdit aux femmes les
livres d’église : n’ont-elles pas le chapelet et le rosaire ?
XLIII.
La Raison veut que les femmes,
absolument étrangères aux misérables disputes des prêtres, s’en tiennent à la
religion du cœur, et ne confessent leurs fautes qu’aux auteurs de leurs jours,
ou à leurs maris, seuls juges compétents.
XLIV.
La Raison invite ceux qui prennent
quelqu’intérêt à la dignité des lettres, à dissuader les femmes d’envahir un
champ qu’elles n’ont point la force de cultiver, comme il veut l’être.
La pensée est chose sainte ; et le
feu sacré du génie s’éteindrait tout-à-fait, s’il était sous la garde même des
Vestales.
C’est ce qui est arrivé au divin
Homère, sous la plume de madame Dacier.
XLV.
La Raison veut que les femmes se
contentent d’inspirer les poètes, sans chercher à le devenir elles-mêmes.
Le cheval Pegaze ne se laisse bien monter que par un
homme.
Une femme poète, est une petite monstruosité morale et
littéraire ; de même qu’une femme souverain est une monstruosité politique.
XLVI.
La Raison défend aux versificateurs,
prosateurs, orateurs, d’enivrer les femmes par un encens perfide qui fait
qu’elles se croient nées pour toute autre chose que pour aimer et pour l’être.
Les poètes coupables effaceront ces
madrigaux avec leur langue, comme il se pratiquait jadis à Marseille et à Lyon.
Suivant Bayle : « les femmes sont
faciles à gagner par les vers. »
(Dictionn.)
XLVII.
La Raison veut que désormais il soit
permis aux courtisanes, seulement, d’être femmes de lettres, beaux-esprits et
virtuoses.
Les plus fameuses courtisannes de la
Grèce l’étaient, les deux Aspasie,
Rhodope, Phryné, Lays, Thaïs, Lamia ; Hypparchie était cynique de théorie et de pratique : Cléonice
composait des livres avec ses amants.
(Aux premiers siècles de l’histoire «
on ne tenait pas pour de véritables vierges les filles qui faisaient de grandes
conversations, et qui montraient leur bel-esprit. »
(Fleury.)
XLVIII.
La Raison veut que les femmes
s’abstiennent non pas seulement de la science des livres, mais encore de la
science des cartes à jouer, et de l’art de tirer les cartes : ces deux
occupations ruineuses, ne supposent ni esprit ni jugement.
XLIX.
La Raison veut aux femmes l’usage
des livres, quand les anges seuls se mêleront d’en composer.
« Pourquoi, (dit une maxime
chinoise) ne pas apprendre à lire aux femmes ? — Parce qu’il y a de mauvais
livres. »
La Raison veut que les compagnies
savantes et les corps littéraires se refusent au plaisir de compter des femmes
au nombre de leurs membres.
Les matrones de Rome ne hantaient
pas les Gymnases.
La décadence de l’empire romain date
du moment où les femmes se permirent d’assister au cirque, aux amphithéâtres,
etc.
Les femmes grecques ne se montraient
point aux jeux olympiques.
« Les femmes (dit le bon Plutarque) ne doivent jamais sortir dehors… Leur office est de bien garder la
maison. »
(Œuvres morales.)
LI.
La Raison désapprouve ces listes
d’académiciens, grossies par des noms de femmes.
Le nom d’une femme ne doit être
gravé que dans le cœur de son père, de son mari, ou de ses enfants.
LII.
La Raison veut qu’en attendant
l’entier accomplissement de la présente loi, les femmes s’abstiennent de lire,
et même d’assister aux séances publiques ou particulières des Instituts,
Académies, Cercles ou Sociétés littéraires, Portiques ou Veillées des Muses,
Musées, Lycées, Prytanées, Athénées,… etc. ; comme aussi de suivre les catéchismes
et les cours, de hanter les bibliothèques,… etc. Ce n’est pas là leur place :
les femmes ne sont bien que chez elles, ou dans une fête de famille.
« Ses spectacles (dit Thomas, en
parlant d’une femme estimable) sont ses enfants. »
(Essai sur les femmes.)
LIII.
La Raison veut que les femmes ne soient point admises
aux tribunes du corps législatif, ni aux séances du tribunat, ni dans le
parquet des tribunaux, ni aux fenêtres des maisons avoisinant les places publiques
destinées aux exécutions.
Leur présence y serait un
contresens.
Une femme ne doit et ne peut
paraître avec décence et solennité qu’au tribunal de famille ou de paix.
LIV.
La Raison veut qu’une femme puisse voter dans une
assemblée de famille ; la Raison désapprouverait fort que les femmes aillent
opiner à la tribune d’une assemblée nationale.
Le premier des deux sexes, représentant naturel de
l’autre, discute et stipule pour les deux ensemble.
La voix d’une femme parmi les législateurs ferait
nécessairement cacophonie.
Qu’elles aillent plutôt au marché !
LV.
La Raison veut que, sans avoir égard
à la réclamation de Condorcet (qui ne fut pas toujours philosophe dans sa
conduite et dans ses écrits), les femmes continuent à renoncer au droit de
cité, dont elles ne sauraient remplir les devoirs.
Serait-il convenable et décent, par
exemple, que les jeunes filles et les femmes montassent la garde, fissent des
patrouilles ?… etc.
On retrouve Condorcet tout entier, quand
il dit, dans la même dissertation :
« Les femmes sont
supérieures aux hommes dans les vertus domestiques ; elles sont meilleures,
plus sensibles, moins sujettes aux vices qui tiennent à l’égoïsme, à la dureté
du cœur ; mais… »
LVI.
La Raison veut que les femmes
tiennent le sceptre de la politesse, sans aspirer à celui de la politique.
Une femme serait aussi déplacée sur
un trône que dans la chaire d’un évêque.
Que de plaisanteries ne s’est-on pas
permises sur la papesse Jeanne ?
« Mais Catherine II, en Russie,
dira-t-on. »
Quelle est la femme honnête qui
voulût ressembler à cette impératrice immorale ?
La reine Christine, elle-même,
disait :
« Mon sentiment est
que les femmes ne devraient jamais régner ».
LVII.
La Raison veut que les femmes
demeurent, à l’avenir comme par le passé, étrangères aux ambages de la
diplomatie.
« Ce n’est pas dans les affaires
d’état, (dit Théophraste) c’est dans sa famille qu’une femme doit montrer son
esprit et sa prudence. »
(Caractères.)
LVIII.
La Raison veut que tout citoyen qui
aura choisi pour épouse et compagne une femme lettrée ou une virtuose, soit par
le fait, regardé comme inhabile à remplir une fonction publique de
quelqu’importance.
Périclès, gouverné par une femme
philosophe, ne gouverna point Athènes avec toute la sagesse qu’on attendait de
lui. Son administration fut brillante, mais aux dépens de la liberté publique ;
et cependant Périclès n’avait pas craint d’adresser aux dames d’Athènes le
discours suivant, traduit mot-à-mot :
« Pour ce qui vous regarde, voici
quel est mon avis en peu de paroles ; n’aspirez qu’à ces vertus qui sont
particulières à votre sexe, suivez la modestie qui vous est naturelle ; et
croyez que le plus grand éloge que vous puissiez obtenir, c’est qu’on ne dise
rien de vous ni en bien ni en mal. »
LIX.
La Raison… qui dispense les femmes
d’apprendre à lire et à écrire, pour empêcher qu’elles n’éludent la présente
loi, en dictant les produits de leur imagination à un copiste complaisant,
défend à tout homme d’écrire sous la dictée des femmes, excepté une lettre à
leurs pères ou à leurs maris absents, ainsi tout ce qui peut intéresser
l’économie domestique.
Femme lisant - Vallotton (1922) |
LX.
La Raison veut que tous les bons
livres (et ils ne sont pas en si grand nombre) soient lus aux femmes, mais non
lus par elles.
LXI.
La Raison veut que les chefs de
maison, les pères et les maris se fassent un devoir de remplir les fonctions de
lecteurs auprès des femmes. Est-il un tableau plus touchant que celui de
Greuze, représentant un père de famille, lequel assis à une table, fait lecture
de la bible à ses enfants rangés autour de lui ?
LXII.
Chacun des chefs de transcrira, pour
le lire à sa femme et à ses filles, à tout le moins une fois l’an, le premier
livre des Économiques par Xénophon : c’est un chef-d’œuvre de raison et de sensibilité.
LXIII.
La Raison veut qu’un chef de maison réponde à sa femme
et à ses filles tentées de lui reprocher le peu d’éducation littéraire qu’il
leur donne, par ce passage d’un livre plein de sens, imprimé au commencement du
siècle qui vient de finir :
« De toutes les sciences, celle qui
convient le mieux aux femmes et à laquelle elles se devraient principalement
appliquer, c’est la science des mœurs… Les autres sciences leur sont fort
inutiles… L’expérience leur apprend que si elles veulent s’attirer de l’amour,
du respect et de la considération, il ne faut pas pour cela qu’elles soient
théologiennes, mathématiciennes, physiciennes, rhétoriciennes, historiennes…
etc. Les
plus instruites dans ces sciences, ne sont pas celles qui plaisent le plus. »
LXIV.
La Raison veut que le père, le mari,
les frères et les enfants de chaque maison ne portent d’autres vêtements que
ceux filés et tissus de la main des filles et des sœurs, des épouses et des
mères.
L’empereur César Auguste portait
d’ordinaire des habits faits par sa femme, sa sœur et ses filles.
En ce temps-là, on ne voyait point
les femmes armées d’une plume et d’une férule, composer des romans et des
traités de théologie.
En ce temps-là, on ne voyait point
un père et sa fille jouter l’un contre l’autre à qui fera les plus gros livres
de finance et de littérature, de morale et de religion, tandis que la mère plus
sage et mal imitée, fondait des hospices.
LXV.
En Chine, la femme d’un Lettré ne
peut pas employer des mains étrangères pour les habits de son époux ; il faut
qu’elle en tire la matière de ses vers-à-soie, la mette en œuvre et les fasse
elle-même.
(Voyez le Ly-Ki.)
La Raison propose cet exemple aux
épouses et compagnes des membres de l’Institut et des autres Sociétés
littéraires.
LXVI.
La Raison veut que les femmes qui
s’obstineraient à faire des livres, ne soient point admises à faire des enfants.
Bayle ne conseille point aux
beaux-esprits femelles de s’engager dans les liens du mariage.
Selon lui : c’est le sort ordinaire
des femmes savantes d’essuyer plusieurs chagrins domestiques…
(Dictionnaire.)
Bayle aurait pu ajouter : et d’en
causer.
LXVII.
Les hommes ont consacré une fête à
la découverte de l’alphabet et de l’imprimerie.
Les hommes et les femmes se réuniront pour célébrer une
invention charmante, plus précieuse peut-être encore, et qui certainement est
point susceptible des mêmes abus, l’invention de la gaze.
LXVIII.
La Raison veut qu’on réalise cette
ancienne loi proposée par le sage Pythagore au peuple de Crotone.
« Honore la charrue et
la quenouille ; consacre leur une fête chaque année. »
(2578. loi.)
On conserva, pendant plusieurs
siècles, dans un temple, à Rome, la quenouille et le fuseau de Tanaquil, chargés de la laine que cette
reine avait filée. Elle passait pour la plus habile fileuse de son tems.
Les filles romaines qui se mariaient
étaient accompagnées pendant le cérémonial d’une personne portant une
quenouille garnie.
En Chine, l’impératrice célèbre tous
les ans la fête du fuseau.
Filer vaut mieux qu’ourdir des
trames politiques ou des cabales littéraires.
LXIX.
La Raison veut que dans toutes les
assemblées et fêtes publiques, les filles à talent et les femmes de lettres,
(tant qu’il y en aura) cèdent le pas aux bonnes ménagères et aux mères de
famille.
Jeune fille lisant - Fragonard (1776) |
LXX.
La Raison veut que le soin de brûler
des parfums et de tresser les guirlandes de fleurs et les couronnes dans les
fêtes publiques, soit réservé aux vierges pures et sans lettres.
Les épouses et les mères de famille
gardent la maison.
LXXI.
La Raison veut que les bonnes actions
des filles sages, des épouses vertueuses et des mères de famille soient
proclamées, en leur absence, dans les solennités nationales.
On portera chez elles les couronnes
qui leur auront été décernées. On leur répétera l’hymne chanté en leur honneur,
et non imprimé ; on en confiera la tradition à la mémoire de leurs parents ou
de leurs enfants.
LXXII.
La Raison veut qu’aux fêtes
publiques dans toutes les communes, on proclame, non les femmes auteurs de
beaux livres, mais les mères de beaux enfants.
LXXIII.
La Raison veut qu’on grave sur la tombe des femmes recommandables par la science et la pratique du
ménage, cette belle et antique épitaphe de la reine Amalasonthe, non pas la fille de Théodoric, roi des Goths, mais une
autre Amalasonthe, beaucoup plus ancienne :
Casta vixit,
Lanam fecit,
Domum servavit.
Elle vécut chaste,
Travailla en laine,
Et garda la maison.
LXXIV.
Les auteurs dramatiques sont invités
à consacrer leurs talents au but moral de la présente loi. Ils pourront
employer tour-à-tour les armes du sentiment et du ridicule au triomphe de la
nature et de l’antiquité, compromises par la mauvaise éducation donnée aux
femmes.
LXXV.
Les pères et les maris sont responsables de la stricte
observance de la présente loi.
Ils seront, seuls, punis des contraventions de leurs
filles et de leurs femmes.
LXXVI.
La présente loi est commise à la
garde des pères de famille et chefs de maison.
Chaque père de famille et chef de
maison, se procurera un exemplaire de ladite loi, pour être placé à l’endroit
le plus apparent du domicile.
LXXVII.
La Raison veut que ce projet, pour
devenir loi, obtienne la pluralité des suffrages : en conséquence, un vase à
scrutin sera ouvert pour recevoir le oui ou le non des chefs de maison, des
pères de famille, et des hommes mariés.
LXXVIII.
Aussitôt ce projet de loi aura
obtenu sa sanction par la pluralité des suffrages, chacun des chefs de maison
donnera une fête à sa famille, pour y proclamer ladite loi, dans l’intervalle
du repas aux danses.
En même temps, il fera jeter au milieu
d’un feu de joie tous les livres et instruments à l’usage de l’éducation
factice des femmes. Autour du bûcher, on chantera une ronde composée dans l’esprit
des couplets suivants :
Sur l’air : Chantez, dansez,… etc.
Faut-il tous ces
livres poudreux,
Pour être amante,
épouse et mère
La nature en sait plus
long qu’eux ;
Avec le cœur on sait
tout faire.
Chantons, dansons,
travaillons bien ;
Aimons-nous, le reste
n’est rien.
Deux jeunes époux bien
portant
Ont-ils besoin de
savoir lire,
Pour être auteurs d’un
bel enfant
Qui commence par leur
sourire ?
Chantons, etc.
Le nouveau-né,
certainement,
Peut se passer de la
grammaire ;
Sans savoir lire au
rudiment,
Il tete et caresse sa
mère.
Chantons, etc.
Tête d'une femme lisant - Pablo Picasso (1953) |
ARTICLES
SUPPLÉMENTAIRES.
LXXVII.
En attendant que l’on prenne le même
parti à l’égard de beaucoup d’autres livres, tous les ouvrages composés par les
femmes ou pour elles, seront incessamment réunis en un seul dépôt.
LXXVIII.
Le flambeau de la critique fera, de la plupart de ces
nombreux volumes, un sacrifice expiatoire au bon sens.
LXXIX.
Cette mesure, peut-être un peu
extrême, a pourtant cela de bon, que par elle cessera nécessairement la
distinction des femmes lettrées et de celles qui ne le sont point.
Ce qui mettra fin à la petite guerre
sourde qui existe entre elles.
Pour donner un exemple de l’esprit
dans lequel on doit procéder à la réforme des livres, on ne conservera de tous
les volumes du Parnasse des Dames, que les lignes suivantes : « La vie
sédentaire des Dames Romaines, uniquement occupées de l’intérieur de leur
maison, le soin qu’on prit tout le temps que dura la République, de les élever
dans l’ignorance, le profond respect même qu’on leur portait et les honneurs
presque divins rendus à celles qui avaient vécu retirées, chastes et laborieuses,
étaient autant d’obstacles pour les détourner de l’amour des lettres…
Les Dames Romaines n’ambitionnèrent
le titre de bel esprit et de philosophes, que lorsqu’elles cessèrent de
prétendre aux noms plus respectables de mères tendres et d’épouses fidèles…
etc.
Les Dames Romaines ne commencèrent à
cultiver les lettres que dans le temps de leur décadence. »
P. S. Les Chinoises sont aussi peu
curieuses de Littérature et d’Histoire que les Européennes, de morale et
l’algèbre : leur domestique est leur univers ; plus elles s’occupent à le bien
gouverner, plus elles sont heureuses et estimées. On aimerait presqu’autant
leur voir prendre un sabre qu’un pinceau (c’est-à-dire une plume) : pour leur
en ôter l’envie, on ne leur apprend pas à lire.
Encore une petite citation.
« … L’étude des langues et des
connaissances relevées, loin de rendre une femme utile à sa famille, ne
servirait qu’à la distraire et à l’enorgueillir jusqu’au point de négliger le
soin des affaires domestiques, de mépriser toute subordination et de maudire la
condition de son sexe… Les objets essentiels de l’éducation d’une femme sont…
la science de tout ce qui inspire la douceur, la modestie, la propreté du
corps… etc. »
N. B. On remplirait plusieurs volumes in-folio
d’autorités graves, prouvant la nécessité et l’urgence d’une loi dans l’esprit
de celle dont nous publions ici le programme.
DISTIQUE
SUR UNE FEMME-HOMME DE LETTRES.
Dédaigneuse et
superbe, elle croit tout savoir ;
Son mari n’est qu’un
sot, trop heureux de l’avoir.
Phil. Desportes.
AVIS AUX FEMMES.
Voulez-vous que la
paix dans vos cœurs se conserve,
Belles, que le travail
vous occupe toujours !
Souvent l’aiguille de
Minerve
Repousse les traits
des amours.
Pannard.
Au tems où nous
vivons, deux têtes exaltées
Du sexe féminin
outre-passant les droits,
La S**, la G**, deux
chèvres Amalthées,
Ont singé les docteurs
des peuples et des rois.
Par un savant breton,
Lebrig…
EXTRAIT.
DE LA BIBLIOTHÈQUE DES AMANS.
À UNE FEMME BEL ESPRIT.
Sur les bancs poudreux
de l’école,
Non, je n’aimerais pas
te voir
Dans les volumes de
Barthole
Puiser un pénible
savoir.
Ne vante pas tant la
science ;
Ève sait ce qu’elle a
coûté :
Il est une aimable
ignorance
Qui sied bien mieux à
la beauté.
La beauté souvent
n’est savante,
Hélas ! qu’aux dépens
de son cœur :
Qu’une Agnès est
intéressante !
On préfère à tout sa
candeur.
De tous les arts,
Pallas est mère ;
Pallas pourtant n’eut
pas le prix :
Vénus qui ne savait
que plaire,
Le reçut des mains de
Pâris.
Les neuf sœurs sont
encor pucelles,
Malgré leurs sublimes esprits
;
Moins savantes, nos
immortelles
Auraient pu trouver
des maris.
Hortense, une longue
lunette
Qui fatiguerait tes
beaux yeux,
T’irait plus mal
qu’une navette
Entre tes doigts
industrieux.
Ta bouche, notre
idolâtrie,
Faite pour le propos
badin,
Deviendrait-elle plus
jolie,
Quand tu saurais
parler latin ?
L’aigle altier porte
le tonnerre ;
Dans les cieux il a
son séjour :
La colombe rase la
terre,
Et n’est faite que
pour l’amour.
Sylvain.
La Liseuse à la fenêtre - Vermeer de Delft (1657) |
LE
DÉCALOGUE
OU
LES
DIX COMMANDEMENTS AUX FEMMES.
I.
Pour ton Dieu, amour tu auras,
Et serviras honnêtement.
II.
Amour en vain ne jureras
Ni par l’Hymen pareillement.
III.
Foi conjugale garderas
À ton époux dévotement.
IV.
Infidèle point ne seras,
De fait ni volontairement.
V.
Père et mère honoreras
Afin de vivre plaisamment.
VI.
Trop exigente ne seras
De corps, d’esprit, ni autrement.
VII.
D’autres sciences n’apprendra
Que ton ménage seulement.
VIII.
Romans et vers ne feras,
Ni mentiras aucunement.
IX
Tes enfans tu allaiteras,
Pour être mère absolument.
X
Vivant ainsi, droit tu iras
En paradis dès ce moment.
Sylvain.
Carl Larsson (1853-1919) |
Bonjour,
RépondreSupprimerSavez vous si la loi a été refusé à cette époque ?
Bonjour. Oui, bien sûr, elle n'est pas passée ! C'est pour ça que j'ai mentionné une "proposition" uniquement. Pour en savoir plus : https://journals.openedition.org/rfp/871
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