The Dinner Party - Kali



Aile 1 : l’Antiquité

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Représentation de Kali, temple de Shiva Nâtarâja, Chidambaram, Tamil Nadu




Kali - Avec cette déesse, nous traversons le temps et la douce vallée de l’Indus (peuplée vers -5000 à -1900 par la civilisation du même nom), pour atteindre le foyer de l’une des religions les plus anciennes encore pratiquée : l’ hindouisme, dont les textes fondateurs, les Vedas, ont été composés entre -1500 et -600. Le premier de ces textes, le Rig Veda, mentionne Kali comme la septième langue dévoreuse d’Agni, le Feu. Forme féminisée du sanskrit « Kala », le Temps, qui signifie également « Noir », voici « Kali » résumée, bien qu’elle ne soit pas encore l’objet d’un culte. Tout comme Brahmâ, Vishnou et Shiva, c’est le Temps qui fera de ces entités des déités au rayonnement puissant.




Quelques déesses préfigurent Kali parmi les innombrables traditions et courants qui mènent à l’hindouisme actuel : Râtri, dans le Rig Veda, est la Déesse de la nuit, que l’on invoquait pour se protéger des loups, des voleurs et de toutes les créatures cauchemardesques tapies dans l’ombre.

Râtri servit de prototype à Dûrga, qui n’y est que mentionnée, mais dont la figure se déploie dans les textes ultérieurs. Elle était vénérée en 500 comme déesse-mère, elle devient au fil des siècles la parèdre de Shiva, la Shakti sans laquelle il n’est qu’une enveloppe vide. La figure de Dûrga est honorée à travers de nombreuses traditions et légendes. Née du feu de l’orage pour venir en aide aux dieux menacés par les démons asuras, elle est lourdement armée : Shiva lui confie son trident, Vishnu son disque, Kumara sa lance, Surya son arc et ses flèches, Yama une massue, Agni sa hache et Ayu sa conque, ce qui faisait qu’elle n’avait pas trop de dix bras et qu’elle peut toujours avoir un beau sourire, elle fut bien nommée « l’Inaccessible », l’Impénétrable !

Kali par Brian Caleffi (Deviant Art)
Dûrga ne manqua pas à son devoir : elle mit la misère à l’asura-buffle qui avait toutefois eu le temps de s’éprendre d’elle. Pour une raison que mes recherches n’ont pas permis d’élucider, les dieux accordèrent au démon d’exaucer son vœu : voir le sexe de Dûrga avant de mourir.Celle-ci, humiliée, se fissura le front en deux de colère !



De la brèche sortit…. Kali.



Etonnante naissance, très proche de celle de l’Athéna grecque, qui sortit bottée et casquée du crâne de Zeus.

Les traditions qui entourent Kali sont à peu de choses près les mêmes que celles de Dûrga, sans toutefois effacer ou nier cette dernière (un mécanisme constant de l’hindouisme), de sorte que les deux cultes sont toujours vivants de nos jours. On prête à Kali les mêmes exploits guerriers contre les démons que sa « mère ». Elle anéantit à son tour l’asura dont le sang était comme une graine, qui repoussait dès qu’il touchait le sol. Pour le vaincre, Kali dut entièrement le boire et le consommer… rendue folle par ce bain de sang, elle dansa et piétina si fort la terre que les dieux s’en inquiétèrent. Pour la calmer, Shiva se jeta à ses pieds.

Kâli - Richard B. Godfrey, XVIIIe siècle

Kali  par Ravi Varma (1945)

Sa représentation (murti) est un peu différente de celle de Dûrga : Kali est représentée nue, la peau noire ou bleue (elle est vêtue de la profondeur de l’Univers), elle possède un minimum de quatre bras, les mains supérieures exhibant des armes et des membres tranchés, tandis que deux de ses mains inférieures rassurent le croyant avec des signes d’accueil et de bénédiction. Ses yeux sont exorbités (alors que Dûrga a un sourire de miel) et elle darde une langue insolente, ce qui lui donne un masque d’hallucinée. Son troisième oeil, celui de la sagesse, est toujours tourné vers son époux, Shiva.

L’apparence de la déesse est proprement terrifiante, ce qui atteste de sa puissance, de sa force. Elle met de l’ardeur au meurtre et exhibe têtes et mains tranchées de ceux qu’elle a terrassés. Elle est le Temps et le Feu, deux guerriers impitoyables qu’on ne peut pas vaincre, elle protège ceux qui la vénèrent.


Le culte de Kali, d’abord tribal, se développa tout particulièrement au Bengale, où on lui offrit des sacrifices vivants, parfois humains. En 1690, Job Charnock fonde la ville de Calcutta (qui est devenu Kolkata en 2001), du nom d’un des villages qui se trouvaient là à cette époque : Kalikata, « la Terre de la déesse Kali ». En 1830, l’Empire britannique mit fin aux agissements d’une secte d’adorateurs de Kali, les Thugs, des assassins rituels qui s’étaient emparés de la lutte contre le pouvoir colonial, et qui étranglaient leurs victimes au moyen de nœuds coulants (ce qui permet de ne pas faire couler de sang, en mémoire du combat de la déesse avec l’asura).

Ses aspects guerriers ne doivent pas nous tromper : la figure de Kali n’est pas plus négative qu’une autre, bien au contraire, car sa fonction protectrice est celle qui prime pour le dévot, qu’elle protège de toute son âme.

Elle est la Bonne Mère, qui peut anéantir celui qui s’en prend à ses enfants.



Le temps a donné ses faveurs à Kali, aujourd’hui adorée en Inde, au Népal ou en Indonésie. Elle est devenue une déesse dominatrice et puissante qui peut prendre des formes multiples, autant de nuances qui étendent son pouvoir à toute chose. Celle qui donne la vie, celle qui apporte la mort, elle est aussi volupté, bienveillance et lumière, comme en atteste cet hymne que j’ai partagé avec vous il y a quelques jours, Les 100 Noms de Kali, issu du Mahanirvana Tantra. Et puis, comme vous avez été très sages, une petite poésie pour vous convaincre de l'adorer... chastement !


« Ô esprit ! Pourquoi t'abandonner aux pensées vaines ? 
Ce faste rituel et ce culte sont vains, 
Qui accroissent encore la vanité de l'esprit ! 
Que ta prière à Elle soit secrète, que nul n'en sache. 
À quoi bon ces poupées de métal ou de cuivre ou de terre ? 
Ne sais-tu pas, insensé, que l'univers entier est l'image de la Mère ? 
Tu apportes une poignée de graines, effronté, 
Comme une offrande à la Mère, à Celle 
Qui nourrit le monde d'aliments délicieux ! 
À quoi bon, fou, illuminer ainsi 
De lanternes, de bougies et de lampes ? 
Fais plutôt que grandisse la lumière de l'esprit, 
Qu’il dissipe sa propre ténèbre, nuit et jour. 
Tu as amené d'innocentes chevrettes au sacrifice. 
Égoïsme cruel !... Pourquoi ne pas dire : Victoire à Kali ! 
Et sacrifier tes passions, ennemies véritables. 


Rampraçad SEN (1718 – 1775)A la Mère Divine


Kali sous les traits de Chinnamasta, la Décapitée, qui piétine l’union sexuelle de Kama et Rati,
tout en buvant et partageant son propre sang... le cycle de la vie…


EPILOGUE

Au XXème siècle, notre Carl Gustav Jung s’est emparé de la figure de Kali, dans sa théorie sur l’animus/anima, Kali pouvant selon lui interpréter un archétype féminin dans l’anima de l’homme (comme bien d’autres que vous trouverez toutes attablées au Dinner Party et donc en ces lieux !). Une sorte de « personnage féminin » intérieur, que l’homme découvre au fil de la psychanalyse… Ce processus amène à traverser plusieurs paliers de maturité, jusqu’à ce que l’homme rencontre la « femme sage » en lui :
  • 1er niveau : la femme primitive, telles Eve, Vénus, les Pandora, les sirènes et autres femmes fatales).
  • 2ème niveau : la femme d’action (Jeanne d’Arc, Diane, les Amazones…)
  • 3ème niveau : la femme de la sublimation, comme Kali justement, ou la Vierge Marie, Isis, Demeter… le féminin est transcendé et paré de valeurs sexuelles plus spirituelles que charnelles.
  • 4ème niveau : la femme sage ! La Déesse Mère, Sophia ou Athéna sont ici donnés comme archétypes.
Tout ça paraît très sérieux (d’ailleurs c’est assez convainquant), mais est sensé nous amener à considérer les « caprices et les humeurs » des hommes comme l’expression de leur part féminine. Inversement, ce qu’il y a de grand et magistral en la femme, c’est l’animus qui le construit, avec lui aussi ses 4 niveaux de maturité : 
  • 1er niveau : l’homme primitif (Tarzan) 
  • 2ème niveau : l'homme séducteur (Don Juan)
  • 3ème niveau : l'homme d’action (Indiana Jones)
  • 4ème niveau : l’homme sage (un dieu ou un père !)
(Tousse)

Alors, t’en es à quel niveau, toi ?





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