Au jardin
18H.
Le soleil se fait moins mordant, il est rasant, c’est l’heure où c’est ton
copain.
C’est
à cette heure-ci que je sors mon ptit short, un de tes vieux T-shirt, mes
vieilles grolles, que j’empoigne la bêche, le râteau, la ptite binette que t’as
dégoté exprès pour mes petites mains, et que je vais batifoler dans l’herbe
folle et la terre molle.
Y
a ceux qui ne se sont jamais demandé s’ils aimaient ça, ceux qui ne supportent
pas de se salir les mains, et enfin ceux pour qui c’est le deuxième bonheur sur
terre (après la fusion des corps) : gratouiller la terre de son
jardin, lui casser les mottes, la ratisser, lui confier quelques graines, la
mouiller avec amour et enfin, attendre que le temps fasse son œuvre.
Venir
chaque matin regarder les ptits cotylédons s’extirper, grandir, se multiplier…
Dévorer des yeux les couleurs, du nez les senteurs…
Choisir
les variétés, diversifier les formes, les couleurs, les odeurs… faire des
folies de son compte bancaire au gré d’une jardinerie, d’un catalogue, amasser
les godets mal étiquetés, bêcher par mégarde ces superbes bulbes qu’on avait
mal repérés…
Se
faire un carré d’herbes aromatiques, à disséminer dans les salades, un autre
d’herbes de sorcière, à faire sécher, ou à consommer encore fraîches dans la
tisane du soir…
Bouturer,
multiplier à l’infini, vos fleurs, vos arbres, vos arbustes préférés, ceux du
voisin, en douce, ou ceux qui poussent en liberté le long des fossés….
S’ingénier
à faire pousser cette nom de dieu de belle plante, qui, non, décidément, n’aime
pas votre terre ou votre climat, apprendre que cette graine à besoin de geler
pour pousser au printemps, que cette plante tue celui qui aura l’audace de la
consommer, que telle autre attire dans un coin isolé de votre jardin les
insectes qui pourraient nuire à vos carottes…
Pouvoir
remplir tous les matins un quart de douzaine de vases de feuillages vaporeux,
denses, déchiquetés, de couleurs puissantes, de parfums entêtants…
Se
brûler la nuque en désherbant au soleil, ne pas en voir la fin tellement on en
a planté pour un régiment, baigner ses mains dans la rosée du matin, entre le
feuillage de vos radis, revenir chaque soir avec une barquette de fruits rouges
tous pleins de soleil, mettre le nez entre les pétales d’une rose, d’un lys,
passer à côté d’un chèvrefeuille, et se dire « cornegidouille ! »,
lui dire qu’il est beau, lui promettre qu’on reviendra l’admirer demain…
Franchir
quelques mètres pour déguster, gratis, les fruits, les légumes, les herbes, qui
seront toujours meilleurs parce que c’est vous qui les avez fait naître…
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