La Petite Sirène / Disney (1989) vs Hayao Miyazaki (2008) (III)







Rôles d’HOMMES, rôles de FEMMES

En même temps, quand on voit la gueule des personnages de Disney, on ne peut pas vraiment s’étonner de la nature des interactions qu’ils ont entre eux. Là où on ne veut rien reprocher à Andersen, on peut se le permettre chez Disney. Le principe du cliché est de réduire. Le cliché est raciste, sexiste, discriminatoire et avilissant par essence. Le cliché est une caricature d’identité. Aussi, je vous le demande : pour qui, pour quoi, un créateur ressent-il le besoin de diminuer, réduire ses personnages ?



J’ai lu des livres, vous savez. J’ai tendance à aimer ceux qui sont faciles à lire, ce qui n’a rien à voir avec la simplicité du scénario ou des personnages, mais avec le talent de l’auteur, qui saura rendre riche ce qui est compliqué, d’une manière simple. L’inverse de Disney, qui déploie beaucoup de moyens pour faire simple.

On m’objectera qu’un conte déploie rarement la psychologie de ses personnages et qu’il s’appuie volontairement sur des clichés. Premièrement c’est parfois faux et pas toujours vrai, ensuite, si l’on admet le rôle de conte de cette histoire, il faut aussi admettre qu’il sert à édifier les enfants. La magie, le rêve, la simplicité des ressorts psychologiques font effectivement partie de ce genre. La violence, la mort, aussi, toujours explicite, tandis que la sexualité y est souvent présente de manière imagée. C’est ce que l’on trouve chez Andersen et chez Disney, après tout, ça colle avec l’identité d’un conte… C’est vrai, mais pourquoi avec des valeurs du siècle passé dont on a pointé la toxicité depuis longtemps ?

On ne peut plus demander au petit chaperon rouge de ne pas s’arrêter en chemin dans la forêt, ça s’appelle de la culture du viol… On ne peut plus demander à Cendrillon de passer ses journées à servir ses belles-sœurs, ça s’appelle de l’esclavage domestique (le but de ce genre de conte étant précisément de perpétuer ces valeurs-là) Si l’on voulait faire dire quelque chose à ces contes, ce ne serait plus vraiment « mariez-vous pour sortir de la panade qu’est d’être une femme », non ? A un moment, il va falloir admettre qu’en l’état dans lequel Grimm, Perrault ou Andersen nous les ont laissés, il n’y a plus grand-chose d’autre que des mots à tirer de la Petite Sirène, de Cendrillon et du Petit Chaperon Rouge. Ils sont morts. RIP. Réinventons-les, comme des dizaines d’auteurs y ont déjà pensé avec succès ! Mais pas Disney !

Il ne s’agit pas non plus de dire que tous les contes sont bons à jeter, maintenant que le temps a passé, ce blog est la preuve vivante qu’une foule de contes n’appliquent pas ces schémas à la suce-moi-le-nœud. Des tas de contes, de tous lieux, de tous temps, expriment la condition de la femme sans la présenter comme une sainte malédiction qui ne permet qu’un choix, celui d’être un ventre approprié. C’est ce conte-là que Disney a choisi d’actualiser, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme !

Triton en patriarche que tout excuse, Ariel en fille obéissante, coquette et naïve, Sébastien en esclave noir fier de servir, le prince viril-mais-pas-trop (sa statue, trop triomphale à son goût, plaît quand même beaucoup à Ariel, et il sait manier du manche, le bougre !), la sorcière-courtisane délaissée qui envie le pouvoir du mâle pour pouvoir en abuser sadiquement, le mariage en blanc et le baiser d’amour, vous aurez la panoplie. Ça tient d’un bloc, fait pour durer toute la vie.

Pour présenter les personnages de Ponyo, se sera un peu plus long, vu qu’ils sont de véritables personnages et pas des clichés.

L'instant le plus érotique dans Ponyo : papa et son ptit bateau.
Ici, la Princesse Sirène est une petite fille de cinq ans, au caractère décidé et déjà émancipé quand on la rencontre. Le père de Ponyo est un humain qui a rejoint le monde de l’eau, sa mère est la Reine des Océans, une gigantesque sirène douce et lumineuse. On trouvera dans la scène où elle rejoint son mari des connotations sexuelles certaines. Notez que c’est entre le couple royal, et pas avec Ponyo… Il joue également le rôle de gardien auprès de sa fille, comme Triton, à quelques détails près : son autorité de père n’est pas un argument présenté comme valable pour empêcher Ponyo de faire ses propres choix, et il devra reconnaître qu’il a eu tort d’essayer de le faire. Il n’y a pas de Reine Douairière, mais une poignée de vieilles dames qui aimeraient bien retrouver la fougue de leurs dix ans, et qui soutiennent Sosuke dans sa quête. La mère du Prince (qui se contente d’exiger que son fils se marie chez Andersen), se nomme Lisa, mère célibataire qui vit une histoire d’amour parfois houleuse avec un marin. Le Prince est un petit garçon de cinq ans, tout à fait normal. Il n’a pas de comportements excessifs, il n’est pas violent, bagarreur ou extraordinaire en quoi que ce soit. On peut même le trouver trop lisse, sage et gentil. Ben, c’est pas un modèle qui me dérange pour mes enfants…

Ursula, présentée comme une erreur de la nature...
A l’inverse, les modèles de pin-up d’Ariel et de méchantes de la sorcière selon Disney me préoccupent davantage. Si je trouve la sexualisation d’Ariel particulièrement toxique et injustifiée, que dire du personnage d’Ursula, modèle de la castratrice mal baisée (ceci expliquant cela et réciproquement) ? Pour son adaptation, Disney lui a donné un rôle qu’elle n’a pas chez Andersen et chez les précédents animés. Ceux-ci, après l’avoir montrée piégeant Ariel, ne font plus état de son cas (d’ailleurs ce personnage n’existe pas dans la version de Miyazaki). Chez Disney, elle utilise sa magie pour tromper le Prince et l’épouser. Il en fait une folle furieuse qui parvient à s’emparer du pouvoir de Triton et qui en abuse dans les deux secondes qui suivent en faisant se déchaîner le ciel et l’océan (ce que ne faisait pas Triton, « roi raisonnable »). Elle est transpercée par la proue du navire du prince. Il s’agit du climax du film, son apogée, cinq minutes avant la fin... à comparer avec le climax de Ponyo, où la petite fille galope sur les vagues…

L'apogée du film de Disney : Ursula éperonnée par le prince Eric...

L'apogée du film de Miyazaki : Ponyo court à la rencontre de Sosuke.


Pour avoir le son et les images, vous pouvez essayer cette vidéo… 



Avouez, quand même. Andersen nous présentait des relations humaines déjà fort soumises à la violence et la domination, mais Disney déchaîne le dialogue hommes / femmes ! On ment, on trahit, on tue ! Une avalanche d’hormones, on n’est pas loin de la vitupération hystérique. Il est comme ça le patriarcat, il vitupère. Alors qu’on n’est pas forcément obligé quand on parle d’amour.


Le retour à l’ordre cosmique

Allez, concluons, en évoquant le dernier point sur lequel les versions de notre Petite Sirène s’opposent fondamentalement : la fin, et la résolution du conflit.

La plupart des récits, histoires, mettent en scène un conflit, ce mot étant pris au sens large. Plus on travaille sur des clichés, et plus ce conflit est pris au sens étroit : violence. La réduction est déjà une violence en soi, on peut difficilement marcher sur des œufs avec de gros sabots.

Chez Andersen, le conflit est émotionnel, et il a lieu dans le cœur de la jeune Sirène. C’est également le cas dans les deux animés. Ses peines sont quasi mystiques, le discours religieux omniprésent.

Avec Ariel, on voit apparaître plusieurs conflits relationnels, qui tournent systématiquement à la violence physique : entre Ariel et son père (and the winner is…), entre Ariel et le requin, entre Ariel et la sorcière, entre Triton et la sorcière, entre le prince et la sorcière, entre les poissons et la sorcière etc.

Avec Ponyo, il n’y a pas de sorcière… les humains ne s’affrontent pas, ne se tuent pas, n’agressent pas les animaux, les animaux n’agressent pas les humains etc. Ne reste plus que le conflit qui oppose Ponyo à son père (and the winneuse is… !), et celui, beaucoup plus grave, qui menace l’existence humaine, puisque Ponyo a perturbé l’ordre du monde en faisant déborder par mégarde un chaudron magique dont son père avait la responsabilité.

Une fois ces constats faits, on voit quels genres de conclusions veulent apporter chacun de ces récits.

Andersen et sa fibre émotionnelle veulent faire résonner le cœur des jeunes vierges pour leur apprendre les bonnes manières : on ne marie pas un prince en claquant des doigts, il y a des normes sociales qui l’interdisent, mais à force d’être bonne, la petite sirène rejoindra le Paradis (peut-être) sous forme d’une fille de l’air. L’ordre que le conte veut établir est à la fois religieux, patriarcal et social.

Disney lui, nous présente un système, un genre de chaîne alimentaire, avec ses turpitudes et ses petites bêtes qui se font manger par les grosses. La petite sirène parvient à se marier avec un homme auquel consent son père, ce qui est le grand must du love. Rétablissement de l’ordre patriarcal. Personne n’enquiquine le Prince pour qu’il épouse quelqu’un de son rang, ce qui est fort peu probable…

Cherchez les différences...
Chez Ponyo, on assiste plutôt à un documentaire animalier sur la vie des petites filles-poissons. Le monde n’est pas détruit et Ponyo devient humaine, et pour ça il a fallu que maman aille taper sur les doigts de papa (qui prétendait mettre les humains plus bas que les créatures de l’océan) et prendre les choses en main. Rétablissement de l’ordre cosmique.




Tissons les liens 
Je reprends ici la plupart des liens que vous aurez croisés à la lecture de ce dossier. Comme il y en a un peu plus, je vous le mets quand même. 
 Le conte d'Andersen sur WikiSource.  
Petite définition du conte et histoire de ce genre dans notre culture. 
La classification des contes par Aarne Thompson.
Les fiches techniques des quatre films : Rusalochka, Marina la Petite SirèneLa Petite Sirène et Ponyo sur la falaise. 
Un site de fans qui propose un historique et une critique du film de Disney. 
Une vidéo critique du film de Disney. 
Pépette décortique la crevette de Disney chez Soyons Désinvolte. 
Une critique de Ponyo par Les Cahiers du Cinéma. 
La Poule Pondeuse nous parle de la représentation féminine dans les dessins animés chez Ça fait Genre. 
Un article à base de films et d’enfants chez Commando Culotte. 
Quelques définitions : le spécisme, la culture du viol, l’esclavage domestique. 
Sur le site Le Cinéma est politique : 
- La Petite Sirène relit Andersen 
- De l’inconvénient d’être un animal de film d’animation 
- Je voudrais devenir un homme comme vous 
- Disney : Empire, Marchandise, Idéologie 




Voilà. Le même genre d’analyse peut être fait avec n’importe quel conte que nous adapte Disney. Ils ont beau faire, leur archaïsme et leur misogynie sont congénitaux. Et à chaque fois, en cherchant bien, on trouve autre chose, ailleurs… Vous l’aurez compris, les studios Ghibli, puisque Miyazaki a pris sa retraite, font du bon boulot. J’espère que cela se confirmera après lui. Bientôt, une petite liste de films recommandables pour nos chères têtes rousses, blondes ou brunes, que je vous invite d’ores et déjà à enrichir de vos suggestions !!


Commentaires

  1. oui christophe il mange son souper oui christophe il fait dodo oui christophe il mange son déjeuner

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