La Petite Sirène / Disney (1989) vs Hayao Miyazaki (2008) (II)

Illustration de Karen Zachary Wang



Nous avons lu le conte d’Andersen, visionné les dessins animés d’Ivan Aksenchuk et Tomoharu Katsumata… Retrouvez ici le début de cette critique de la Petite Sirène de Disney et de Ponyo sur la falaise d’Hayao Miyazaki.




La FAMILLE :
PAPA, MAMAN et leurs FILLES

C’est peut-être le point sur lequel les versions de l’histoire divergent le plus. Ainsi, la petite sirène d’Andersen vit-elle sous l’autorité de sa grand-mère, car le roi est veuf. C’est sa grand-mère qui se charge de son éducation et de celle de ses six sœurs, qui pose les limites et les interdits. Le père n’intervient jamais.

La sirène d'Aksenchuk et ses soeurs
Marina et Fritz
C’est également le cas dans les deux versions de l’animé, dans lesquelles même la grand-mère est assez discrète. En revanche, l’animé japonais accole à Marina le Dauphin Fritz, qui est amoureux d’elle…

Ariel aura son Polochon, qui n’est pas amoureux, mais juste froussard, ce qui prête à toute sorte de situations extrêmement désopilantes. Elle n’a pas de mère non plus, et pas davantage de grand-mère. La transmission des valeurs patriarcales se fait habituellement par les femmes (comme dans le conte et les deux animés), mais ici, Disney veut se montrer progressiste : nous avons un père qui s’occupe seul de sa fille.

"Mon bon Sébastien, les gens ne se rendent pas compte à quel point c'est dur d'être un père autoritaire...'

Enfin, il se fait aider d’autres hommes, essentiellement son domestique rachitique Sébastien, qui n’a pas les idées plus éclairées sur le sujet. Parmi ses six sœurs, Ariel est la plus jeune et est présentée comme la préférée de son papa. Bref, nous avons tous les saints sacrements de la sainte trinité du saint patriarcat judéo-chrétien, les mêmes qu’en 1835 mais en couleur. Amen.

Ariel et ses sœurs : appuyez sur la touche "photocopie couleur"


Le couple royal dans Ponyo :
papa craint mais maman est là.
La situation est très différente pour Ponyo : elle a un père qui est un ancien humain, tout ronchon et tout minus, et une mère, la sirène gigantissime et dorée Reine des Poissons. Selon toutes vraisemblances, Ponyo est l’aînée d’une nuée de petites filles poissons. Elles vivent sous la surveillance de leur père, mais Ponyo se révolte contre son autorité, ce qu’elle exprime très clairement à Sosuke dans une réplique qui a tout de la prise de position très politique : elle met en opposition, dans la même phrase, le fait d’aimer sa mère et d’être révoltée contre son père qui la détient prisonnière. Alors qu’entre Disney et Andersen, on a toujours pris soin de dédouaner le père (absent, invisible, innocent) et de rentre responsable les femmes (la grand-mère) de l’oppression qui pèse sur les personnages féminins. Le refus de Ponyo de plier sous l’autorité de son père est totale. Le plus remarquable reste la famille du Prince Charmant, pardon, de Sosuke. Il a un père et une mère, mais aucun des deux ne correspond aux schémas habituels du couple biparental. Sosuke n’appelle jamais ses parents « maman » ou « papa », mais toujours par leur prénom. Lisa ne se définit pas par le fait qu’elle soit la mère de Sosuke. D’ailleurs, elle le laisse souvent seul, conduit très vite et dangereusement même quand il est à bord et veut manger sa glace. La seule chose qui nous informe qu’elle est sa mère ? Lorsqu’il précise qu’avant, quand il était bébé, il buvait son lait. Bon, papa est souvent absent, et ça fait pleurer maman, ça c’est plutôt habituel… ce qui l’est moins, c’est le fait que le couple soit présenté comme précaire, sans que ce soit la problématique du film, ni qu’aucun jugement ne soit porté sur l’un ou sur l’autre : lorsqu’elle parle de Koichi, Lisa l’évoque comme un invité, quelqu’un qui les voit rarement, ce n’est pas « papa ». Toutefois, elle se met en colère quand il annule le dîner qu’ils devaient passer ensemble, avec des réactions que je me suis vu avoir mille fois… Dans un autre film, cela serait qualifié d’hystérie… commentaire de Sosuke : lui aussi serait triste si quelqu’un lui avait promis d’être toujours à ses côtés, et qu’il ne tenait pas sa promesse ! Il se met alors à la place de sa mère mais aussi de Ponyo, qu’il a laissée se faire emmener par les espions de son père (des sortes de vagues magiques), impuissant. Voilà qui est incroyable, inédit : on laisse à une  femme le droit d’être mécontente, et de l’exprimer.

Lisa est mécontente : elle s'ouvre une bière !

Lisa fait également comprendre à Sosuke qu’il y a des choses qui ne le regardent pas, en l’occurrence son histoire d’amour avec son père.


HOMME + FEMME = AMOUR

Pourquoi s’obstine-t-on à montrer aux enfants un sujet dont on ne peut pas parler avec eux ? Car vous ne pouvez pas VRAIMENT parlez d’amour à vos enfants, n’est-ce pas ? Pas ceux qui ont l’âge de regarder la Petite Sirène, je veux dire… Car enfin… il faudrait dire… beaucoup de choses… vous voyez ce que je veux dire ?? Après un mariage, un enfant, un divorce, je peux affirmer que c’est une affaire assez compliquée qui demande un peu de recul et de temps gnangnangnan, bref, si avec les enfants, on parlait plutôt d’amitié, plutôt qu’accepter ces simulacres de relations amoureuses, toxiques, sexistes, passéistes ? Est-ce qu’on pourrait éviter de dire « hameçon », tant qu’ils ne sont pas en mesure d’entendre « sexe » ?




Si ma fille retient de l’amour ce que Disney en a dit, j’ai échoué, les gens. Honte sur moi sur 347897U2Y154 générations.

Ce que Disney dit de l’Amour

- c’est ce que les gens beaux éprouvent entre eux. 
- ça n’arrive qu’une fois. 
- c’est l’affaire essentielle de la vie (pour une fille). 
- c’est un ascenseur social qui permet d’accéder au luxe (pour une fille) 
- le mariage permet d’en exalter le caractère sacré ; il s’agit d’une très grande fête où tout le monde est très bien habillé, et qui devient le plus jour de votre vie. 
- la sexualité est la compagne naturelle de l’amour. Ça ne s’apprend pas, c’est inné, et il ne vaut mieux pas en parler pour que ça se passe bien. 
- la sexualité, c’est très mauvais avant 16 ans (pour une fille). 
- la sexualité, c’est obligatoire après 16 ans, comme le mariage. 

Tout ça s’explique par la très nécessaire nécessité impérieuse de ne pas en parler (du sexe, ici amalgamé à l'amour). Si on en parlait, on risquerait de comprendre des trucs, et en particulier qu’en fait, ça ne se passe pas du tout comme ces règles le disent. Si Père Triton parle d’hameçon, c’est parce qu’il pense « bite », pas « hameçon », mais qu’il ne peut pas dire « bite » devant Ariel, parce qu’Ariel, elle ne sait pas ce qu’est une bite. Le savoir pourrait lui donner des idées qu’il désapprouve d’avance, premièrement. Deuxièmement, faut avouer que c’est plus simple d’empêcher Ariel de sortir de sa chambre que d’empêcher tous les mâles de sortir leurs hameçons. Laisser la petite Sirène rêver de feux d’artifices et de robes de bal, c’est vachement plus sécurisant, à tous points de vue. Ça nous fera une excellente femme d’intérieur, ce qui est une aubaine, avec même des allures de vocation, pour quelqu’un qui n’a jamais eu le droit de sortir.


Les baisers : Miyazaki vs Disney...














Nan, je rigole pas. Le sujet est vaste et grave, mais là, nous parlons de nos enfants. On ne va pas résoudre la guerre des sexes en quelques lignes, mais on peut se demander comment éviter de perpétuer la gabegie avec eux. Et pour commencer : pourquoi parler aux enfants, de cette manière, d’une chose qui 1) ne les concerne pas 2) est gravement indicible et à « mûrir » longtemps ?

Les choix de Miyazaki sont diamétralement opposés : les gens ne s’aiment pas parce qu’ils se trouvent beaux, chaque histoire est différente, riche d’un passé intime, qu’on ne fait que deviner. Le récit ne s’étend pas sur l’intimité des couples, alors qu’on en devine des bribes, ce qui est une autre constante de ses films : par exemple, on sait, mais ni comment ni pourquoi, que le père de Ponyo a été un humain. Il a donc eu à choisir lui aussi entre le monde de l’eau et celui de l’air. Il n’est pas question de mariage, même quand il y a des princesses. Il n’est pas question de sexualité non plus. Pas de sexe, pas de mariage, pas de robe, mais que nous reste-t-il donc, nous qui sommes avides de rêver ?????? Les films de Miyazaki racontent toujours la même histoire, qui se résume ainsi : « un enfant grandit ». Parfois c’est un garçon, mais le plus souvent c’est une fille. Et, moi, perso, devant Ponyo, je rêve. Miyazaki ne définit tout simplement pas l’amour comme Disney. Il semble préférer l’équation fille + garçon = amitié. Les personnages sont souvent des enfants, comme dans Ponyo, ou de jeunes personnes, qui s’attachent et se découvrent. Peut-être qu’on ne peut pas parler d’amour parce qu’il n’y a pas de sexualité… Nous n’avons plus l’histoire d’une conquête, d’un coup de foudre, mais l’histoire d’une relation, la vision d’un lien qui se tisse. Tout a commencé quand Ponyo s’est sauvée, elle s’est retrouvée piégée dans un bocal. Sosuke l’a trouvée et libérée. En cassant le bocal, il s’est coupé le doigt sur le verre. Ponyo a léché son doigt, pour soigner sa blessure. C’est ainsi que Ponyo est devenu à demi-humaine. Et plus ça va mal pour elle et plus Sosuke s’inquiète, plus il se démène pour l’aider. Le partage du sang, c’est évidemment celui de l’amitié. Pauvre Petite Sirène, à qui Andersen le réserve, le sang, symbole de la malédiction féminine ! Ici, c’est Sosuke qui saigne, ce qui ouvrira le dialogue inter-espèces...

Sosuke rencontre Ponyo





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