Mambo n°5





Aujourd’hui, une vraie confidence intime qui ne doit pas vous surprendre : si je devais mettre mon mojo en musique, ce serait sur le Mambo n°5.






C’est vrai depuis toujours, c’est-à-dire depuis 1999, année de sortie de ce petit bijou d’indigence émotionnelle sur lequel tout le monde a dansé, danse ou dansera. Du coup tu te demandes quel rapport particulier avec moi ? J’ai au moins 3 rapports particuliers avec cette chanson...

1 - C’est la première que j’ai appris à danser en cours de modern-jazz avec mes copines au lycée. C’est à peu près tout ce que je garde comme bon souvenir de cette période.

2 - En 1999, je ne comprends pas les paroles de la chanson, je n’ai même pas vu le clip, mais son ton est assez explicite pour faire ressentir à cellui qui l’écoute ce dont il est question : d'un mec qui emballe des meufs par paquets de sept.  En 1999, j’ai 15 ans, je kiffe le concept sauf que je ne m’imagine pas dans le rôle des meufs mais dans celui du mec. Dans ma tête j’étais un noceur. Je dis « un » parce que je ne m’identifie pas (et ne m’identifierai jamais) à « une » noceuse, ce concept de noceuse étant illustré par les Rita, Amanda, Pamela, Monica etcaetera de la chanson (et celui de noceur par le chanteur). Je suis un mâle dominant, un dandy, un Don Juan.

3 - C’est du personnal empowerment : c’est ainsi que j’aimerais fêter et proclamer ma sexualité : avec des trompettes, des claquettes, des rugissements, un grand escalier à descendre et des danseureuses fols de mon corps. J’adorerais être imbue de moi-même ! Je suis en accord harmonique avec ce morceau : c’est exactement le rythme auquel j’aimerais voir trépider ma vie sexuelle, je voudrais le même chapeau et papillonner avec la même légèreté…
 
D’ailleurs, je ne suis pas la seule. Tout le monde aime le mambo, cette danse proche de la rumba et de la salsa, à la paternité introuvable... C'est aussi une musique, binaire et rapide, c'est le cri que les danseurs lancent à l'orchestre, c'est un appel aux cuivres (et tiens, c'est aussi le nom de la prêtresse qui officie lors des rituels vaudous). C’est un rythme que tout le monde adore, qui fait bouillir tous les mojos, à en réveiller les morts. Tu veux des preuves ? Bah, d’abord, Le Mambo n°5 de Lou Bega a fini disque de platine dans plus de 10 pays, c'est une reprise de 30 secondes (les 30 dernières) de riffs d’une musique éponyme sortie en 1947 de Perez Prado, "le roi du Mambo" et pour finir, dans Dirty Dancing et dans West Side Story, c’est du mambo.



Mais en vrai, c’est pas possible : je suis une fille et on n'est pas dans un film.

D'ailleurs, il n’y a plus aucun de mes rapports particuliers à cette chanson qui soit encore vrai aujourd’hui : je ne me souviens plus d’aucun pas, j’ai jamais pu niquer comme bon me semble ni même afficher de telles velléités sans avoir des ennuis, j’ai jamais réussi à emballer une meuf et mon rapport à la légèreté des mœurs est d’à peu près cent kilotonnes.

D’ailleurs, regarde, de près elle pue cette chanson…

Mambo N°5
Lou Bega

Ladies and gentlemen, this is Mambo Number Five

One, two, three, four, five
Everybody in the car, so come on, let's ride
To the liquor store around the corner
The boys say they want some gin and juice
But I really don't wanna
Beer bust like I had last week
I must stay deep because talk is cheap

I like Angela, Pamela, Sandra and Rita
And as I continue you know they getting sweeter
So what can I do? I really beg you, my Lord
To me is flirting it's just like sport, anything fly
It's all good, let me dump it, please set in the trumpet

A little bit of Monica in my life
A little bit of Erica by my side
A little bit of Rita is all I need
A little bit of Tina is what I see
A little bit of Sandra in the sun
A little bit of Mary all night long
A little bit of Jessica, here I am
A little bit of you makes me your man

Mambo Number Five

Jump up and down and move it all around
Shake your head to the sound
Put your hand on the ground
Take one step left and one step right
One to the front and one to the side
Clap your hands once and clap your hands twice
And if it looks like this then you doing it right

Trumpet, the trumpet

I do all to fall in love with a girl like you
'Cause you can't run and you can't hide
You and me gonna touch the sky

Faire boire des meufs (pour les rendre sweeter) sans boire soi-même (pour rester lucide) pour pécho, c’est plus que moche, c’est un pilier du comptoir du patriarcat et de sa culture : le viol. Ça se confirme à la fin du morceau, lorsqu’il est question pour la femme prise dans ses filets de ne plus pouvoir s’enfuir ni se cacher.

Comme je n’ai pas eu le loisir de baiser comme bon me semble, je n’ai pas découvert par moi-même la potentielle nocivité de tels comportements, non, je les ai découverts comme étant l’apanage des hommes et en tant que cible. Il n’y a pas d’illustration plus criante du clivage entre la sexualité des hommes et celle des femmes (je déconne, il y en a plein, des illustrations criantes), qui n’est tout simplement pas tolérée dans l’espace « vantards ». Quoique leurs appétits ne soient pas différents de ceux des hommes, il n’y a pas de femmes qui puisse descendre un escalier avec force claquettes en énumérant ses partenaires sexuel·les sans être identifiée comme une pute/salope ou une prostituée.


Cet appétit et cette puissance sexuelle, ce goût de la légèreté, je l’ai connu, ça a duré au plus quelques mois, avant même que ça se réalise, entre la floraison de ma sexualité vers 14 ans et sa mort, vers 16 ans.

Alors, tu l’as compris, je ne pense absolument pas que ce soit une sexualité saine, on a là, bien au contraire, tous les symptômes de l’oppression de la sexualité des hommes sur la sexualité des femmes, dont ils nourrissent littéralement leur ego. Je remarque simplement que cet élan d’égoïsme cannibale, je l’ai exactement ressenti, mais que c’est ma sexualité (et celle de toutes les femmes) qui a été écrasée pour ne surtout pas ressembler à ça. Je remarque aussi que cet élan sexuel (autorisé pour les hommes), quand il se retrouve face à des partenaires (les femmes) à la sexualité contrainte, dont l’élan a été brimé, ne trouve pas d’exutoire sans devoir contraindre lesdites partenaires - l’alcool et l’impossibilité de se refuser. Elle ressemble beaucoup à une sexualité qui ne connait pas de limites morales non ?

Bref, il n’y aurait pas un mi-chemin où se retrouveraient toustes les humain·es pour danser le mambo, entre l’étalon et la salope, où l’élan sexuel des uns ne viendrait pas investir l’élan sexuel brimé des autres ?


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