Les souliers rouges
Je vous propose de lire ce petit conte, aussi hard qu’un spot de la sécurité routière (pour ceux qui trouvent que j'attige avec mes Chaudoudoux), tiré (et mis à ma sauce) de ma lecture du moment.
< The Red Shoes, par Simon Povey
LES SOULIERS ROUGES
Au temps de cette histoire, il était une petite fille, sans père, sans mère, sans maison, qui n’avait pas non plus de souliers. Elle allait pieds nus, jusqu’à ce qu’elle ait ramassé, sur son chemin, assez de bouts de tissus pour s’en coudre une paire, une paire de petits souliers rouges.
Ils n’étaient pas les plus beaux des souliers, mais c’étaient les siens et protégeaient ses pieds des cailloux, du froid et de la pluie. Elle en était très fière. La petite fille, se sachant grandir, continuait à trouver, sur son chemin, les bouts de tissus qui lui permettraient de coudre les souliers qu’elle porterait après ceux-là.
Mais un jour, un jour particulièrement maussade, où la faim et la fatigue se faisaient particulièrement sentir, une riche vieille dame, dans un beau carrosse doré, lui dit qu’elle allait s’occuper d’elle comme sa propre fille. La petite fille monta dans le carrosse.
La riche vieille dame, tint promesse. Elle lui donna des vêtements, des souliers, une éducation sous l’œil du Seigneur, un toit, une table. La petite fille n’eut plus faim, plus froid, et pouvait se reposer, après chaque jour, dans un bon lit.
Quand la petite fille, après quelques semaines de cette agréable vie, réclama ses souliers rouges, la vieille dame lui dit qu’elle avait jeté ses vieux vêtements et ses souliers ridicules au feu. Comme la petite fille fondait en larmes, la vieille dame lui proposa d’aller en ville lui acheter une paire de son choix.
Dans la boutique du cordonnier, il y avait des souliers vernis, des escarpins à boucles, des chaussures de soie ou de cuir, mais la petite fille choisit de jolis petits souliers rouges, avec de petits talons qui claquent, et qui tenaient bien aux pieds. La vieille dame, qui n’y voyait guère, n’avait pas remarqué la couleur des souliers, sans quoi elle n’aurait sûrement pas accepté de les acheter. Mais c’est ce qu’elle fit, sous les regards complices du cordonnier et de la petite fille.
Le lendemain, à l’église, il n’échappa à personne que la petite fille portait des souliers rouges, ce qui n’est pas très convenable, dans une église. Mais la petite fille se fichait des regards désapprobateurs. Toutefois, la chose vint rapidement aux oreilles de la vieille dame, qui lui interdit, désormais, de porter ces souliers.
La petite fille, le dimanche suivant, accompagna quand même la vieille dame, qui n’y voyait pas mieux, avec ses souliers rouges. Devant la grande porte de l’église, la petite fille était toisée avec le même regard de réprobation, mais la petite fille s’en fichait toujours. Un homme, qui avait l’air d’un soldat fort abimé par les combats et qui mendiait devant l’entrée, lui proposa de dépoussiérer ses souliers, en lui avouant les trouver très beaux. Heureuse de ce compliment, la petite fille laissa l’homme taper la semelle de ses chaussures. Et il ajouta, ce faisant : « N’oublie pas de danser », et la laissa repartir pour l’office avec un clin d’œil et un sourire amusés.
La petite fille était tellement contente de ses souliers qu’elle ne prêta pas plus d’attention aux regards qui désapprouvaient la couleur de ses pieds, que les chants auxquels elle était sensée participer. Elle préféra contempler ses pieds.
Lorsqu’elle quitta l’église, l’homme mutilé lui répéta combien ses souliers étaient beaux et alors la petite fille exécuta quelques pas de danse, pour le remercier.
La petite fille dansa, dansa, sur la place du village. Elle s’en amusa, d’abord, elle aimait tellement danser ! Mais elle remarqua rapidement, quand elle voulut tourner sur elle-même, que les souliers la firent plutôt sauter, et quand elle voulut aller à droite, ses souliers lui firent faire quelques pas à gauche. C’étaient les souliers qui dansaient, qui dansaient, qui dansaient. Elle dansa à travers le village, elle dansa hors du village, elle dansa dans les champs voisins, puis à travers la forêt proche. Ses souliers la menèrent plus loin, plus longtemps, elle dansait, dansait, sans aucune joie. Elle voulut retirer ses souliers, mais ce ne fut pas possible, ses pieds dansaient la gigue même quand ils ne touchaient plus terre, et elle ne parvenait pas à en saisir le talon ni desserrer les lacets. Ses souliers la menèrent loin, longtemps.
Jusqu’à un nouveau village, une nouvelle vallée, un nouveau jour. Elle était épuisée, et désolée de ne pouvoir se sortir de ses souliers. Elle arriva dans une nouvelle forêt, où vivait un bûcheron, après des jours et des jours épuisants. Toujours dansante, elle supplia l’homme de lui couper les pieds.
Le bûcheron, d’abord, avec le fil de sa hache, coupa les lacets qui retenaient les souliers aux pieds de la petite fille, mais il ne fut pas davantage possible de les lui retirer. Pleurant, comprenant que plus rien ne pouvait la sauver, elle lui demanda encore de lui couper les pieds. Lorsque cela fut fait, les pieds de la jeune fille tranchés au niveau des chevilles, les souliers cessèrent de danser.
La petite fille ne dansa plus, et désormais loin de la maison de la vieille dame, ne marcha jamais plus.
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