Du cœur à l'ouvrage

Girls reading, 1939, par Dorothea Lange

On trouve de tout sur ce blog : des histoires, du militantisme féministe, du cul, mes errances spirituelles, des recettes de cuisine, de la musique, de la littérature… Et s’il est assez silencieux depuis quelques temps (années), c’est parce que j’ai manqué de temps pour lire, pour penser, pour méditer, pour prendre soin de moi, pour m’intéresser à des trucs, pour me cultiver. Pour écrire. Tu connais le coupable : l’impérieuse nécessité de gagner de l’argent pour vivre. Si tu me suis depuis que ce blog existe (2006), tu sais qu’en chemin je me suis mariée, j’ai eu une (merveilleuse) enfant (Chicorée), j’ai divorcé, je suis tombée malade, j’ai traversé une longue, épouvantable dépression et j’ai beaucoup, beaucoup trop travaillé. Oui, je résume vite, j’ai pas vraiment envie de revenir sur tout ça, l’essentiel étant que j’ai pas eu le temps. Je répète souvent que le temps est le plus beau des luxes et une condition indispensable à la création, je suis plus que jamais persuadée d’avoir terriblement raison. Alors je vais essayer de le récupérer ce temps. Pas celui qui est passé, il est parti, il ne reviendra pas, mais celui qui me reste.

 

Alors, j’ai démissionné, en me disant que 35 heures, c’était le max que je voulais bien donner (et si je peux donner moins sans crever de faim, crois-moi, je ne vais pas m’en priver). J’ai 1000 trucs à faire.

 

Entre autres choses, j’ai besoin de m’éduquer. Pour quelqu’une qui prétend avoir des principes, je me trouve drôlement niaise, politiquement notamment. Sur les réseaux, je suis des personnes avec qui je ressens une forte proximité intellectuelle et pourtant, je ne comprends rien à ce qu’iels disent. Je ne sais rien des luttes actuelles, je ne connais plus le féminisme, je ne sais même pas d’où il vient, j’ignore tout du racisme, du capitalisme, de l’écologie, des luttes de classe, du colonialisme, je ne sais pas dans quel monde je vis. Alors j’ai décidé de faire ce que j’ai toujours fait quand je me retrouve face à mon ignorance : j’ouvre des livres.

 

On m’a recommandé des lectures, et de fil en aiguille, j’en ai trouvé encore d’autres, plein même, j’espère que ça ne s’arrêtera JAMAIS. C’est devenu un rituel : à 21h, je me brosse les dents, je me lance une camomille, je chausse mes lunettes (ah oui, je suis devenue VIEILLE aussi, dans l’intervalle) et j’attaque pendant 2 heures la pile de bouquins qui menace d’engloutir ma table de chevet.

 

Je te raconte pas la claque que j’ai prise.

 

Si, je te raconte : j’ai appris des trucs qui m’ont noué le bide, d’abord. Je pensais pas être le pingouin le plus con du tiroir, de base,  mais il va s’en passer du temps avant que je comble le gouffre de mon insuffisance. Comme quoi passer 26 ans sur les bancs de l’école, ça ne mène pas très loin. Le monde n’est pas seulement grand, il est incroyablement cruel aussi et cette cruauté ne s’étend pas que dans l’espace, elle s’étend dans le temps. Cette immensité du désespoir multipliée par les 40 millénaires qui nous ont vu fouler cette terre me plonge dans un désarroi sans nom. Alors, oui, on n’a pas été que misérables, on a aussi été courageuses, opiniâtres, géniales, éloquentes, constructives et incroyablement résilientes, mais comment te dire que ces superlatifs ne font qu’ajouter à mon ahurissement…

 

Ensuite, ce n’est pas seulement que je ne SAIS pas, c’est surtout que je ne COMPRENDS pas. Il y a genre 5 ou 7 ans, j’ai ouvert un Bourdieu et cette sensation de devoir s’accrocher à chaque phrase, de devoir process chaque paragraphe pour saisir le contenu de chaque mot et son lien avec les 1000 autres qui l’entourent, maintenant c’est tous les jours de 21h à 23h. Mes lacunes en histoire, en géographie, en politique, me font un mal de chien. Je lis avec un moteur de recherche toujours sous le coude parce que je n’ai pas la moindre idée  de ce qu’est la sati, la révolte des Mau Mau , qui est Mary Church Terrell ou ce que signifie « réticulé », tout en sachant que ce que j'y apprends est infailliblement marqué par la subjectivité de ma propre culture, dans mes yeux, et ceux de celleux qui définissent ces concepts dans ma wikipedia trop chérie. Incapable de chercher ailleurs parce que je ne saurais pas où chercher de toute façon et que je suis effroyablement limitée par ma langue maternelle (lire de la socio en anglais me parait encore très inaccessible vu comme je pédale en français), je suis ce pochetron qui cherche ses clés sous le lampadaire. Un mal de chien, vous dis-je.

 

Aussi, tu comprends bien que ce n’est pas le moment, pour moi, de te sortir les grands mots. T’expliquer la vie, c’est fini. Si j’ai l’intention de te partager ces échelons qui me permettent de remonter la surface, ce ne sera pas pour te faire une explication de texte. Je vais te balancer ça en vrac, dans l’ordre où je les ai appréhendés, donc sans autre logique que celle qui m’a menée de l’un à l’autre. Et pour vraiment bien faire, je proposerais, au fil du temps (parce que ça en demande beaucoup) des versions audio de ces lectures, sur ce blog, et sur le petit podcast que je suis en train de mitonner, La main qui parle (pour l'instant il n'y a que des lectures de contes, je fais les démarches nécessaires pour avoir le DROIT de diffuser des textes qui ne sont pas dans le domaine public).



Comme j’ai commencé par le féminisme, on va commencer par là, mais ça va viiiite aller dans une autre direction. Plot twist : le féminisme ne raconte pas  vraiment la moitié de l’histoire de l’humanité, en tout cas pas si on reste campée à ce qu’a à en dire le féminisme blanc, européen, valide, de classe moyenne, hétérosexuel. J’ai déconstruit cette idée par petits bouts : en côtoyant sur les réseaux des femmes non-blanches, des femmes d’ailleurs, des femmes porteuses de handicap, des femmes pauvres, des femmes qui ne sont pas hétéros et enfin des femmes qui n’ont pas de vagin. J’ai abandonné ma lubie du clito et des menstrues, j’ai mis de côté mon goût de ramener ma fraise, j’ai rangé mon tapis de yoga et j’ai laissé la culpabilité faire son œuvre. La culpabilité n’a pas beaucoup d’intérêt en elle-même, mais il n’y a rien de tel que l’inconfort pour se dire qu’il est temps de changer de position. Il n’y a rien de pire que la bêtise, je n’ai pas l’intention d’y rester.

 

Bref, on se lance. J’ai donc commencé avec le féminisme, et il a suffi d’un tout petit pas de côté pour trouver l’abîme : celui de la colonialité.

 

On en cause demain.

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