Ψ / Semaine 8

Wound - PEJAC


Cette huitième semaine marque une étape décisive dans mon hospitalisation, psychologiquement parlant : je comprends des trucs, grâce à la conception de ma « pelote », ce sac de nœuds qui doit représenter ma maladie. Elle me permet de me décentrer quelque peu et de comprendre que les erreurs de mes parents sont avant tout… les erreurs de mes parents. Que je m’en suis bien sortie malgré tout. Que je ne n’y suis pour rien aussi. Mais qu’à partir de maintenant, je peux beaucoup.


SEMAINE 8

Jour 47 : lundi 25 mars

[J’aime deux hommes : un paysan près d’une rivière et un autre dans une ville futuriste. Du haut d’un gratte-ciel, je secoue un tapis plein de paillettes mais une bourrasque entraine le tapis et j’ai peur d’être entrainé dans sa chute.]

Ce jour-là, face à l’indigence de nos soins psychologiques et suite à une remarque d’une de mes commensales qui se plaignait qu’il était difficile de faire la part des choses face au nombre et à la complexité des facteurs qui nous ont mené aux TCA, je propose que nous jetons sur le papier, avec des crayons de couleurs, lesdits facteurs. En vrac, comme ça vient, ou bien en essayant de mettre de l’ordre, comme on veut. Je me lance dans la confection d’une pelote faite d’un grands nombre de fils emmêlés les uns dans les autres, faits de mon passé d’un côté (à droite) et de mon présent et de mon futur de l’autre (à gauche). Mes compagnes s’y prennent différemment : la première commence une mind-map en nuages (le passé en haut, le présent au centre, le futur en bas), l’autre une superposition de lignes ondulées allant du passé au futur de gauche à droite. Interesting. Il nous faudra plusieurs jours pour compléter notre ouvrage.

J’évoque avec ma psychologue (que je vois 2 fois une demi-heure par semaine pour le moment) cette idée de « réconciliation » qui me trotte dans la tête depuis quelques jours. Il devient clair que dans un premier temps je ne vais pouvoir me réconcilier qu’avec la portion de l’humanité qui n’est pas un connard. Les autres, plus tard, peut-être.

J’ai pleinement retrouvé ma bonne humeur.

Jour 48 : mardi 26 mars

[Le gars que je me suis plus ou moins mis en tête de draguer me visite cette nuit : il m’invite à une fête où il me promet que sera distribuée la meilleure boisson du monde… Je m’y rends donc (il me paie l’entrée parce que je n’ai pas d’argent), mais la boisson en question se révèle être des Chocapic fondus dans du champagne, or, je ne bois plus ! C’est une amie qui finit par la goûter devant moi. Elle la trouve dégueulasse, d’ailleurs. Sur ce, les flics débarquent et nous dispersent. Je rentre avec ma fille à la maison qui est en fait la maison de mon ex-mari, je trouve dans sa chambre une énorme mante religieuse qui l’effraie. Je tâche de la faire sortir par une fenêtre assez difficile d’accès parce que la chambre a été transformée en zone de culture de cannabis. Je n’y suis toujours pas parvenu quand la mante se transforme en papillon - phobie de ma fille Chicorée - très, très gros, avec un corps de chauve-souris. Sur le rebord de la fenêtre je trouve deux petits chats. Là-dessus le papillon se transforme également en minuscule petit chaton presque mort de faim. J’entreprends de le nourrir. … Un peu plus tard, je suis avec Machérie qui essaie de deviner si j’ai un petit ami. Je lui réponds que oui. Elle me demande s’il est petit (type Johnny Boy) mais je réponds que non mais elle insiste.]

La clinique entame une loooongue inflexion vers la désorganisation à partir de ce jour. Un déménagement vers le centre-ville est prévu en juillet, les locaux sont vidés petit à petit (ce qui mobilise le personnel soignant), plus rien n’est réparé (or tout part en quenouille) et les infirmier·es en CDI partent les un·es après les autres, remplacé·es (ou pas) par des élèves et des vacataires.

On continue de travailler sur notre « pelote » puis nous entreprenons de la décrire aux autres, une par une (aujourd’hui C., demain R., après-demain moi). Aujourd'hui, il est question de plaisir qu'on s'interdit, de dégoût de son corps et de parents qui nous aiment mal.

Dans l’après-midi, je participe à un « atelier récréatif » absolument nullissime : vieux et peu de matériel, animatrice qui n’anime pas et par-dessus tout ça, payant. Je m’adonne un peu à la couture, mais sans ciseaux qui coupent, 5 épingles pour 3 participantes et des aiguilles tordues.

Je lance également ma troisième séance d’hypnose « arrêt du tabac » et j’arrête toujours le tabac. Je m’étonne que ça ne m’aide pas, en revanche, à arrêter la vapote. D’ailleurs la mienne commence à rendre l’âme.

Machérie me donne des nouvelles de la vie au-dehors : les Finances Publiques me réclament 4300 euros pour des paies que l’Éducation Nationales m’a versées par erreur en 2017... Ça fait un an que je leur dis qu’ils font de la merde, à quoi ils répondent que c’est assez malvenu de ma part de vouloir ainsi savoir comment cette erreur est advenue ; je me fends d’un énième coup de fil pour soulager mes nerfs. Je leur demande à combien s’élève la dette totale puisque 4300 euros ce n’est qu’un reste à payer et que je suis prélevée sur salaire depuis des mois sans savoir à combien s’élève le montant de base, on me répond que je n’ai qu’à calculer moi-même en regardant mes fiches de paie. Maintenant ils me connaissent, la meuf garde le silence jusqu’à ce que je dise « au revoir ». Je ne sais pas comment je vais pouvoir éponger cette dette ; en retournant travailler certainement.

C’est bientôt l’heure du « mouvement » aussi, cette grande fête du slip informatique où les fonctionnaires font des vœux pour changer de poste ; comme je viens de changer de département, j’y participe automatiquement. Quand je dis « automatiquement » ça ne veut pas dire que ça se fait tout seul, mais que je vais avoir un créneau de 10 jours pour faire 30 vœux depuis la clinique, où il n’y a pas de wi-fi.

J’appelle ma fille : elle va mieux. Elle a commencé à fabriquer un petit livre dans lequel elle compile des recettes de cuisine qu’elle aime pour m’aider quand je serais sortie.

Moi aussi je vais visiblement mieux : pendant le cadrage du soir je pousse la chansonnette : La Rose et le Lilas, puis I’m weary, let me rest.



Jour 49 : mercredi 27 mars

[Je rêve que je me rase les cheveux et me rate : des croûtes apparaissent au sommet de la tête et des trous de pelade partout ailleurs, c’est affreusement moche ; après ça je roule pétard sur pétard, pour me rendre compte après coup que j’ai arrêté de fumer, je ne les fume donc pas.]

C’est au tour de R. de dérouler sa « pelote », ou plutôt de nous présenter la mind-map qui explique sa forte prise de poids ces deux dernières années.

Mon psychiatre n°1 m’annonce avec légèreté qu’il prend des vacances, qu’il sera de retour dans 3 semaines mais que je serais sûrement sortie d’ici là, ce qui me met en joie, même si c’est plus que ce que j’avais imaginé. Ma fille accuse le coup au téléphone : nous ne nous verrons pas pour les vacances d’avril.

Ma voisine de lit, J., se scarifie quelques heures avant la visite de ses parents ; c’est la mère qui la démasque en remarquant qu’elle met des manches longues malgré la chaleur. Sa réaction : « oh non ! Je ne veux pas que tu fasses ça à la maison ! », ce que je trouve un peu moins inapproprié que la réaction du père qui ne se doute carrément de rien (la mère ne lui a pas dit et J. s’en garde bien) et pense fermement que sa fille est encore à cette âge où l’on est tenu par le règlement (c’est en effet interdit par le règlement de la clinique, ce qui n’empêche pas ces filles-là de se scarifier quotidiennement). Il lui amène aussi des sacs pleins de chips, de gâteau et de pâte à tartiner, ce qui est dûment interdit par le règlement de la clinique…

J’achève de corriger le Tome 1 de La Fille !!

Et je ne sais pas si ça a un rapport, mais avec la psychologue, je me souviens que j’ai trois démons (identifiés il y a plusieurs années maintenant) : la drogue, la dépression et la violence, que j’en ai bouté les deux derniers hors de moi mais que le dernier s’agite encore.

Jour 50 : jeudi 28 mars

[Je rêve que je quitte la clinique : je rentre chez moi et je retrouve mon jardin complètement dévasté, comme si des engins de chantier l’avaient retourné. À l’intérieur de mon mobile-home, je retrouve de la weed absolument partout, sur les meubles, sous le lit, entre les pages des livres. Des amis me rendent visite, défiants et moqueurs tandis que je ne reconnais pas mes voisines qui ont pris l’apparence des musiciennes d’un groupe nommé « Les Vulves assassines » et que j’aime beaucoup en vrai. Ma propre voix me réveille quand je propose à mes ami·es : « si vous voulez de la weed, j’en ai. »]



C’est à mon tour de dévider ma pelote. Je les assomme un peu avec la lourdeur de mon histoire personnelle. Elles me trouvent forte et courageuse d’avoir traversé tout ça sans plus de dégâts sur mon état psychologique et physique (…) et mettent le doigt sur deux-trois trucs que je n’avais pas forcément remarqués : par exemple que mes parents vivaient probablement en « amour libre ». Ils étaient mariés mais ils s’autorisaient clairement l’un comme l’autre des petits écarts… pour se les reprocher une fois divorcés. J’ai reproduit les mêmes schémas, des schémas dont j’ai hérité au même titre que la toxicomanie, le goût du conflit ouvert et violent ou le marginalisme. Merci Mai 68. Il semble également que les débuts de mes problèmes alimentaires (à 2 ans, en 86, date que j’ai identifié depuis longtemps sans connaître l’origine du problème) correspondent à la période où mon frère aîné (celui qui me violentera des années plus tard) cesse d’appeler notre mère « maman » pour l’appeler par son prénom. Ça n’est toujours pas une explication mais je sens que je m’approche de quelque chose, type abandon maternel. C’est aussi l’année de disparition de la mère de ma mère, d’un déménagement et des premières tentatives de divorce de mes parents.

Ma lecture du roman de Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, prend un virage intimement touchant : elle évoque l’inceste qu’a subi sa mère et qui a plus que probablement contribué à sa folie des années plus tard. Extraits ici.

J’apprends ou réa-apprends encore des mots :

COMMENSAL·E : personne mangeant à la même table qu’une autre.
APOLOGÉTIQUE : 1) qui a un caractère d’apologie 2) théologie de la Révélation chrétienne.
PHILOCALIE : amour du beau, de la beauté.

Jour 51 : vendredi 29 mars

15 jours sans tabac !

Je termine Rien ne s’oppose à la nuit et entame Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, qui va lui aussi me fiche une bonne claque. J’avoue que je n’avais jamais lu cet auteur, mais qu’à chaque fois que je croisais des extraits de ses fameuses lettres dans d’autres ouvrages (par exemple La crise de la culture d’Hanah Arendt), je pensais qu’il s’agissait… d’une femme. À la lecture, je comprends pourquoi : ce n’est pas juste qu’il s’appelle Maria, c’est aussi que ce gars est féministe et que sa sensibilité m’apparait comme celle d’une femme. Je redécouvre encore plein de mots grâce au Robert qui ne me quitte désormais plus d’une semelle.

ÉLÉGIE : poème lyrique exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques.
LYRIQUE : 1) qui exprime des sentiments intimes et transmet l’émotion.
2) plein d’un enthousiasme, d’une exaltation de poète.
3) destiné à être mis en musique, chanté ou joué.
ARGUTIE : raisonnement pointilleux, subtilité de langage.

Je profite de ma cinquième séance d’hypnose, cette fois sur le « lâcher-prise ». En la terminant, je sais que je vais avoir besoin d’une deuxième session. Je suis incroyablement chargée, mes bras sont si lourds. J’ai souvent l’impression que tous les kilos que je n’ai pas dans mon corps, je les ai dans la tête.

Jour 52 : samedi 30 mars

[Un arbre à corbeaux humains, très beau vu de loin sur fond de ciel tourmenté, se désagrège doucement. Parmi les morceaux qui s’envolent, une femme nue, enceinte et morte est emportée par un vautour... Aux abords d’un chantier, j’incite ma fille à plonger dans une immense cuve remplie d’un liquide jaune. Je suis persuadée que les gars du chantier vont la remarquer, mais elle s’évanouit, disparait et est emportée par un gros siphon.]

Encore une de ces nuits où je tue ma fille. Je me réveille avec les bras, le cerveau et les jambes en tension douloureuse.

Ce matin, je me fais belle : je sors en ville avec R. pour m’acheter de nouvelles fringues (mes pantalons sont au bord du craquage). Nous passons nos 3 heures libres de l’après-midi chez Mistigrif, où j’essaie 25 vêtements pour ressortir avec un foulard et 5 tuniques, mais pas de pantalon.

Je poursuis ma lecture de l’ouvrage de Rilke, qui me transcende profondément. Par ici les extraits !

Le soir, on soumet deux nouvelles à un petit bizutage (gentil) que l’on présente comme un jeu nommé « la fabuleuse histoire ». On demande aux victimes désignées de quitter la pièce pour que le reste du groupe mette au point le scénario d’une histoire qu’elles devront deviner ensuite, prétendument, puisque leur sortie sert en réalité à faire passer la consigne aux autres participant·es présent·es : aux questions qui finissent par un « e » final on répond « oui », « non » pour toutes les autres. De retour dans la pièce, les deux joueuses doivent « deviner » l’histoire en nous posant des questions auxquelles, vous l’avez compris, on ne peut que répondre par « oui » ou par « non ». C’est très très drôle et ça marche : on obtient une histoire mais ce sont les victimes qui l’ont inventées en fait. Ce soir-là, c’était l’histoire de monsieur Patate et madame Carotte du coup.

Et sinon, Louis est de retour ce soir.

Jour 53 : dimanche 31 mars

[Avec un homme que je n’identifie, pas je suis spectatrice d’un spectacle que donne une amie comédienne et metteuse en scène. Nous nous embrassons devant un projecteur de sorte que nos ombres se projettent sur la scène et se mêlent au spectacle.]



Journée presque entièrement dédiée à me cacher du soleil, à envoyer des SMS aux copains et aux copines, à écrire et à ne rien faire.

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