Ψ / Semaine 7

Everyone is an artist - PEJAC




Quoi tu te lasses ? On n’en est qu’au premier tiers !

Septième semaine : agitée, colérique, effusive. Mais pas inutile.

  


 
SEMAINE 7

Jour 40 : lundi 18 mars

[Rêve en écho de ma lecture de la veille : des petits enfants, garçons et filles, jouent à imiter les jeux de scène d’une star du rock, en se propulsant sur une luge dans les pâles d’un gros ventilateur. Seuls les petits garçons se blessent parce qu’ils se mettaient devant les petites filles.] [Second rêve rempli de godemichés et de femmes fontaines, orgasmes à la clé.]

Je me réveille à peine mieux que je ne me suis couchée, ma mélancolie et ma colère sont comme suspendues sur mes épaules. Des pensées douloureuses m’assaillent : Johnny Boy m’a dit des choses hier qui ne sonnaient pas justes, hors de notre réalité, comme s’il les répétait. Je vis mal ces conversations qu’il doit avoir à mon sujet avec Odile, qui doivent ressembler aux conversations, pathétiques, qu’il avait avec moi au sujet de ses ex.

Avec ma psy, on attaque le gros du dur : après ces premières semaines essentiellement passées à balayer mon passé familial, je parle de mes amours. Elle me donne des devoirs écrits pour la prochaine séance : répondre à la question « qu’est-ce que j’attends des autres, en amour comme en amitié ? » parce qu’il lui apparait que ça n’est pas très clair dans ma tête. C’est vrai qu’en mettant les choses à plat, là, je me rends compte que je donne systématiquement le bâton pour me faire battre et que je m’aplatis à subir ce que je ne veux pas qu’on me fasse. Comme par exemple autoriser mon mecs à coucher ailleurs en m’imaginant que c’est la meilleure façon de le garder, ou d’éviter qu’il me mente, ou parce que les mecs sont comme ça, c’est tout.

Pour me sortir de ma morosité, une de femmes qui partage ma table de repas se propose de me maquiller : fond de teint, crayon, mascara… dans la glace, je retrouve presque trait pour trait la jeune fille que j’ai été. Ça me fait sourire, ça fait peut-être bien 6 ou 7 ans que je ne me suis pas maquillée. Ici, on a beau être entre femmes, tout le monde se maquille, se brushing et se met en plis chaque jours. Je me fais une petite liste de cosmétiques à acheter lors de ma prochaine sortie.

Mon moral s’améliore, la mélancolie laissant maintenant toute sa place à la colère, à la férocité même. Je ne lâche pas Johnny Boy, qui ne s’est pas donné la peine de tenir sa parole, pour changer. Je ne lâche rien, je ne veux pas que l’on ait à se revoir à ma sortie, et surtout, je sais à quel point Johnny Boy est mauvais payeur et qu’il peut me la jouer à l’envers. Je veux que ce truc soit résolu très, très vite. Demain.

Machérie me rappelle et cette fois elle me fait comprendre à quel point je l’ai blessée il y a deux jours en mettant sa parole en doute. Ce n’est pas comme si c’était la première fois, en plus, que ma colère dépasse les bornes. Sur Johnny Boy c’est de bonne guerre (à la rigueur, même si au fond de moi je sais que non, c’est toujours mal la colère), mais pas avec Machérie ! Je me foutrais des gifles, je lui présente mes excuses, elle les accepte et on devise un petit moment sur l’emprise que nos peines de cœurs peuvent avoir sur les évènements les plus anodins de nos vies (genre des SMS qui restent sans réponse).

Jour 41 : mardi 19 mars

C’est au tour de R. (la femme qui m’a maquillée et aussi celle qui a passé beaucoup de temps à me réconforter ces derniers jours et dont j’ai décidé qu’elle était ma tata à partir d’hier) de se lever dans le bad. Elle a de bonnes raisons de l’être. Pour la divertir, je lui raconte un peu les détails de mon histoire avec Johnny Boy, elle explose de rire tellement c’est ridicule tout ça (autoriser un menteur à me tromper), encore plus quand je lui décris la réaction du psychiatre à qui je me suis confié aujourd’hui (il a enlevé ses lunettes et « Bon. Ça me parait un peu paradoxal tout ça »). J’adore cette meuf. C’est de la meuf en peau de meuf, mazette.

Johnny Boy, enfin, me paie sa dette. Je ponctue l’évènement d’un « bye » auquel il ne répond pas.

Je discute avec mon ex-mari (Graindorge) et avec ma fille, qui fait tout plein de réactions suite à ses vaccins : prurit, eczéma, rougeole, youpi. Je passe également une bonne heure à discuter au téléphone avec une amie, de nos synchronicités (le SMS qu’elle m’envoie juste quand je me demande pourquoi mais pourquoi personne ne répond), de la carte postale du palais du facteur Cheval qu’elle m’a envoyée il y a plusieurs semaines, de l’avancée de nos vies. J’en ressors avec une vérité profonde :

LES SOLUTIONS NE VIENNENT PAS FORCÉMENT DES PERSONNES QUI NOUS POSENT PROBLÈME.

Le calme est revenu en moi. Je sais que demain, demain sera bien.



Jour 42 : mercredi 20 mars

Je me re-coupe les cheveux aujourd’hui, toujours aussi court. C’est une patiente, ancienne coiffeuse, qui me fait les finitions.

Je finis ma plus belle Vierge aussi. Je l’offre à J., une autre de mes commensales.

Je gagne mes sorties libres : je sors quand je veux à partir d’aujourd’hui (mais en dehors des heures de cadrages, donc dans les faits seulement l’après-midi, entre 15 heures et 18h30). Je vais enfin pouvoir m'acheter des journaux.

Je rends mon devoir sur table à la psy.

Ce que j’attends de l’autre, ami ou amour :
- l’ouverture d’esprit : pouvoir parler de tout et surtout d’intime.
- de la culture : partager, discuter, loin et longtemps, découvrir des trucs, confronter mes pensées à d’autres.
- de la sécurité affective : ne pas me sentir jugée.
- et en même temps, de la sincérité : du parler vrai, loin du mensonge.
- la non-violence, physique (surtout) et psychologique (accessoirement, vu que je donne pas ma part au chien).
- et en même temps de la simplicité : ne pas tourner autour du pot, aller droit au but
- des marques d’affections : tendresse, caresses, câlins et mots d’amour.

Je remarque que certaines sont un peu contradictoires (sécurité/sincérité, non-violence/simplicité), mais surtout qu’à l’aune de ces critères-là, Johnny Boy marque 0 points. Machérie en marque 7. Love Her. En y réfléchissant encore un peu plus, je me rends compte que je ne lui rends pas exactement la pareille. En matière de non-violence, je suis pas championne, c’est sûr, et il y a bien quelques fois où je l’ai jugée, la mettant en insécurité. Il va falloir que ça cesse.

D’ailleurs elle m’appelle en fin de soirée, plus fidèle qu’aucun homme ne l’aura jamais été avec moi… Et plus aidante aussi : elle ouvre mon courrier, récupère mon argent et le met à l’abri, vérifie que mes radiateurs sont bien éteints. Ce n’est pas la première fois que je me dis que je ne la mérite pas.

Jour 43 : jeudi 21 mars

Dès le réveil, je ressens le contrecoup des évènements des jours précédents. Je pense à Johnny Boy avec quelques remords : est-ce que je n’ai pas été injuste avec lui ? Est-ce que je n’y suis pas allé un peu fort ? Je réponds oui et puis encore oui mais ça ne change rien : je lui en veux à mort. Il l’a bien mérité. C’est peut-être même le seul chemin par lequel je puisse passer pour m’éloigner de lui. Je retrouve ce besoin familier, à mille kilomètres de la Réconcialition, de garder la colère intacte pour ne pas retomber dans les rais du monstre. C’est mon bouclier, ma seule résistance au doute.

Je découvre le même jour, dans mon Courrier International hebdomadaire (en fait celui de la semaine précédente), le concept d’impolitesse radicale, développé par l’Ougandaise Stella Nyanzi, qui consiste en une utilisation stratégique et bien dosée de l’injure publique. Sans en avoir encore les tenants et les aboutissants, je sais que j’adore.

Madame Badiane. EMPOWERING WOMEN / ALUN BE

Article : Nous les Africaines, par Angeles Jurado,dans le Courrier International n°1480 et sur leur site.

Dans l’après-midi, pendant le cadrage, j’organise un petit atelier d’écriture : haïkus, poème de prisonnier, lipogrammes et abécédaire romancé nous divertissent une petite heure. Si tu veux savoir c’est quoi tout ça, il faut m’acheter le superbe jeu d’écriture que tu trouveras bientôt dans mon Catalogue pour la somme que tu veux (c’est-à-dire entre 10 et 10000 euros).

Manger le vent
Boire le soleil
Dormir
(Haïku météorologique)

Dans le but de me changer encore plus les idées, je lace mes chaussures bien serré (parce que d’habitude je ne les lace pas et laisse nonchalamment pendre les lacets sur les côtés, parce que j’ai 20 occasions par jour de les mettre, de les enlever, de les rechausser etc. - flemme) et je me lance dans une traversée du 8e arrondissement de Lyon en quête des escarpins de mes rêves. Je me suis maquillée, convenablement habillée et tout, en vain. Minelli n’a rien à m’offrir en 35 et la Halle aux Chaussures seulement des boucles d’oreille et de nouveaux châles (je me toque de châles et de foulards depuis que je suis à la clinique, sous l’influence d’une femme que je côtoie à table, et que je drape - nonchalamment bien sûr - par-dessus mes vêtements trop serrés). Je me fais encore plus belle pour le repas du soir : un caleçon bleu nuit, une tunique en lurex or, un châle or et bleu nuit, mes nouvelles boucles bleues et or… mais sans escarpins.

Jour 44 : vendredi 22 mars

[Super rêve cette nuit : un groupe de super-héros et de super-héroïne, dont je fais partie, tous cassés mais réparés grâce à une substance qui comble littéralement les fêlures qui parcourent notre corps, se retrouvent pour mettre au point un plan de sauvetage de l’humanité. La Terre est désolée mais renaissante. Je me retrouve dans un pré à l’herbe haute et d’un vert tirant sur le violet, tellement grasse et fournie que je nage à sa surface]

La femme aux châles nous quitte aujourd’hui, après deux mois de thérapie. Elle ne prend pas nos numéros de téléphone, mais elle me laisse son adresse. Elle va beaucoup nous manquer, ses rire, ses pleurs, ses couleurs. Rien ne sera plus comme avant en fait.

Mes règles me surprennent à la fin du repas de midi.

Johnny Boy me rappelle, tout calme et loin d’Odile (pendant sa pause déjeuner, ma dernière place dans son emploi du temps depuis des mois). Je lui exprime mon dégoût de cette pseudo-attention qu’il m’accorde « pour ne pas être tout à fait un salaud » (ses mots). Je lui fais comprendre qu’il est complètement un salaud. Quand je raccroche en lui disant adieu, j’ai encore un peu de tristesse, un peu d’amertume mais ça part avec le reste dans ma première serviette hygiénique.

Ne reste que la colère. Celle-ci s’exprime encore quand, en creux du discours des femmes assemblées pour le groupe de parole Corps émotion Nourriture, je devine qui, en réalité ne supporte pas qu’elles soient grosses ou maigres. Pourquoi est-ce que les femmes bourrées de complexe sur leur physique insistent toujours pour dire qu’elles se maquillent, font des régimes ou s’habillent comme ceci ou comme cela « pour elles » ? J’y crois pas. Admettons pendant une seconde que le monde ne contienne aucun homme, pour voir. Les autres femmes prennent assez mal mes remarques : je « généralise », « tous les hommes ne sont pas comme ça », sans qu’on sache c’est quoi ce « comme ça » et sans que j’ai eu même à prononcer le mot « homme ». La psy modère l’échange en nivelant le débat sur l’air de « nous agissons tous et toutes sous la pression des contraintes sociales », mettant au même niveau celles qui pèsent sur les femmes et celles qui pèsent sur les hommes. Même fardée et habillée comme je le suis aujourd’hui, je ne me fais pas d’illusion : bien sûr que ça me réchauffe l’ego de me sentir belle, bien sûr que je me sens puissante mais à l’égard de qui finalement ? Et si ma « puissance » est à ce prix, qu’est-ce qui va se passer pour nous, quand nous serons vieilles, grosses et moches ? Je refuse, définitivement, de placer ma capacité de puissance et d’action dans ma beauté. J’ai parcouru autrement plus de chemin mal coiffée et mal habillée et même trop maigre qu’en escarpins. Passer trois quart d’heure dans sa salle de bain chaque jour, ce n’est pas de la puissance. C’est une perte de temps, aussi légitime qu’une autre, mais qui ne devrait pas être décisive.

Et histoire de remettre chaque chose à sa place (en parlant de puissance féminine), un article qui met deux pays dans le même sac : Iran-Arabie Saoudite. Deux prisonnières d’un même système, par Diana Moukalled, dans le Courrier International n°1481 et sur leur site.

Dessin de Heydari, Iran

Jour 45 : samedi 23 mars

Je saigne toujours et mes nerfs sont encore un peu en pelote.

Je m’entretiens par SMS avec une personne qui ne m’a jamais fait sentir ni trop maigre ni pas assez apprêtée : un homme, probablement pas comme les autres. Ça me fait du bien. J’ai eu l’impression, avant d’arriver ici, que je lui plaisais bien (et il me plait bien aussi mais je n’y étais pas disponible) toutefois nous gardons des distances polies. Je sens que mon cerveau a libéré de la place en évacuant Johnny Boy.

Le soleil cogne fort ce jour-là, et puis mon maquillage me brûle. Je vois pas comment je peux me sentir puissante avec les pores qui étouffent et les yeux qui coulent, le comédon qui menace. Non, j’ai beau faire, je vois pas. Si je devais faire ça pour moi, je ne le ferais pas, clairement.

Jour 46 : dimanche 24 mars

[Cette nuit-là, je rêve de Johnny Boy : il a garé sa voiture près d’une berge, qu’une crue emporte.]

Le dimanche, c’est viennoiserie au petit-déjeuner. D’habitude je ne la prends pas, trop peur d’avoir faim, trop besoin de me remplir, me rabattant sur le sempiternel quart de bout de pain / beurre / confiture trempé dans du café, mais cette fois je décide de changer mes habitudes. C’est avec un certain délice, donc, que je trempe mon pain au chocolat dans un lait chocolaté. Résultat, j’ai faim au bout d’une heure, j’ai mal à la tête (manque de caféine) et je me tape un malaise vers 11 heures (chute de ma glycémie après l’orgie de sucre).

Au cours du repas de midi, on surprend toutes, sauf l’infirmière qui nous surveille, l’une d’entre nous à subtiliser une portion de son pain pour la mettre dans sa poche et ainsi éviter de la manger. C’est une dame d’une soixantaine d’années mais qui en fait 20 de plus. Battue par son mari elle est retombée en enfance depuis son arrivée ici il y a 4 mois, elle ne quitte plus son pyjama à cause de la sonde gastrique qu’elle doit promener partout avec elle et se trouve « énorme » avec son IMC inférieur à 15. Ça surprend tout le monde mais personne ne dit rien. On va assister à son auto-sabotage pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce qu’elle se fasse prendre.

On se relance quelques défis littéraires (lettre imposée, boule de neige et alexandrins) sous un soleil toujours aussi mordant et puis je m’octroie une nouvelle séance d’hypnose nommée « lâcher-prise ». Je me promets de la refaire parce que je n’ai pas réussi à tout lâcher.

Ô
Le
Fil
Bleu
Temps
Qui… qui
Souffle
(Boule de Neige de lettres de longueur 7)

Je commence la lecture de Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, qui promet de me plaire fort. Extraits à venir.

Et pour finir : l’article Les femmes ? Des notes de bas de page, par Ed Yong, dans le Courrier International n°1481 et sur leur site.


Dessin de Pudles

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