La Reine des Neiges - Disney (2014)




Une fois n’est pas coutume, je suis allée voir, il y a quelques semaines, le dernier Disney avec ma fille Chicorée… La bêtise crasse des adaptations de contes made in Disney et cette horripilante tendance à l’insertion de passage chantés ou musicaux de piètre qualité m’avaient jusque-là tenue très loin de ce genre de productions… J'ai fait une exception. La Reine des Neiges était annoncé comme le meilleur Disney de tous les temps et Chicorée n’avait encore jamais mis les pieds dans un cinéma avec moi. Donc, je suis allée voir la Reine des Neiges. Ça tombait bien : je ne connaissais pas le conte, que l’on doit à Andersen.

Autant le dire de suite : ce film d’animation n’a plus grand-chose à voir avec le conte original. 


LE FILM 
Elsa et Anna sont deux princesses, et d’inséparables sœurs. L’aînée est douée d’un pouvoir magique : celui de maîtriser la glace, le froid et la neige. Un jour qu’elles jouent en secret  dans la salle de bal du château, Elsa blesse gravement sa sœur. Anna s’en sort, mais le prix à payer est lourd : Anna oublie l’existence du pouvoir de sa sœur, et par conséquent, pour que le secret reste entier, les parents interdisent à l’aîné d’en faire usage à l’avenir. C’est apparemment de son propre gré qu’Elsa se cloître dans sa chambre. Ainsi, les deux sœurs sont-elles séparées pendant des années, mais leur lien de sororité, nous dit-on, reste entier, jusqu’à la mort des parents, et le couronnement d’Elsa. 
Au cours de la cérémonie, toutefois, la jeune Reine s’emporte lorsque sa sœur lui annonce ses fiançailles avec un homme qu’elle connaît seulement depuis quelques heures, son pouvoir lui échappe et elle plonge le pays tout entier dans un hiver éternel. Elsa s’enfuit, Anna va tâcher de la retrouver, grâce à l’aide de Kristoff, un vendeur de glace rustre et moyennement propre, tandis que d’affreux bonshommes tentent de faire main-basse sur le royaume.

Le conte original, lui, est bien différent. D’abord, il ne contient qu’un seul personnage masculin : le petit Kay (plus quelques brigands entraperçus, mais guidés par une femme), et c’est une fille qui le sauve. Une fille réellement forte, qui utilise sa force et son pouvoir avec lucidité et indépendance. Le conte d’Andersen est également habité par toute une panoplie de portraits de femmes, bien plus réalistes que ce qu’en a fait Disney. D’ailleurs, mis à part la Reine et l’héroïne, tous les personnages féminins originaux ont été remplacés par des hommes dans le film.

LE CONTE D’ORIGINE 
Kay et Gerda sont deux petits miséreux, et d’inséparables amis. Mais un jour, deux éclats de verre d’un miroir maléfique viennent blesser le cœur et l’œil de Kay. Celui-ci devient mauvais et méchant, ce qui passe tout d’abord pour la plus grande des intelligences… et ce qui lui vaut bientôt d’être enlevé par la Reine de Neiges, une sorcière dont on ne saura pas grand-chose tout au long du conte, si ce n’est qu’elle vit seule dans un immense et froid palais de glace. Gerda va partir à la recherche de son ami. Au cours de son voyage, elle croisera de nombreuses femmes (une magicienne, une petite fille brigande et sa mère, une lapone, une finnoise et une princesse dont il est précisé qu'elle est très intelligente) qui l’aideront dans sa quête (en fait, elles se contentent de lui montrer le chemin... et ne font rien à sa place).

Ensuite, je n’ai pas pu échapper aux passages chantés, foncièrement déplaisants, particulièrement au début. Enfin, il m’est clairement apparu que Disney ne s’est toujours pas défait de ses manières les plus sexistes.

Vous me direz : les deux personnages principaux sont des filles, pour une fois. Y en a même une qui est reine ! Et puis, ce sont des filles « fortes », cet épithète que l’on ajoute pour sous-entendre qu’elles sont l’égal de l’homme. Mieux : le film réussit le passage du Bechdel Test ! De même, les studios ont évité de marier toutes les filles du film, et contrairement à Blanche-Neige, ce n’est point le fougueux baiser d’un homme qui ramènera à la vie la pauvre princesse gelée. C’est vrai : on note un usage inédit des clichés sexistes habituels. Mais qu’on se rassure : ils sont bien là.

Moi, j’ai surtout vu des filles incapables de la moindre décision qui n’aurait pas été prise à leur place, des filles terrifiées à l’idée de régner ou de posséder le moindre pouvoir.

Une analyse complète de cet aspect du film a été réalisée ICI, analyse passionnée que je vous conseille de lire…

Comme moi, l’auteur a été tout particulièrement choqué par ce passage où la Reine des Neiges recouvre sa liberté… et devient un genre de vamp (entre autres âneries... "je suis là comme je l'ai rêvé" alors qu'elle se retrouve bannie dans le froid, "je ne pleure pas" alors que franchement elle pourrait ou encore "mon âme s'exprime en sculptant dans la glace", là ça m'achève).

C’est ce qu’on appelle un « male gaze », un regard masculin. Enfin, fini la dignité princière, elle va pouvoir se lâcher, lâcher ses cheveux, lâcher des regards de braise grrrr, dans cet hiver perpétuel où elle se retrouve seule... Vraiment bizarre cette scène.

Moi aussi, j’ai eu envie de chanter à tue-tête « libérée, délivréééééeeee » en touchant mon corps de rêve, à la sortie du ciné. Du coup, j'imagine que la scène sert à ça : galvaniser les hormones les plus précoces des jeunes filles qui viendront voir le film...

Je vous en laisse juges :


Hop, un extrait du lien donné plus haut, relatif à ce passage du film.

Elsa, elle, présente un personnage plus inhabituel et ambigu. Elle est la seule princesse Disney (ou presque) à accéder au titre de reine et elle est toujours célibataire à la fin du film. Le fait qu’elle ait beaucoup moins de présence à l’écran que sa sœur est assez parlant d’ailleurs. Que dire d’une femme si elle n’a pas d’histoire d’amour ? On pourrait s’attarder sur ses états d’âme peut-être ? On le fait, un peu, le temps d’une chanson grandiose qui constitue le point d’orgue du film : Let it Go. Mais ce moment de grâce où Elsa, enfin libérée de son emprisonnement, envoie valser les convenances et élève un édifice grandiose à l’aide de ses pouvoirs, est également le pire moment de « male gaze » du film. De manière totalement inutile et saugrenue, les animateurs ont en effet jugé bon de parer Elsa d’attributs hyper féminins durant cette séquence. Sa libération passe donc par une démarche chaloupée, une robe de cocktail fendue et un regard de séductrice. Empowerment qu’ils disaient… C’est sûr que c’est certainement quand personne ne nous regarde et qu’on peut enfin s’exprimer telle qu’on est réellement qu’on ressent le plus le besoin de se torturer dans des petites chaussures à talons en tordant les hanches à s’en briser les reins. 
Afin de neutraliser la portée féministe de cette scène montrant une femme qui chante sa liberté en édifiant un grandiose palais, on a donc fortement érotisée Elsa durant cette séquence afin de la soumettre au regard masculin et de neutraliser sa puissance : elle devient objet (décoratif) et non plus sujet. (Cette scène est d’autant plus absurde qu’Elsa ne bougera plus jamais de cette façon durant le reste du film où, même si elle demeure gracieuse, elle est beaucoup moins vamp). 
A noter que même si, contrairement à Anna, Elsa est capable de force physique et possède des pouvoirs impressionnants, lesdits pouvoirs lui causent beaucoup plus de souffrance que de satisfaction. Son pouvoir lui fait peur et blesse sa sœur à deux reprises, elle manque également de tuer deux hommes en perdant son calme. En effet, elle est incapable de maîtriser véritablement ses dons les trois quarts du film. La Reine des Neiges montre donc une incompatibilité entre la féminité et le pouvoir dans l’ensemble.


Je vais vous dire, moi qui suis fan de manga et de fantaisy en tous genres, quand on met un pouvoir pareil dans les mains d'un héros masculin, normalement, il ne se contente pas de se faire une jolie robe et un joli palais avec...

Non, les gros méchants asservissent le monde et les gentils le sauvent. Mais il n'est jamais question de changer quoi que ce soit au monde quand le personnage principal d'un film est une fille... Rappelons que le personnage original est sensé être diabolique (dans le film, ça devient un complot monté par les Vilains).

Concluons : vous avez déjà vu mille fois les bêtises que l’on trouve dans ce film, inutile de dépenser un euro (mais sûrement plus…) pour aller le voir. Par contre, demain et dans les jours qui viennent, je vous conseille chaudement de lire le conte d’Andersen.

Commentaires

À lire

Le Tzolkin : les bases

Hard Lemon - Volubilis

Le Tzolkin : pratiques personnelles

Relations inclusives / exclusives

Vassilissa la très belle

Le Guide du Voyageur Galactique - Douglas Adams

Joyeux Noël... Norman Rockwell !

Locus de contrôle

Triangle du feu