Je suis maigre, comme une étoile



Maigre, c’est le contraire de gras. Il y a différents stades de gratitude, par ordre croissant du rapport viande/gras : persillée, lardée,

Moi, je suis maigre. Ce qui signifie que je n’ai pas de gras. Il faut dire aux gens qui voudraient ne plus avoir de gras que, ne plus avoir de gras, c’est être maigre, ce qui n’est pas vraiment joli à voir.


36.3, cette balance serait pas neuve, je lui ferais voir un peu ce que j’en pense. Le doteur va encore me gronder. Le mieux, c’est que je n’aille pas le voir pour le moment…

J’ai dépassé le stade de vouloir maîtriser mon poids : c’est épuisant. La quantité que je dois ingérer pour prendre un misérable kilo, vous seriez outré. Je suis conçu pour brûler. Comme une étoile. Quand je déprime, je bouge plus, j’ai plus faim, quand je turbine, faut que je mange, mais ce que je mange, je l’utilise. Mes repas, au travail, scandalisaient mes collègues. Je m’en sortais pas sans une salade endive-noix-lardons-comté, ma platrée de pâtes à la crème, bidoche, pain, fromage, fruit, dessert et gâteaux faits maison dès que j’ai une pause. A ce rythme, en une année, j’ai gagné 2 kilos, perdus en un mois l’année suivante. Je peux pas lutter là.

Je ne sais pas ce que ressens l’obèse qui doit se limiter dans sa prise de nourriture, je sais, en revanche, que je ne peux pas manger quand je n’ai pas faim, ce qui n’a rien à voir avec le fait que mon ventre soit plein ou pas. Je peux avoir commencé la digestion de mes propres viscères, au bord de l’évanouissement, que je peux encore ne pas avoir faim. Ne pas pouvoir manger en tout cas. Ne pas vouloir ?
Je sais pas, j’ai jamais su.

Y  a un milliard de théories sur l’anorexie.

Je me suis jamais faite vomir de ma vie, j’ai jamais rêvé de ressembler ce à quoi je ressemble, je n’ai pas de problème quant à mon image physique (disons que le problème était là avant d’en avoir). Je ne mange que gras, je ne suis pas végétarienne, je n’ai pas de phobies alimentaires ni de chichiteries particulière, je n’ai aucune raison d’en vouloir à ce que je mange. Je n’ai pas de problème de thyroïde, pas de diabète, pas de ténia, pas de maladie cachée (ou alors bien cachée), ça fait des dizaines d’années que les médecins se penchent sur mon cas et que l’on me répète que non, tout va bien. Faut vous forcer madame.

Y a le coup du suicide, soi-disant, c’est du chantage tout ça. C’est peut-être vrai, la position de plus petite, de faible, de personne à protéger est parfois confortable. J’ai commencé comme ça dans la vie : j’étais tellement petite, tellement menue, que je n’avais pas assez d’énergie en moi pour vivre et respirer. Je l’ai quand même fait, avec un peu d’aide. Je me suis pâmée, pendant quelques mois. La vie, je trouvais ça déjà dur, physiquement.

Je suis entrée au collège du haut de mon mètre vingt, à la fin du lycée, trente centimètres plus tard, c’était plié. Puberté tardive, avec ce que ça implique d’impossibilités à l’égard des jeux que l’on a à cet âge, avec ceux du sexe opposé. Nada, jusque tard.

Et puis paf, ça me reprend.

Je suis toujours maigre, mais mon corps fait des trucs, là. J’ai pris des seins, du cul, s’il en fallait, et aussi…. Ben… mon ventre fait une bosse, là.

Putain, j’ai 30 ans, et je m’offre mon corps de femme, c’est ça ?

Je me dis que je serais foutrement BONNE si seulement je voulais bien me donner la peine de manger.

Je crois qu’à l’épreuve de la lutte contre soi, je vais encore perdre, et que c’est moi qui vais gagner.

Foutues hormones.


Et puis bien sûr, il y a la légende. Il y a toujours une légende.

Ma mère, divorcée depuis 10 ans, aime encore à préciser le traumatisme alimentaire que fut mon gavage forcené un jour de patates sautées où mon père me gardait mais avait autre chose à faire. Il parait qu'après, j'ai tout simplement refusé de manger ma bouillie. Sérieusement, je me suis laissé crever de faim. Je me suis rabougrie en 5 jours, mais le mieux de l'histoire, c'est qu'à ce moment-là, ma mère a quitté la maison (je ne sais plus trop dans quel ordre mettre les choses, vous imaginez, pour ce que je m'en souviens, pour ce que ma mère s'en souvient, pour ce que mon père ne m'en diras jamais et surtout, pour ce que ça change, au fond, quelles ont été les causes, et quelles ont été les conséquences). Avec moi, puisque j'allais mal, pour passer quelques jours dans... un couvent (je vous expliquerais...pas). Ma mère a une tolérance (c'est pas le mot, je ne connais pas le mot, acceptation ?) pour la douleur de ses enfants, dont je la remercie aujourd'hui. Elle m'a pas hospitalisée, bordel, de dieu, elle est allée dans un couvent, et là, une sœur lui a fourni la solution, alléluia. Vous savez ce qui m'a sortie de ce mauvais pas ? Le sucre, beaucoup de sucre dans mon tapioca. Avec du sucre, je me suis mise à remanger sérieusement, et à grandir.

La vie, je trouvais ça déjà dur, physiquement. Avec du sucre, ça passait mieux.



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