Compersion
Que voilà un joli mot… Inventé au sein de la communauté
américaine Kerista et spécifiquement utilisé par les polyamoureu·ses (mais qui peut s’appliquer à bien d’autres situations), il
désigne une émotion qui manque cruellement dans les relations traditionnelles
mono-amoureuses.
D’un côté, il fait penser à compassion,
compère, compréhension, et de l’autre, à immersion, diversion, dispersion… Et c’est
un peu tout ça à la fois. À
l'opposé de la jalousie, non loin de l’empathie : la compersion.
COMPERSION, nom féminin
1) Sentiment ressenti
lorsqu’une autre personne manifeste de la joie ou ressent du plaisir.
2) Bonheur ressenti lorsqu’un
être aimé aime quelqu’un d’autre, par opposition à la jalousie.
Adjectif :
compersif
Franchement, ça ne m’étonne pas que ce
terme ait été créé pour les besoins de la cause polyamoureuse, tant il se pose
à contre-courant de la culture qui est la nôtre, possessive, exclusive,
violente… patriarcale.
Petit extrait du Dictionnaire des émotions de Tiffany Watt Smith à ce sujet :
Source |
Écoutez aussi ce qu’en dit le podcast de Louie Media : Émotions / La compersion : peut-on apprendre à être heureux du bonheur de l’autre ?
On n’apprend pas tant une émotion qu’on l’apprivoise,
petit à petit. En la reconnaissant, en la nommant, en l’adoptant et en la
faisant sienne. Vous n’allez pas pouvoir décider, comme ça, d’un jour sur l’autre,
être capable d’éprouver de la compersion. Vous ne pouvez même pas l’imaginer si
vous vous accrochez mordicus au
sacro-saint couple, de cet amour jaloux et possessif qui est encore le seul horizon
désiré par un grand nombre d’entre nous.
La compersion, je l’ai éprouvée quelques
fois, pendant des années avec Graindorge, et au début avec Johnny Boy. D’autres fois, je n’en ai pas été capable. À chaque fois que ce n’était
pas possible, c’était dans une situation d’insécurité affective, où je
basculais du côté obscur de la force amoureuse, du côté « ne m’abandonne
pas », « soit à moi », « rien qu’à moi ». Je
hiérarchisais (« je veux être la première, la préférée »), je doutais
de lui, de sa parole. Autour de ces situations, il y avait des mensonges, des
silences, la communication était rompue. La compersion n’était pas possible..
Peut-être que l’amour était parti (ou jamais été là). Et là, le manque de compersion n'était pas la cause de nos ennuis, mais la conséquence d'une relation mal emmanchée, malgré nos prétentions de liberté.
Le curseur de sécurité n’est pas le même
pour tout le monde, c’est bien pour cela que la communication est importante :
si vous vous sentez exclu·e, si votre parole n’est pas prise en compte, ça va
pas le faire. Peut-être que vous êtes de celleux qui veulent tout savoir,
peut-être que vous êtes de celleux qui ne préfèrent pas, peut-être aimez-vous savoir
tout de suite, ou quand la relation est bien établie. Tout est valable, respectable, pourvu que ce soit dit. Et entendu. Cela nécessite une « gestion
collective des émotions », où les ressentis sont exprimés et considérés.
Les pièges sont partout ! Il faut s’observer
sans cesse ! On peut être tenté·e de vouloir
savoir ce qui arrive à l’autre, être tenté·e de décider de ce qui lui arrive, de lui interdire, de lui autoriser…
Tu te souviens de nos règles avec Johnny Boy ? Quel enfer on s'est pavé... Si vous luttez sans cesse contre ces démons-là, peut-être que vous n’êtes pas
prêt·e, peut-être que ce ne sont pas les bonnes personnes, peut-être que vous n’êtes pas la bonne personne. « Ça
se construit, ou ça se déconstruit »… L’amour poly est un engagement,
celui de laisser l’autre libre d’aimer. Il ne faut jamais le perdre de vue
quand la tristesse, la peur, la colère nait en nous. La jalousie, c’est une
émotion. Elle nous appartient et on peut travailler dessus. L’incapacité à passer outre est,
selon moi, clairement un signal d’alarme quant à l’inadéquation de la dynamique
amoureuse.
Quand la compersion est possible, c’est
déjà que les choses sont fluides, c’est de l’ordre de l’évidence. En confiance, avec
sincérité, nous nous réjouissons que l’autre soit heureu·se. Il y a même,
peut-être, un peu de fierté d’avoir rendu cela possible. On ne craint pas l’abandon,
qu’il puisse advenir ou pas. On sait où on en est, on sait ce qui arrive à l’autre. On lui fait
confiance, à ellui, et à sa·on nouvel·le partenaire. Et confiance en soi,
peut-être plus encore. Si l’autre prend ses distances, disparait, se tait quand
il rencontre quelqu’un, vous n’avez pas possibilité de le vivre bien, votre
confiance, votre conscience de votre valeur dans les yeux de l’autre sera
rapidement réduite à rien. Mais si l’autre revient après chaque jour passé dans
les bras d’un·e autre, alors c’est possible. Mais ça ne suffira pas : vous avez besoin de vous sentir
autonome, indépendant·e, pour donner la liberté à l’autre de l’être aussi.
Ces périodes de liberté étaient infiniment
plus vivifiantes que les périodes d’amour fusionnel, unique et exclusif, qui
était fortes aussi, mais moins dynamiques, moins vivantes, avec moins de
possibles devant moi. En mode poly, j’étais aussi davantage tournée vers mon et mes
partenaires, c’était plus ouvert, moins confortable aussi, mouvant, changeant,
délicat. Le polyamour est à la monogamie ce que la balançoire est au canapé... mais avec en plus le plaisir d'avoir le canapé rien qu'à soit quand l'autre fait de la balançoire ! Mon bonheur était littéralement doublé du fait de voir mon amour heureux, et je m'enrichissais de ses propres expériences.
En fait, pour moi c'est quasi idéologique et indissociable de mon engagement féministe : les relations monos sont des doudous, toujours là (mon oeil), sécurisantes (*lève les yeux au ciel*), mais le polyamour est un vélo, exigent et grisant. On
apprend beaucoup, sur soi, sur les autres. Là où la relation mono ne voit qu'un échec, la jalousie et le chagrin d'amour, la relation poly voit un carrefour, une nouvelle route (qui peut parfaitement se solder par un échec, hein, si vous tenez tant que ça aux chagrins d'amour). D’autant que l’amour poly n’implique pas que vous
serez moins aimé·e que dans une configuration mono, où l’on se
jure fidélité éternelle. Comme si les monos n’avaient pas peur de l’abandon !
Comme s’ils ne se trompaient pas les uns les autres ! Ça n’est pas très différent,
dans le fond, sauf qu’en polyamour, on part de l’idée que c’est possible de
passer outre, que ce que l’on donne à l’un·e n’enlève rien à l’autre. Quand on
y pense, c’est deux fois (au moins) plus d’amour que l’on permet. Ne boudons pas le
plaisir de l’autre ! Qu'est-ce qu'un amour qui ne veut pas voir l'autre heureu·se ?
Quand pour moi ça a marché, c'est parce que j'aimais, que je me sentais aimée et bien dans mes pompes. Et bien que je n'y sois pas toujours arrivé (j'étais quand même sacrément en vrac dans ma tête), ça reste la seule forme de relation que je sois en mesure d'accepter. Peut-être en vertu du "ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse."
Peut-être bien que le polyamour, c'est un idéal qu'on caresse, qu’il faut s’en persuader, mais, ne
vous est-il pas arrivé, au cours d'une relation mono, de devoir également
vous persuader de la légitimité, de l’équité (pour vous et pour l’autre) de
votre engagement ? Ça n’est pas différent. C’est une décision qu’on prend,
qu’on tient et qu’on rééquilibre chaque jour, avec la certitude que ça correspond
à nos valeurs, de liberté et de respect de l'autre. En se disant qu'on n'est pas le seul œuf dans le panier de notre amoureu·se.
Oui, ça fait beaucoup de métaphores, alors, pour finir, je vous partage un petit
thread qui me parait bien résumer ce que l’on trouve, concrètement, à aimer ainsi, en termes
d’humanité, de développement personnel et de bonheur : communication, self-estime, libido... et consolidation du couple. Et compersion !
Liste de 10 choses (et peut-être plus) auxquelles je ne m'attendais vraiment pas en me lançant dans le couple libre. ⤵️
— Christophe NSFW (@Topper_NSFW) April 18, 2020
en effet c'est un mot joli, dommage qu'il ne puisse être placé au scrabble...(rire!) Il rejoins un peu le thème des relations inclusives / exclusives. Je ne connaissais pas ce mot. J'aime la définition 1 et la 2, quoique la 2 reste discutable car le sexe n'y est pas forcement .
RépondreSupprimerOui, il rejoint même complètement ce thème ! Cela dit je pense qu'on peut l'étendre à d'autres situations où l'on est "content.te pour l'autre", sans qu'il soit question de sexe, d'où la seconde définition, d'ailleurs assez acceptée là où j'ai trainé ma curiosité pour les besoins de cet article.
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