Le Sorceleur | Livre I, Le dernier vœu - Andrzej Sapkowski
Là, on peut dire que je débarque après la bataille… La saga du Sorceleur est initialement
publiée dans un périodique de fantasy
polonais dès 1986 (et jusqu’en 2013 en France pour le dernier opus) sous forme
de nouvelles, puis de romans aux éditions Bragelonne en France, adapté en jeux vidéo (The Witcher, The Witcher 2 : assassins of kings
puis The Witcher 3: Wild Hunt) de
2007 à 2015, puis en série sur Netflix
en 2019 par Lauren Schmidt Hissrich, cette œuvre vendue à plus de 15 millions d’exemplaires a eu le temps
de faire plusieurs fois le tour de la terre.
Eh bien, après des années (plus d’une décennie en fait) à ne
plus lire de romans du tout (pour une raison qui m’échappe), j’ai décidé de
rempiler là-dessus. De base, j’étais attirée par la série mais je voulais lire
les livres avant. C’est un peu con parce qu’en général, je suis très déçue par
les adaptations ciné / série. Mais ça avait l’air tellement génial…
Et ça le fut, génial. Et comme je ne suis peut-être pas la
seule sotte à ne pas avoir franchi le pas jusque-là, zoum, débriefing de
lecture et extrait, pour vous donner envie.
J’ai commencé en suivant l’ordre proposé
par les éditions Bragelonne, qui ne respecte pas l’ordre de parutions de ces
œuvres mais l’ordre chronologie de l’histoire (chronologie diégétique).
Les deux premiers livres, sont des recueils
de nouvelles qui sont une belle entrée dans l’univers du Sorceleur (ils correspondent également à la première saison de la série Netflix) :
- Le
Dernier Vœu
- L’Épée
de la Providence
Les tomes suivants sont des romans et
déroulent la saga en GRAND :
- Le
Sang des Elfes
- Le
Temps du Mépris
- Le
Baptême du Feu
- La
Tour de l’Hirondelle
- La
Dame du Lac
On peut y ajouter :
- La
saison des orages qui se place en dehors de la tomaison et
après La Dame du Lac.
- Quelque
chose s'achève, quelque chose commence, dont seule la nouvelle La Route dont on ne revient pas a été
publiée par Bragelonne, et seulement en e-book.
En vrai, c’est cette critique de Les
mondes de l’imaginaire qui m’a convaincue :
Je n’ai pour le moment lu que le premier livre,
le Dernier Vœu, dont je vous fais part aujourd’hui.
Si l’aventure vous tente, sachez que les
livres de poche vendus sur le site de Bragelonne sont… moches, et que la plus
belle édition se trouve en grand format (celle présentée ci-dessous, avec son papier texturé et ses dorures). Elle est plus chère (15,90 euros) mais les couvertures
sont vachement plus classes.
Geralt de Riv est sorceleur, c’est-à-dire
que contre rétribution, il débarrasse les contrées les plus crotteuses de leur
lie démoniaque avec ses philtres et son glaive d’argent. Il est doué pour tuer
mais son job ne consiste pas toujours à empaler ou éviscérer : parfois, il
lève des enchantements ou fait ami-ami avec des ensorcelé·es. Il a parfois pour
compagnon de route un barde paillard, Jaskier et pour bonne amie une magicienne
culottée aux yeux violets, Yennefer de Vengerberg.
Mais Geralt de Riv n’est pas l’homme
(d’ailleurs ce n’est pas un homme…) d’une seule femme. Geralt de Riv est fort
beau avec ses cheveux blancs et fort fort avec ses muscles, quoique ténébreux
et terrifiant quand il sourit et met dans son lit toutes les créatures femelles
qui le veulent bien (Henry Cavill fait le job, à première vue…). C’est un bon
coup, apparemment. Notez que pour le moment, je ne l'ai vu poursuivre de ses ardeurs aucune femme : ce sont les femmes qui lui tombent dans les bras, comme les mouches dans un pot de miel.
Geralt de Riv selon Lauren Schmidt Hissrich, recto-verso...
Le récit fait vivre tout un bestiaire issu
de contes des plus connus aux plus nordiques, et si l’on ne connait pas plus
que ça, comme moi, la culture polonaise, les contes russes et la mythologie slave,
il y a fort à parier qu’on n’y voit que du feu devant la multitude de
références culturelles et littéraires que l’on croise au fil de la lecture…
J’y ai tout de même vu, sans trop me
fatiguer, des références aux contes que tout·e européen·ne bercé·e aux Disney
connait, comme Blanche-Neige (qui aurait décidé de trucider celleux qui ont
voulu sa perte) ou la Belle et la Bête (où la belle casserait la vaisselle au
lieu de danser avec) et j’ai croisé des figures connues, comme celle de
l’ondine, du vampire ou du djinn. En creusant un peu plus, on fait de nouvelles
découvertes. Ainsi, un des ressorts importants du récit, le « droit de
surprise », prend sa source dans un conte russe assez connu, Le Tsar de l’Onde et Vassilissa-la-très-sage.
Nous connaissons déjà Vassilissa sur ce blog, mais ce concept-là, je ne connaissais pas… C’est l’histoire d’un roi
qui, face à une contrariété ou un danger de mort, obtient de l’aide d’un quidam
en échange de « ce qui l’attend à la maison sans le savoir », à
savoir un enfant dont il ignorait la venue. Devenu grand, l’enfant·e sera
« donné·e » au quidam. Oui, c’est une version sauvage de l’adoption,
par surprise donc.
L’écriture est belle et bonne, la
traduction est franchement très honnête… sauf dans les scènes de combat, des
fois je ne vois pas bien ce que fait le personnage. Y a zéro fioritures, c’est
direct, brutal et en même temps très littéraire. On se retrouve dans une
immersion parfaite, on a froid, on a chaud, on a de la poussière sur les bras
et du sang sur les mains. J’ai même appris plein de mots, tous plus ruraux et moyenâgeux
les uns que les autres.
Arme d’hast :
n.f. Arme blanche composée d'une lame ou d'une pointe métallique fixée au bout
d'un long manche, généralement en bois, appelé hampe. Elle est utilisée pour le
combat rapproché. La plus répandue est la lance, utilisée notamment par les
lanciers.
Bât :
n.m. Dispositif que l'on attache sur le dos de certains animaux pour leur faire
porter une charge.
Breuil :
n.m. Petit bois clos, servant de retraite au gibier ; pré établi sur un
ancien bois marécageux.
Burgrave :
n.m. Commandant d'une place forte ou d'une ville, dans le Saint Empire romain
germanique.
Cantons (sur
un blason) : un des quatre
vides carrés ou triangulaires que forme sur l'écu la croix ou le sautoir, ou
les pièces posées dans le même sens. Le premier Canton de la croix est en chef
à dextre ; le second à senestre ; le troisième en pointe à dextre, le quatrième
à senestre.
Empans :
n.m. Mesure de longueur, espace maximum entre l'extrémité du pouce et du petit
doigt de la main ouverte.
Fascine :
n.f. Fagot ; assemblage de branchages.
Guisarme :
n.f. Arme d'hast parente de la hallebarde, constituée d'un long manche en bois
et d'une lame à double tranchant prolongée d'une pointe.
Moire :
n.m. Apprêt (de tissus) par écrasement irrégulier du grain. Aspect changeant,
chatoyant (d'une surface).
Morganatique :
adj. Se dit de l'union contractée par un prince et une femme de condition
inférieure.
Pertuisane :
n.f. Lance munie d'un long fer triangulaire.
Ptyalisme :
n.m. Salivation exagérée, dans diverses affections.
Quartiers (sur
un blason) : n.m. Désigne la quatrième
partie d'un écusson écartelé.
Rancher :
n.m. Échelier. Pièce de bois placée à l'avant ou à l'arrière d'une charrette ou
d'un wagon plate-forme et servant d'appui aux ridelles.
Rapière :
n.f. Épée longue et effilée, à garde hémisphérique.
Scalde :
n.m. Ancien poète chanteur scandinave.
Sinciput :
n.m. Partie supérieure de la voûte du crâne.
Staroste :
n.m. Dans l'ancienne Russie, Chef d'un mir, responsable de la répartition de
l'impôt.
Voïvode :
n.m. Gouverneur militaire (Europe orientale). En Pologne, Préfet, chef d'une
voïvodie.
Les thèmes abordés prennent au pied de la
lettre les clichés des mondes fantastiques, ce qui donne une dose de réalisme viscéral au
côté épique du récit :
- la maternité et notamment la
non-maternité, parce qu’en avoir ou pas, on n’a pas toujours le choix (mutants
et magiciens sont stériles). On vous parle de l’instinct paternel aussi, ce
truc qu’on n’oublie un peu alors qu’on fait grand cas de l’instinct des mères.
- la place des femmes dans la société, leur
image dans les yeux des hommes, avec des personnages féminins badass qui
envoient du bois. Tous les personnages ne se ressemblent pas et on sent l’amour
de l’auteur pour ses protagonistes. Les femmes (et femelles d'autres espèces) y sont des ennemis crédibles, des reines audacieuses, des guerrières de premier choix et des magiciennes sacrément forgées.
- la différence, le racisme, l’intolérance :
vaut-il mieux vivre ensemble au risque de vivre les discriminations ou
combattre jusqu’à la mort celui qui nous méprise, nous opprime ?
Tout ça est amené sans prise de tête, sans débordement de bons sentiments et on se retrouve face à de vrais dilemme devant lesquels il nous est impossible de trancher (ou alors avec un bonne lame bien aiguisée...). On partage donc totalement les choix et les erreurs de Geralt.
Tout ça est amené sans prise de tête, sans débordement de bons sentiments et on se retrouve face à de vrais dilemme devant lesquels il nous est impossible de trancher (ou alors avec un bonne lame bien aiguisée...). On partage donc totalement les choix et les erreurs de Geralt.
Bref, c’est magnifique, c’est bon, bon,
bon à lire. J’ai dévoré ce premier tome en prenant garde à m’en laisser chaque
jour pour le lendemain, jusqu’à ce que je ne puisse plus et que je doive acheter
le tome suivant (commencé il y a quelques jours). Si vous aimez la fantasy, allez-y !
Pour finir, voici un extrait où l’on
découvre notre héros, ses beaux cheveux de mutants, ses origines douteuses et son sang chaud-bouillant,
extrait qui fait suite à cette lecture d’incipit, que vous trouverez dans la
vidéo suivante :
Bonne lecture.
On raconta par la suite que l’homme était arrivé par le nord, par la porte des Cordiers. Il allait à pied, menant par la bride son cheval chargé de bagages. L’après-midi était bien avancé, cordiers et bourreliers avaient déjà fermé leurs échoppes, la ruelle était déserte. En dépit de la chaleur, l’homme portait un manteau noir jeté sur ses épaules. Il attirait l’attention.
Il
s’arrêta devant l’auberge Au vieux
Narakort. Il resta planté là quelques minutes, à écouter le brouhaha des
conversations. L’auberge, comme d’habitude à cette heure, était noire de monde.
L’inconnu
n’entra pas au Vieux Narakort. Il
entraina son cheval plus loin, vers le bas de la rue, où se trouvait un autre
cabaret, plus petit, qui s’appelait Au Renard.
Le cabaret était vide. Il n’avait pas très bonne réputation.
Le
patron leva la tête de son tonneau de cornichons marinés pour toiser son
client. L’étranger, qui n’avait pas ôté son manteau, se tenait devant le
comptoir ; raide, figé, il ne disait mot.
–
Qu’est-ce que ça sera ?
–
Une bière, répondit l’inconnu. Il avait une voix désagréable.
Le
cabaretier s’essuya les mains à son tablier de toile et remplit un bock en
grès. Le pot était ébréché.
L’inconnu
n’était pas vieux, mais il avait les cheveux pratiquement blancs. Sous son
manteau, il portait un pourpoint de cuir râpé, lacé à l’encolure et sur les
manches. Quand il se débarrassa de son manteau, tous remarquèrent le glaive
suspendu à sa ceinture dans son dos. Qu’il eût une arme n’avait en soi rien d’étonnant ;
à Wyzima presque tout le monde se promenait armé. Cependant, personne ne
portait son glaive suspendu dans le dos comme un arc ou un carquois.
L’inconnu
n’alla pas s’asseoir à une table, au milieu des rares clients. Il resta au
comptoir, scrutant le cabaretier. Il avala une gorgée de bière.
–
Je cherche une chambre pour la nuit.
–
Y en a pas, grogna le cabaretier en considérant les bottes de son client, sales
et poussiéreuses. Allez voir au Vieux
Narakort.
–
Je préfèrerais ici.
–
Y en a pas.
Le
cabaretier identifia enfin l’accent de l’inconnu. C’était un Riv.
–
Je paierai, dit l’étranger à voix basse, marquant comme de l’hésitation.
C’est
alors que toute cette horrible histoire a commencé. Un butor au visage marqué
par la petite vérole et à la mine patibulaire se leva et s’approcha du
comptoir. Il n’avait pas quitté l’étranger des yeux depuis son entrée dans le
cabaret. Ses deux compagnons vinrent se placer juste derrière lui, à deux pas
au plus.
–
Y a pas de place, gredin, vagabond de Riv, râla le grêlé en serrant l’inconnu
de près. On n’a pas besoin de types comme toi par ici. Wyzima est une ville
bien !
L’inconnu
prit son bock et s’écarta. Il regarda le cabaretier, mais celui-ci évitait son
regard. Il n’avait pas la moindre intention de défendre le Riv. Après tout, qui
est-ce qui aimait les Riv ?
–
Tous les Riv sont des voleurs, poursuivit le grêlé, qui puait la bière, l’ail
et la méchanceté. Tu entends ce que je te dis, espèce de paon-de-nuit ?
–
Il n’entend pas, il a de la merde dans les oreilles, dit l’un de ses deux
acolytes, ce qui provoqua les ricanements de l’autre.
–
Paie et fiche-moi le camp ! hurla le grêlé.
Alors
seulement l’inconnu le regarda.
–
Je finis ma bière.
–
On va t’y aider, grinça le butor.
L’homme
envoya promener le bock que tenait le Riv, puis attrapa celui-ci par l’épaule
en glissant les doigts sous le baudrier qui lui barrait la poitrine en diagonale.
L’un de ses compagnons leva le poing, prêt à frapper. L’étranger se tortilla
comme un vers et déséquilibra le grêlé. Il dégaina son glaive qui siffla dans
son fourreau et brilla d’un bref éclat en réfléchissant la lumière des lanternes.
Ce fut la confusion générale. Des cris. Un des clients se rua vers la sortie. Une
chaise culbutée tomba avec fracas, des pots de grès heurtèrent le sol avec un
bruit sourd. Les lèvres tremblantes, le cabaretier contemplait le crâne
horriblement défoncé du grêlé qui se laissait choir, les doigts agrippés au
comptoir, puis disparaissait de sa vue comme s’il se noyait. Les deux autres
gisaient par terre ; l’un ne bougeait plus, l’autre se tordait dans des
mouvements convulsifs au milieu d’une flaque sombre qui s’agrandissait à vue d’œil.
Un cri aigu de femme, hystérique, vrillant les oreilles, vibra dans l’air. Le
patron du cabaret eut un hoquet et se mit à vomir.
L’étranger
recula contre le mur. Ramassé, crispé, sur ses gardes. Tenant son glaive à deux
mains, il fouettait l’air de la pointe. Personne ne bougeait. La terreur, telle
de la boue glacée, recouvrait les visages, paralysait les membres, obstruait
les gorges.
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