Famille
Ouhla, rien ne va plus non ? Je n’ai pas écrit depuis un
bail, mon mec fout le camp et ma famille entame un mode « essais
atmosphériques », j’ai peur.
[TW suicide - violences sexuelles, conjugales, sexistes]
Écrire, je m’y mets de ce pas : je
pourrais remplir une bibliothèque toute entière avec les aventures de
Volu et Johnny Boy. Du suspens ! Du désir ! Much aïe aïe aïe, such wow !!
J’espère aussi arrêter de faire des blagues de 2015. Il faut se renouveler
toujours, à sa propre source.
Mais on va mettre de côté Johnny Boy pour le moment. Si j’ai bien une source d’ennuis d’évolution
qui ne tarit jamais, c’est ma famille, je tenais à donner quelques nouvelles
parce que c’est toujours aussi… euh… intéressant.
Iphigénie |
Clytemnestre, Egisthe et Agamemnon |
Les Grecs avaient compris que la famille était le lieu de tous les dangers et donc qu'on pouvait en tirer des sagas sans fin propres à édifier, divertir et moraliser la plèbe. Ci-dessus, la lignée des Atrides et sa ribambelle d'assassins, d'infanticides, d'incestueux, de violeurs, de menteurs et d'anthropophages, mais aussi de fous et de filles très tristes.
Concrètement, j’ai voulu « couper les
ponts ». La violence psychologique, j’en pouvais plus. L’alternance de
cris et de silences, au secours. Les rafales de dépressions et de tentatives de
suicides, pitié. Il y a eu un moment où c’est devenu insupportable. Ça faisait déjà plusieurs années que je prenais mes distances.
En septembre 2015, j’ai adressé pour la dernière fois la parole à ma mère. Mon
père a reçu un dernier SMS en juin 2017, en juillet de la même année
j’assistais à la dernière réunion de la fratrie.
Clytemnestre hésitant - Pierre-Narcisse Gérin (1817) |
Pendant ces mois de silence, j'avais le cerveau comme un marron sur le
feu, ce n’était pas une décision facile à prendre : couper les ponts,
c’était aussi renoncer à voir les choses avancer, à ce qu’un jour les choses
soient dites. Et puis aussi, c’était renoncer à avoir une famille, plus
simplement. Je trouvais ça injuste et légèrement contre-nature.
Et puis, dans l'intervalle, il y a eu #MeToo et #BalanceTonPorc, ça m'a aidé à mettre les choses à leur place.
Et puis, dans l'intervalle, il y a eu #MeToo et #BalanceTonPorc, ça m'a aidé à mettre les choses à leur place.
Il y a des fois où je ne sais plus si je
suis devenue ce que je suis à cause du passif que j’ai dans cette famille, ou
bien si j’ai des soucis avec tout le monde dans cette famille à cause de ce que
je suis : vindicative et féministe. En tout cas, maintenant, causes et conséquences s'alimentent mutuellement : plus ils m’en
mettent dans la gueule plus je deviens féministe, plus je deviens féministe et
moins je me laisse m’en mettre plein la gueule. C’est une histoire si
tristement patriarcale que la nôtre… Avec de belles nuances en plus :
dégradé de violences psy/physiques étalées sur 30 ans aussi bien perpétrées par la mère que le père mais chacun dans son rôle traditionnel (le père
boit, trompe, ment et cogne, la mère fume, trompe, ment et fuit), un fond
utopique d’écologie, d’homéopathie et d’autarcie qui rend assez délicate la
question de savoir à quel moment nous étions en autonomie et à quels moments
nous étions livrés à nous-mêmes, des incestes symboliques quand même très
concrets mais surtout multiples, sans parler de cet inénarrable divorce qui a
duré des années, des années, des années. Mes parents se haïssent d’une haine sans nom. Ils ne
s’adressent plus la parole depuis qu’ils se sont quittés, en 1998 (oh, wait) et sont mutuellement restés le démon vivant de l'autre.
« On » me reproche souvent
d’être bloquée là-dedans. Mais comme « on » a raison de le
penser ! C’est vrai : je suis enchaînée, rivée, c’est
une malédiction que je traine comme un boulet. « Il faut
avancer », « laisser tout ça derrière », « poser ses
bagages pour être plus légère », « résilience », « passer à
autre chose », « se détacher du passé pour se tourner vers
l’avenir », j’aurais tout entendu. Tu crois quoi, que ça se fait en
un jour ? Je rappelle que chronologiquement :
- c’est arrivé (années 90)
- j’ai oublié (années 2000)
- ça m’a gratté fort mais je savais pas
pourquoi (années 2010)
- j’ai commencé à me souvenir (2012 >
2015, c’est super long et douloureux de mettre 3 ans à « commencer à se
souvenir », ça a failli me tuer)
- j’ai gratté jusqu’au fond (2016)
Et puis, je ne peux pas ignorer les conséquences que ces violences ont encore sur mon quotidien. Je suis toujours convalescente, avec une situation précaire. Alors évidemment j'ai l'air d'aller mal comme ça depuis toujours mais concrètement, je gère vraiment le truc que depuis 2 ans. Depuis 2 ans, je me demande ce que je dois en faire. Je me suis structurée dans l’antalgie la plus totale (et pourtant, comme j’avais mal), dans l’illusion, la négation. Le mensonge. Il est certain que ça m’a structurée à la truelle et au pied de biche, mais en plus, quand il a fallu déconstruire, y avait plus rien de viable derrière. Perdre la confiance de mes parents a mis DES ANNÉES. Je vais pas pouvoir la retrouver en claquant dans mes petits doigts.
Et puis, je ne peux pas ignorer les conséquences que ces violences ont encore sur mon quotidien. Je suis toujours convalescente, avec une situation précaire. Alors évidemment j'ai l'air d'aller mal comme ça depuis toujours mais concrètement, je gère vraiment le truc que depuis 2 ans. Depuis 2 ans, je me demande ce que je dois en faire. Je me suis structurée dans l’antalgie la plus totale (et pourtant, comme j’avais mal), dans l’illusion, la négation. Le mensonge. Il est certain que ça m’a structurée à la truelle et au pied de biche, mais en plus, quand il a fallu déconstruire, y avait plus rien de viable derrière. Perdre la confiance de mes parents a mis DES ANNÉES. Je vais pas pouvoir la retrouver en claquant dans mes petits doigts.
Bref, il y a un peu plus d’un an,
justement comme je commençais à trouver une stabilité personnelle (une relation amoureuse, un logement, des projets professionnels), je me suis dit qu’il était
temps d’avancer significativement dans toute cette histoire. Je suis payée pour
ça, you know : résoudre mes problèmes. Je
me dis donc, en prenant en considération un peu tout ce que je viens de vous
dire, deux choses :
- j’arrête, j’assume plus de respirer cet
air-là, il n’y a aucun autre moyen de m’en détacher que de m’en détacher. Je veux
réduire au maximum les relations que je pourrais avoir avec ma famille.
- par contre, je dois pouvoir assumer
cette rupture : je dois leur dire pourquoi ça arrive, d’une manière ou
d’une autre.
Je les ai tous envoyés chier un jour ou
l’autre, il ne s’agissait pas de partir en claquant la porte le plus fort
possible pour que tout le monde l’entende bien (un peu de ça quand même). Il
faut comprendre que le reste de ma famille étant dans ce qu’ils imaginent être
de la résilience (aka n’y pensons pas) depuis le début, personne ne perçoit mes
intentions. Pour celleux qui savent, par exemple, pour les attouchements que
j’ai subis, il y a tout d’abord la « décence » qui impose le silence
puis la honte qui empêche d’en parler et enfin la suspicion immédiate d’une
tentative de démolition de la famille, projet indicible sans grands cris. Et puis il y a celleux qui ne savent pas. C’est
parce que c’est si grave et honteux dans leur tête qu’ils n’ont jamais vraiment
regardé la question en face. Personne ne se dit que les non-dits invalident
simplement les relations que j’ai avec elleux. Que je ne peux pas trinquer
allégrement lors d’un repas dominical avec mon bourreau et le souvenir de son
poing sur mon visage. Que je n’arrive pas à leur accorder le pardon tant qu’ils
me traitent de menteuse et de chouineuse. C’est parce qu’ils nient tous en bloc
que je suis coincée. Complètement bloquée.
J’ai fréquenté des psys à la pelle, j’ai
pratiqué des actes magiques, j’ai fait des schémas, une chronologie, des
régimes, j’ai tenu des journaux, j’ai consulté les astres. Je me suis dit que
quand j’aurais tout décortiqué, je serai enfin en paix. Peau de balle. Je me
disais que je finirais par avoir un déclic qui me plongerait dans la sérénité.
Que dalle ! J’en suis à mon troisième déclic ! J’en pouvais plus
d’attendre, tu comprends ?
D'ailleurs, qu'est-ce que je cherche vraiment ? La vérité ? Je l'ai, ça y est, elle fait pas plaisir. Le respect et l'amour de mes parents ? lol. Leur accorder le pardon ? Ben tiens !
Mais je suis pas une sainte, moi ! Mon cœur ne veut pas en entendre parler.
D'ailleurs, qu'est-ce que je cherche vraiment ? La vérité ? Je l'ai, ça y est, elle fait pas plaisir. Le respect et l'amour de mes parents ? lol. Leur accorder le pardon ? Ben tiens !
Rédemption ! Pour tout le monde !
Champagne pour les autres !
Mais je suis pas une sainte, moi ! Mon cœur ne veut pas en entendre parler.
Allez, accroche-toi, je te raconte. Et je
prouve que je fais bien de persévérer, que ma procédure a fonctionné.
Pandora - Thomas Benjamin Kensington (1908) |
Je décide donc, au cours de l’hiver 2017,
d’exprimer clairement et distinctement mon refus de poursuivre des relations
aussi structurellement déstructurantes. Je ne vais pas envoyer des faire-parts
(j’ai pensé à une lettre commune et puis non) : je vais m’exprimer auprès
de la seule personne qui PEUT et DEVRAIT le plus m’écouter. Parmi le chaudron
de bouse que mes parents ont déversé sur ma tête il y a eu leurs doutes sur la
paternité d’un de leur enfant… Avoue, c’est un gros méchant secret quand même. En
famille soigneusement cloisonnée, je ne suis pas en position de déterminer 1)
si c’est vrai, un de mes frères n’est pas de notre père et le père potentiel,
en sus, est mort, 2) si mon frère le sait, 3) si c’est susceptible d’avoir de
l’importance pour lui mais je partais du principe que oui, forcément. Je me
suis dit que la meilleure façon de savoir, c’était de le lui demander. Bref, ne
fallait-il pas ouvrir ma boite de Pandore (rien à voir avec les Atrides mais on aime quand même vu la proximité du complexe de Cassandre avec notre sujet) ? Pour être cohérente avec tout ce que ces années de
cheminement m’ont appris et parce qu’en coupant les ponts je faisais de cet
échange le dernier, il fallait que je parle. Ça m’a brûlé les
entrailles pendant des mois, je me suis sentie illégitime, déplacée, coupable.
C’est ça le véritable poids des secrets qui ne vous appartiennent pas, une
torture obsédante. Ne faites pas ça à vos enfants svp.
Je l’ai appelé pour lui proposer de se
voir, parce que j’avais des choses à lui dire, il a accepté. La démarche :
les faits, rien que les faits. Ça m’a aussi servi à ça ces années de recherches
personnelles, je peux dire ce que j’ai vu et entendu, si ce n’est très
exactement, en tout cas avec une honnête précision. Je n’ai plus la date et
l’heure de chaque évènement mais je peux assez contextualiser pour convoquer
les souvenirs de mon interlocuteur. J’ai fait la part des choses aussi, je ne
suis pas allée à lui en disant « ton père n’est pas ton père » mais
« nos parents m’ont dit que », ce qui fait une
différence parce que les parents disent souvent des bêtises.
La discussion a duré deux heures. Il a
écouté. J’y suis allé par le menu, j’ai pas balancé la poire sur le fromage,
depuis les violences de notre père à celle de notre ainé, pour terminer sur la
période post-divorce qui a été ponctuée d’ignobles instants, histoire d’établir
que nous avions vécu les mêmes choses. C’était important de faire cette
chronologie : elle montre que ce n’est pas leur divorce qui a fait vriller
nos parents (leur excuse à tout faire), la violence était là depuis toujours
tandis que des faits d’inceste et de violences graves avaient déjà eu lieu
depuis plusieurs années au moment de leur séparation. Le divorce a plutôt été
un genre d’apocalypse finale
(pléonasme nécessaire) assez cohérente avec le background. J’ai
terminé en évoquant le fait que tout ça portait un nom : la violence
patriarcale et qu’en tant que femme, j’avais eu ma dose, merci.
Mon côté féministe passe super mal chez
nous, va comprendre, il a commencé à me sortir des trucs comme « Pour ce que j’en sais, les femmes sont des
hommes comme les autres. » ah ah non, trop pas, sous aucun prétexte,
dans aucune dimension de la réalité… j’étais là à garder mon sang-froid alors
que j’étais plongée jusqu’aux cheveux dans un chaudron brûlant de flammes
dévorantes et de bouillons bouillants, doujézu.
C’était important de démontrer que c’était
structurel : la violence patriarcale est une erreur commune et collective.
Non, les femmes ne sont pas des hommes comme les autres et certainement pas en
ce qui concerne la violence. 95% des détenus en Europe sont des hommes, on va pas pouvoir
refaire le match non plus hein. Non, la violence n’est pas le fait de détraqués
déviants, elle est perpétuée par tout le monde. Dire ça, c’était retirer à mon
père le masque de diable vivant pour lui faire porter celui de la banalité.
D’ailleurs, c’est amusant, nos parents sont unanimes là-dessus : « Ça arrive à tout le monde. »,
c’est étonnant de voir qu’ils utilisent cette expression pour se dédouaner et
pas comme preuve d’une réalité intolérable. Ma démarche devait également
expliquer le comportement de notre mère : dans une structure patriarcale,
c’est très compliqué de se séparer de son mari violent avec 6 enfants et
des dettes. Ma mère est chrétienne, elle avait organisé un re-mariage dans le
rite orthodoxe avec mon père… quelques mois avant leur divorce. Ils sont
affreusement clivés mes parents. Ce sont des caricatures de victimes du
patriarcat et de la masculinité toxique.
Électre sur la tombe d'Agamemnon - William Blake Richmond (1874)
|
Je lui parle de tout, méthodiquement,
chronologiquement (mais quand même émotivement, je ne veux pas que vous croyiez que ça a été facile) : les attouchements, les violences sur eux, sur moi,
entre nous, les faits les plus marquants (une si longue liste, avec
du sang, des cris et des pompiers) : tout ça n’est pas normal, absolument pas.
Tout ça explique que nous en soyons là, tous, c’est-à-dire aussi proche du
suicide, et que je ne peux pas continuer à vivre PROCHE DU SUICIDE. Que s’ils
ne veulent pas avancer, moi j’avancerais sans eux.
Il a été plutôt réceptif, même s’il n’a
pas pu réprimer les habituels « Tu
peux le prouver ? » et « Pourquoi
tu n’as pas porté plainte ? » Parce que j’avais 11 ans peut-être
et que ma maman m’a demandé de garder ça pour moi ? Et comment vais-je
bien pouvoir prouver que mon frère ainé est venu me tripoter en secret la nuit
dans ma chambre ? Comment je vais prouver que je n’avais pas la moindre
idée de ce qui se passait, que j’ai dit non quand ça a été plus
clair ? Est-ce qu’il se rend compte que s’il ne demande pas à notre
mère pourquoi elle n’a jamais porté plainte contre notre père pour violences
conjugales, c’est parce qu’il sait bien qu’on ne rend pas justice aux
femmes ? Évidemment que ce qui me fait souffrir depuis deux décennies,
c’est que ma parole ne soit pas crue. Et je ne sais pas s’il m’a crue au final.
Par contre j’ai dit ce que j’avais à dire et sa mine décomposée devait
signifier que je lui apprenais deux-trois trucs qu’il avait
préféré ignorer jusque-là.
Cassandre - Evelyn de Morgan (1898) |
Moi aussi j’ai appris des choses
d’ailleurs. Par exemple que ma mère a eu le courage de lui parler à lui (et pas
à moi, pourquoi à moi ???), il y a quelques années de ça, sur ses doutes
quant à sa paternité. Un peu tard certes mais pas trop tard. C’était un poids de 10 000 gigatonnes en moins : je
n’étais pas obligée de porter la toge de Cassandre.
Il a même eu le temps d’y penser : peu importe le doute, son père c’est
notre père, celui qui l’a élevé (c’est un mot peut-être un peu fort, en tout
cas je n’ai jamais entendu mon père ne serait-ce que faire mine de récuser
cette paternité dont il doutait pourtant et j’évalue ça à 20/dignité, ce qui
est inattendu de sa part). Si tu arrives à lire entre les parenthèses tu as
compris que cette conversation a réparé des choses. J’étais infiniment soulagée
de l’avoir eue et je trouvais mes parents moins moches. Si nous n’avions
pas fait le choix du silence, nous l’aurions eue bien plus tôt. Il est bien là
le problème.
Donc, cette conversation s’achève, je
rentre chez moi et l’état de rupture commence. Je ne donne plus de nouvelles,
je n’en prends plus et je ne réponds plus aux messages qu’ils m’adressent
épisodiquement (typiquement les anniversaires). Plus ça va et plus c’est dur d’ignorer
leurs signaux parce qu’il se passe un truc à ce moment-là qui,
normalement, est propice à la communication familiale : l’un de mes cadets
va être papa. Ce sera le second enfant de notre fratrie, après ma fille donc.
Je calcule vite fait : ahaha, il va naître en juin, comme moi, il serait
bien foutu de naître le premier, vu notre niveau karmique ahaha.
En fait, six mois plus tard, quand il nait
effectivement le premier juin (un accouchement programmé qui finit en césarienne si j'ai suivi), ça m’a pas fait marrer du tout. Le premier juin
c’est MA date de naissance. Passons sur la désagréable sensation d’avoir été
remplacée, c’est que ça se produise qui m’a bluffée. Sérieux, il avait 364
autres fenêtres de tir ! Et puis, c’est un garçon, dont le nom
signifierait « chasseur d’ours ». J’ai été étonnée de constater que
j’étais fâchée avec lui avant même qu’il vienne au monde et j’ai trouvé ça
moche.
Mais je n’ai pas trouvé de réponse à cette
émotion-là. Je n’ai toujours pas fait la connaissance de mon petit neveu, ce
qui s’additionne à mes déjà nombreux torts, vous imaginez bien. Ce que je
comprends, petit à petit, c’est que JE NE PEUX PAS rompre avec ma famille. On
rompt avec son mec, sa femme, mais pas avec sa famille. Je sais pas, on les a
dans le sang, ou un truc comme ça. C’est le sentiment de rejet que ça génère,
il est impossible d’y être indifférente, c’est une tâche indélébile et
obsédante dans ton cœur : ma famille ne m’aime pas. Ma mère m’a renié. Mon
père ne possède pas une once de responsabilité à mon égard. Tout le monde
préfère mon silence à ma parole dans ce petit cercle tellement incontournable
de ma vie. Je suis l’indécente, la gênante, la bruyante. On parle de moi à
demi-mot, avec de la honte dans la voix. J’adore. Le simple fait que je ne
collabore pas à leurs manœuvres d’hypocrisie et que je n’émette qu’un silence
radio grésillant est réprouvé en bloc. Je n’ai pas le droit de faire ça, c’est
trop affreux de repousser sa famille comme je le fais. Et comme ils me refusent
cette paix, ils viennent me chercher.
J’avais pensé que mon frère passerait le
mot après la conversation que j’ai eue avec lui, qu’il dirait à la ronde :
« Elle fait la gueule, elle ne veut plus entendre parler de nous. »,
ça m’aurait suffi et puis ça aurait bien collé dans leur truc de fille ingrate,
j’aurais eu la paix. Une paix honteuse mais au moins je ne me serais plus sentie
obligée de maintenir un lien.
Bé non. Si j’avais vraiment voulu que ce
soit clair, j’aurais fait plus clair, j’imagine (j’aurais envoyé cette foutue
lettre). Et c’était bizarre de ma part d’imaginer que ces champions du non-dit
communiqueraient avec une fluidité aussi cool. Il a fallu des mois pour que mon
frère commence à répéter ce que je lui ai dit. On dirait que ce qu’il a retenu
de tout ça, c’est pas du tout que je ne voulais plus entendre parler d’eux. Il
a au contraire compris l’ampleur assez catastrophique de mes propos, transformant
ce qui est pour moi une vieille bouse sèche en actualité toute nouvelle pour
lui. Ah ah. Pardon, c’est nerveux.
Enfin, ça ne s’est pas passé aussi
simplement que ça. Et ui, les secrets ce sont des sales bâton merdeux et
j’ai entamé la distribution de merde en fait, en commençant à restituer à qui
de droit.
Il y a quelques semaines de ça, je suis en
train de ronger mon frein parce que le statu quo ne me satisfait pas, quand je
tombe en panne de bagnole. Bon. Ça crée quelques désagréments logistiques et je
viens à accepter une proposition de ma mère, via mon ex-mari avec qui elle
communique à défaut de pouvoir le faire avec moi, qui consiste à exceptionnellement
venir chercher ma fille pour quelques jours chez elle directement chez moi puis
à la véhiculer jusque chez son père. De fil en aiguille, nous nous retrouvons
elle et moi à communiquer après des années de silence (2015), elle se retrouve
avec mon numéro de téléphone, mon adresse, elle va même venir chez moi. Ça
reste cordial, je me dis cool, elle est cool, et en même temps ah ah ; j’y crois pas,
t’imagine, mais pas une seconde. Bon. Fin du premier chapitre du 54738ème
épisode.
Là-dessus, mon frère, celui qui a
maintenant des choses à dire, se fend d’un pneumothorax, en pleine réunion de
famille (sans moi donc). Il se retrouve à l’hôpital et j’en suis informée deux
jours plus tard à l’occasion d’une communication de routine avec ma mère
concernant le nombre de paires de chaussettes à mettre dans le sac de ma fille
pour son séjour chez elle. Note la manière dont le climax s’installe : un
pneumothorax c’est dans la catégorie « très douloureux » des choses à
la limite d’être mortelles pour toi
Ça n’a pas d'importance que pour mon
frère… ça en a aussi pour ma mère, qui est notre Docteur depuis qu’on est nés,
ce qui fait partie du problème. Ça la met en tension, je ne saurais pas trop
expliquer, dès que l’un de nous est malade - ce qui est très fréquent on a un
nombre assez ahurissant de pets de travers à nous toustes - elle devient très directive, envahissante et aussi susceptible que si c'était sa raison d’être. Elle trouve
donc moyen de préciser en m’annonçant la mauvaise nouvelle, de la colère dans
la voix - grave erreur stratégique pile là - qu’évidemment, il ne l’écoute pas quand
elle lui dit que c’est son travail qui lui a fait ça et qu’il faut qu’il en
change (encore) (oui, ça c’est typiquement un remède de Docteur maman, sans
aucune molécule en aucune dilution : tu es malade parce que tu fais de la
merde, aide-toi et le ciel t’aidera, un vrai bonheur) parce qu’évidemment ELLE
EST LEUR MÈRE ALORS ELLE N’EST PAS ÉCOUTÉE PAR SES FILS CES MISOGYNES, MAIS QU’EST-CE
QU’ELLE A FAIT POUR MÉRITER ÇA ??
Pardon, je m'énerve.
Iphigénie menée en sacrifice - Fresque, Naples (I s. av. JC) |
Tu vois comme nos prises de position
ostentatoires, c’est du vent ? Qu’il n’y a pas de
logique ? Comme les relations humaines se passent à
un tout autre niveau, celui de notre cœur ? Que c’est la peur et la honte qui parlent en premier ?
La peur de l’abandon et les actes terrifiants qu’il nous pousse à poser ?
Les gens sont des portes. Au mieux, ce sont des portes de la maison d’à côté,
au pire, ce sont les portes de la maison dans laquelle tu vis. Si elles se
ferment, t’es coincée man. On est prêt à beaucoup trop de choses pour garder
quelqu’un auprès de soi, il y a rien de fair
play dans tout ça, c’est pas sport. Chacun pour sa gueule. Struggle for life, les copains.
Je ne réponds pas,
je ne me suis plus disputée avec elle depuis des années et j’ai commencé (dieu
merci) à perdre cette habitude. Note que c’est Johnny Boy qui a pris à sa place
(mais c’est une autre histoire). Là,
la tension montait, ça me faisait quand même de plus en plus bizarre de l’avoir
à nouveau laissée entrer dans ma vie, j’étais dans mes tous petits chaussons. Depuis
que j’avais décidé de « couper les ponts » des mois plus tôt, je suis
passée de toute love, toute soft à cran d’arrêt baissé H24. Un peu plus et le
coup partait mais elle a flanché avant moi.
Il y a quelques jours, je reçois un appel,
je m’en souviendrais toute ma vie. C’est elle, toute sirènes dehors. Elle me
hurle dessus une somme incroyable d’informations en quelques minutes, je tenais
le combiné à quarante centimètres de mon oreille. Ça m’a rappelé une foule de
souvenirs exactement identiques, ça m’a répugné au plus haut point :
« oh non, pas encore », un
truc comme ça. Je lui ai demandé d’arrêter de crier pendant toute sa diatribe,
dont le contenu est impossible à expliquer, mais pour les grandes lignes :
mon frère a des problèmes de voiture, elle a reçu cinq SMS très alertant selon
elle, qui parle d’une omerta familiale, il lui parait donc évident que je suis
responsable de son pneumothorax en mode « choc post-traumatique » à
cause d’une discussion que j’ai apparemment eue avec lui il y a six mois,
puisque la crise a eu lieu en pleine réunion familiale (tout fait sens, là,
normalement) qui a réactivé le choc et DONC elle aurait aimé savoir ce qui
s’est dit au cours de cette conversation secrète.
Ah ah, j’étais, en me souvenant bien
pourquoi je ne voulais plus avoir de contact avec cette personne. On est quel
jour, là, que je le note à tout jamais ?
Elle était furax, furax, mais très furax
(ça lui a pris 2 bonnes minutes intenses de me jeter tout ça à la figure,
passant de seconde en seconde, de mot en mot, de « moyennement
calme » à « chute libre émotionnelle et vocale »), personne au
monde n’aurait tenté de formuler une réponse et c’est ce que j’ai fait, je l’ai
envoyée bouler en mode « Nous ne pouvons pas avoir une conversation sur ce
niveau sonore. » alors elle m’a raccroché au nez.
Riez pas, moi au moins c’était nerveux,
mais c’est pas drôle. C’est une avancée considérable. C’est ça le bruit que
fait un pavé quand il tombe dans une mare, non ? Une semaine après, je
n’ai toujours pas saisi chaque subtilité de son discours, mais j’ai ma petite
idée. L’histoire de panne de bagnole, c’est juste un élément de décor qui
explique pourquoi elle échangeait par SMS avec mon frère. J’imagine que la
conversation était désagréable et donc, va savoir comment ils en arrivent là,
mon frère lâche un tout petit bout du morceau et se ferme ensuite (on se
demande pourquoi) puisqu’elle doit m’appeler, au bord de l’apoplexie,
pour en savoir plus. Cinq SMS qui la mettent en rage donc, je reconnais bien là
l’impossible facilité et concision qu’on aimerait réunir quand il y a tant de
choses à dire et tant de choses qui nous en empêchent. Le mot omerta je ne sais plus si je
l’ai utilisé au cours de la conversation que j’ai eue il y a six mois
(je préfère silence), mais il parle
bien, visiblement, aux oreilles de mon frère. Ce mot est réservé à un usage
mafieux, tu comprends, il est violent et franchement, la situation
n’a pas besoin d’un énième couteau. Quant au fait qu’elle m’accuse d’être à
l’origine de la maladie de mon frère, c’est juste la cerise sur le gâteau et
l’illustration parfaite de la violence psychologique à laquelle elle se livre
sur ma personne sans aucun complexe depuis des années. Je détruis la famille en hyper profondeur, vous comprenez, je sabote,
je tue même, tout ce qui sort de ma bouche est toxique. Sa demande, donc et pour
finir, d’entendre ce que j’ai à dire, est absolument irréelle. Il s’agit de mon
rêve le plus fou et elle a soigneusement procéder à l’annulation de cet
instant : je ne peux que lui répondre non. J’ai trouvé ça cruel de sa part
bien sûr, mais je me suis dit aussi que celle qui morflait le plus, là, c’était
elle.
Je ne sais pas comment va évoluer cette
situation. Il y a tellement de non-dits et de retard à rattraper, qu’à la
vitesse où ils vont, je ne sais pas si l’on arrivera à destination dans cette
vie. En tout cas, moi je n’en suis pas loin. Il y a tellement de faits
saillants à mettre un tant soit peu à plat qu’on ne sait pas trop quel coin va
péter ensuite, je redoute les retombées mais elles ne peuvent pas être pire que
l’enfer que j’ai traversé jusque-là. J’aimerais avoir le luxe de pouvoir
regarder de loin sans m’y engager corporellement, mais ça non plus j’y crois
pas. Des appels comme celui-là, il y en aura d’autres. Peut-être même qu’un
jour elle va appeler (ou débarquer chez moi) avec un ton poli, ce sera cool,
mais le problème restera entier : combien de mots avant que la violence ne
prenne le dessus ? Un autre jour, ce sera mon père, sa femme ou un autre
de mes frères, ils ont tous quelque chose à chercher auprès de moi. C’est ça
d’être le réceptacle de la honte d’autrui, tsé, on se retrouve avec des
repentants et des victimes qui aimeraient récupérer leur âme, grosso modo. Parmi
elleux, il y en a qui aimeraient bien dormir la nuit soit en sachant que je me
tais, soit en contrôlant ce que je dis. Et si je parle, ILS AIMERAIENT NE PAS
EN SOUFFRIR MERCI.
Je veux bien comprendre que ça paraisse violent de parler de choses aussi inconfortables, mais ça a au moins le mérite d'être vrai, de décrire la réalité. C'est aussi la seule guérison que j'espère, tandis que ça ne peut pas les avilir plus qu'ils ne se sont déjà abaissés à l'être, ça ne ferait que montrer ce qui est déjà. Alors que ces bouillons d'insultes qu'ils m'adressent, ce reniement permanent de ma parole et de mon être, ça ne décrit rien d'autre que l'état d'agitation dans lequel ils se trouvent et ça détruit chaque jour nos liens. Elle est là la violence. Je ne suis pas le problème au simple prétexte que je montre le problème.
Je veux bien comprendre que ça paraisse violent de parler de choses aussi inconfortables, mais ça a au moins le mérite d'être vrai, de décrire la réalité. C'est aussi la seule guérison que j'espère, tandis que ça ne peut pas les avilir plus qu'ils ne se sont déjà abaissés à l'être, ça ne ferait que montrer ce qui est déjà. Alors que ces bouillons d'insultes qu'ils m'adressent, ce reniement permanent de ma parole et de mon être, ça ne décrit rien d'autre que l'état d'agitation dans lequel ils se trouvent et ça détruit chaque jour nos liens. Elle est là la violence. Je ne suis pas le problème au simple prétexte que je montre le problème.
On ne parle pas souvent d’amour filial chez
nous. On utilise plutôt le terme « conflit de loyauté » pour décrire
la nature des turpitudes qui nous font office de rapports familiaux (enfin, pour eux
c’est de l’eau trouble, moi j’ai fait l’analyse de cette eau maintenant, elle n’est
pas juste trouble, on peut décrire des choses assez précises).
« Loyauté » c’est pour décrire le côté patriarcal de nos relations et
« conflit » c’est pour décrire l’autre côté patriarcal de nos
relations : violentes et essentialistes.
Moi, je dors bien. J’ai toujours bien
dormi.
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