Alcool et culture du viol
J’ai un
souci avec l’alcool. Enfin, avec ceux qui en boivent essentiellement. Comme c’est un
sujet difficile et que je vais devoir l’aborder dans la suite de mes aventures avec Johny Boy, je
voulais offrir le texte suivant à votre sagacité, histoire de planter les bases
de mon avis sur la question…
Il s’agit d’un
texte d’une féministe bulgare, paru en 2012, traduit et édité récemment par Infokiosques.net sous forme de brochure.
Il se trouve
que je connais, maintenant, un grand nombre de
personnes qui boivent. Parmi elleux, il y a des gens que j’aime énormément. Et puis
moi aussi je me suis découvert un petit faible pour à peu près tous les
produits de la vigne. Oui, c’est sympa de boire, c’est bon l’alcool. Mais on
est d’accord sur le fait que ces 12 bières / 5 vodkas / 3 whisky coca indus et
pas chers ont tous le même goût ? Qu’à un moment, ça devient juste un
mauvais prétexte, avec une odeur de jeu de dupes ? Ça tombe bien, c’est super toléré par la société
patriarcale ! Si tu es un homme, sens-toi à l’aise, tout est permis tant
que tu ne prends pas le volant ; si tu es une femme, sens-toi à l’aise
aussi, le patriarcat adore les meufs
bourrées.
Dis-moi
comment tu te divertis et je te dirai qui tu es…
cherylwrites.com |
Sans retenue, nous fêtons notre absence de retenue
Alcool
et culture du viol
Lumières vives, musique forte,
danses excessives, pas de soucis, pas de devoirs, pas de peur. Ne penser à rien
et pourtant vivre tout de manière doublement intense. Pourquoi buvons-nous de l’alcool ?
Nous voulons fêter à outrance, prendre du plaisir, apprendre à connaître les
autres d’une manière nouvelle et nous sentir libre. Nous voulons transformer la
nuit en jour. Nous devenons proches de gens dont nous ne connaissons pas même
le nom. Par la suite, nous ne pouvons-nous souvenir de rien et seul le mal de
tête nous rappelle que la soirée a dû être bonne. Pas de limites, pas de
retenue, tout disparaît, les conséquences nous paraissent lointaines et nous
sont complètement égales. On regarde les gens autour de nous, on voit peut-être
une personne attractive et c’est alors la seule chose qui compte. Ça c’est le
côté désagréable de la fête – pour moi tout du moins : être attouchée,
harcelée, importunée et ne presque pas avoir les moyens d’éviter ce genre de
situation. J’essaie alors de m’en aller, de me détourner, fuir pour ne pas être
obligée d’entrer en confrontation, d’affronter une situation que je n’ai pas
choisi de vivre. « Oui mais il est bourré » est probablement la plus
simple des excuses. Oui il est bourré et à cause de cela il n’a plus de
retenue, ne remarque pas le refus, ou le remarque mais l’ignore.
Malgré une ambiance festive,
éméchée et détendue, il y a des limites. Celles-ci peuvent évoluer en fonction
du moment mais persistent pourtant. Et cela doit être respecté et pris en
compte. Si je sors fêter je veux pouvoir le faire sans me sentir restreinte
parce que je ne sais comment (ou n’ai pas envie de) réagir à des situations où
mon consentement (ou son absence) est ignoré. Être saoul ne légitime pas de
participer à la culture du viol et je n’ai aucune envie de vivre dans une
société/scène/milieu qui accepte des abus sexuels qu’ils soient verbaux ou
physiques.
Je n’ai pas envie de devoir me
résigner, que je doive quitter l’endroit en question, alors même que je ne crée
pas le problème. Non le problème ce n’est pas moi, ni même l’alcool mais c’est
ce que nous faisons de nous. Ce que l’on s’inflige collectivement en se
soumettant à la norme de la culture alcoolisée.
Nos normes véhiculées en matière
d’alcool marchent main dans la main avec la culture du viol. Peut-être
devrait-on le dire clairement une fois pour toute. L’alcool légitimise des
harcèlements, des abus, impose des situations et conversations désagréables.
Cette culture du viol nous implique tous et toutes : la personne qui
subit, la personne qui impose et toutes les personnes qui assistent mais qui
n’agissent pas.
Un exemple ? Personne A se
réjouit d’être dans une fête chouette, danse et se sent bien. Personne B trouve
cela attractif et développe certaines attentes sexuelles, relationnelles ou
affectives. B danse en contact avec A. A trouve cela agréable mais lorsque B la
touche, A ne souhaite pas ce rapprochement. Elle se détourne, prend une
attitude distante. Elle ne voudrait pas passé pour une rabat-joie, finalement
tout le monde est détendu et un peu éméché ici, l’ambiance est festive. Elle ne
veut pas paraître « coincée » (même si bien sûr dire
« non » n’a rien de coincé). Personne B n’abandonne pas et revient à
la charge, d’autres voient cela, voudraient en fait intervenir d’une manière ou
d’une autre, mais ne veulent pas non plus être perçus comme des trouble-fêtes.
Qui intervient n’est pas désinhibé et dans une bonne fête on se doit d’être
détenduE, relâchéE, positif-ve, décomplexéE. Dans ce cas tout le monde se
soumet à la culture du viol, parce que personne n’a voulu casser la bonne
ambiance. Avoir des limites est synonyme d’être coincéE et complexéE et
laisserait supposer que la fête n’est pas assez bonne, pas assez réussie.
À travers la consommation d’alcool
on crée un espace, où les limites du consentement ne doivent plus être
respectées parce que l’on dispose d’une excuse en béton pour tout excuser.
Toutefois, cela n’est pas – comme beaucoup pourraient le penser à présent – à
expliquer chimiquement. Je ne parle consciemment pas de la consommation
générale d’alcool, mais bien de notre rapport normé à l’alcool. L’anthropologue
sociale britannique Kate Fox a tenu récemment une conférence sur des
expériences à propos de l’effet placebo et des effets de l’alcool. Elle a
comparé les effets véritables de notre consommation d’alcool avec les attentes
que nous nous en faisons.
D’un côté il y a les normes
présentes concernant notre consommation d’alcool : nous partons du
principe, par exemple, que l’alcool décomplexe, augmente notre libido et/ou
rend agressif. C’est avec cette expectative que nous commençons à boire et
lorsque l’on est convaincu que quelque chose va nous arriver, cela arrive –
également après la consommation de boisson placebo et donc non alcoolisée. Aux
participantEs de l’expérience il a été servi des boissons alcoolisés et des
boissons non-alcoolisés (mais annoncées comme étant alcoolisées) et ils
devaient ensuite juger de leur état tout seuls. Même ceux et celles qui
n’avaient reçu que des boissons non-alcoolisés se sentaient désinhibéEs, plus
émechéEs. Cela ne doit pas relativiser l’effet chimique de l’alcool. Bien sûr,
l’alcool a des effets sur le corps et les sens. Les troubles corporels liés à
la consommation de l’alcool ne sont pas des illusions. Néanmoins la perte de
limites de retenue à travers l’alcool n’est pas chimique mais culturelle. Les
effets attendus tels que parler plus fort et avec moins de retenue pour les
autres, prendre plus de place, être sexuellement plus actif, agir de manière
asociale, sans veiller au consentement d’autrui – tout cela est culturel. C’est
aussi cette norme que renforcent les campagnes anti-alcool. « Si tu bois,
alors tu feras des choses que tu regretteras plus tard / tu te battras avec tes
amiEs / tu oublieras de te protéger en cas de rapport sexuel / tu coucheras
avec des gens que tu ne connais pas / etc. » c’est exactement cette
idée-là que nous transmettent et renforcent les campagnes anti-alcool à travers
leurs grands panneaux publicitaires et leurs discours.
Alors on se rencontre, on boit et
on espère que les contraintes se réduisent bientôt, que les pressions
deviennent moins fortes. Qui boit (en croyant boire de l’alcool) se sent
souvent plus beau et attractif. La conscience de soi change complètement. On
devient plus autocentré et moins attentif-ives aux autres, à leurs limites ou
leurs envies. On ne change pas uniquement notre perception de soi mais aussi
celles des autres. D’autres personnes, qui ont des limites pourtant claires,
doivent se défendre plus fortement pour qu’elles soient respectés. Ou alors
illes laissent tomber de peur de paraître trop « coincéEs », puisque
dans ce mode festif nous devons tous et toutes être si décontractéE. On serait
sidéré de constater à quel point des personnes politisées peuvent se révéler
avoir des comportements sexistes lorsque l’on compare les remarques, attitudes
et comportements de situations alcoolisées aux situations "à jeun".
C’est ainsi que l’on arrive à
accepter et banaliser beaucoup d’abus. Dans ces ambiances festives et
alcoolisées les limites se relâchent, beaucoup acceptent des choses qu’illes
n’auraient jamais voulues dans d’autres situations, les implications de nos
actes sont évaluées différemment.
Dans ces moments, nous rejetons nos
propres limites ainsi que celles des autres, aussi sensée qu’elles puissent
être. Peut-être s’agit-il de notre culture de l’alcool que nous devrions une
fois pour toutes rejeter – parce que, elle, est insensée.
Source : Infokiosques.net
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