Boycott
Un mot qui a des couilles.
En 1880, Charles Stewart Parnell est un
lord irlandais, protestant, nationaliste-indépendantiste de 33 ans à la
carrière politique déjà bien trempée. Obstructionniste patenté, orateur
agressif, brillant organisateur, il bataille au Parlement et au sein de la Land
League contre l’Anglois de toute la force de son génie. Son constat est le
suivant : l’Irlande appartient à 0,2% de sa population, à savoir une
poignée de 10 000 propriétaires dont une minorité (750) est constituée de
riches britanniques ne vivant pas sur le territoire irlandais, laissant le soin
de leur ferme à d’autres qu’eux.
Amateur d’action-matraque et de violence conceptuelle quel
que fût le sujet, Parnell met au point une stratégie de lutte façonnée pour la
colère du petit peuple : l’ostracisme. Stratégie qu’il décrit lors d’un
discours à Ennis. Il a demandé à l’assistance quel sort réserver à un
propriétaire qui a volé la terre d’un autre. L’assistance de conseiller de le
pendre ou de le fusiller, au choix. Flattant les instincts chauvins de son auditoire,
Parnell propose une solution plus « charitable » (sic).
« Quand un homme a pris une ferme d'un autre qui a été renvoyé, [...] vous devez l'éviter dans les rues du village, vous devez l'éviter dans les boutiques, vous devez l'éviter dans le parc et sur la place du marché, et même au lieu de culte, en le laissant seul, en le mettant en quarantaine morale, en l'isolant du reste de son pays comme s'il était le lépreux de nos ancêtres, vous devez lui montrer votre dégoût pour le crime qu'il a commis. »
Charles Stewart Parnell - 19 septembre 1980
Cette notion de « quarantaine morale » va prendre
corps dans le Comté de Mayo, sur le domaine de Lough Mask, où l’ennemi
britannique règne en maître. Le propriétaire, un certain lord Ern, Anglais pur
thé, y a confié la gestion de ses terres à un autre Britannique, également
réputé pour ses qualités d’organisateur : Charles Cunningham Boycott, qui est alors le premier employeur de
la région. C’est sur lui que vont s’abattre les premières foudres de Parnell,
qui parvient à lui rendre hostile toute sa communauté, jusqu’à ruiner ses
moissons et causer sa perte, malgré le soutien du gouvernement britannique.
Du coup, le nom est resté quand l’idée a commencé à faire
des petits : boycott,
le nom de la première victime, et non celui du premier qui a brandi le bâton.
Je
te narre cette genèse, chèr.e lecteur.ice, pour bien mettre en évidence la
dangerosité de cette idée, et je vais même en rajouter. Souvent traîné par le
nationalisme, le boycott flatte les colères et se nourrit
d’individualisme…
TOI
SEUL TU PEUX, en quelque
sorte. Et si on est beaucoup, je ne te raconte pas !
Le
boycott est une agression ouverte, revendiquée, un système de
destruction qui vise la ruine économique de sa victime. En cela, il est la
petite-nièce, rebelle et capricieuse, du capitalisme. Il fonctionne
particulièrement bien dans un système productiviste et consumériste. Le
capitalisme nous a même pondu son avatar du boycott : l’embargo. Un gigantesque piège à gogos qui sert
essentiellement à dissimuler des liens commerciaux voyous qui n’auraient pas le
droit d’être autrement. L’embargo contre l’Irak en est l’illustration la plus
éclairante, avec ses rebondissements pétro-mafieux-financiers plus immoraux les
uns que les autres.
Je
ne suis pas nationaliste, loin s’en faut, mais s’il y a un format d’économie
auquel je crois, c’est le format « local ». Plus on se rapproche de
mon portefeuille, plus je suis chauvine, ceci par nécessité écologique. Je me
demande plutôt deux fois qu’une « Si ça vient de loin, est-ce que j’en ai
besoin ? »
L’ostracisme
n’est pas davantage une valeur à laquelle je peux adhérer et je me méfie de
toute kabbale lancée contre des individus. On peut être individualiste et
respecter les autres individualités. L’Ennemi, ce ne sont même plus les
multinationales qui trichent, ou les grands patrons qui pèchent, ce ne sont que
des symptômes quand on les regarde du haut des dégâts qu’ils ont fait !
L’Ennemi, ce sont leurs mauvaises manières.
Le
boycott, aujourd’hui, pourrait consister en un refus massif d’acheter
des produits (je pense en premier au pétrole) qui ont été conçus dans des
conditions que la dignité humaine désapprouve, selon soi-même. En ton âme et
conscience, genre, on ne te demande même pas d’aller voter, tu peux le faire
tous les jours. Il suffit de ne pas acheter. Même pas besoin de le revendiquer,
d’ailleurs, il suffit de le faire, de le non-faire.
Vous avez compris que je ne mets à peu près jamais les pieds dans une grande surface, œuvrant ainsi à l'auto-destruction de l'économie de mon pays.
"Quand on pense qu'il suffirait que les gens n'achètent pas pour que ça ne se vende plus ! "
Coluche, Misère, 1978
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