Frottis (!)


Notre vagin est un peu comme notre bouche…
    
Il s’agit d’une cavité : on met des choses dedans, ou des choses s'y mettent. Souvent des choses faites pour, parfois des choses incompatibles.

C’est plus précisément une muqueuse : une zone humide et qui doit le rester pour que l’organe remplisse sa fonction correctement, il sécrète d’ailleurs sa propre humidité. La qualité du liquide produit est le reflet de la santé de l’ensemble : la présence de germes le déséquilibre s’il ne parvient pas à les « nettoyer ».

Notre vagin fait partie de l’extérieur de notre corps tout en étant un passage vers l’intérieur, un sas, il constitue une entrée (ou une sortie…), comme nos yeux, notre anus, notre nez. Non seulement il est troué aux deux extrémités, mais en plus il est poreux. Vous avez des notions d’hygiène élémentaire, vous imaginez que c’est une zone fragile.

Pour ces trois raisons qui sont les mêmes pour les dents, il faudrait aussi souvent surveiller l’état de notre vagin. Parce que la vie y grouille. Parce qu’on bouffe n’importe quoi…

     
Mais attendez, ce n’est pas tout. Un gynéco, même le pire, sait qu’au bout d’un vagin, il y a une femme, c’est-à-dire un ensemble hormonal complexe. La soumission du vagin au monde extérieur est conditionné, organisé, par un maillage serré de relations hormonales subtiles, d’actions et de réactions du corps à son environnement, le tout guidé par sa physiologie, son éducation, ses expériences, son environnement social. Un truc compliqué. Qui normalement tient tout seul, mais qui a beaucoup de points de prise aux complications… La femme est habillée par sa sexualité comme dans un voile au tissage qui nous est largement inconnu, mais apparemment mirobolant, qui l’enserre, l’étouffe, ou la pare. Moi, je trouve ça dur à porter.

 Pregnancy - par Jan van Riemsdyk et William Hunter
    
Donc : étant donné la nécessité de prendre en compte la plus grande part de ce « vêtement » que porte sa patiente, un premier rendez-vous chez une (bonne) gynéco est un interrogatoire serré sur vos pratiques sexuelles, au sens large : vie amoureuse, mœurs sexuelles, contraception, gestion du travail, éducation des enfants, habitudes alimentaires, tabagisme, antécédents médicaux… à un moment où un autre, tout se retrouve déballé.


Puis on pratique l’examen en lui-même : palpation des seins, du bas-ventre avec une main dessus et une main dedans pour vérifier que tout est en place, observation à l’œil ou à la loupe et à la lampe de poche des contours des différents orifices puis de leur cavité, si possible jusqu’au fond.

C’est moyennement agréable, comme chez le dentiste. C’est là qu’intervient le speculum ("pour regarder", en latin), mes amis, qui serre (lapsus véritable) à maintenir bien ouverte une chose plutôt fermée. 

J’imagine que vous savez que beaucoup de saloperies que le corps humain peut se prendre sur le dos ne sont pas visibles à l’œil nu, et que les réactions qu’ils produisent sont toujours difficiles à « lire ». C’est pourquoi, si les conditions l’exigent ou si cela n’a pas été fait depuis un moment (disons 2 ans), le gynéco va pratiquer des examens complémentaires : ordonnance pour une prise de sang, et le sacro-saint FROTTIS. Ce mot désigne le prélèvement obtenu au bout d’un gros coton-tige que le praticien est venu frotter contre les parois de votre utérus ("à utiliser", en latin). Ce prélèvement est expédié rapido dans un labo qui en fait l’analyse, le gynéco ayant précisé dans quelle direction chercher, tout comme une prise de sang.


Vous parvient, sous quelques jours, un courrier à la typo pharmaceutique, qui vous parle un langage incompréhensible, que personne ne vous expliquera… à moins qu’il n’y ait un problème. Dans ce cas, il faudra y retourner...



Bon ben, ça n’a pas été si facile, finalement. L'introspection nécessaire à la rédaction de cet article a été un peu hard. J’aurais pu tenter une revue de lexique, pour dédramatiser, j’ai commencé, mais… trainez sur les forums gynécophiles, vous verrez que nous ne sommes pas au bout de nos peines. C’est quand même balèze comme endroit, un utérus, vieux, y a du monde !

Vous trouverez ailleurs de quoi vous satisfaire : Miss Frottis, une gynéco qui défend sa pilule, se chargera de vous expliquer, visitez aussi cette page d’informations, et surtout celle-là, qui concerne davantage les hommes.

Il ressort que mon frottis est anormal (sic), et la réception de cette analyse a été suivie de près par une lettre de ma gynéco qui m’attend dans son cabinet avant la fin du mois. Primo, je collectionne les mauvaises notes, les méchants HPV, à savoir le 18, et possiblement le 31 ou le 33, qui sont particulièrement agressifs et oncogènes. Secundo, j’ai les cellules de l’utérus qui commencent à faire la gueule, et on ne sait pas comment ça peut finir… Si vous allez taquiner Google, vous aller vous faire peur, c’est à ceux qui annoncent la plus mauvaise nouvelle. Statistiquement, je viens d’entrer dans le bataillon de celles qui se préparent un cancer invasif dans les 10 ans, du col de l’utérus, de l’anus, du sein et peut-être même de la mâchoire. Ça penche dans le rouge foncé beaucoup plus vite si l’on croise le HPV avec d’autres MST (en particulier le sida), la faiblesse immunitaire, le tabagisme et… la sodomie. Mine de rien, je coche quelques cases.

J’ai une petite idée de la tournure que va prendre mon prochain rendez-vous chez la gynéco… genre passage à tabac. Elle va faire ses gros yeux et ses jevoulavédi, et je vais regarder mes pieds, voilà ce qui va se passer. Je vais être en colère, comme je le suis là, des fois, d’avoir fait des conneries, d’avoir pas su gérer des situations, de les sentir encore dans mon corps, d’avoir accumuler les erreurs, les atteintes à mon intégrité. Et en même temps toute à me dire que c’est la vie, voilà tout, je balance. Je trouve ça assez provoquant, dans le fond, il m’a semblé me retrouver devant un ensemble de positions que j’étais susceptible d’adopter, que je devais en choisir une et la suivre. Tu sais, la vie, la mort, tu fais quel pari toi ? On est maîtres de nos vies ou pas ? Est-ce qu’on n’est pas plutôt un train sur des rails ? Est-ce que c’est triste (je veux dire « angoissant à hurler la nuit ») ou juste comme ça ? Si je mange du saucisson, j’aurai des boutons, et du HPV si je me fais baiser ? Est-ce que je démarre une carrière d’astronaute ?

Questions qui ont atteint à mon sommeil, hier, c’est vous dire.

 Je vis cela comme une discussion avec mon corps, en fait, le ton vient de monter d’un cran. Je sais que mon mode de vie, depuis longtemps, ne favorise pas beaucoup la vie, ce qui donne prise à toutes sortes de désagréments, de santé en particulier. J’ai que 30 ans, même pas d’ailleurs, ça me fait un peu chier de pas partir du bon pied question espérance de vie. Mais ça, ça fait deux ans que je me le dis, c’est pas neuf, ça a déjà trotté dans ma caboche. Comme je disais, le ton monte d’un cran. J’ai presque envie de dire « le changement, c’est maintenant », si ce n’est que j’ai déjà l’impression d’être en branle-bas de combat, et depuis un moment. Je ne trouve pas le repos du guerrier. Je ne reconnais plus aujourd’hui la fille que j’étais il y a 7 ans, encore très différente de celle que j’étais il y a 3 ans, et ne parlons pas de celle d’hier. Tout est allé très vite me semble-t-il, je sature. Mariée, maman, professionnelle passionnée, femme, en 7 ans. Les tiraillements ont été parfois insoutenables, les solutions apportées incompatibles entre elles ; inextricable. Possible que j’ai serré le nœud en tirant, et que j’ai un peu emberlificoté les fils. Paralysée, du coup. Démunie, impuissante. Seule aussi. Je n'ai pas trouvé ma place. Je suis capitaine à bord et tout est à faire, mais comment ça se manœuvre ce truc ?

Cette nouvelle frappe aussi la fin de mes libertinages. Il n’est plus question de risquer d’en collectionner d’autres, j’ai atteint mon quota. Je suis assez terrifiée à l’idée que j’ai pu disséminer mes petites merdes depuis des années. Il convient d’avertir nos partenaires, aussi. Je peux perdre mon utérus dans les années à venir, je perdrai mes facultés à enfanter. C’est forcément une idée qui m’est venue. Je vois facilement la vie du côté pire, c’est comme ça que je me paralyse.

Les chiffres concernant ces virus sont proprement effarants : ce sont les seules MST qui n’ont pas régressé avec la généralisation de l’usage de la capote. Parce que la capote ne vous en prémuni pas, justement, ou si peu. Plus de 700 femmes meurent chaque année du cancer du col de l’utérus. L’infection au HPV est un facteur nécessaire, mais non suffisant. Le dépistage n’a même pas encore fait ses preuves, dans la mesure où, de toute façon, il n’y a pas grand-chose à faire d’autre que de surveiller, et de retirer le « problème » quand il devient dangereux. En cela, j’ai quand même une chance : je suis dépistée quasiment aussi tôt qu’il est possible de l’être. Je suis prévenue. Je me  dis surtout que tout n’est pas joué.


Le sujet est délicat, un peu plus qu’intime, je me doute que je vais en gêner quelques-uns… mais, ami, rien de ce qui est humain ne devrait t’être étranger… On aurait bien tort d’évacuer l’aspect sanitaire de la question sexuelle, si cela peut en faire réfléchir… On m’a charriée, il y a quelques temps, sur l’air de « on ne va quand même pas s’échanger nos bilans sérologiques avant de baiser ! ». Non, en effet, peut-être pas, mais je crois que pour agir sainement et de manière responsable, il faut savoir ce qu’on trimballe avec soi, et le faire, au moins, ce bilan sérologique.

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