L'Exclue - Alina Reyes
« Déçue par les hommes, les
femmes et la société en général, qui tous m'avaient laissée sans emploi, je
décidais d'en finir par une grande histoire d'amour avec moi-même. Partie sans
laisser d'adresse, je m'installai au Luxor, rue de M.
Je voudrais bien savoir pourquoi tout
ce qui est bon dans la vie finit par faire du mal. Pourquoi, sinon parce que le
monde est mauvais ? C'est-à-dire, si Dieu existe, parce qu'IL est mauvais ?
(Mais Dieu n'existe pas, tout le mnde le sait. Ce serait trop désespérant qu'il
existe, et que nous soyions ses enfants, si horriblement maltraités que nous
pourrions qu'ajouter encor de la violence à celle dont nous sommes
intrinsèquement victimes.)
Debout devant les glaces repliées de
l'armoire, qui me reflétaient sous trois angles, nue, je me pris par la nuque
et dis :
Je vais prendre soin de toi
maintenant.
J'avais encore un joli corps, fin et
musclé. Je le contemplai, me déshabillai, ouvris le lit, et me fourrai dans les
draps jusqu'aux oreilles.
[...]
En me réveillant en fin d'après-midi,
seule avec moi-même dans cette chambre d'hôtel au milieu de la ville, nue dans
ce grand lit, j'éprouvai le sentiment aigu et délicieux de la clandestinité. je
pris mes seins dans mes mains et, doucement, commençai à les masser. La tête
sous les draps, enivrée par mon odeur, je regardai s'ouvrir mes cuisses, telles
d'immenses pétales, et les yeux fermés, fouillai des doigts ma bouche secrète,
qui appelait, affamée, avec des contractions de poulpe au fond des eaux.
Je sortis sans me laver, afin de
pouvoir sentir à tout moment l'odeur de mon intimité le long de mes doigts.
C'était le début d'octobre, il faisait inhabituellement chaud. Le temps
tournait à l'orage, j'avais mis une petite robe légère entièrement boutonnée
sur le devant. A l'aise dans mes nike, je déambulais dans les rues sans
regarder personne, ou en fixant parfois un homme ou une femme dans les yeux,
juste pour voir leur trouble et sentir le mien. Désormais, tout m'était
possible, car je détestais la société humaine et ne désirais en aucun cas que
quiconque m'aimât ni me touchât.
Les terrasses des cafés étaient
pleines de monde. Je les longeais lentement, dévisageant sans les voir les gens
qui paradaient dans leur petit plaisir, au bout de leur petite journée. Je
m'assis à la première table libre, et commandai une bouteille de champagne,
pour fêter mon évasion. Il faisait de plus en plus lourd. J'écartai les jambes
pour laisser circuler l'air, versai une coupe de champagne sur ma nuque, mes
bras, ma poitrine.
La lumière vira d'un coup, on
entendit par-dessus le bruit des voitures rouler le premier coup de tonnerre,
et les garçons se mirent à dérouler les stores au-dessus des terrasses. Mes
yeux tombèrent sur un homme debout près du feu rouge, dos à la rue, en train de
me regarder. Je déboutonnai le haut de ma robe, me penchai en avant, et,
ouvrant à deux mains le tissu, posai mes seins sur le marbre de la table. »
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