Cosette #2 : en avoir ou pas (trompes, JAF et aliénation)
C’est reparti pour une #Cosette ! Ça faisait longtemps que je voulais en parler : le brouillon de cet article remonte à 2017…
Le fil Masto est lisible ici.
La question des enfants a été critique toute ma vie. La lecture peut en être difficile, il y aura des CW. Ça va aller un peu dans tous les sens, le sujet est tellement touffu, mais j’ai essayé de structurer.
N’hésitez pas à intervenir, partager des ressources, poser des questions, donner votre avis. Bonne lecture.
On commence par les sondages de rigueur.
De nombreuses personnes affirment sans complexe qu’elles trouvent les enfants bruyants, exigeants, bougeons, pénibles sans que ça leur vienne à l’esprit que les éduquer, c’est un boulot exigent et difficile. Bizarre.
L’attitude paradoxale de la société à l’égard des mères et des enfants ne s’arrête pas là : c’est un grand gloubiboulga chimérique, fait de postures idéologiques. C’est infernal d’être une femme, c’est encore pire d’être une mère.
C’est parti.
LA THÉORIE
L’enfant est une pierre importante dans la construction du couple hétéro-romantico-normé. Il est le pinacle de l’escalator amoureux dans nos sociétés basées sur la famille nucléaire restreinte, la dernière preuve d’amour que les monos se donnent. C’est tout un script : le premier baiser, la première étreinte, la vie commune, les fiançailles, le mariage, le crédit, l’enfant. Élément sacré de nos vies patriarcalisées, il ne vous est pas permis, femmes, de le faire n’importe comment. La société s’est un peu détendue sur la question du sexe avant le mariage mais il y a des choses qui ne bougent pas. Notamment, l’enfant doit avoir un père. Et pas n’importe lequel.
C’est une vieille angoisse qui a le vent en poupe en ce moment dans les milieux mascus (un ou deux exemples parmi d’autres) mais qu’on traine depuis quelques millénaires : un homme ne peut jamais être certain qu’un enfant est LE SIEN (je cite pour le fun : « soumission existentielle à la femme »).
C’est un point essentiel de la légitimation de l’existence du patriarcat. Cette forme d’organisation sociale a certainement eu bien des raisons de naître (notamment le rapport à la propriété et à la violence) parmi nos ancêtres, mais la question de la paternité est la principale raison de la domination des hommes sur les femmes. On va parler de la figure de la mère dans ce fil, mais, juste pour bien situer son pendant, le père, c’est le nom qu’on donne à notre dieu, hein. J’ignore si nous avons été un jour vénérées pour notre capacité à enfanter, mais il est clair qu’aujourd’hui, c’est plutôt une malédiction. Maitriser les femmes, c’est maitriser sa descendance, ce qui est cohérent dans une société patrilinéaire structurée par le pouvoir des hommes. Et c’est comme ça que la famille devient un huis-clos aliénant dont le couple est le précurseur.
Petite pause « quid de la loi », si vous le voulez bien, juste pour bien définir ce que c’est d’être « l’enfant de ». Je suis pas experte, je peux dire des bêtises, les juristes ici présent·es, n'hésitez pas à me corriger !
En France et à ce jour, la loi part du principe que dans un couple marié, le mari est le père de l’enfant : la filiation, sa reconnaissance en tant que père est automatique (mais il faut quand même porter son nom sur l’acte de naissance et l’enfant ne doit pas avoir été reconnu par un autre homme avant la naissance). Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de prouver que vous êtes le père biologique de l’enfant pour le reconnaître en tant que père. Un homme qui n’est pas marié n’a aucune obligation de reconnaitre un enfant, mais s’il le fait, cela impliquera des droits et des devoirs à l’égard de l’enfant et de la mère. Tout ça signifie, en réalité, qu’au regard de la loi, n’importe qui peut être le père de n’importe quel enfant.
Vous me direz : « Dis donc, cette loi n’est pas du tout patriarcale » et vous auriez plutôt raison. J’aurais tendance à penser que le papa (en partant du principe qu’il en faut, ce qui est déjà discutable mais passons), c’est celui qui veut bien éduquer cet enfant et c’est un peu l’esprit de cette loi, non ? Une loi qui se soucierait pleinement de la filiation biologique, j’imagine, souhaiterait garantir à chaque homme qu’il est le père biologique de chaque enfant avant d’avoir l’obligation de s’en occuper. Tests ADN pour tout le monde !
Eh bien… c’est ce qu’elle fait, a posteriori. Un homme peut se voir déchu (ou à l’inverse forcé) de sa paternité « par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l'action », c’est-à-dire devant un juge. Un de ces moyens est de solliciter le juge (sur demande de la mère ou du père putatif), qui fera pratiquer un test ADN en recherche de paternité. Ce n’est pas automatique et le consentement de toutes les parties est obligatoire (homme, femme, enfant majeur) : vous pouvez le refuser. En France, il est interdit de pratiquer un test ADN en recherche de paternité en dehors d’une procédure judiciaire.
L’esprit de la loi, c’est donc plutôt de considérer que le mariage équivaut à une garantie de paternité (lol) et qu’en effet vous n’êtes pas un *vrai* père si vous n’êtes pas le père biologique.
Tout ce qui précède concerne les couples hétérosexuels, mais la loi ne dit pas autre chose pour les couples homosexuels : « Les époux homosexuels doivent être mariés pour pouvoir fonder une famille. L’un des conjoints doit être la mère ou le père biologique. L’autre passe par l’adoption.
Un parent qui s’occuperait d’un enfant sans en être le père reconnu par la loi (reconnaissance, filiation biologique ou adoption) est désigné sous le terme de « parent affectif » ou « parent social », mais ne possède aucun droit à l’égard de cet enfant.
Si le test ADN est interdit en France en dehors d’un parcours judiciaire, c’est pour plusieurs raisons… D’abord, la Loi Bioéthique considère ce genre de données comme extrêmement sensibles, les citoyen·nes ont tout intérêt à ce qu’elles ne se baladent pas dans les mains d’acteurs privés ou gouvernementaux. Les tests génétiques sont donc réservés a priori aux domaines médical (dépistage de maladies graves) et judiciaire (identification criminelle). Ensuite, c’est coûteux, technique (il faudrait pouvoir jauger la fiabilité de chaque test)… et récent. Pour finir… ça foutrait un beau bordel en réalité. Le sacro-saint mariage serait sacrément bousculé parce qu’on SAIT que les hommes et les femmes se trompent (en gros un tiers des femmes et la moitié des hommes sont infidèles selon leurs propres dires) ! Garder la possibilité du doute, c’est aussi la paix des ménages. De plus, c’est pas juste une question de parentalité. Ce n’est pas juste établir une paternité, c’est aussi prouver que votre partenaire vous a trompé. C’est un motif de séparation, de violences, de répression. Pour finir, chacun·e doit prendre ses responsabilités, certes, mais en même temps, qui veut d’un parent qui ne veut pas l’être ?
Je vais pas m’étendre sur ce que je pense de la monogamie (en bref : c’est débile, dangereux et fondamentalement patriarcal) quoique ce qui va suivre y est forcément lié. Les choses seraient profondément différentes si on n’avait pas décidé que « un enfant c’est un papa, une maman ». Tout ça, ce sont des postures idéologiques.
Ça n’a sûrement rien à voir, mais vous devriez lire ça :
La loi des Pères – Patric Jean, éditions du Rocher
J’ai fait un article sur cet ouvrage, avec moults extraits, que vous pouvez lire ici.
Première posture : la société aime les enfants parce que les enfants c’est la vie, au sens naturel du terme. L’espèce doit enfanter pour se perpétuer. Les femmes font les enfants. Donc les femmes sont faites pour avoir des enfants et DOIVENT faire des enfants. Une femme qui refuse de faire des enfants n’est rien de moins qu’une traitresse à l’humanité et ses intentions forcément égoïstes. Au chapitre de l’essentialisation, l’ambiguïté morale est totale, comme si au final ce n’était pas du tout naturel. La nature, elle s’arrête aux prémisses de la question de l’enfant (les femmes doivent faire des enfants, c’est naturel) : toute femme ayant accouché aura entendu TOUT et son contraire quant à la manière de s’occuper de son enfant. On lui aura tout reproché : son poids, celui de son bébé, sa manière de le coucher, de le nourrir, de le cajoler. Exit la nature, elle accouche sur le dos, on lui coud un ptit point du mari après la délivrance, on lui explique qu’allaiter 6 mois c’est bien mais on ne lui donnera que 3 mois pour le faire, elle paiera les yeux de la tête une nourrice, il y aura du bisphénol dans les biberons, des perturbateurs endocriniens (entre autres) dans les couches et de la matière fécale (entre autres) dans l’eau minérale.
L’appel à la nature est probablement la posture la plus dégueulasse qui soit, elle a des allures de scientificité tout en prêtant le flanc à des pensées du plus bel archaïsme : c’est l’un des arguments majeurs de l’homophobie ordinaire. Un·e homosexuel·le, par définition, ça ne ferait pas d’enfant. Certes, la réalité leur donne tort chaque jour, mais ça ne devrait pas être un contre-argument. L’appel à la nature est toujours moisi et je ne comprends pas cette invocation chez une espèce qui se définit précisément par la culture (en opposition à la nature). Le curseur est mobile entre le « l’Humain s’est dégagé de toute nature » et « on est rien d’autre que des animaux », heureusement, non ? Mais ça ne devrait jamais être un argument en soi, d’un côté ou de l’autre, parce que l’humain ne sait pas ce que c’est « la nature », tout ce qu’il en sait, ou croit en savoir, c’est sa culture qui le lui a soufflé. Je réprouve aussi bien l’appel à la nature que l’appel à la civilisation. Ils font exactement la même merde : ils tuent des non-blancs-valides et contraignent les femmes.
Petite pause sondage.
On en vient à la seconde posture : la société aime les enfants parce qu’ils sont fragiles et qu’il faut les protéger. Là aussi, c’est l’inverse qu’on observe : un enfant de pauvre, de noir·e, d’arabe peut être massacré. Une balle dans la tête, visiblement, c’est parfaitement ok. Plus généralement, les enfants sont considérés comme des demi-personnes : ce sont encore les seuls envers qui la justice tolère la violence (ah non, au temps pour moi : il y a les femmes aussi). Inceste, violences, harcèlement, maltraitances, travail des mineurs, la société patriarcale n’est pas vraiment décidée à « protéger les enfants ».
Voilà ce que c'est, aussi, d'être enfant :
- Mediapart / Enfance : enquêtes, reportages, vidéos.
- UNICEF / Travail infantile et exploitation des enfants.
- Wikipedia / Excision.
- Médecins sans frontières / Gaza : "Des enfants trop jeunes pour marcher sont démembrés, éviscérés et tués par l'armée israélienne, c'est la réalité de cette guerre".
- Gouvernement / Toutes les 3 minutes, 1 enfant est victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle.
Dans la même veine, on préfère que les homos ne soient pas parents et on stérilise les handicapées : il y a des enfants qu’on préfère ne pas voir naître. Non, on n’aime pas TOUS les enfants. Il faut comprendre qu’une société basée sur la reproduction sociale n’a qu’une façon de « s’élever », se purifier, s’améliorer : l’eugénisme. Il faut empêcher les mauvais éléments de se reproduire et on devrait bien finir par se retrouver entre soi, sur le haut du panier. Vision fasciste d’une société « égalitaire » où tout le monde serait belleau, blanc·he et riche.
Attention sondages.
Troisième posture : la société adore les enfants parce que c’est le sel de la vie ! Ils sont beaux, tendres et donnent tellement d’amour. C’est de la joie en barre ! Mouais. Dans la vie des femmes, surtout. Il faut bien le répéter pour que ça passe : dans certains coins du monde, c’est la seule chose qu’elles ont le droit de faire. Partout ailleurs ça ne vaut guère mieux : tu dois faire des enfants mais tu dois aussi travailler. Enfin, sur ce coup-là, je ne suis pas trop sûre : tu préfères être une michto au crochet de ton mari et disponible pour l’éducation de tes enfants ou une irresponsable mère absente qui fait tourner la baraque ? Raaah, j’hésite, j’hésite !! Les hommes aussi adorent leurs enfants ! Je crois. Bon, les femmes en couple s’en occupent 2 fois plus, et en cas de divorce les trois-quarts d’entre eux ne demandent tout simplement pas la garde des enfants. Aussi, 85% des parents seuls sont des mère . Mais sinon, vous ne trouvez pas les pères au foyer SUPER courageux ? C’est tellement beau cette dévotion, ce choix de mettre de côté sa carrière ! Ils sont 0,2% à se déclarer comme tel auprès de l’INSEE (contre 6% de femmes) ! À mon avis, s’ils s’y adonnent si peu, c’est peut-être que ça apporte quelques désagréments, d’avoir des enfants. En réalité, vous n’aimez pas leur bruit, leur agitation, leur liberté, leur curiosité.
Parce que oui, c’est exigent, fatigant, à plein temps. Ça prend une place énorme dans nos vies. Non seulement un couple qui s’est juré assistance mutuelle devrait le gérer à deux, mais en sus la société devrait se montrer un chouïa plus aidante à l’égard des enfants et des parents. On aurait moins de burn out parentaux et d’enfants confits de traumas sur les bras en bout de course, qui feront à leur tour des enfants plus équilibrés, peut-être ? C’est une pierre d’angle du féminisme : aider les femmes, aider les mères, c’est construire une société plus heureuse.
L’égalité domestique est une vieille chimère. Elle est quasiment impossible dans notre société si profondément inégalitaire. Il y a des dynamiques au sein de chaque couple, malgré toutes leurs bonnes intentions, qui font que ça ne se fait pas. Vous aurez beau faire, il n’est pas si aisé de se sortir de la gangue inégalitaire de notre monde, faites pas genre.
On va donc conclure sur un « la société n’aime pas les enfants, elle n’aime pas les mères, elle n’aime pas les femmes », si vous voulez bien. Et dans l’ensemble, la liberté que vous prêtez à nos sociétés occidentales de faire ou de ne pas faire d’enfant n’est pas réelle.
Les femmes évoluent dans un monde où 3 cas de figure sont possibles :
- elles PEUVENT faire des enfants
- elles DOIVENT faire des enfants
- ou bien elles ne DOIVENT PAS faire d’enfant
Et là, je ne parle pas de leur santé, non, non, je parle de leur environnement social, politique. Et attention, petite subtilité : ce n’est pas l’un ou l’autre en fonction du pays dans lequel la femme vit ! Ces 3 options COHABITENT PARTOUT, à différents degrés ! Par exemple, si tu vis en France, tu PEUX faire des enfants parce qu’après tout, on a atteint l’égalité des sexes tu fais ce que tu veux blah. Mais si tu es trop jeune, trop vieille, ou trop pauvre, ou trop handicapée (la limite du « trop » n’est pas clairement fixée), tu ne DOIS PAS faire d’enfant. Si tes parents sont catholiques tu le DOIS. Et de façon générale, le décider, en avoir ou pas, est plutôt perçu comme un caprice : si « la nature » t’a refusé la possibilité d’en faire, tu devrais respecter ce refus. Si tu peux en faire mais que tu en fais un sans l’avis de ton homme, c’est mal. Inversement, si tu n’en fais pas à ton homme qui en veut un, c’est pas bien. Etc. à l’infini. Mais pour faire simple, en gros, si tu es une « bonne » femme (blanche, fertile, valide, riche), tu DOIS en faire.
En Italie, l’avortement est autorisé jusqu’à 12 semaines de grossesse depuis 1978… mais 70% des gynécologues refusent de le pratiquer.
Au Royaume-Uni, on enquête sur les femmes qui font des fausses-couches.
Aux États-Unis, en Caroline du Nord, le parti Républicain a déposé en 2023 un projet de loi pour condamner les femmes ayant avorté à la peine de mort.
Tu t’accroches donc bien fort à ton droit (en fait juste une dépénalisation partielle – le Canada est le seul pays au monde où l’avortement est légal TOUT AU LONG DE LA GROSSESSE) à l’avortement et à ta pilule, dommage qu’elle induise « un risque un peu plus élevé de cancer du sein, du col de l’utérus et du foie, maladies du cœur et accidents vasculaires cérébraux ». Toujours pas de nouvelle de la pilule masculine : c’est un « défi scientifique » de produire un contraceptif masculin à la fois« efficace et sûr » ! Tu m’étonnes !
Bref, après ce petit tour d’horizon qui fout bien le seum, je vais vous parler de mon expérience de « ne pas faire d’enfant ».
Barefoot and pregnant - Jean Ray Laurie (1987) (source)
MON EXPÉRIENCE DE LA MATERNITÉ
D’abord, précisons que je suis issue d’une famille nombreuse, socialement déclassée (longue histoire) et tombée dans une misère assez profonde. J’ai vu ma mère passer ses journées à cuisiner, nettoyer, cultiver, et mon père taper sur ma mère. J’ai subi l’inceste, la négligence, les violences. Ma mère était contre l’avortement parce que si dieu te donne un enfant etc. Je suis ressortie de là avec (une dépression, des TCA, un TSPT) d’importants doutes à l’égard de la famille nucléaire monogame.
J’ai quand même tenté de faire pareil en mieux, en me mariant à l’homme déjà évoqué plus haut. Je n’avais pas de contraception et n’en ai jamais eu avec lui. Au début ce n’était pas un problème : je voulais faire un enfant. Chicorée est venue au monde deux ans après notre rencontre. Ensuite, ça a été au petit bonheur la chance : monsieur ne supportait pas la capote (parce que ça coupait les sensations) et je refusais toute autre forme de contraception qui impliquait de mettre ma santé en jeu (j’étais encore complètement formaté par les positions anti-médicales de mes parents). Je n’avais aucune forme de force mentale qui m’aurait permis d’imposer quoi que ce soit à mon mari. Donc coïtus interruptus et méthode des températures, qui, on le rappelle, ne sont PAS des méthodes de contraception mais vaguement d’espacement des naissances. J’ai eu beaucoup de chance : je n’ai jamais eu de grossesse non-désirée.
Avec S., au début, j’ai eu l’impression de revivre. Je remangeais, j’étais heureuse de vivre. Mais surtout, il y avait le sexe. L’inceste, la dépression et les violences avaient empêché toute forme de libido de s’épanouir dans mon corps. J’étais heureuse d’avoir trouvé un homme qui m’apportait ce plaisir. On passait des heures, des jours, à parler, à baiser, à jouir, à dévorer, à s’occuper du jardin… C’était doux.
C’était Pygmalion et Galatée. Il en était fier et je pensais tout lui devoir, en toute confiance.
Je suis tombée enceinte en mai 2007, à quelques mois de mon mariage. Ma grossesse a été merveilleuse, vraiment. J’ai adoré porter cette vie. Et puis elle est née. C’est là que tout s’est révélé.
L’accouchement a été rude. Encore toute pétrie de convictions anti-médicales, j’ai refusé la péridurale, sous le regard méprisant du gynéco qui devait m’accoucher. J’ai eu tellement mal que j’ai eu envie qu’on me tue ; le travail a duré 12h, 12h pendant lequel il n’y a que la souffrance qui compte. Mise sous azote, je me suis ni plus ni moins évanouie, et j’ai donc cessé de pousser. Il a fallu aller chercher l’enfant à la ventouse dans mon corps passif, ce qui a littéralement déchiré mon col et mon vagin. Puis la délivrance, ce moment où deux infirmières malaxent votre corps éventré pour en faire sortir le placenta. Et enfin la suture, qui consiste à recoudre à vif votre périnée. J’ai dit « merci » puis « plus jamais ». Mais elle était là.
En bonne santé. Je me suis reposée, avec mon enfant dans les bras. Mais l’angoisse commençait à pointer. Il allait falloir rentrer à la maison bientôt. C’est étonnant d’ailleurs que ça m’angoisse : je n’avais perçu aucun signe avant-coureur de ce qui allait se passer, à la maison. C’est « perçu » le mot important : je ne l’avais pas conscientisé mais ils étaient là les signes. Je savais, dans le fond, que la lessive que j’avais lancée avant de partir pour la maternité serait encore dans la machine 5 jours après. Je savais qu’être trois ne serait pas du tout comme être deux.
Je suis rentrée dans un taudis. Enfin, je l’ai vu, le taudis, maintenant que je n’avais plus le temps de le ranger. Mon mari a été un peu aidant, au début, tout de même. C’était encore gérable : les soins de l’enfant étaient basiques (quoiqu’évidemment très prenants), je ne travaillais pas encore. Ça a été progressif. Le travail, la nourrice, les trajets, les travaux domestiques, l’échangisme (ça c’est un chapitre que je ne vais pas pouvoir détailler ici, ce fil est déjà assez long, mais sachez que ça a été LE point critique dans notre couple), tout ça est tombé petit à petit, s’ajoutant inexorablement sur deux ou trois années, comme des grains de sable au bas d’un sablier. Pas sans mal. Je me remettais à chaque fois en question : meilleure gestion du temps, du stress, méditation, magnésium, arrêt de travail, négociations avec mon mari, temps partiel, j’ai tout essayé pour que ça tienne.
Tenez, vous devriez regarder ce documentaire :
Le film Very Bad Mother, tourné par Camille Lancry à l'occasion du festival punk-féministe du même nom à Concarneau en 2021.
La posture du breadfeeder va mal ! Dans mon couple, j’étais la pourvoyeuse d’argent. Mais aussi celle qui nettoyait, rangeait, faisait les courses, s’occupait des rdv médicaux de notre fille et de toute la logistique (comme le contrat de la nourrice). De son côté, il travaillait comme agriculteur, sur sa propre ferme qui partait complètement en quenouille (il a changé de travail après notre divorce). Il ne gagnait quasiment pas d’argent. Il travaillait, certes, mais nettement moins que moi en volume horaire (euphémisme). Du coup il était complètement démoralisé (bichette) et n’en ramait pas une à la maison. Je l’ai vu 2 fois avec un aspirateur dans les mains. Il emmenait notre fille chez sa mère le matin après mon départ au travail, avant qu’elle aille à l’école (ensuite c’est moi qui l’emmenait chez la nourrice). Et c’est à peu près tout. Ça le ferait hurler de lire ça. Par exemple, il me rappellerait que c’est lui a payé ma voiture ! C’est vrai. Mais ça ne représente qu’un an du loyer que j’ai payé pendant 6 ans, frère (à son nom, je n'en suis pas propriétaire aujourd'hui, même pas un petit peu).
Vous connaissez la théorie des pots de yaourts ?
S. n’est pas devenu un connard du jour au lendemain, j’imagine, mais c’est bien la sensation que j’ai eue et c’est un récit souvent porté par les femmes : la naissance du premier enfant est un point de bascule. Le saviez-vous ? 40% des violences conjugales commencent au cours de la grossesse. À la relation pleine et lumineuse que forme le duo amoureux succède une longue chute. Entendre ma belle-sœur pleurer parce que son homme (un de mes frères donc) mendie des rapports sexuels alors qu’elle ne s’est pas remise de son épisiotomie, n’en rame pas une à la maison, fait la gueule toute la journée parce qu’elle n’est pas disponible pour lui et se plaint de ses angoisses à elle alors qu’il a lui-même porté en terre leurs deux premiers enfants au cours des trois dernières années, vous n’avez pas idée à quel point ça me fout le démon. Entendre cette femme dont je plaçais la solidité au-dessus de toute barrière mentale dire qu’elle n’ose pas en parler parce qu’elle ne veut pas « dégrader l’image de son mari », tout comme je l’ai fait moi-même, bordel, y a des genoux cassés qui se perdent.
Ma vie, pendant 6 ans, c’était travailler, passer l’aspirateur et s’occuper d’un enfant, tout en vivant la tyrannie sexuelle de mon mari qui n’avait qu’une envie : coucher avec plus de meufs. Je ne sortais plus, épuisée, je n’avais plus de loisirs, plus le temps d’écrire, de marcher, de penser et je gardais le peu d’énergie qui me restait pour accepter de coucher avec les mecs qui emmenaient leurs femmes coucher avec mon mari (on appelle ça « l’échangisme »). Mon aliénation mentale était totale, ma rupture familiale et sociale était consommée, la charge mentale prenait toute la place.
Je vivais la honte au quotidien. J’ai eu l’impression, dans tout ce bordel, que je n’étais tout simplement pas capable d’être mère, que je n’aimais pas ça, que ma fille m’empêchait de vivre. Comme si tout le reste, en revanche, était normal. J’ai détesté cette vie de toutes les fibres de mon corps. C’est à la faveur d’un burn out franchement impressionnant et d’un long arrêt de travail que j’ai redécouvert la possibilité de vivre d’autres choses et j’ai compris que le problème était ailleurs. Le problème ce n’était pas ma fille, c’était mon mariage. J’étais avec un homme qui mettait en regard de mes demandes d’égalité domestique ses besoins sexuels. Il a fini par franchir des limites que mon cerveau a refusé d’accepter, enfin. Je suis partie mais c’était trop tard : j’étais démolie et j’avais fait une enfant avec lui.
Il a encore fallu une décennie de réflexions (essentiellement féministes) et de thérapie pour enfin assumer (pas au sens matériel, au sens que mon cerveau soit d’accord avec ça) pleinement mon rôle de mère. Pendant ces 10 ans, je n’ai pas eu la garde de notre fille. Je suis partie loin de lui, personne ne comprenait ça, ça compliquait tellement la garde, et puis, pourquoi je ne me battais pas pour la récupérer ? J’étais un petit déchet souffreteux et toxicomane, absolument convaincue que ma fille méritait mieux que moi. Pendant ces 10 ans, je gardais Chicorée un week-end sur deux et toutes les vacances, des centaines, et des centaines de kilomètres parcourus à chaque fois.
Et puis, au fil du temps, elle a commencé à me parler de choses qui se passaient là-bas, chez son père, de plus en plus problématiques, de plus en plus violentes.
Le père de ma fille n’avait pas de mots assez durs contre les violeurs d’enfants, les pères tabasseurs, les mères infanticides. Il s’est quand même retrouvé lui-même avec une IP au cul posé par son meilleur pote, et tout récemment, des poursuites pour corruption de mineur. Chicorée est aujourd’hui en proie à un effondrement dépressif sévère suite à ses maltraitances. Postures.
Je me suis, finalement, relevée. J’ai compris que ce n’était pas moi qui avais été « mauvaise ». Et à vrai dire, vu l’état dans lequel j’étais devenue mère, je n’avais aucune chance que ça se passe bien. Là, j’ai commencé sérieusement à me battre. Je l’ai sortie de là, mais seulement parce que j’en étais capable, si je n’avais pas guéri, elle y serait encore. Justice, récupération de la garde de ma fille et pour elle, long chemin vers la convalescence.
Pas la peine de venir me tanner avec du not all men ou du « faut mieux choisir vos mecs », ça ne ferait qu’être très embarrassant pour vous, qui ignorez visiblement le principe de « problème structurel ». S’il a suffi de ne croiser que 3 hommes pourris pour détruire ainsi ma vie (mon père, mon frère, mon mari), alors not all men n’a aucun sens (et bien évidemment que je n’en ai pas croisé que 3, tout le monde, homme ou femme, peut en citer 1000). Je précise donc que moi aussi j’ai fini par le comprendre : le problème ce ne sont pas les papas, ce n’est pas CE papa, ce ne sont pas les bébés, c’est le patriarcat, ses postures misogynes et l’aliénation à laquelle il me voue en tant que mère. Mes daddy issues ne sont qu’une expression de cette structure. La détresse mentale dans laquelle je me suis retrouvée après la naissance de Chicorée parce que j’étais confrontée à un homme qui ne faisait pas sa part, encore une autre. Le silence honteux dans lequel je me suis enfermée, la pusillanimité de tous mes proches, ce sont des prisons.
Je suis peut-être un chat noir, mais ça fait beaucoup de « pas de chance » quand même. J’ai ma propre expérience mais mes proches aussi, celles qui on eu des enfants, celles qui n’en ont pas eus, celles qui en ont perdus, tout ça participe grandement à me faire ressentir une telle souffrance, de tels risques, que je ne veux pour rien au monde remettre ça
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L'éveil de Galatée - Herbert Gustav Schmalz |
NE PAS AVOIR D’ENFANT
Je le veux (ne pas avoir d’autre enfant) et je le veux pour toujours. Je le veux à 100%. Les capotes ne sont pas fiables, l’abstinence au bout de 8 ans c’est un peu relou tu vois, la pilule et toutes les méthodes hormonales ne me sont plus prescrites pour des raisons médicales et la simple idée de me faire poser un DIU sur mon col massacré (déchirement à l’accouchement et conisation) me met en PLS. Je veux dépasser les 99% d’efficacité. Je ne veux plus même avoir à y penser. Je veux qu’on me stérilise, qu’on me ligature les trompes. J’en suis là en 2015 quand je sors d’un divorce, d’un cancer et d’une opération du col. J’ai alors 31 ans.
J’en parle immédiatement à ma gynéco, qui refuse de pratiquer cette opération, en me précisant qu’avant 35 ans, ce sera délicat de trouver un·e chirurgien·ne qui accepterait. J’ajoute que je souhaite, au passage faire don de mes ovocytes, et que du coup il ne faut pas trop attendre mais ça la fait tiquer : « attendez, si vous voulez garder vos ovocytes c’est peut-être que vous n’êtes pas si sûre que ça de ne pas vouloir d’enfant, non ? » (Sachez que c’est systématiquement proposé aux hommes qui demandent une vasectomie : ils peuvent congeler leur sperme et l’utiliser « au besoin »). Je le reprécise donc, non, je ne veux pas « congeler mes ovocytes », je veux « faire don de mes ovocytes ». Peine perdue, j’attends 4 années de plus.
En 2019, je reviens donc à la charge. À chaque visite de contrôle (j’ai des examens annuels pour surveiller le crabe), je remets la question sur la table. À chaque fois « on en reparle la prochaine fois ». À chaque.putain.de.fois. Faut comprendre que les délais ici pour obtenir un rdv, c’est 6 mois, faut pas se louper. À chaque fois, je me fais examiner, on me dit « réfléchissez-y » et c’est tout. Je finis par perdre patience en 2022, quand elle m’apprend que oupsi, on ne fait plus de prélèvement d’ovocytes sur les femmes de 38 ans (parce que, précisément, ils se dégradent très vite à l’approche de la quarantaine, ce qui signifie qu’on a accepté de me stériliser quand mes chances de tomber enceinte devenaient franchement faibles). Le délai est alors passé… de deux mois.
Je pète un câble dans son cabinet, vous n’imaginez pas. J’ai laissé exploser ma colère, ma frustration, je n’en pouvais plus de leurs atermoiements de merde. Dans la minute, elle m’a fait signer les papiers, pris rdv avec une chirurgienne, en me faisant grâce des 4 mois de réflexion. J’étais dans une colère sans nom. On manque d’ovocytes, j’étais prête à faire toutes les démarches pour ça, même sans stérilisation et on me fait lambiner jusqu’à ce que ce soit trop tard ?
Les médecin·es, on le savait déjà, sont des pignons clés de la grosse machine patriarcale : beaucoup d’entre elleux sont là pour te taper sur les doigts, se torchent avec ta dignité et font régner l’ordre parmi ces corps de femmes capricieuses et inconséquentes. Ma demande, même au regard de cette société misogyne, rentrait dans les clous : j’approchais la quarantaine (cet âge où on te déconseille de faire un enfant), j’avais déjà enfanté, une ligature des trompes était parfaitement envisageable.
Alors que je bouillais de rage sous ses yeux, elle a vite fait balancé la panoplie de questions et d’hypothèses à considérer avant de prendre cette décision : vous savez que vous n’aurez PLUS JAMAIS d’enfant, car ce n’est pas réversible ? Votre partenaire actuel est-il au courant de votre décision ? Que faites-vous si un homme que vous aimez un jour souhaite avoir un enfant ?
Oui, les questions tournent autour de la capacité des hommes à faire des enfants, logique. Mais je m’en bats les couilles force 1000, ma vieille.
« Oui je le sais. Ça fait 14 ans que je le sais ». « Je n’ai pas de partenaire actuellement mais c’est la première chose que je leur dis : je ne veux pas d’enfant ». « Je le dégage avec perte et fracas de ma vie, il doit être con. » C’était en gros, mes réponses. Qui l’ont donc convaincue que c’était bon, je ne voulais pas d’enfant.
Bref, mon opération est programmée et en mai 2023, je passe sur le billard. Youhou, une décennie de liberté d’esprit avant la ménopause *émoji qui fait la fête*.
Là, on va rentrer dans le un peu gore. La ligature des trompes n’a RIEN À VOIR avec son équivalent masculin, la vasectomie (« opération mineure »). On vous endort complètement, vous passez une journée à l’hôpital, on vous ouvre le ventre en 3 points différents (nombril et zones iliaques), on vous remplit de gaz pour décoller les différentes épaisseurs et on insère une petite caméra pour mieux y voir, puis on coupe. Si tout va bien vous rentrez chez vous le soir-même mais vous devrez être assisté·e pendant un mois d’une infirmière qui renouvellera vos pansements à intervalles réguliers et surveillera l’évolution des cicatrices, mois pendant lequel il ne faudra pas courir, sauter, porter, se baigner etc. Les cicatrices iliaques disparaissent assez vite mais perso, celle à l’ombilic reste pas mal visible (elle est quand même petite, ce n’est pas une césarienne).
Mon opération s’est bien déroulée. Juste, personne n’a jugé utile de me nettoyer toute la merde qui est sortie de mon corps quand on m’a gonflé le ventre et qui s’est bieeeeeen répandue dans mon dos et dans laquelle j’ai baigné pendant 6 heures, jusqu’à ce que je puisse me lever et me laver, mais c’est un détail j’imagine (ce que le corps médical fait de votre dignité, j’en ai parlé ou pas ?). J’ai eu beaucoup de mal à me remettre de l’anesthésie générale et ça fait quand même bien mal pendant quelques jours. TOUS les sites qui parlent de la ligature vous diront que c’est indolore, rapide et quasiment invisible, c’est juste faux (on ne sait pas faire autrement que minimiser la souffrance féminine) mais ça se fait, oui.
Voilà, je ne peux plus faire d’enfant et c’est un énorme soulagement. Je me fais ENFIN inonder de foutre avec plaisir, dans une décontraction TOTALE (c’est faux, j’ai toujours peur des MST).
Une dernière lecture
pour la route ?
Les Sentiments du Prince Charles, par Liv Strömquist, aux éditions Rackham.
À l'enfant que j'ai été et à celle que j'ai eue : je vous aime.
LES LECTEURICES ONT PARTAGÉ
Merci à toustes d’avoir partagé vos propres ressources et témoignages ! Il est toujours temps de le faire, sur le fil Masto ou bien en commentaire de ce post, j’ajouterais votre contribution ici si ça me plait bien !
- Le témoignage de Chulinetti sur Il n’y aura pas F(r)iction
- YCT529, la pilule masculine en cours de test, partagé par Agnès H.
- Une chorale féministe auto-gérée partagé par FF Shukke : Nos Lèvres Révoltées.
- Bon, ça je l’ai volé à Parleur, mais allez voir ces remonte-couilles venus d’Uranus : L’Atelier de LSF.
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