Rhapsodie Hongroise n°2 – Franz Liszt




Il y a du nouveau dans la vie de Volu… Une grosse rivière en crue qui charrie des mots, des sons, des idées ramassés sur des territoires jamais explorés de moi.

Aujourd’hui on fait (encore) une pause dans mes lectures sociologiques pour se laisser tenter par 8 minutes de folie joyeuse, avec la Rhapsodie Hongroise n°2 de Franz Liszt, une bonne occasion de dépoussiérer des vieux trucs.

Oui, on va parler de musique classique, cet énorme morceau d’humanité qui accompagne nos vies sans que l’on s’en rende vraiment compte. Comme à peu près tout le monde, je m’y suis rarement intéressé, c’est trop étrange, différent, hermétique. On va y entrer par le côté ludique, le familier. Pour commencer, on peut se pencher sur l’amusant Point Culture de LinksTheSun puis aborder les œuvres les unes après les autres, parmi celles qui nous parlent et nous plaisent, même si on n’y connait rien.

 
Sommaire

Franz Liszt 1

La Rhapsodie Hongroise n°2. 1

Là vous où avez / allez croiser la Hongroise….. 3

 

Franz Liszt

 

Liszt à 21 ans - Rachille Devéria (1832)

Ferenc Liszt voit le jour en Hongrie autrichienne en 1811 dans une famille mélomane, d’une mère aux origines allemandes et d’un père autrichien.

Né et œuvrant au cœur de la période romantique comme pianiste, compositeur, transcripteur et chef d’orchestre, il est un des précurseurs de l’impressionnisme de l’époque moderne, notamment au piano.

Soutenu (un peu plus que ça en fait) par son père, il est un enfant prodige doté d’une mémoire, d’un intellect et d’une technicité qui se développent très tôt. Il suit les cours de piano de Carl Czerny, ainsi que des cours de composition auprès d'Antonio Salieri, et donne son premier concert à l’âge de 11 ans.

Au cours des décennies suivantes, ses voyages et ses nombreuses tournées à travers l’Europe lui permettent d’acquérir fortune et renommée, Liszt côtoie les plus grand·es artistes et intellectuel·les de son époque : Hector Berlioz, George Sand, Alfred de Musset, Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, Richard Wagner (qui deviendra son gendre), Eugène Delacroix, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Gioacchino Rossini, Niccolò Paganini, Hector Berlioz, Camille Saint-Saëns. … qui l’inspirent autant qu’il les impressionnent. Dans les années 40, sa notoriété tourne à la Lisztomanie : le public entre en transe, on s’arrache ses gants, ses mouchoirs et ses mégots de cigare, on traite comme des reliques ses cordes de pianos cassées et le marc de café au fond de ses tasses.


Une matinée chez Liszt - Josef Danhauser (1840)


Le sentiment amoureux tenait une grande place dans sa vie, à parts égales avec la musique, son amour pour son pays de cœur, la Hongrie et bientôt, la religion. À partir de 1833, il commence une relation sentimentale avec Marie d’Agoult, alias Daniel Stern, avec qui il aura trois enfants (Blandine, Cosima et Daniel). Cette histoire malheureuse se finira dans l’amertume et il la quitte en 1844. Il rencontre en 1847 la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, à une période où il décide de se consacrer à la composition. Le couple, installé à Weimar, fait de cette ville un centre de création et d’innovation culturelle notoire : Liszt organise concerts, festivals, dirige orchestres et études, donne des cours, soutient de nombreux jeunes artistes. Seule ombre au tableau : Carolyne est mariée et la société conservatrice de l’époque condamne leur union, ce qui leur ferme de nombreuses portes. La princesse ne pouvant obtenir du pape le divorce de son mari, le Prince Nikolaus zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg-Ludwigsburg, le couple se sépare en 1861. Il connaitra d’autres histoires sentimentales jusqu’à la fin de sa vie, éventuellement platoniques, comme avec la baronne Olga von Meyendorff, puis Lina Schmalhausen.

Liszt s’intéresse aux affaires sociales et à la politique de son pays : il intègre les cercles saint-simoniens post-révolution et écrira (De la situation des artistes et de leur condition dans la société), composera (la pièce Lyon sur le sort des Canuts), transcrira (transcription de La Marseillaise) ses idées républicaines. Son engagement politique va céder la place, avec le temps, à un engagement religieux qu’il caressait depuis sa jeunesse mais contrarié par les ambitions de ses parents le concernant.

C’est lorsqu’il se trouve à Rome suite à son mariage raté avec Carolyne qu’il découvre la musique religieuse et que se développe plus librement son mysticisme. Maitre de chapelle de 1848 à 1858, il était également membre depuis 1857 du tiers-ordre franciscain, il reçoit la tonsure et les ordres mineurs catholiques en 1865 : il devient ainsi abbé, à l’âge de 54 ans.


Franz Liszt - Nadar (1886)

Jusqu’à sa mort, il partage son temps entre Budapest, Rome et Weimar et donne gratuitement des cours de piano à des élèves toujours nombreu·ses, tout en continuant de composer et transcrire, tourné vers la piété et le dénuement.

Il meurt le 31 juillet 1886, fiévreux et délirant.

 

La Rhapsodie Hongroise n°2


Une rhapsodie, à l’époque de Liszt, est une composition pour soliste, ensemble ou orchestre qui « coud » librement entre eux différents thèmes d’origines folkloriques ou régionaux. Ce genre donne une impression d’improvisation et permet de valoriser des thèmes de la musique profane et populaire.

Exaltation nationaliste de son auteur qui s’est inspiré des danses (verbunkos et csárdás), musiques et chansons de son pays, composition virtuose sur laquelle furent attendus les plus grands pianistes de son époque, elle est encore aujourd’hui considérée comme l’une des œuvres la plus technique et la plus difficile à interpréter. Elle fait partie d’un ensemble de 19 Rhapsodies Hongroises composées entre 1846 et 1853.

Ses Hongroises sont en réalité plutôt d’inspiration roumaine et leur structure gitane. La Seconde, composée en 1847 pour le Comte László Teleki débute par un thème roumain, on en retrouve la trace dans les carnets de notes du compositeur lors de son passage à Weimar, en Allemagne. D’autres thèmes sont empruntés au pianiste Heinrich Ehrlich, qui s’attachait alors à collecter les mélodies traditionnelles roumaines. La Rhapsodie Hongroise n°2 est composée de deux parties (« mouvements ») qui reprennent la structure typiques des improvisations gitanes, le lassan (partie lente) et la friska (partie rapide).

Face à l’engouement qu’elle a suscité immédiatement auprès de ses contemporains, Liszt a également conçu une version orchestrée (arrangée par Franz Doppler), une version à quatre mains (1874) et plusieurs cadences différentes.

En voici la partition.

 


Vous trouverez de nombreuses versions en ligne, je vous en soumets quelques-unes.


- Valentina Lisitsa -

Pour commencer, mon interprétation préférée, par Valentina Lisitsa, probablement parce qu’elle m’impressionne beaucoup ; je ne sais absolument pas parler de musique, encore moins classique, je la trouve simplement douce, inspirée et vivante.

 



- Rousseau -

Plus ludique, la version du Youtubeur Rousseau, qui ajoute une cadence créée par Marc-André Hamelin en 1997 à la suite de la friska.

 



- Alexandre Dupouy et Fabien Prou-

 Et la version à quatre mains, qui se fend d’un peu d’humour…

 


Là vous où avez / allez croiser la Hongroise…

 

Tout à tour tragique, comique, la Seconde Hongroise de Liszt s'est prêtée à toutes les facéties, aux cavalcades, aux retournements de situation. Elle surprend à chaque mesure et vous emporte, tourbillonnante, claironnante.

Cette œuvre a inspiré de nombreux créateurs, notamment les studios de dessins animés anglo-saxons. J’ai fouillé aussi loin que j’ai pu, et on retrouve notre Rhapsodie Hongroise quasiment à la naissance du genre.

Allez, petit (non) catalogue.


- L’Opéra (The Opry House) – Walt Disney et Ub Iwerks, 1929 -

Suite de Steamboat Willie sorti en 1928, The Opry House constitue le second film de Mickey dans la chronologie officielle du personnage. C’est aussi la première œuvre animée en forme de « comédie musicale » de Disney, format qui sera ensuite abondamment repris dans d’innombrables productions, jusqu’au Fantasia de 1940 (et au-delà). On y trouve de très nombreuses références classiques (Carmen de Bizet, le Prélude en do dièse mineur op. 3 n°2 de Rachmaninov), folkloriques (la chanson Klezmer Chusen Kala Mazel Tov, Goodnight,Ladies de Edwin Pearce Christy) et patrimoniale (le Yankee Doodle).


 

- Bars and Stripes - Columbia, 1931 –

La Columbia reprend le thème de la friska (à 3:50) dans le short Bars and Stripes en 1931, en toile sonore d’une guerre entre Krazy Kat et une foule d’instruments de musique.


 

- Phil Spitalny and His Musical Queens, 1934 -

En 1937, la foule en délire découvre un orchestre entièrement féminin, dirigé par Phil Spitalny, où l’on chante, joue et danse. Les femmes (de 45 à 70 en fonction des salles où elles se produisaient), toutes habillées de blanc, y étaient majoritairement célibataires et tenues de prévenir 6 mois avant leur intention de ne plus l’être. Habillées de blanc, multi-talentueuses (toutes chantaient et devaient pouvoir jouer au moins deux instruments), leurs prestations radiophoniques étaient nommées « The Hour of Charm »…

Dans ce film de Joseph Henabery, la Rhapsodie Hongroise est entamée à 6:51. Attention à vos oreilles, l’enregistrement est dans un état assez abominable.

 

 

- A Car-Tune Portrait - Fleisher Studios, 1937 –

On continue (accrochez-vous, mon complétionniste a débordé d’enthousiasme ici) avec une interprétation orchestrale par Fleischer Studios dans A Car-Tune Portrait en 1937.

Après une introduction sur le Menuet en sol majeur n°2 de Beethoven, un lion en tenue de chef d’orchestre tente de nous convaincre, « au nom de la dignité et de l’art » que cette fois, les animaux de ce cartoon ne se livreront à aucune clownerie – en vain.



 

- Rhapsody en marteau-piqueur (Rhapsody in rivets) – Fritz Freleng, 1941 -

En 1941, on retrouve notre œuvre plus largement interprétée par l’orchestre de la Warner Bros / Merrie Melodies et animé par Fritz Freleng dans Rhapsody in Rivets, sous les trait d’un chef de chantier qui organise en musique la construction d’un gratte-ciel…



- José Iturbi – Anchors Aweigh, 1945 -

José Iturbi (dans son propre rôle) joue la Seconde Hongroise avec un ensemble de 18 pianos (!) dans le film de Georges Sydney, Anchors Aweigh (Escale à Hollywood en France, avec Frank Sinatra, Kathryn Grayson et Gene Kelly) sorti en 1945.

 

 

- Le concerto du chat (The Cat Concerto) –  William Hanna et Joseph Barbera, 1946 -

La plus connue des reprises de notre Hongroise en court animé est The Cat Concerto animée par Hanna et Barbera, sorti en 1946 et réédité en 1955 par la Metro-Goldwyn-Mayer.

À défaut d’offrir une interprétation in extenso de l’œuvre de Liszt, le court-métrage est un petit bijou d’animation musicale dont nous devons conclure que la virtuosité ne dépend ni de la taille des mains ni du nombre de doigts…

En concurrence avec Rhapsody Rabbit la même année pour l’Oscar dans la catégorie Meilleur film d’animation, seul The Cat Concerto a finalement été sélectionné, avant de remporter la victoire.



- Yannie Tan, 2017 -

En 2017, la jeune pianiste / autrice / ingénieure / entrepreneure Yannie Tan réalise en direct le doublage musicale du court-métrage, et ça donne ça.

 



- Rhapsodie à quatre mains (Rhapsody Rabbit) – Fritz Freleng, 1946 -

Voici donc la version au lapin, animée par Freleng qui décidément se trouve très inspiré par cette œuvre, une nouvelle fois pour les studios Warner Bros - Merry Melodies. Mel Blanc fait toutes les voix de cette Rhapsodie à quatre mains, celle de Bugs, du rat et même du spectateur qui tousse.



- « Freddie Get Ready » - My dreams is yours, 1949 -

Bugs Bunny (donc Mel Blanc) chante encore sur cet air aux côtés de Doris Day et Jack Carson en 1949, dans le film My dreams is yours. On y entend la Hongroise en introduction du numéro chanté, ainsi que dans le dernier refrain.



 

- Daffy’s Rhapsody – Mel Blanc, 1950 -

Dans les années 50, c’est au tour de Daffy Duck d’en faire son hymne personnel, avec divers interprétations chantées (ou crachouillées, comme vous voulez) par Mel Blanc (la voix de nombreux toons) et éditées par Capitol Records.

 


Cet hymne a connu une seconde jeunesse en 2012 avec un court-métrage en 3D de Matthew O'Callaghan et Tom Sheppard qui reprend la chanson (sur un enregistrement de Mel Blanc), starring Helmer le chasseur. C’est cadeau.

 


 

- Convict Concerto – Walter Lantz Productions, 1954 -

Huit ans plus tard, c’est Woody Woodpecker qui est de la partie avec Convict Concerto, où notre héros ailé a affaire à une gang de malfaisants étrangement cultivés.

On y trouve une référence au compositeur russe Sergei Rachmaninov, qui a proposé en 1925 une cadence devenue célèbre de la seconde Hongroise, ainsi que les notes les plus emblématiques de la Sonate pour piano n°2 de Chopin (le « Marche funèbre »).

 



Walter Lantz appréciait visiblement beaucoup cette œuvre, il l’a utilisée dans plusieurs de ses animés, notamment dans The Athlete (1932), Pin Feather (1933) ou The Candy House (1934).

 

- L’Alcool – Les Quatre Barbus, 1964 –

La France rentre dans la danse avec les Quatre Barbus, sur une utilisation audacieuse du thème de Liszt, avec leur titre L’Alcool, écrit par Francis Blanche et Michel Emer, sorti en 1964… à écouter avec modération.



 

- Mattie the Goose-boy - Attila Dargay, 1977 -

En 1977, le réalisateur hongrois Attila Dargay réalise le film animé Mattie the Goose-Boy (Mathieu l’astucieux en français) basé sur le poème du même nom écrit en 1804 par Mihály Fazekas. Un jeune paysan y met la fessée au roi du coin, sur des airs de notre Hongroise qui parcourt l’intégralité du film.





- Victor Borge – Muppet Show, 1979 -

Le facétieux Victor Borge a performé plusieurs fois la Seconde Hongroise de Liszt à la télévision, dans les années 50 à 80, sur un ton humoristique et sur le même piano, avec son comparse Leonid Hambro puis Şahan Arzruni.

 

 


On le retrouve en 1979 lors de l’épisode 405 du Muppet Show (minute 7:26), avec Rowlf the Dog.

 

 

Soit dit en passant, la playlist toute entière des morceaux interprétés sur la scène du Muppet Show mérite d’être parcourue.

 

- The Atomic Cafe – Kevin Rafferty, Jayne Loader et Pierce Rafferty 1982 -

En 1982 sort le film / documentaire devenu culte Atomic Cafe, qui retrace les débuts de la guerre de terreur que se mènent les pays détenteurs de la bombe atomique. La Hongroise n°2 se lance juste avant le lâcher de bombes final (à 1:17:46), pour un effet dramatique garanti…



 

-  The curious Cantata – Sesame Street, 1985 -

Les chanteureuses de l’émission Sesame Street, Luis, Maria, Bob et Big Bird, ont chanté sur la Seconde Hongroise en 1985.



- Lang Lang – Sesame Street, 2005 -

Notre Hongroise est de retour en 2005 dans le programme de Sesame Street, lors de l’épisode 4084. Le jeune pianiste chinois Lang Lang y interprète tout d’abord Rhapsody sur un thème de Paganini de Sergueï Rachmaninov, avant d’entamer la friska (minute 2:04).


 

- Qui veut la peau de Roger Rabbit - Robert Zemeckis ,1988 –

Aviez-vous remarqué que dans le film de Robert Zemeckis, Qui veut la peau de Roger Rabbit, Donald et Daffy s’écharpent sur notre Rhapsodie (en fait encore une fois la friska) dans la scène du duel de pianos ?



 

- White Dog – Kornél Mundruczó, 2014 –

Le thriller dystopique hongrois White Dog, sorti en 2014 et réalisé par KornélMundruczó, bâti son intrigue angoissante autour des notes les plus pesantes de la Hongroise, que l’on retrouve, à la trompette, dans son trailer US.

 


 Bon, c’était drôle (et aussi très long) de chercher un maximum d’occurrences de cette Rhapsodie dans la culture populaire mais maintenant il va falloir passer aux choses sérieuses : j’ai plusieurs siècles de culture classique à rattraper (et promis je continue de lire).


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