Le Roman de Tristan et Iseut - Joseph Bédier / XIV - La mort

 

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Bah, pas fâchée de finir cette série.

Franchement, si Tristan avait choisi Kaherdin, cette histoire aurait été moins pénible pour tout le monde. Le niveau de culot du mec est sans borne : il promet la lune alors qu’il est mourant à son meilleur ami ; meilleur ami qui est le frère de la femme qu’il n’aime pas mais qu’il a marié parce qu’elle porte le même prénom que la femme qu’il aime. Mais breeeef.

Dans cette histoire, ce sont les cocus qui emmerdent le monde – et qui font avancer un récit qui titille nos angoisses, qui flattent nos haines, qui détruit bêtement nos vies en fait ? Le roi Marc a tenté à plusieurs reprises de se venger des amants, sans y parvenir. Mais c’est d’une épouse rincée par la honte que viendra vraiment la mort.


 

XIX

LA MORT

 

Amor condusse noi ad una morte.

(Dante, Inf. ch. v.)

 

À peine était-il revenu en Petite-Bretagne, à Carhaix, il advint que Tristan, pour porter aide à son cher compagnon Kaherdin, guerroya un baron nommé Bedalis. Il tomba dans une embuscade dressée par Bedalis et ses frères. Tristan tua les sept frères. Mais lui-même fut blessé d’un coup de lance, et la lance était empoisonnée.

Il revint à grand’peine jusqu’au château de Carhaix et fit appareiller ses plaies. Les médecins vinrent en nombre, mais nul ne sut le guérir du venin, car ils ne le découvrirent même pas. Ils ne surent faire aucun emplâtre pour attirer le poison au dehors ; vainement ils battent et broient leurs racines, cueillent des herbes, composent des breuvages : Tristan ne fait qu’empirer, le venin s’épand par son corps, il blêmit et ses os commencent à se découvrir.

Il sentit que sa vie se perdait, il comprit qu’il fallait mourir. Alors, il voulut revoir Iseut la Blonde. Mais comment aller vers elle ? Il est si faible que la mer le tuerait ; et si même il parvenait en Cornouailles, comment y échapper à ses ennemis ? Il se lamente, le venin l’angoisse, il attend la mort.

Robert Engels (1900)
Il manda Kaherdin en secret pour lui découvrir sa douleur, car tous deux s’aimaient de loyal amour. Il voulut que personne ne restât dans sa chambre, hormis Kaherdin, et même que nul ne se tînt dans les salles voisines. Iseut, sa femme, s’émerveilla en son cœur de cette étrange volonté. Elle en fut tout effrayée et voulut entendre l’entretien. Elle vint s’appuyer en dehors de la chambre, contre la paroi qui touchait au lit de Tristan. Elle écoute ; un de ses fidèles, pour que nul ne la surprenne, guette au dehors.

Tristan rassemble ses forces, se redresse, s’appuie contre la muraille ; Kaherdin s’assied près de lui, et tous deux pleurent ensemble tendrement. Ils pleurent leur bon compagnonnage d’armes, si tôt rompu, leur grande amitié et leurs amours ; et l’un se lamente sur l’autre.

« Beau doux ami, dit Tristan, je suis sur une terre étrangère, où je n’ai ni parent, ni ami, vous seul excepté ; vous seul, en cette contrée, m’avez donné joie et consolation. Je perds ma vie, je voudrais revoir Iseut la Blonde. Mais comment, par quelle ruse lui faire connaître mon besoin ? Ah ! si je savais un messager qui voulût aller vers elle, elle viendrait, tant elle m’aime ! Kaherdin, beau compagnon, par notre amitié, par la noblesse de votre cœur, par notre compagnonnage, je vous en requiers : tentez pour moi cette aventure, et si vous emportez mon message, je deviendrai votre homme-lige et vous aimerai par-dessus tous les hommes. »

Kaherdin voit Tristan pleurer, se déconforter, se plaindre ; son cœur s’amollit de tendresse ; il répond doucement, par amour :

« Beau compagnon, ne pleurez plus ; je ferai tout votre désir. Certes, ami, pour l’amour de vous je me mettrais en aventure de mort. Nulle détresse, nulle angoisse ne m’empêchera de faire selon mon pouvoir. Dites ce que vous voulez mander à la reine, et je fais mes apprêts. »

Tristan répondit :

« Ami, soyez remercié ! Or, écoutez ma prière. Prenez cet anneau : c’est une enseigne entre elle et moi. Et quand vous arriverez en sa terre, faites-vous passer à la cour pour un marchand. Présentez-lui des étoffes de soie, faites qu’elle voie cet anneau : aussitôt elle cherchera une ruse pour vous parler en secret. Alors dites-lui que mon cœur la salue ; que, seule, elle peut me porter réconfort ; dites-lui que, si elle ne vient pas, je meurs ; dites-lui qu’il lui souvienne de nos plaisirs passés, et des grandes peines, et des grandes tristesses, et des joies, et des douceurs de notre amour loyal et tendre ; qu’il lui souvienne du breuvage que nous bûmes ensemble sur la mer ; ah ! c’est notre mort que nous y avons bue ! Qu’il lui souvienne du serment que je lui fis de n’aimer jamais qu’elle : j’ai tenu cette promesse ! »

Derrière la paroi, Iseut aux Blanches Mains entendit ces paroles ; elle défaillit presque.

« Hâtez-vous, compagnon, et revenez bientôt vers moi : si vous tardez, vous ne me reverrez plus. Prenez un terme de quarante jours et ramenez Iseut la Blonde. Cachez votre départ à votre sœur, ou dites que vous allez quérir un médecin. Vous emmènerez ma belle nef ; prenez avec vous deux voiles, l’une blanche, l’autre noire. Si vous ramenez la reine Iseut, dressez au retour la voile blanche ; et si vous ne la ramenez pas, cinglez avec la voile noire. Ami, je n’ai plus rien à vous dire : que Dieu vous guide et vous ramène sain et sauf ! »

Il soupire, pleure et se lamente, et Kaherdin pleure pareillement, baise Tristan et prend congé.

Au premier vent il se mit en mer. Les mariniers halèrent les ancres, dressèrent la voile, cinglèrent par un vent léger, et leur proue trancha les vagues hautes et profondes. Ils emportaient de riches marchandises : des draps de soie teints de couleurs rares, de la belle vaisselle de Tours, des vins de Poitou, des gerfauts d’Espagne, et par cette ruse Kaherdin pensait parvenir auprès d’Iseut. Huit jours et huit nuits, ils fendirent les vagues et voguèrent à pleines voiles vers la Cornouailles.

Colère de femme est chose redoutable, et que chacun s’en garde ! Là où une femme aura le plus aimé, là aussi elle se vengera le plus cruellement. L’amour des femmes vient vite, et vite vient leur haine ; et leur inimitié, une fois venue, dure plus que l’amitié. Elles savent tempérer l’amour, mais non la haine. Debout contre la paroi, Iseut aux Blanches Mains avait entendu chaque parole. Elle avait tant aimé Tristan !... elle connaissait enfin son amour pour une autre. Elle retint les choses entendues. si elle le peut un jour, comme elle se vengera sur ce qu’elle aime le plus au monde ! Pourtant, elle n’en fit nul semblant, et dès qu’on ouvrit les portes, elle entra dans la chambre de Tristan, et, cachant son courroux, continua de le servir et de lui faire belle chère, ainsi qu’il sied à une amante. Elle lui parlait doucement, le baisait sur les lèvres, et lui demandait si Kaherdin reviendrait bientôt avec le médecin qui devait le guérir… Mais toujours elle cherchait sa vengeance.

Kaherdin ne cessa de naviguer, tant qu’il jeta l’ancre dans le port de Tintagel. Il prit sur son poing un grand autour, il prit un drap de couleur rare, une coupe bien ciselée : il en fit présent au roi Marc et lui demanda courtoisement sa sauvegarde et sa paix, afin qu’il pût trafiquer en sa terre, sans craindre nul dommage de chambellan ni de vicomte. Et le roi le lui octroya devant tous les hommes de son palais.

Alors, Kaherdin offrit à la reine un fermail ouvré d’or fin :

« Reine, dit-il, l’or en est bon », et, retirant de son doigt l’anneau de Tristan, il le mit à côté du joyau : « Voyez, reine ; l’or de ce fermail est plus riche et pourtant l’or de cet anneau a bien son prix. »

Quand Iseut reconnut l’anneau de jaspe vert, son cœur frémit et sa couleur mua, et, redoutant ce qu’elle allait ouïr, elle attira Kaherdin à l’écart, près d’une croisée, comme pour mieux voir et marchander l’anneau. Kaherdin lui dit rapidement :

« Dame, Tristan est blessé d’une épée empoisonnée et va mourir. Il vous mande que, seule, vous pouvez lui porter réconfort. Il vous rappelle les grandes peines et les douleurs que vous avez subies ensemble. Gardez cet anneau, il vous le donne. »

Iseut répondit, défaillante :

« Ami, je vous suivrai. Demain, au matin, que votre nef soit prête à l’appareillage. »

Le lendemain, au matin, la reine dit qu’elle voulait chasser au faucon et fit préparer ses chiens et ses oiseaux. Mais le duc Andret, qui toujours la guettait, l’accompagna. Quand ils furent aux champs, non loin du rivage de la mer, un faisan s’enleva. Andret laissa aller un faucon pour le prendre, mais le temps était clair et beau, le faucon s’essora et disparut.

« Voyez, sire Andret, dit la reine, le faucon s’est perché là-bas, au port, sur le mât d’une nef que je ne connaissais pas. À qui est-elle ?

— Dame, fit Andret, c’est la nef de ce marchand de Bretagne qui hier vous fit présent d’un fermail d’or. Allons-y reprendre notre faucon. »

Kaherdin avait jeté une planche, comme un ponceau, de sa nef au rivage. Il vint à la rencontre de la reine :

« Dame, s’il vous plaisait, vous entreriez dans ma nef, et je vous montrerais mes riches marchandises.

— Volontiers, sire », dit la reine.

Elle descend de cheval, va droit à la planche, la traverse, entre dans la nef. Andret veut la suivre, et s’engage sur la planche : mais Kaherdin, debout sur le plat bord, le frappe de son aviron ; Andret trébuche et tombe dans la mer. Il veut se reprendre ; Kaherdin le refrappe à coups d’aviron et le rabat sous les eaux, et crie :

« Meurs, traître ! Voici ton salaire pour tout le mal que tu as fait souffrir à Tristan et à la reine Iseut ! »

Ainsi Dieu vengea les amants des félons qui les avaient tant haïs ! Tous quatre sont morts : Guenelon, Gondoïne, Denoalen, Andret.

L’ancre était relevée, le mât dressé, la voile tendue. Le vent frais du matin bruissait dans les haubans et gonflait les toiles. Hors du port, vers la haute mer toute blanche et lumineuse au loin sous les rais du soleil, la nef s’élança.

À Carhaix, Tristan languit. Il convoite la venue d’Iseut. Rien ne le conforte plus, et, s’il vit encore, c’est qu’il l’attend. Chaque jour, il envoyait, au rivage guetter si la nef revenait, et la couleur de sa voile ; nul autre désir ne lui tenait plus au cœur. Bientôt il se fit porter sur la falaise de Penmarch, et, si longtemps que le soleil se tenait à l’horizon, il regardait au loin la mer.

 

Robert Engels, 1900

Écoutez, seigneurs, une aventure douloureuse, pitoyable à tous ceux qui aiment. Déjà Iseut approchait ; déjà la falaise de Penmarch surgissait au loin, et la nef cinglait plus joyeuse. Un vent d’orage grandit tout à coup, frappe droit contre la voile et fait tourner la nef sur elle-même. Les mariniers courent au lof, et contre leur gré virent vent arrière. Le vent fait rage, les vagues profondes s’émeuvent, l’air s’épaissit en ténèbres, la mer noircit, la pluie s’abat en rafales. Haubans et boulines se rompent, les mariniers baissent la voile et louvoient au gré de l’onde et du vent ; ils avaient, pour leur malheur, oublié de hisser à bord la barque amarrée à la poupe et qui suivait le sillage de la nef. Une vague la brise et l’emporte.

Iseut s’écrie :

« Hélas ! chétive ! Dieu ne veut pas que je vive assez pour voir Tristan, mon ami, une fois encore, une fois seulement ; il veut que je sois noyée en cette mer. Tristan, si je vous avais parlé une fois encore, je me soucierais peu de mourir après. Ami, si je ne viens pas jusqu’à vous, c’est que Dieu ne le veut pas, et c’est ma pire douleur. Ma mort ne m’est rien : puisque Dieu la veut, je l’accepte ; mais, ami, quand vous la saurez, vous mourrez, je le sais bien. Notre amour est de telle guise que vous ne pouvez mourir sans moi, ni moi sans vous. Je vois votre mort devant moi en même temps que la mienne. Hélas ! ami, j’ai failli à mon désir : il était de mourir dans vos bras, d’être ensevelie dans votre cercueil ; mais nous y avons failli. Je vais mourir seule, et sans vous disparaître dans la mer. Peut-être vous ne saurez pas ma mort, vous vivrez encore, attendant toujours que je vienne. Si Dieu le veut, vous guérirez même… ah ! peut-être après moi vous aimerez une autre femme, vous aimerez Iseut aux Blanches Mains ! Je ne sais ce qui sera de vous : pour moi, ami, si je vous savais mort, je ne vivrais guère après. Que Dieu nous accorde, ami, ou que je vous guérisse, ou que nous mourions tous deux d’une même angoisse ! »

Jean Delville (1887)
 

Ainsi gémit la reine, tant que dura la tourmente. Mais après cinq jours, l’orage s’apaisa. Au plus haut du mât Kaherdin hissa joyeusement la voile blanche, afin que Tristan reconnût de plus loin sa couleur. Déjà Kaherdin voit la Bretagne… Hélas ! presque aussitôt le calme suivit la tempête, la mer devint douce et toute plate, le vent cessa de gonfler la voile, et les mariniers louvoyèrent vainement en amont et en aval, en avant et en arrière. Au loin ils apercevaient la côte, mais la tempête avait emporté leur barque en sorte qu’ils ne pouvaient atterrir. À la troisième nuit, Iseut songea qu’elle tenait en son giron la tête d’un grand sanglier qui honnissait sa robe de sang, et connut par là qu’elle ne reverrait pas son ami vivant.

Tristan était trop faible désormais pour veiller encore sur la falaise de Penmarch, et depuis de longs jours, enfermé loin du rivage, il pleurait pour Iseut qui ne venait pas. Dolent et las, il se plaint, soupire, s’agite ; peu s’en faut qu’il ne meure de son désir.

Enfin, le vent fraîchit et la voile blanche apparut. Alors, Iseut aux Blanches Mains se vengea.

Elle vient vers le lit de Tristan et dit :

« Ami, Kaherdin arrive. J’ai vu sa nef en mer : elle avance à grand’peine ; pourtant je l’ai reconnue ; puisse-t-il apporter ce qui doit vous guérir ! »

Tristan tressaille :

« Amie belle, vous êtes sûre que c’est sa nef ? Or, dites-moi comment est la voile.

— Je l’ai bien vue, ils l’ont ouverte et dressée très haut, car ils ont peu de vent. Sachez qu’elle est toute noire. »

Tristan se tourna vers la muraille et dit :

« Je ne puis retenir ma vie plus longtemps. » Il dit trois fois : « Iseut, amie ! » À la quatrième, il rendit l’âme.

Alors, par la maison, pleurèrent les chevaliers, les compagnons de Tristan. Ils l’ôtèrent de son lit, l’étendirent sur un riche tapis et recouvrirent son corps d’un linceul.

Sur la mer, le vent s’était levé et frappait la voile en plein milieu. Il poussa la nef jusqu’à la terre. Iseut la Blonde débarqua. Elle entendit de grandes plaintes par les rues, et les cloches sonner aux moutiers, aux chapelles. Elle demanda aux gens du pays pourquoi ces glas, pourquoi ces pleurs.

La mort - Robert Engels (1900
Un vieillard lui dit :

« Dame, nous avons une grande douleur. Tristan, le franc, le preux, est mort. Il était large aux besogneux, secourable aux souffrants. C’est le pire désastre qui soit jamais tombé sur ce pays. »

Iseut l’entend, elle ne peut dire une parole. Elle monte vers le palais. Elle suit la rue, sa guimpe déliée. Les Bretons s’émerveillaient à la regarder ; jamais ils n’avaient vu femme d’une telle beauté. Qui est-elle ? d’où vient-elle ?

Auprès de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, affolée par le mal qu’elle avait causé, poussait de grands cris sur le cadavre. L’autre Iseut entra et lui dit :

« Dame, relevez-vous et laissez-moi approcher. J’ai plus de droits à le pleurer que vous, croyez-m’en. Je l’ai plus aimé. »

Elle se tourna vers l’orient et pria Dieu. Puis elle découvrit un peu le corps, s’étendit près de lui, tout le long de son ami, lui baisa la bouche et la face, et le serra étroitement : corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend ainsi son âme, elle mourut auprès de lui pour la douleur de son ami.

Tristan und Isolde - Rogelio de Egusquiza (1915)


Quand le roi Marc apprit la mort des amants, il franchit la mer et, venu en Bretagne, fit ouvrer deux cercueils, l’un de calcédoine pour Iseut, l’autre de béryl pour Tristan. Il emporta sur sa nef vers Tintagel leurs corps aimés. Auprès d’une chapelle, à gauche et à droite de l’abside, il les ensevelit en deux tombeaux. Mais, pendant la nuit, de la tombe de Tristan jaillit une ronce verte et feuillue, aux forts rameaux, aux fleurs odorantes, qui, s’élevant par-dessus la chapelle, s’enfonça dans la tombe d’Iseut. Les gens du pays coupèrent la ronce : au lendemain elle renaît, aussi verte, aussi fleurie, aussi vivace, et plonge encore au lit d’Iseut la Blonde. Par trois fois ils voulurent la détruire ; vainement. Enfin, ils rapportèrent la merveille au roi Marc : le roi défendit de couper la ronce désormais.

La tombe de Tristan et Iseut - Edward Burne-Jones (1862)

Seigneurs, les bons trouvères d’antan, Béroul, et Thomas, et monseigneur Eilhart et maître Gottfried, ont conté ce conte pour tous ceux qui aiment, non pour les autres. Ils vous mandent par moi leur salut. Ils saluent ceux qui sont pensifs et ceux qui sont heureux, les mécontents et les désireux, ceux qui sont joyeux et ceux qui sont troublés, tous les amants. Puissent-ils trouver ici consolation contre l’inconstance, contre l’injustice, contre le dépit, contre la peine, contre tous les maux d’amour !

 

 

Bon, vous l’avez compris : je n’aime pas cette histoire. L’amour n’y a aucun sens, il ne porte aucune bonté, il est d’un égoïsme absolu, il détruit tout ce qu’il touche et les manats ne sont jamais heureux. Nous avons la définition, large et circonstanciée de tout ce qu’il peut avoir de toxique. Déjà au collège, quand j'ai dû étudier la version de Beroul, je me suis solidement fait chier. Il fallait que je la trouve noble, édifiante, poignante, je la trouvais juste fausse à mourir.

Oui, je sais, c’est une vieille histoire. Faut comparer des choses comparables, mettre en perspective, gnagnagna. Le verbe est joli et les images bien amenées, et puis toute cette souffrance nous est familière, ça fait moderne... Ben justement, ce n’est pas par hasard : cette histoire est la mère de toutes les histoires, on ne fait que la raconter depuis des siècles. Moi j’m’emmerde. Les mères qu’on enterre dès le début de l’histoire, les maris abusifs et les cocus violents, les femmes trompées, violées, c’est bon, j’ai ma dose. C’est toujours les mêmes traumas rances, parmi tous ceux que l’humain peut vivre, animés par un patriarcat infantile, immature, qui s’accroche à ses nichons-doudous. Je voudrais vivre d'autres émotions, d'autres vies. Changez l’huile, ça pue.

 

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