Informer sans discriminer, Kit à l'usage des rédactions - AJL
C’est sous le lance-flamme d’Océan que j’ai
découvert ce « Kit à l’usage des rédactions » par l’Association
des Journalistes Lesbiennes, Gay, Bi·e·s et Trans (déjà autrice
d’une Charte « Les médias contre l’homophobie ») : elle met les points sur les i dans les articles de presse, qui, à
longueur d’année, mégenrent, humilient et se gaussent des personnes LGBTQI. Des personnes qui, trop souvent,
se retrouvent dans les colonnes de ladite presse après avoir été agressées,
tabassées, voire tuées. L'idée d'un guide des bonnes pratiques journalistiques sur ce sujet a été lancée aux US en 2015, au moment du coming-out de Caitlyn Jenner et des
vagues d’immondices transphobes qui s’étaient alors déversées dans les médias. The Association of the LGBTQ Journalists avait proposé ses propres recommandations pour couvrir cet évènement en respectant l’intéressée : respecter le genre qu’elle s’est assigné,
utiliser les pronoms idoines, cesser de se focaliser sur ses attributs ou ses
préférences sexuelles… bref, la traiter en humaine.
Ci-dessous, le sommaire de ce kit, suivi d’un extrait du
sixième chapitre, « Respecter les personnes trans ».
Le kit à l’usage des rédactions
TRAITER LES THÉMATIQUES LGBT AVEC JUSTESSE
ET DANS LE RESPECT DES PERSONNES
Un kit conçu à l’intention des
journalistes et des professionnel-le-s des médias, disponible en ligne.
- Présentation de l’AJL
- Chapitre 1: Choisir les bons mots: éviter la discrimination, la hiérarchisation des sexualités et l’invisibilisation des personnes LGBT
- Chapitre 2: Le lobby gay et la «théorie du genre»
- Chapitre 3: En finir avec l’invisibilité des lesbiennes
- Chapitre 4: Les représentations stéréotypées des homosexuels masculins
- Chapitre 5: Affirmer l’existence des bisexuel-le-s
- Chapitre 6: Respecter les personnes trans
- Chapitre 7: VIH/Sida, comment en parler?
- Chapitre 8: Les confusions entretenues autour de la PMA
- Chapitre 9: Donner la parole aux personnes intersexes
- Annexes: Éléments de droit par Léa Forestier – Contacts utiles
Respecter les personnes trans
Ce chapitre
du kit « Informer sans discriminer » initialement publié en juin 2014, a été
mis à jour et augmenté le 17 octobre 2019.
Où est le problème ?
Si les
sujets concernant les gays, les lesbiennes et les bisexuel.les sont parfois
truffés de clichés ou d’approximations, que dire de ceux concernant les
personnes trans ! Ces questions sont souvent confondues avec l’homosexualité et
leur traitement journalistique se limite généralement au sensationnalisme
(“Quand Gaston devient Marguerite” avec les inévitables photos avant/après à
l’appui). Ces dernières années, les personnes trans ont obtenu une meilleure
visibilité. Malheureusement, elle s’est souvent faite au prix d’une mauvaise
maîtrise des termes, entre autres problèmes.
En plus
d’être potentiellement blessant pour les personnes trans, le traitement
journalistique contribue souvent à invisibiliser les vraies difficultés :
précarité, fort taux de prévalence au VIH, psychiatrisation, “parcours du ou de
la combattant.e” pour entamer une transition dans les hôpitaux publics,
difficulté à obtenir des papiers en adéquation avec son genre vécu… Sans
compter que les personnes trans sont aussi les victimes régulières de graves
agressions sans qu’aucun média ne s’émeuve vraiment de la fréquence et de la
barbarie de ces violences. L’assassinat de Vanesa Campos, en août 2018, est
l’arbre qui cache la forêt et a surtout occasionné des traitements
problématiques voire indignes (utilisation du masculin et de son ancien prénom,
fétichisation, publication de photos du cadavre…). Quant à l’agression de Julia Boyer, en mars 2019 sur la
place de la République, à Paris, elle ne représente pour l’instant qu’un cas
isolé de traitement respectueux.
Choisir les bons mots !
Utiliser le
bon prénom et les bons pronoms
D’abord,
respectons le genre dans lequel la personne interviewée ou la personne dont on
parle se définit. On parle de “genre vécu”, ce qui signifie, entre autres, de
nommer la personne ou de s’adresser à elle avec le pronom adéquat. Sur le
terrain, demander à la personne que l’on a en face de soi de dire comment elle
souhaite être présentée ou “genrée” permet d’éviter bien des problèmes. Sauf
mention contraire de la personne, on utilisera “il/un” dans le cas d’un homme
trans ; “elle/une” pour une femme trans. Certaines personnes trans se
définissent également comme non binaires. Évidemment, on évite de l’interroger
d’emblée sur une éventuelle “opération” et on ne dévoile pas non plus son
prénom de naissance si elle n’aborde pas le sujet elle-même.
Il convient
ainsi d’utiliser le prénom choisi par la personne : recourir à l’ancien prénom
(“utiliser le dead name” ou “morinommer”) n’apporte aucune information mais
verse dans le sensationnalisme de l’avant/après. Par ailleurs, l’état civil
n’est, en France, bien souvent modifié que des mois voire des années après que
les personnes trans ont socialement changé de prénom. Inutile donc de
l’invoquer comme justification pour utiliser l’ancien.
Dans le cas
d’une personne publique qui annoncerait sa transition, la remise en contexte
nécessite parfois d’utiliser cet ancien prénom : quoi qu’il en soit, il est
important de l’utiliser au minimum et de manière tout à fait secondaire. Le
Monde a trouvé un bon compromis dans son article relatant le coming out de
la championne olympique Sandra Forgues : l’ancien prénom figure dans
le chapô et l’attaque du papier, exclusivement. Il n’est pas mentionné dans le
titre ni dans le reste de l’article.
Même pour
parler du passé, on utilisera le prénom actuel de la personne. Par exemple :
“Sandra Forgues avait remporté la médaille d’or en canoë biplace avec Franck
Adisson.” L’utilisation, dans le cas présent, d’un “masculin passé”
entretiendrait une confusion inutile.
“Transition
de genre”
Tout un tas
d’expressions toutes faites polluent les productions journalistiques qui ont
pour sujet des personnes trans. L’une des plus récurrentes est de parler de
personnes “nées dans le mauvais corps”. Au même titre que chaque personne trans
est différente, chaque manière de vivre sa transition l’est. Être trans ne
signifie pas nécessairement se sentir prisonnier.ère de son corps ou vivre dans
la haine de celui-ci !
Les
personnes trans ne “changent pas de sexe”, pas plus qu’elles ne “deviennent” un
homme ou une femme : elles mettent leur corps en adéquation avec ce qu’elles
sont. Les termes “transformation” ou “se transformer”, qui ne font qu’ajouter
au sensationnalisme, sont à éviter.
D’ailleurs,
toutes les personnes ne souhaitent pas subir d’opérations. Certaines
choisissent de prendre des hormones, d’autres n’en prennent pas. Utilisons donc
“transition de genre”, “changement de genre” ou “confirmation de genre”. Le
verbe “transitionner” peut aussi être utilisé, il l’est largement par les
personnes trans elles-même.
Les
personnes trans ne se déguisent pas
Attention,
le terme “travesti.e” n’est pas synonyme de “trans”. Se travestir, c’est adopter
temporairement les codes vestimentaires et sociaux d’un autre genre. C’est ce
que font les drag queens ou les drag kings, par exemple. Le cas des personnes
trans est très différent : une femme trans est une femme qui a été assignée
garçon à la naissance, un homme trans est un homme qui a été assigné femme à la
naissance.
Orientation
sexuelle ≠ identité de genre
Comme
expliqué plus haut, le genre (être un homme ou une femme, par exemple) et
l’orientation sexuelle sont deux choses différentes. Les personnes trans
peuvent être hétéros, bi.e.s, lesbiennes, gays. Quand la championne olympique
Sandra Forgues a fait son coming out de femme trans, en mars 2018, elle a
régulièrement été interrogée sur le fait qu’elle était jusque-là mariée à une
femme, avec qui elle avait eu des enfants. L’athlète a alors rappelé que toutes
les orientations sexuelles existent chez les personnes trans. Par ailleurs, si
l’AJL recommande aux journalistes de ne pas avoir de tabou et d’interroger
directement les personnes sur leur orientation sexuelle, le faire uniquement
lorsqu’il s’agit de personnes trans peut suggérer un doute sur la sincérité de
leur coming out.
Éviter les
descriptions binaires et stéréotypées
Une
transition n’est pas une opération de chirurgie esthétique. Ce qui compte ce
n’est pas l’apparence plus ou moins féminine/masculine d’une personne mais bien
ce qu’elle vous dit et ce qu’elle vit. Une femme trans n’est pas obligée
d’adopter une apparence jugée “féminine” (jupe, maquillage, etc.) pour être
considérée comme une femme. D’ailleurs, une “vraie femme” ou un “vrai homme”,
ça n’existe pas (et entre nous, ces expressions sont vraiment sexistes). Les
expressions du type “on ne croirait pas qu’il ou elle est trans” ou, à
l’inverse, “on voit bien que c’est un·e trans” sont à bannir. Elles reposent
sur une vision très stéréotypée du genre, sous-entendant que les personnes
trans sont forcément visibles comme telles.
Sur le sujet
des opérations et des traitements hormonaux, bannir aussi les expressions du
type “finir sa transition” ou “aller jusqu’au bout”, qui laissent penser qu’une
personne trans n’ayant subi aucune opération ou ne prenant pas d’hormones n’est
pas “complètement” trans.
La question
du travail du sexe
Le travail
du sexe, par choix ou nécessité, est plus fréquent chez les personnes touchées
par la précarité. Chez les personnes trans, cette précarité est due à la
difficulté rencontrée pour changer d’état civil et, plus globalement, à une
société transphobe. Cela leur ferme la porte de nombreux milieux professionnels,
les empêche de trouver un logement ou de se soigner correctement, par exemple.
Attention aux amalgames, le travail du sexe n’est pas une activité inhérente au
fait d’être trans.
Ne pas
fétichiser les parcours
Depuis
quelques années, il arrive que, dans certaines émissions, des chercheur·se·s en
sciences sociales et autres spécialistes s’extasient devant la détermination
des personnes trans à braver les normes de genre. Les personnes trans ne
cherchent pas forcément toutes à “troubler le genre”, ou à démontrer à quel
point tout cela est subversif au sens théorique du terme, elles cherchent à
vivre leur vie le mieux possible, comme tout le monde. Les personnes concernées
seront les mieux à même de qualifier leur situation.
Priorité aux
témoignages des personnes concernées
Parmi les
nombreux articles et reportages publiés ces dernières années, on en trouve de
nombreux dont le focus est sur les parents, la famille, les entourages. Des
articles et des reportages où le pathos est souvent au premier plan… et, c’est
un paradoxe, les personnes transgenres au second. Il convient d’éviter de
rendre les témoignages des entourages prépondérants dans des sujets sur les
personnes trans. Ces dernières ont déjà suffisamment peu la parole dans
l’espace médiatique. Cela doit globalement être un leitmotiv : priorité aux
témoignages des personnes concernées. Les personnes trans sont les premières
expertes : préférons leurs savoirs et leurs paroles, plutôt que celles de leur
entourage, de psychiatres ou de médecins.
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