Deux jours, une nuit

    

Deux jours, une nuit
Jean-Pierre et Luc Dardenne, 2014, avec Marion Cotillard et Fabrizio Rongione.


Sandra est une jeune femme « fragile », elle sort d’une dépression, dont on ne connaîtra pas l’origine (on s’en fout : cette fille est dépressive, c’est tout), qui l’a longuement empêché de travailler. Alors qu’elle doit justement reprendre le travail, une collègue lui annonce que les ouvriers de sa boîte viennent de voter son licenciement. Ils avaient le choix garder Sandra, ou toucher une prime de 1 000 euros. 14 personnes, sur 16, ont choisi la prime.

Le premier réflexe de Sandra est de s’effondrer, en gobant du Xanax.


Heureusement, vit à ses côtés son indéfectible mari. Indéfectible parce qu’il l’aime, même s’ils n’ont pas fait l’amour depuis 4 mois, et qu’il tiendra le rôle de « tuteur », qui la redresse et la conduit. Sauf que Manu ne peut pas tout faire à la place de Sandra. C’est elle qui va devoir rendre visite aux 14 employés de Solwal, fabriquant de panneaux solaires à l’origine de cette mascarade économique, afin de recueillir leurs voix pour un nouveau vote.

On a reproché au film sa répétition, inévitable : pendant un long moment, Sandra répète son laïus poli et miséricordieux. Si le personnage principal évolue lentement, on assiste au déploiement de la palette de douleurs de la crise sociale.

A priori, il n’y a que des prolos, des gens qui vivent avec l’argent qu’ils ont gagné dans le mois. Ils ont tous une femme, des enfants, une maison. Ils sont égaux, des noirs, des blancs, des beurs. Mais parmi eux, il y a des gens bien et des salauds.

Il y a d’abord ceux qui tiennent à leur prime de 1000 euros, parce que c’est toujours bon à prendre. Certains vont même l’enfoncer un peu plus. Ce sont les antagonistes de Sandra, présentés comme violents et égoïstes, alors qu’ils sont aussi les mieux loties financièrement. La politesse leur fait défaut et leurs manières sont mesquines. Ils invoquent leur irresponsabilité dans le choix proposé et la décision finalement prise, à laquelle ils ont pourtant participé. Ce sont les défenseurs du « travailler plus pour gagner plus » (l’absence de Sandra leur permet de faire des heures supplémentaires).

Parmi les personnages qui choisissent la prime, on rencontre ceux qui ont visiblement besoin de cet argent, vital. Contrairement aux premiers, ils s’excusent auprès de Sandra et n’expriment aucune agressivité.

A l’inverse, il y a ceux qui auraient tout autant besoin de cette prime, mais y renoncent par solidarité pour leur collègue. C’est dans cette nuance de réactions que l’on trouve le personnage d’Anne, qui manque de peu de se ranger dans la première catégorie : avec son mari, ils construisent leur maison, et cet argent leur permettrait de construire leur terrasse. Elle change d’avis à la vue de la réaction, violente, de son mari (c’est aussi le cas d’un père face à la réaction de son fils). Ce personnage est essentiel, car il montre comment l’on passe de la catégorie des salauds à celui des gens bien : elle quitte son mari, fière de prendre enfin une décision par elle-même, et se retrouve logée chez Sandra.

Enfin, il y a ceux qui n’hésitent pas un instant à soutenir la jeune femme, ses véritables amis qu’on ne voit que très peu, la protagoniste étant placée en permanence hors de son étroite zone de confort.

Le film se fait autour des triturations mentales de Sandra qui souffre d’un sentiment d’infériorité, ou plutôt d’inexistence. Aussi a-t-elle le sentiment dégradant de mendier son emploi, et c’est effectivement le sentiment qu’éprouve le spectateur. J’avais trouvé Rosetta très dégradant justement. Il semblerait que Deux jours, une nuit réponde exactement à cette impression : Rosetta, c’est une Sandra qui aurait accepté le marché – dégradant – de son supérieur hiérarchique, qui intervient en conclusion du film. Le reste du temps, on assiste à la liquéfaction de cette jeune femme fragile, broyée par l’inhumanité du milieu économique. Où les victimes deviennent à leur tour des bourreaux. Salauds de pauvres ! Pour s’en tirer, elle doit sortir ses plus belles cojones, mais on se demande où elle va les trouver, vu le vide du personnage, sans force et sans passé (elle fait penser à Ryan Stone, dans Gravity). Le film tend à amener Sandra vers des rivages plus positifs, bien sûr, on la voit s’épanouir un peu grâce aux efforts constants de son homme pour souffler sur les braises qui la tiennent en vie, mais il faut s’apprêter à manger du pathos de dépressive sur une tranche de pain à la farine de crise, assez bien tourné pour vous secouer les tripes.


A 9 euros la place.

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