"Il faut passer ce pont caporal !!"
« Chef, oui chef » !!
(r)éponds-je en cœur. Moi, le demi-grade, je regarde mon Sergent : on
n’est même pas sûrs d’être du même bord. Il me regarde, il doute, lui aussi. On
n’a pas le même uniforme, c’est très évident, et en même temps, c’est pas
complètement idiot comme organisation : c’est lui qui porte les bottes,
moi la culotte, lui le paquetage, moi la paie pour les putes. Parler de
complémentarité pourrait laisser croire que la vie est bien faite, non, on ne
parle pas de complémentarité avec de tels antagonismes, par contre, on a décidé
de tenter le test de l’élasticité dessus. Mettons qu’on ne se retire rien.
Qu’on s’étire, qu’on aille vers l’autre, qu’on passe le pont.
Il en a de bonnes, je me suis dit au
début. « On en avait jusqu’à la ceinture… et le vieux con a dit
d’avancer », je connais !! J’ai fait mes classes ! Mais même là,
la chanson est très claire : on avance, pour le moins, tant que le Sergent
est devant nous. Il faut le faire, pour tous les Sergents qui ne se sont pas
noyés et tous les caporaux qui ont été bien contents de mettre leurs miches au
sec de l’autre côté. Ça s’appelle la cohésion. Parce que la seule bataille
qu’il ne faut pas perdre, c’est la dernière.
Parce qu’entreprendre ne compte pas si
l’on n’aboutit pas.
Le monde est furieux autour, la nuit, on a
tout juste choisit de pas s’enterrer pour y échapper, j’ai donc mis ma culotte
et lui ses bottes, engagez-vous, qu’ils disaient ! hop, on le traverse ce
pont ! Je suis une tête de burnes, il a le sens du galon, on fait une
chaude équipe.
J’ai la même envie que lui : franchir
le pont. On sait que toutes les bouches à feux du coin ont été placées sur le
trajet, sauf que c’est le pont qui nous faut, celui qu’on voulait, celui qui
mène partout dans nos rêves. Quand on ferme les yeux, et qu’on pense à
« vie douce », on pense à ce qui se trouve de l’autre côté. Ah oui,
un détail : on se regarde de « loin ». Chacun d’un côté du pont
évidemment. L’objectif est de se retrouver au milieu, mais pas avant d’avoir
fait le trajet complet, visité le territoire adverse et monté un rapport de
mission circonstancié. Je pense avoir fait mon petit bonhomme de chemin en
terre patriarcale, mode maîtresse de maison, embranchement des bottopodes, avec
rapports de mission tous les deux mois et quelques exemples d’ « héroïsme »
maternel dont franchement je n’aurais jamais souhaité avoir à me vanter.
Et par-dessus tout ça, pendant qu’on borne
nos fronts et qu’on butte nos trognes, poing en avant, faudrait penser à la
démilitarisation.
Sinon, on va se fatiguer.
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