Dépression : il fera moche demain

Un portrait aujourd’hui. J’aime bien les portraits, on se marre bien. Et puis j’adore les sciences à la noix, ma préférée, c’est l’ethnologie. J’ai fait les paresseux, aujourd’hui : les dépressifs.

J’ai eu une adolescence… dépressive. Ça commençait tout juste. Je découvrais la colère, les cris intérieurs, et le désespoir, ce grand vide. Du coup, j’ai pas mal d’expérience dans le domaine, aujourd’hui !

DÉPRESSIF

Définition. adj.qual. (aussi employé comme nom : le dépressif). La meilleure définition me semble être fournie par une étude par  dérivation (préfixe dé-, qui annule, défait ; radical pression ; suffixe –if, qui adjective le radical et exprime un processus) : qui est sujet à un affaissement de la pression. On utilise le mot « dépression », j’imagine, pour exprimer une idée d’effondrement. Un effondrement sur soi, une implosion très, très lente. Une consomption (version dépressive de la combustion, synonyme d’effacement par désintégration, comme évanescence un peu, joli,  non ?)



Mœurs. On voit tout de suite que ça a l’air plus compliqué que ça n’est, enfin, le contraire. Les gens qui ne connaissent pas la dépression pensent que les dépressifs sont juste des gens qui passent plus de temps que les autres à se plaindre. C’est quasiment vrai : la dépression est la manifestation même de la plainte. La position préférée du dépressif est l’assise (ou le fœtus). Son cri : le pleur. Sa stratégie : la passivité. A priori, et fort malheureusement pour lui, le dépressif est indéboulonnable. Il vit dans le noir. Le soleil et l’air pur agressent le dépressif. Il est assis, et là, sur place, il travaille sur lui.

Car le dépressif est un être profond. J’ose dire : insondable. On peut tomber dans un dépressif, comme dans un trou. Le dépressif happe, cette dépression, c’est une porte ouverte un courant d'air, à toutes les questions de la vie, la mort et l’amour dans tout ça ? C’est un puits sans fond, toutefois : le dépressif, pour le moment, n’arrive nulle part.
Parce qu’il s’effondre, le dépressif ne peut quasiment rien pour lui-même, il ne peut pas agir, il s’est coupé les bras et les jambes, il se sent vain, d’office. Pourtant, ce quasiment rien est la seule chance qui lui reste car les autres, proches, familles, société, ne pourront rien pour lui. Au pire, ils entretiendront le dépressif. Au mieux, ils ne feront rien.
Il faut écouter un dépressif (si on en a envie), il faut lui tenir la main et se montrer poli, mais surtout, il ne faut rien faire. Surtout pas. Vous anéantirez la seule chance, le quasiment rien, que le dépressif peut encore faire.

Physiologie. Le dépressif est globalement atone, état qui progresse lentement mais sûrement vers l’asthénie. Un foyer d’énergie monstrueux est détecté uniquement sur l’éminence du sujet. À croire que les rats veulent quitter le navire. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une maladie, ni la conséquence forcée de traumatismes lourds. Je pense qu’il y a des gens qui y sont sujets, surtout. Les facteurs aggravant, disons, sont nombreux. C’est pour cela que je suis convaincue, également, que la dépression ne se soigne pas, surtout pas. Je veux dire, pas avec des molécules qui s’imaginent le faire. On pallie à une dépression, c’est tout. Les antidépresseurs ont des résultats de placebo, avec des effets secondaires, très, très indésirables. 

On croit souvent que c’est une maladie parce qu’il apparaît à la surface du dépressif tout un tas de trucs qui ressemblent furieusement à des symptômes, physiques. Le dépressif tombe souvent malade et il est notoirement hypocondriaque de toute façon. Il somatise plein tube. L’intérieur du dépressif se trouve en fait en surface, il a les tripes à l’air et le cerveau qui déborde, il vomit, se gratte et met tout dehors en permanence. D’où il s’ensuit que la surface est bien cachée, mais aussi que le dépressif a une balance d’énergie négative… Oui, ça devient compliqué. Ça veut juste dire que le dépressif, sous ses dehors d’assiette d’ascète à jeun, se dépense énormément, il a un métabolisme très particulier et en sus, il n’est pas présentable en société, il ne sait pas se tenir ni se comporter. Il n’est pas dans le rythme, possédant et suivant le sien, son visage parle sans qu’il s’en rende compte, ses mots dépassent ses pensées et les gens le trouvent inaccessible. Tout un programme, un jour de grand soir. Si on voulait vraiment que ce soit un syndrome, il faudrait dire que c’est à mi-chemin entre l’autisme et l’état bipolaire. Et là, pour soigner ça, les gens, accrochez-vous. Non, arrêtez : le dépressif est une personne comme tout le monde, avant tout.

Effaçons donc ce préjugé de nos esprits : le dépressif ne fait pas que se plaindre. C’est un individu normal, qui s’affaisse en même temps qu’il se plaint. La pression, mine de rien, c’est ce qui permet de tenir debout. De démarrer le matin, et de pulser toute la journée. On a besoin de pression pour vivre. Elle ne doit pas nous écraser, mais elle ne doit pas s’évaporer non plus, sinon on perd le dépressif. Il faut être tout particulièrement exigeant avec un dépressif (si vous en avez envie). Pour pas tomber dedans, d’abord, et pour lui rendre service, à la limite. Faites comme d’habitude, comme vous feriez avec n’importe qui d’autre, comme pour quelqu’un qui compte pour vous si c’est le cas. Vous le mettrez au supplice : quôa, tu exiges l’impossible, à môa ? Affreux. Le dépressif régresse, car il n’évolue plus. Tant que le dépressif rengaine un « dans quel état j’eeeeeeerre », ce qui peut durer des années et des années, la situation se fait de plus en plus dramatique.

Le modèle physiologique du dépressif est le vase clos. C’est un circuit qui se mord la queue en se prenant la tête, sans rein, sans foie, sans filtre. Le dépressif s’empoisonne.

On sait aujourd’hui ce qui soigne les dépressifs, mais ça, personne ne peut lui accorder et comme je disais, il y est quasiment allergique : l’air pur. La liberté.

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