Kitchike – Louis-Karl Picard-Sioui
C’est un joli petit livre, paru initialement aux éditions Hannenorak sous le titre Chroniques de Kitchike : la grande débarque en 2017. Son auteur, Louis-Karl Picard-Sioui en a fait à la fois un éclat de rire et un cri d’amour, pétri de réalisme et de magie, à la culture des grands dépossédés d’Amérique du Nord, ceux qu’on appelle les « Natifs », les « Indigènes », le « peuple premier ». Les colonisés du Canada. Il vous invite à passer quelques jours dans la vie d’une réserve fictive, Kitchike, au plus proche de ses habitantEs : littéralement dans leur église, leur canapé, dans leur tête. Rêves ontologiques compris.
Extraits, lectures, si tu tombes pas en amour asteure, ça n'a pas d'bon sens !
« Oh ! pardon ! J’suis pas politically correct. Maintenant, on doit dire « territoire de ma Première Nation ». J’sais pas c’est qui le cave qui a remplacé le mot « réserve » par « Première Nation ». Parce que d’une part, une nation, c’est pas un territoire, c’est un peuple. Pis une communauté c’est pas un peuple à elle seule. Asteure, y’a autant de nations que de villages. Pis en plus, elles sont toutes « premières », pour être sûr de pas froisser personne en les numérotant, comme les vieux traités que les autorités britanniques nous ont rentrés dans le derrière – sans lubrifiant – les uns après les autres.
Pas nous, évidemment. Pas Kitchike. Nous, on n’a pas eu droit aux numéros, parce qu’on se faisait déjà fourrer par les Français. Pis quatre cents ans plus tard, on a encore leur baguette au fond de la gorge pendant que les British nous baisent de l’autre bord. Ça c’est nous. Kitchike, MILF du plus grand gang bang colonial que la terre ait porté. Pas pour rien qu’on n’ose pas riposter, qu’on se laisse soudoyer par n’importe quelle mascotte au poing de fer qui s’présente aux élections. »
La langue de Picard-Sioui est incroyablement délicieuse. Les éditions Dépaysages ayant pris le parti de rester au plus proche du verbe québécois, vous marcherez pendant quelques heures dans les godasses de chimères vivantes, des personnages truculents dont vous tomberez inévitablement amoureux, toustes, sans exceptions. Ils sont tristes, briséEs, humiliéEs, endeuilléEs mais trainent avec elleux le poids d’une vie qui n’a pas dit son dernier mot, qui explose à chaque détour de phrase. Leurs émotions (j’ai presque envie de dire leur « taux vibratoire ») sont palpables au gré d’une syntaxe inventive et toujours surprenante, par une association de mots et d’images qui parvient à se faire rencontrer en un seul point tout ce que vous pouvez savoir d’elleux. À chaque seconde, vous êtes à la surface de leur peau. Oui, c’est un peu magique.
Ils s’appellent Roméo Cœur-Brisé, Jean-Paul Paul Jean-Pierre, Albin, Saint-Ours ou Ja-que-li-ne et prêtent leurs yeux, leurs voix à cette œuvre chorale. Aussi doux qu’amères, aussi cyniques que poètes, justes jusqu’à la dernière virgule, ielles multiplient les points de vue sur le même événement qui prend son temps pour arriver : l’incroyable se produit sur Kitchike, une réserve coulée dans le béton et le mépris des colons, dans un automne (j’ai eu l’impression d’être en automne ?) sans fin, étouffant et borné. Tout ça, la mascarade sociale, économique et culturelle qui les lient toustes dans l’amnésie d’elleux-même, va se casser la gueule, enfin. Ils sont complices, ils sont victimes, vous pensez que ça va être compliqué de rendre sa part au diable ? Impossible n’est pas Picard-Sioui, et les comptes seront bien tenus, promis.
Vous traverserez des forêts dans la peau d’un chamane, gravirez des collines sur les pas d’un ancien curé épuisé, vous jouerez les coudes dans le repère du stupre qu’est le Halloway, en bandant assez fort quand même et vous vous demanderez comme tout le monde : QUI a volé la statue de Sainte Kateri ? Dans une langue qui cache et qui montre, on tait avec pudeur la mort de Diane et on s’esclaffe bruyamment sur ce qu’est capable de faire une échalote à la vessie sensible comme Noé. Au bout de ces situations improbables foutrement réelles, on fera la rencontre de Teandishru’ et Yawendara qui ouvriront à elleux-deux les portes du fantastiques pour le plus grand bien de celles et ceux qui resteront sur terre. C’est d’ailleurs là que l’ouvrage croise notre monde et t’interpelle, lecteurice :
« L’esprit de Teandishru’ s’affola un instant, tentant de saisir toute la portée des propos de Yawendara. S’il suivait sa logique, si on pouvait trouver une quelconque logique dans ses propos, alors il ne serait qu’une espèce de Malamek ? Et Kitchike, un autre Kinogamish ? Comme dans Wulustek, de Jeniss, ou Mesnak, de Sioui Durand. Son monde entier ne serait que le simple résultat d’un procédé d’essentialisation utilisé pour aborder la situation générale des peuples autochtones dans une fiction dramatique ? »
Bienvenue à Kitchike - Spectacle littéraire chorale avec Jocelyn Sioui, Louis-Karl Picard-Sioui (à gauche), Sylvie Nicolas et Catherine Simard. |
Louis-Karl Picard-Sioui est membre du clan du Loup du peuple Wendat, où il est né et vit toujours. Poète, dramaturge, performeur (et même commissaire aux arts visuels du Musée Huron-Wendat), il fait vivre la culture littéraire des peuples indiens avec un éclat et une générosité que tu ferais bien d’aller chercher, c’est 100% d’humanité, de rage et d’espoir dans tes veines.
Ah, là : Gaz Bar, oké ;)
RépondreSupprimerToujours les maux pour rire...
Quant à ma position sur l'écriture inclusive, t'as qu'à voir, tant qu'à lire...
http://niak65poletique.canalblog.com/archives/2023/04/05/39869189.html
"Quand j'aime une fois..." comme disait l'autre (dis-moi juste que c'est pô Lalanne ! 😱)
Hey l'ami, le bonjour ! Ta position l'est toute croche, je ne vois qu'un très mauvais usage de l'écriture inclusive... Si cette professeure est professeure, alors ça s'écrit professeure, tout bêtement. Le point médian ne s'utilise pas dans ce cas puisque l'on connait le genre de la personne (tu l'appelles mademoiselle) (soit dit en passant, mademoiselle, ça ne se fait plus, mais je te laisse déjà digérer cette affaire de point médian).
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