Apocalypse was yesterday
"Armageddon was yesterday.
Today we have a serious problem"
Lisbeth / Millénium
Je trouve que l’Apocalypse, c’est un sujet vachement moderne, drôlement d’actualité même.
J’irai jusqu’à dire : intime.
C’est carrément le fonds de commerce de ma spiritualité depuis des années.
Tintin et l'étoile mystérieuse - Hergé (1942) |
Quand on y pense, tout le monde a un rapport obligé avec l’apocalypse, cet instant où le ciel s’éteint. Ça s’appelle mourir. Nous vivrons tous une apocalypse personnelle, c’est la chose la plus sûre du monde. C’est peut-être même la seule chose sûre du monde : tout a une fin, rien n'est éternel. C’est valable à l’échelle de l’humanité, de notre planète, de notre galaxie etc.
Alors pourquoi tu passes pour une folle quand tu parles d’Apocalypse ?
Mad Max Fury road - George Miller (2015) |
Ben, déjà un peu parce que c’est ce dénommé Jean qui nous en a parlé dans ce bouquin quand même particulier qu’est la Bible. Et puis parce qu'on nous la prédit à peu près tous les ans cette fin du monde et qu'on est toujours là , ça participe pas mal à notre incrédulité. On pense à ce fou drapé d’une toge qui tape sur un gong en annonçant la fin du monde dans L'étoile mystérieuse, à Mad Max, ou à Bruce Willis dans Armaggedon, aux cavaliers noirs de Tolkien ou aux astronautes de Nolan… bref, ça a beau être logique ou plausible, les sources fiables manquent. À moins de les comparer à des choses plus réelles, moins hypothétiques. On pense à du grand spectacle en HD ou bien à des choses très, très, très désagréables qu’on n'a pas envie d’envisager sérieusement (je parle de guerre, hein, cette version plus ou moins locale et portative de l'apocalypse).
"Donald Trump a lancé des menaces apocalyptiques contre la Corée du Nord en raison de ses ambitions militaires, lui promettant le « feu et la colère »." Source : lemonde.fr
Soit dit en passant, on peut s'interroger sur les motivations des physiciens atomistes de l'Université de Chicago, qui tiennent les aiguilles de l'Horloge de la Fin du Monde depuis 1947 via leur petit Bulletin... et qui annonce la fin du monde dans deux minutes et demi depuis ce 26 janvier 2017.
Qui se divertirait en imaginant ce qui se passerait vraiment si la fin du monde arrivait, là ? Ça consiste "juste" à imaginer le pire, finalement. Le pire du pire. Le monde réel quoi, dans son infinie cruauté. Je veux dire que ce sont déjà produits des événements qui ressemblaient beaucoup à l'idée qu'on se fait de l'apocalypse. C'est le miroir de notre angoisse d'êtres violents. C'est la peur de nous-mêmes, de la dureté de l'existence, de la cruauté des sociétés que nous bâtissons. On se promet toujours le pire, parce qu'on en est vraiment capables. Bien sûr, notre condition humaine est violente, la mort est un mécanisme de la vie et ça fait mal un tremblement de terre alors qu'on y est pour rien. Mais vous trouvez pas qu'on en ajoute un peu ?
Hiroshima, 1945 |
AP Photo/ Manu Brabo, Syrie 2017 |
Wasteland - Fall Out New Vegas (2010) |
Le livre d'Eli - Albert et Allen Hughes (2010) |
Mad Max ! Armaggedon ! Pardon, mais la Syrie, ça ne suffit pas ? Hiroshima, ça ne suffit pas ? Pourquoi aller chercher si loin dans le temps et dans l’espace les causes de notre fin ? Toutes les conditions ne sont-elles pas réunies ? Les humains ont peur que le ciel leur tombe sur la tête par fureur divine depuis longtemps, mais ça ne les a pas rendus plus sages et il semble que nous soyons désormais capables de concrétiser nous-mêmes cette potentialité. Par la bêtise et la cupidité, réellement, les humains détruisent la planète et mettent en péril leur survie.
Apocalypse now - Francis Ford Coppola (1979) |
Peu importe son imminence, j’ai envie de dire, l’Apocalypse est déjà réalisée, c’est le bain dans lequel nous sommes nés. On a droit à des petits morceaux d’apocalypse tous les jours à 20 heures. Comme dans le texte de Jean, l’Apocalypse n’est pas une méga-catastrophe (facile) qui détruit TOUT (impossible) en un instant, c’est une méta-catastrophe lente, punitive et sé-lec-tive on vous dit. C’est comme ça qu’on ne la voit pas, qu’on ne se sent pas concerné ou pis, qu’on s’imagine être « du bon côté ». C’est un événement purement humain dans l’Histoire de l’Humanité, c’est son entropie naturelle, sa tendance à la désagrégation qui arrivera forcément à un point de tension insoutenable.
Comment donc ? D’un coup d’un seul, Dieu nous foudroie, avec ses gros yeux et son index accusateur ? Ou bien la Terre s’éventre et le ciel s’effondre de manière tout à fait naturelle ? Ou alors c’est la centrale du Bugey qui pète ?
Calme-toi, dieu n’a pas d’index, laisse-le en dehors de tout ça. Tu sais, il ne faut pas croire tout ce qui est écrit dans la Bible. Parfaitement, la Terre, le Ciel et la centrale du Bugey, c’est suffisant pour mitonner une fin du monde. Ça nous arrangerait bien que ce gros caillou nous retombe dessus, ça, ça arrive tous les jours dans le Cosmos et ça n’a rien à voir avec l’Apocalypse. Non, les périls qui nous menacent le plus sûrement sont anthropiques : il s'agit du dérèglement du climat et de l'usage du nucléaire, puis de l'épuisement des ressources. La seule Apocalypse qui vaille, c’est celle qu’on peut vivre. L’Apocalypse, c’est un état qui dure longtemps. Ça fait pas Boum (même si elle est ponctuée de moments subis et désagréables qui font boum), ça fait pshiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit, c’est une longue agonie. C’est l’atmosphère qui devient irrespirable, c’est le permafrost qui fond, c’est le soleil qui brûle. C’est l’eau qui manque et la guerre qui éclate. Ce sont les humains qui finissent par s’entretuer dans un monde saccagé. Voilà voilà.
Bienvenue, donc, en Apocalypse. Nous sommes la dernière génération, ou l’avant-dernière, quelle importance ? et c’est une question qui m’habite au quotidien. Non, ça ne m’empêche pas de vivre, au contraire, ça me guide. Je réponds aujourd’hui à cette question dont vous remettez l’examen à plus tard (quand au juste ?) : et si c’était la fin de ton monde, qu’est-ce que tu ferais ?
Des tas de gens ont déjà répondu à cette question. Avec les films, sagas, bouquins, SF ou fantasy, dont nous avons déjà parlé et bien d’autres encore, tu as à ta disposition toute une série de « vues d’artistes » de l’Apocalypse. Si tu préfères les données mathématiques, les prélèvements atmosphériques et les statistiques géo-politiques, tu lis le dernier rapport du GIEC. Si tu fais les deux, tu verras, ça se recoupe pas trop mal.
C’est assez flippant. Pour l’instant, ici et maintenant, c’est assez indolore, c’est facile de boire, manger et assurer ma sécurité convenablement, mais je sais, quelque part (en fait « autre part », comme le Yemen mettons), que ça pourrait être très différent. J’ai même des images relatives à ces difficultés qui deviennent incontournables en période de crise humanitaire. J’ai vu le supplice syrien, comme toi, sur mon écran. Ceux qu'on appelle les gros cons, fafs, pychopathes forcenés ou fanatiques en période de paix prennent un fusil et commencent à faire la loi, décomplexés (je précise que 900 millions d'armes de poing traînent un peu partout dans le monde). Les autres fuient, en grands groupes. Il devient compliqué, voir impossible de manger et de boire de l'eau propre. C'est comme ça que ça se passe partout, tout le temps, dès que ça sent le roussi parmi les humains. Pas d’effets spéciaux, pas de mouvements organisés par des héros, pas de canot / fusée de sauvetage insubmersible qui t’emmène vers la terre promise. Bref, mon esprit tordu sait dans quel enfer il pourrait vivre. Et donc, j’en rêve parfois.
Dans mes rêves, j’ai ressenti dans mes tripes la peur de tout perdre. J’ai fui ma maison en emportant ma fille sous mon bras, en lui bâillonnant la bouche pour qu’elle ne pleure pas. J’ai couru dans les bois à m’en faire péter les poumons, j’ai été pourchassée. J’ai perdu ma fille. Des tas de fois. Il n’y avait jamais d’ennemis, c’était toujours les voisins, les gens d’ici. Des hommes avec des armes, peu importe leur bord. Ce sont des rêves sans paroles, incroyablement chargés en tension, en silence, en tristesse, en solitude. Je marche, je me déplace. Je cours beaucoup.
Je n’ai été élevée dans aucun millénarisme, j’ai grandi dans un certain confort et j’ai compris plutôt tard à quel point mon pays était un colon. On n’avait pas la télé à la maison, alors je me demande d’où me viennent ces rêves. D’une angoisse profonde, sans aucun doute. C’est « drôle », mais les premiers textes sérieux que j’ai écrit (sur une vieille machine à écrire), c’était un journal de la guerre des Balkans, en 1995 : je lisais Libération et le Monde et ensuite je revomissais tout sur une feuille blanche. C’était affreux.
Quand on est enfant, on n’a pas peur de la mort, celle de sa mère, à la limite, mais pas la nôtre. Ça arrive vers l’adolescence, quand on comprend des trucs. C’est l’âge où on prend des vraies claques de la vie aussi, si on n’en a pas eu avant. Et après, ça n’arrête plus. À partir du moment où j’ai eu l’âge d’avoir peur de mourir, j’ai eu plus peur encore de la violence de la vie, celle que les humains, les hommes en particulier, pouvaient s’infliger entre eux, aux femmes en particulier. Je trouve ça infiniment plus flippant. C’est un abîme pour moi, une terreur quotidienne. Ça a été super dur de devenir « grande ». C’est pour ça que je vis en Apocalypse depuis si longtemps, parce qu’elle n’est pas divine ; elle est putainement humaine. C’est pas pour demain, j’ai les deux pieds dedans.
C’est clair. Faut arrêter de se masturber les neurones avec dieu, c’est LE concept pour éviter de se confronter à ses responsabilités. Limiter sa réflexion à des textes poussiéreux, c’est comme manger du vomi, un truc que d’autres ont digéré avant vous. C'est nier que le temps avance, que la vie évolue et que l'univers change à chaque seconde. C'est pas de la tradition qu'il nous faut, c'est de la mémoire...
Alors, il faut lire l’Apocalypse ! Tout comme il faut lire le reste de la Bible, le Coran, le journal, regarder Mad Max et reconnaître les génocides que les pensées humaines ont autorisés. Il est absolument vital de savoir ce que nos frères humains ont fait, dit, pensé et écrit avant nous, mais il est tout aussi absolument vital de ne pas s’y arrêter : ce qui nous sauvera tous n’a pas encore été inventé.
Peut-être qu'on devrait arrêter de se demander ce que l'on ferait si la fin du monde arrivait, pour se demander ce qu'on pourrait faire pour l'éviter.
Peut-être qu'on devrait arrêter de se demander ce que l'on ferait si la fin du monde arrivait, pour se demander ce qu'on pourrait faire pour l'éviter.
À un moment il y en a marre de manger du vomi. Ras-le-bol. Maintenant je veux du pain du jour. Chaque jour.
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