Bain


200 – 44 – 60.

Ce sont les mensurations, respectivement en litres, degrés Celsius et minutes, que devrait réunir toute baignoire contenant de l’eau pour réclamer le titre de Bain.

Et ce n’est pas tout. Pour faire les choses vraiment correctement, il faut y diluer 100gr de gros sel, quelques gouttes d’huile d’oranger doux, avant d’y plonger une Volu. Un Bain qui ne réunirait pas ces conditions n’est pas un Bain, et ne vaut même pas la peine d’être pris.


La température doit être atteinte avec prudence, en partant des températures supérieures. En général, je vide ce que le cumul contient d’eau chaude, puis je verse l’eau froide. Ma main étant rompue à l’exercice depuis trop longtemps, c’est mon pied qui m’annonce la couleur : rouge. Chouette, je vais cuire.

Mais attention ! C’est très mauvais, je parle en connaisseuse. Inutile de souligner les litres nécessaires à l’opération, de quoi se faire pis que pendre par les temps qui courent. Pour votre peau, un cauchemar : déshydratation, perte d’élasticité, ramollissement à l’état de raisin sec. Pour votre cœur : il paraît que ce genre d’orgie hydro-calorique double le risque de connaître la douloureuse expérience de l’infarctus avant quarante ans. Et c’est pas des blagues. Je trouve étrange que les magazines féminins, pourtant prompts à combattre les inconvénients du Bain ci-dessus cités, ne le déconseillent pas plus régulièrement.

Ce qui va quelque peu me gâcher le plaisir de l'apologie que je vais en faire, mais bon. Hop !

Chaud, donc, très chaud. Quand Graindorge barbote dans ce jus à la température de son corps, je ne peux m’empêcher d’éprouver de la pitié, et un certain écœurement quand je l’y rejoins. J’adore me calfeutrer dans la salle de bain remplie de vapeurs fruitées – les murs en perlent -, allumer quelques bougies, éteindre les lumières, et me faire fondre, à petits morceaux dans ce grand bol d’eau chaude (attention, à ce propos : la minutie m’interdit de ne pas vous mettre en garde sur le fait que, en dépit du théorème d’Archimède, tout corps plongé dans de l’eau chaude la refroidit, prenez les mesures qui s’imposent).

Je rentre dans le Bain, ferme minutieusement les rideaux, et me mets lentement à genoux. La chaleur s’empare de mes cuisses, de mon entre-jambe, de mon ventre, et là je m’arrête. J’attends un peu en remuant les bras à la surface de l’eau, je sens sa chaleur venir me fouetter. Je me caresse le jarret, détends mes petits muscles, et là, je m’étends en arrière, et mon dos et ma nuque se retrouvent immergés dans ce lac de volupté. La moindre parcelle de mon corps, jusqu’au cou, est calfeutrée dans cette chaleur, et au-dessus de mon cou, une brume chaude qui me saisit les joues.

Après quelques minutes de cette torpeur immobile, je me mets à suinter...

Cela commence au sommet de mon individu, sous les cheveux, puis près des oreilles... de grosses gouttes perlent jusque sur ma nuque, d’autres dévalent mon front, pour se perdre et se disperser dans mes sourcils, ou déferler sur l’arête de mon nez. Puis mon front, mon menton, et mon torse, émergé jusqu’aux tétons, se mettent à excréter des gouttes larges er rondes. Parfois, ces gouttes, s’incrémentant les unes aux autres, cèdent et coulent en un filet, qui se perd dans les 200 autres litres qui se trouvent là, ou meurent dans le creux de mes deux lèvres réunies, y déposant leur saveur saline.

J’aime.

Ensuite, les pores dilatés comme il faut (chose quasi invraisemblable chez moi, ayant la peau aussi sèche et fine que du papier à cigarette, et douce, douce....), je me plonge brutalement dans l’eau, toujours sur le dos, de façon à ce que la seule partie de moi à l’air libre soit mon visage.

Des bulles d’air en farandoles cherchent leur chemin entre mes cheveux, me caressant le cuir chevelu, sensation à la fois infime et dynamisante (quoique cela marche beaucoup mieux avec des cheveux longs, la quantité d’air emprisonné est alors plus important). Quand elles ont apparemment toutes trouvé leurs routes, je secoue ma petite crinière, et des dizaines encore tentent de s’échapper.

Après un quart d’heure, je ne sens plus l’odeur des huiles (Ylang Ylang, pour la peau et l’odeur, Basilic et Oranger doux pour la détente), non pas qu’il n’y en aie plus, mais mon odorat a décliné sa responsabilité de sentir ce qui se trouve dans l’air. Probablement que mes neurones en ont eu assez. Dans cette position, je peux regarder à loisir mon corps allongé et déformé par l’épaisseur d’eau. Je suis terriblement pâle, surtout sur ce fond bleu marine (la salle de bain a été entièrement habillée de carrelages en camaïeu de bleu, avec des joncs ici et là, et la sensation d’être sous l’eau est saisissante).

Paradoxalement, c’est après un certain laps de temps que la chaleur devient insupportable, signe que la température de cuisson a été atteinte. Pour contrecarrer ce calamiteux destin, je sors mes bras, que je mets derrière ma tête, puis mes pieds, que je pose, les jambes écartées et à demi sorties de l’eau, sur un rebord de la baignoire. Mes membres fument en volutes cendrées et bulleuses. Miam ! Je joue avec mes pieds sur le carrelage tiède et luisant d’eau. Je fais des empreintes, des dessins, des pâtés. Je chante, histoire de me ventiler (chaleur tournante, meilleur moyen de cuisson – paraît-il), et de cuire harmonieusement.

Une demi-heure plus tard, je regarde mes doigts : tout ratatinés. C’est le moment de sortir.

C’est le moment de lever la bonde, dans un gargouillis, et passer à l’astiquage réglementaire. Le gant savonneux te me vous réveille l’épiderme ! Je me lève (ça tououourne), la sieste est terminée !

Et là, paf, le coup du lapin, mais dans les yeux. Il faut s’asseoir, splatch ! quand on voit tout blanc. Je me laisse aspirer par l’eau qui s’écoule, lourde, sur mon corps qui se couche complètement au fond de la baignoire. Les bulles de la mousse, qui se déposent sur ma peau au fur et à mesure que le niveau diminue et les échoue là, pètent en un mirmillement de prouts de fées. Trop chouette. Je sens mon dos contre le fond de la baignoire, être happé comme une ventouse, et mes vertèbres se déposer une à une contre cette surface dure.

Lorsque je me retrouve à gésir sur le fond, avec plus qu’un peu d’eau entre les reins et la raie des fesses, et une flaque dans la cavité de mon plexus, après presqu’une heure à ramollir dans cette apesanteur torpide, je me sens lourde. Très lourde.

Me lever est un défi qui me semble idiot de relever avant plusieurs minutes. Lorsque je me lève, je sens mes os rouler contre la baignoire. La gueule de bois, quasi, la tête qui tourne, et tout.

Je me rince à l’eau tiède, puis froide, un peu parce que c’est plus tonique et meilleur pour la santé de l’épiderme, et beaucoup parce que c’est tout ce qui reste dans le cumul après avoir fait couler mon bain, et j’ai oublié de le mettre en route avant de m’immerger. Oups.

Voilà, pantelante, ruisselante, exténuée, je sors du Bain, et le temps de m’emparer d’une serviette que j’étends sur le lit, je m’affale de tout mon long, et fini de reposer, fumante et parfumée.

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