La tétée de 4h25
La boîte à bruit, sur la table de nuit, passe du vert au rouge et diffuse les petits cris de la petite Chicorée. Pourquoi est-ce que je m’obstine à garder ce truc allumé à côté de moi, puisque la chambre de bébé étant juste à côté de la nôtre, je l’entends aussi bien sans ? Probablement la peur d’être « une mauvaise mère » et de ne pas me réveiller à ses cris. Notez que bien fatiguée, baby-phone ou pas, je dors. C’est déjà arrivé... et le lendemain matin, elle était toujours là, bien vivante et toujours aussi reconnaissante de me voir... Enfin, cette fois, il en va de ma production lactée...
Ça pique forcément les yeux de se lever à cette heure, d’autant plus que ça tend à devenir rare et que je me couche de moins en moins tôt. Je sais même quand ça arrive : quand, en pleine phase de croissance (donc toute les 3 semaines environ), elle a tété comme une forcenée la veille et s’est couchée plus tôt que d’habitude.
Ça commence par un jeu de lumières.
J’allume la table de chevet, me lève. J’enfile un pantalon, mon peignoir. Je passe dans le couloir, en allume la lumière, revient dans la chambre, éteins la table de chevet, pour ne pas réveiller le Poilu. Je retourne dans le couloir, ouvre la porte de la chambre, allume la petite loupiotte près de sa table à langer. Elle m’a entendue et cesse de pousser ses petits gémissements, même pas des pleurs. Je me dirige vers le salon, allume la petite lampe en sel dont la lumière est si faible, si douce. Je reviens à nouveau dans le couloir, éteins la lumière, pour ne pas l’éblouir.
Enfin, je vais la chercher.
Elle est là, elle m’attend, avec ses grands yeux noirs, grands ouverts. Quand je la prends dans mes bras, l’impatience prend le dessus et elle se remet à pousser des petits... petits quoi ? Pas des pleurs, pas tout à fait gémissements, plutôt des « hiin hiin ».
De retour dans le salon, nous nous installons, là aussi : un rituel.
D’abord, j’ai mon canapé qui va bien, celui qui a une couverture en laine jetée dessus et qui me tient chaud au dos et aux jambes. Je m’y assois en tailleur, je la pose sur mon avant-bras et mon peignoir a juste la bonne épaisseur pour que, son ventre contre le mien, sa tête vienne juste contre mon sein. Je l’installe au sein gauche cette nuit, celui qui a servi en dernier à la précédente tétée.
Et le repas commence.
Elle commence par téter goulûment. Une main sous mon sein, l’autre qui se balade sur ma poitrine, qui me caresse, me griffe un peu. Ses yeux sont plantés dans les miens, les tétées, c’est un peu des discussions. Elle suce d’abord avec force, respirant bruyamment entre deux déglutitions. Suce, avale, respire. Soupire. Elle boit, boit, boit. Puis, quand la quantité de lait diminuant, le débit devient plus faible, elle n’avale plus qu’une fois sur deux, puis une fois sur trois, sur cinq, et enfin, elle commence à s’agiter, tire sur le téton, donne des coups de tête, s’impatiente, repousse des petits « hiiin ».
Je la relève alors, délicatement et la met au sein droit. C’est fou ce qu’on peut mettre là-dedans.
Quand on change de sein, tout change. Elle reprend la tétée, mais moins fort, ses yeux divaguent un peu, se ferment lentement, roulent, partent à la retourne, reviennent. Elle soupire de plaisir, de plus en plus, les goulées sont plus lentes, plus profondes. Elle s’arrête de temps en temps pour laisser passer un rot, celui qui permet d’en mettre un peu plus dans la bedaine. Puis ses yeux se ferment, ses goulées s’espacent, ralentissent de plus en plus, et enfin, s’arrêtent. Soupir.
J’attends un peu, puis la relève. Là, c’est trop drôle : elle a la tête de l’ivrogne qui vient de finir sa tournée des bars et commence la phase de cuvage, la trogne toute rouge, les yeux hébétés, la bouche qui bave un peu. KO la fille.
Je la redresse, tout contre moi, pour le rot de rigueur. Elle s’affale, enfouit sa tête dans mon peignoir, coince sa mimine entre mes deux seins, s’endort. Rote. J’attends encore un peu. Je la caresse avec ma joue, j’embrasse ses cheveux, elle sent tellement bon. On se caresse comme ça, un peu, puis je vais la recoucher. Si elle a suffisamment bu, on n’est pas près de l’entendre avant une demi-douzaine d’heures.
Il est 4h45, je me recouche.
Pourquoi je vous raconte ça ? Pas pour vous donner un mode d’emploi, même si ça peut paraître un peu technique, tout ça. Non, parce que ces expériences, charnelles, ces discussions silencieuses que nous avons dans ces moments-là, comme seules au monde dans le grand silence, sont les plus beaux moments que j’ai jamais vécus. C’est de la douceur à l’état pur, un moment de volupté sans bornes et surtout, partagé.
J’adore allaiter. C’est au-delà de tout ce que j’avais imaginé. Oh, toutes les tétées ne me procurent pas cette sensation, certaines sont fatigantes, on aimerait bien abréger un peu, voire y couper. Mais celle de 4h25, c’est bien la meilleure. Je souhaite à toutes les mères de connaître ces moments où l'on partage plus que des protéines et des anticorps. On fait connaissance, doucement.
MOTHER POWER !!
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