Naissance




Le soleil du 24 janvier n’était pas encore levé, que Lola, fille de Volu et de Poilu, voyait le jour.

Ses yeux sont des mines d’anthracite, ses oreilles deux coquillages, son nez un mont de douceur, sa bouche une œuvre d’orfèvre... Sa coiffe de punk, son poids minimaliste, son appétit gargantuesque et sa voix puissante en ont bouleversé plus d’un !

Sans plus attendre, je vous présente la merveille que Volu gardait en son sein (et qu’elle nourrit selon le même mode) : Lola !




Ce matin, mercredi 23 janvier, je me réveille toute chose. J’ai le ventre qui travaille. Ça tombe bien, aujourd’hui, c’est visite à l’hôpital. Je chausse ma MimiCracra, et je m’en vais par monts et par vaux vers le monde blanc et aseptisé de l’hôpital Philippe le Machin...

Je n’apprécie pas particulièrement mon gynéco, déjà, c’est un homme, ce qui me parait être une tare insurmontable pour ce métier. A sa façon de vous sonder de l’index et du majeur, on sent qu’il n’a pas d’utérus, lui. Je lui explique que j’ai mal aux reins et le ventre bizarre... il me met sous monitoring... verdict : rentrez chez vous, les contractions ne sont pas régulières. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’elles ne le seront jamais ! Je rechausse ma Mimi mais le temps de passer à la Poste, la banque et le toutim, c’est intenable, les reins, les reins ! A mi-chemin, je n’y tiens plus, je fais demi-tour, et retourne à l’hosto. Même verdict, rentrez chez vous !

Ben non, chez moi, c’est trop loin, je pourrais jamais conduire jusque là... je chope l’option « meilleure pote », qui habite sur place, parce que moi, je sais que c’est pour bientôt...

Je me gare en chiasse, et claudique jusque chez elle. Je mange un bout, appelle mon mari, qu’il vienne me chercher, pas question de reprendre le volant. C’est en repartant que les choses se confirment, je n’ai pas fait 20 pas dans la rue, que je me déverse un bon litre de liquide amniotique sur les genoux. Cette fois, ils ne pourront pas me mettre dehors.

Il est 17h. C’est là que commence la longue, longue attente de l’heureux événement... on me sonde, on écoute son cœur, on teste mes contractions, toujours pas régulières, soi-disant... Enfin, on me trouve une chambre, et l’attente recommence... dans le lit d’à côté, une femme attend qu’on déclenche son accouchement : bébé est trop gros pour qu’on attende le terme. Elle va quand même attendre longtemps, apparemment, la maternité connaît un de ces rares jours de grande affluence, et aucune salle d’accouchement n’est disponible pour elle.

On me file un gros ballon sensé me soutenir, puis on m’oublie soigneusement. De temps en temps, on vient m’annoncer : « 2 doigts et demi », « 5 cm », enfin « 7 cm ». Je désespère, c’est long, et ça fait supra mal. Non, pas de péridurale, merci. Suffit de souffler, lonnnguement, de pousser un peu l’air vers le bas du ventre, de rester calme, de marcher, de demander au chéri de poser les mains sur le ventre, les reins. L’un dans l’autre, ça se fait. Les pics de douleurs vont, viennent, rester calme. Je ne sais pas encore à quelle point je vais douiller, quoi.

Et puis à un moment, il ne doit pas être loin de minuit, une chose incroyablement douloureuse se produit : elle bouge, très bas. Je ne peux plus parler, même plus écouter. Envie de gifler, de mordre. Un dilemme s’impose : comme il est impossible de marcher jusqu’à la salle d’accouchement, va falloir s’asseoir dans cette chaise roulante. Je m’y cramponne, raide comme la jambe d’un mort, il remue, c’est insoutenable, bordel !!! Les nerfs lâchent par à coups, et puis je me ressaisis, parce que c’est encore pire. Souffler, ça va passer, faut que ça passe... On me fait patienter, les accouchements se suivent et la salle n’est pas prête, je suis dans mon couloir, à tenter de dominer la douleur. Enfin, on me hisse sur un lit, on me met les gambettes en position réglementaire, les sages-femmes affluent. D’abord, elles bougent doucement autours de moi, qui peine, qui souffle comme un noyé, qui me remplit de tout l’air possible, je vais mettre l’hôpital sous vide si ça continue. On me félicite, on me dit que j’assure, que je fais ça très bien, de continuer comme ça. Mes poumons, ma tête, mon ventre gémissent. Puis il y a comme un signal de départ, elles s’agitent d’un seul coup, elles sortent des trucs et des machins, je me sens couler, et là, je gueule pour de bon : elle arrive, dans quelques minutes, elle sera là, qu’on me dit. Je ne la crois pas. J'ai l'impression que ça va durer des heures (deux en fait). L’envie de mettre une grande claque au premier qui passe me revient en tête, bêtement. Le monito bipe. Le papa est toujours là, il me ventile, me brumise un peu d’eau, me tient la main. Moi, je me cramponne au lit derrière ma tête, je m’allonge autant que je peux. La douleur est telle que j'envisage avec de plus en plus de terreur la contraction suivante. Est-ce que ça va augmenter encore ? Ça s’agite de plus en plus autours de moi, on me tend un masque, je m’y accroche comme une bouée, apparemment un peu trop, je me sens partir, dormir, le papa appelle, que je reste consciente, mais dès que les contractions passent, je pars, je dors... 

Et puis arrive le fameux : « Poussez madame ! », la tête est là, à portée de doigts. Pousser, dans ce cas là, c’est faire en sorte que vos propres organes vous sortent du corps, sensation assez étrange, mais absolument spontanée, pas besoin de vous expliquer la marche à suivre, ça vient tout seul. Je pousse, alors. Mais c’est comme pisser dans un violon. Je crois bien que je hurle très fort, à chaque fois. Et puis... et puis plus rien, plus de contractions, plus d’envie, ni de possibilité de pousser, le monito bipe de moins en moins vite et d’un seul coup, le docteur est là. Il dit qu’il ne sait pas comment est positionné le bébé, il me dit de pousser encore, mais je ne peux pas, je ne suis plus qu’un grand cri de douleur, je sens qu’il me touche le seuil du vagin, une sensation très très inconfortable, brûlante. J’apprendrais ensuite que c’était pas son doigt. Je ne pousse toujours pas et le docteur à un drôle de truc entre les mains, en forme de cloche. Le monito ralentit, ralentit, je sais que c’est pas bon, que ça signifie que bébé souffre et que son cœur ralentit, mais je n’y peux rien. Je me sens incroyablement impuissante. On fait sortir le papa. Je me sens me déchirer, ça brûle. Il y a même des instant, repoussés l'un après l'autre, où je préférerais mourir, pour que ça s'arrête, tellement la douleur me flingue. Cette fois, le gynéco me donne des ordres, en même temps qu’il greuille et farfouille là-dedans : « Poussez, aidez-moi ! » (!), et puis « allez, on sort les épaules ». Je vagis, bon dieu, quoi, les épaules, ça y est ? Je pousse, une fois, deux fois. Oui, ça y est, la douleur retombe brusquement et le docteur à un truc vert, rose, rouge, gigotant, dans les mains, tête en bas : c’est mon bébé...

Le papa revient, il pleure, il a eu peur.

Il est 2h23, Chicorée est née, "par voie basse instrumentalisée".

J’ai l’impression désagréable d’avoir raté quelque chose, d’avoir été hors du coup. Finalement, on est la moins bien placée pour savoir ce qui se passe, entre vos deux jambes. Mais ça y est, bébé est sur mon ventre cette fois, je sens sa chaleur, son poids, je vois ses yeux, elle a son pouce dans la bouche, elle est incroyablement calme. Elle va très bien, malgré son poids de brimborion. On me la met au sein, et c’est comme pour parler de la douleur qui m’envahissait quelques minutes plus tôt, les mots manquent pour parler du bonheur, de la joie, de la douceur de cet instant. Elle se débrouille comme une chef, en deux temps trois mouvements, elle a le téton dans la bouche, elle pourrait en remontrer aux agneaux du papa...

Le sentiment de joie et de reconnaissance est tel, en moi, que je dois répéter au moins vingt fois merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci, merci.

Et maintenant, je veux qu’on me fiche la paix. Mais non, ce  n’est pas fini. Après quelques minutes de calme, on me l’enlève, et les sages-femmes s’y mettent à trois pour me martyriser le ventre, pour faire sortir le placenta (la "libération" !). Ça fait bondieusement mal, je les en empêche, je leur enlève les mains, leur arrache les doigts. Elles me menacent : soit je pousse, mais j’en suis incapable, soit je me laisse faire, soit elles vont la chercher à la main, cette foutue poche. Je prends la seconde option, mais bien à contrecœur et sans tout à fait les laisser faire. Je voudrais vraiment, vraiment, qu’on arrête de me faire mal, mais même une fois la poche sortie et vérifiée, il reste du petit boulot de couture... la sage-femme me ment à chaque point qu’elle fait un point (c'est-à-dire qu'elle m'enfonce une aiguille munie d'un fil dans des chairs réduites en bouillie), en me faisant croire que c’est le dernier. Ça dure une éternité. Elle me recoud donc, moi tétanisée à l’idée de ce qu’elle est en train de faire, les jambes tendues dans les étriers. Mais enfin, enfin, c’est fini.

J’ai mis au monde mon enfant, je l’ai fait. Et je n’en suis pas peu fière.

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