Les spermatozoïdes - Ricet Barrier (1975)
Nous sommes toustes des vainqueures...
Les spermatozoïdes (les Trois Cent Millions)
Ricet Barrier (1975)
Nous sommes
trois cents millions, massés derrière la porte
Trop serrés
pour remuer, trop tendus pour penser
Une seule
idée en tête, la porte, la porte, la porte
Quand elle
s'ouvrira, ce sera la ruée
La vraie
course à la mort, la tuerie sans passion
Un seul gagnera, tous les
autres mourront
Même pas numérotés, seul
un instinct nous guide
On nous a baptisés : les
spermatozoïdes.
Le prix de
la victoire, c'est une fille de joie
Nous sommes
trois cents millions et un seul l'aura
Elle se
fout du vainqueur, elle ne choisit même pas
Elle se donne à tout l'
monde, mais un seul à la fois
Elle attend
bien tranquille dans son palais douillet
Le confort
y est total, les serviteurs discrets
Pas de
nuit, pas de jour, pas de bruit, que l'amour
L'amour, l'amour,
l'amour, l'amour, l'amour, l'amour.
Nous
bougeons lentement, faut pas s'ankyloser
Quand on
est d'vant la porte, on voudrait s'arrêter
Si elle
s'ouvrait maint'nant, je serais bien placé
Mais non,
les autres poussent, ça y est j'l'ai dépassée
Et la ronde
continue, la ronde des prisonniers
Mais ce que
l'on attend, c'n'est pas la liberté
On n'se
parle même pas, on garde les yeux baissés
On ne
regarde pas ceux qu'il faudra tuer.
Soudain on s'arrête tous
Plus personne ne pousse
C'est l'instant qu'on attend
Très subtil le changement
On n'voit rien mais on l'sent
Dehors, ça bouge lentement
On espère, on redoute
On n'bouge plus, on écoute
Ca y est c'est parti, la porte est ouverte, c'est la ruée au dehors
Ne pas
s'affoler, ne pas s'affoler sinon c'est la mort
Pas partir
trop vite, la distance est longue, faut pas s'essouffler
Déjà les
premiers ont été massacrés, bousculés, piétinés
Ce qui
s'passe devant c'est pas important du moins pour l'instant,
La mort
vient dans l'dos, le croche-pied vicelard et le piétinement
Le fouet
bien en main j'en vois un qui s'approche, j'l'attends
Il est à ma
portée je m'retourne, vlan ! d'un coup d'fouet je l'descends.
Faut être
attentif, tous les nerfs tendus, prévoir le danger
Tout c'qui
s'passe autour, faut en être conscient, sentir et frapper.
Quand l'un
tourne le dos, s'il est à portée on lui règle son sort
C'est la
règle du jeu, la moindre pitié entraîne la mort.
Sacré nom
de Dieu, un coup d'fouet a sifflé juste derrière mes oreilles
Mais j'dois
être cinglé pour philosopher à un moment pareil
Le fouet
tournoyant, je cavale à mort pour me dégager,
L'danger
écarté, je reprends mon train, faut pas s'enerver.
Déjà la
moitié, les trois-quarts sont morts, ça s'est clairsemé
On court
plus lentement, on piétine des corps, on est fatigués
Courir,
courir, courir, courir, courir, courir,
Tenir, tenir,
tenir, tenir, tenir, tenir,
Ceux qu'ont
la rage de vivre, il n'y a qu'ceux-là qui tiennent
Maint'nant
on n'se bat plus, oh ce n'est plus la peine,
Les mecs tombent un à un,
morts avant d'toucher l'sol,
Exténués, épuisés, vidés,
rincés, ras l'bol.
C'est bon
d'se laisser choir, dormir comme les noyés
Mais ceux
qui s'laissent tomber, c'est pour l'éternité.
Soudain je l'aperçois, il
est devant mes yeux,
Il est là devant moi, ce
palais merveilleux :
J'arrive ma toute belle,
encore un p'tit effort !
Et je plonge dans la vie
en sortant de la mort
Mais non,
je n'suis pas seul, deux mecs m'ont précédé
Tellement
épuisés qu'ils ne trouvent pas l'entrée.
Je leur
tombe dessus, les écrase, les bouscule,
Je leur piétine la gueule
et j'entre dans l'ovule.
Que c'est beau, que c'est beau,
J'entre dans un Paradis,
Elle est là cette garce de vie
Pendant neuf mois entre elle et moi,
Ce s'ra l'Eden, le Nirvana.
J'suis l'vainqueur des trois cents
millions
Je sors du Néant, j'ai un nom
C'est merveilleux l'existence !
Ça commence par des vacances !
Que c'est
beau, que c'est beau,
Je vais en
jouir à plein d'ces neuf mois sans problème
Tranquille,
baignant dans l'huile, sans amour et sans haine
Sans
froidure, ni chaleur, surtout sans société
Parce que les autres, les
vaches, ils m'attendent à l'entrée
Tous les autres vainqueurs,
ceux qui sont d'jà dehors,
Ils m'attendent pour se
battre, pour voir qui s'ra l'plus fort.
Ouais,
quand je sortirai, il n'y aura plus d'vacances,
Pendant
soixante-dix ans, la bagarre recommence !
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