Ψ / Semaine 9

Deep carpet 2 - PEJAC




Neuvième semaine, l’ambiance se refroidit. La proximité quotidienne avec les mêmes personnes commence à me taper sur le système, ce qui m’engage sur un sillon qu’il va me falloir plusieurs semaines à creuser : je ne suis pas obligée d’aimer les gens complètement dans toutes les facettes de leur existence pour les côtoyer, les respecter, et même les apprécier. Dingue.



SEMAINE 9

Jour 54 : lundi 1er avril

Je dors mal cette nuit-là : les veilleureuses de nuit m’ont réveillée à chaque passage (3 par nuit) et puis il faisait trop chaud.

En début de matinée, j’essaie de présenter le calendrier Maya et sa philosophie à mes commensales mais ça ne dure pas 10 minutes avant que C., peu motivée de base, me reproche de ne m’adresser qu’à R., ce qui est assez vrai vu qu’il n’y a que R. qui manifeste de la curiosité. Je suis assez ébranlée parce qu’elle craque sans signe avant-coureur en envoyant tout valser, quitte la pièce et nous tourne le dos pour bouder. Bon.

Je me réconforte un peu en recevant un nouveau message de ce garçon qui me plait bien. L’ambiance dans la clinique est un peu loufoque, rapport à la date du jour nesspa : dentifrice sur les poignées de portes, matelas et chaussures qui disparaissent et qu’on retrouve dans les douches, rouleaux de scotch dévidés d’une porte à l’autre, gel douche dans les tongs.

Dans l’après-midi je me sépare définitivement de tout mon matériel de fumeuse (18 jours d’abstinence maintenant), que je lègue à des plus nécessiteuses que moi, filtres, feuilles, tabac, briquets.

Après une heure et demie d’attente devant son bureau, je finis par voire mon psy n°2, qui consacre le quart d’heure qui suit à me faire parler de sexe et de ma tendance à cumuler les addictions.

On finit la journée en grosse marrade avec une partie de Time’s up : je ne connaissais pas mais c’est bon délire, il faut juste ne pas craindre le ridicule.

Jour 55 : mardi 2 avril

[Je suis chez l’esthéticienne pour me faire vernir les ongles, il lui manque une couleur du coup elle quitte la boutique quelques instants. Je fais alors caca par terre par inadvertance, j’essaie de ramasser en toute hâte et je trouve dans mes propres déchets : une clé USB que je cherchais partout, une carcasse entière de poulet avec sa broche, des morceaux blancs et des morceaux rose.]

Ah ah. Désolée.

Une nouvelle nous rejoint dans notre petit groupe de cadrage, M., une femme détruite par son mari, LE modèle du pervers narcissique dans les très grandes largeurs. C. et R. prennent leurs distances avec elle et je passe un petit moment à la réconforter. C’est le gros bordel toute la journée au cours des repas, un peu comme à chaque fois qu’une nouvelle arrive. Pour me détendre un peu je lance ma cinquième séance de PSIO dans l’après-midi, mode « joie de vivre », c’est trop bonheur. Pendant une demi-heure une voix me susurre des choses comme « Cela peut marcher. Je n’ai rien à perdre, tout à gagner ».

Là-dessus je jongle, j’écoute de la musique, je me détends. Je finis ma dernière lecture, La femme cachée de Colette, qui ne me transcende pas plus que ça à vrai dire, mais qui m’interpelle quand même. Je crois que je trouve ça very trop too much cette accumulation de propositions adjectivales et adverbiales et sophistiquées.

Le repas du soir est un peu plus détendu.

Jour 56 : mercredi 3 avril

Le petit-déjeuner se passe dans la détente même si J. continue à gruger en cachant son pain dans sa poche au nez et à la barbe de l’infirmière qui nous « surveille ». À midi, c’est carrément le dessert qui y passe (une clémentine).

Je passe ma séance de psycho à me demander si c’est une qualité ou un handicap d’être aussi empathique que je le suis. Je penche pour le handicap même si je trouve ça très bo et très humain et toussa toussa parce que quand même, je morfle à la place des autres en fait. On évoque aussi le fait que je trouve les gens généralement très peu empathiques justement et que ça aussi ça me rend mal à l’aise dès qu’il s’agit de parler de moi parce que j’ai rien de bien jojo à raconter.

Si je devais pousser la réflexion chouïa plus loin, mon vrai problème c’est que dans la foulée de mon empathie, JE JUGE LES GENS. Et ça c’est mal.


On commence une mind-map « contrôle » avec C. et R. (c’est un truc d’anorexique / boulimique le contrôle, le besoin de contrôle, de tout contrôler) mais pour tout vous dire, là où elles font la longue liste des choses qu’elles s’évertuent à contrôler, je fais la longue liste des choses qui m’échappent complètement. Exercice intéressant quand même.

La journée se poursuit avec le passage de mon psy n°1 qui me trouve binaire dans mon genre, très à cheval sur plein de trucs, comme les règles et les lois. Il est là mon petit côté contrôle : je m’accroche désespérément à toutes ces règles que les humain·es se sont eux-mêmes fixé pour vivre ensemble et ne pas sombrer dans le désespoir d’un monde chaotique et désespérant. Ce qui fait que je suis souvent déçue par les milliards d’humain·es qui m’entourent, c’est dommage. Le truc qu’il trouve le plus bizarre (mais WHY) c’est mon rapport à la vérité et au mensonge, quasi fanatique. Souplesse, souplesse, il me répète. Je suis aussi déçue que je suis exigeante, pour résumer. J’aime la vérité. Quand on dit la vérité, on ne peut pas se tromper. Et c’est là, encore, que je te juge.

Le soir je mange énormément. D’un point de vue de l’appétit, j’ai atteint mon rythme de croisière et les repas commencent tout juste à me suffire.

Jour 57 : jeudi 4 avril

Alexandro Jodorowsky
[Rêve complètement foldingue. Je vis dans un monde futuriste (genre L’Incal) où je grenouille entre putes et maquerelles. L’une des prostituées tentent plusieurs fois de se suicider en se jetant sous un train mais n’y arrive jamais : la première fois elle se fait couper les jambes, la seconde fois elle passe entre les roues et la troisième fois un nain (?) la sauve in extremis tel Tarzan enlevant Jane. Le nain finit lui-même par se faire avaler par une machine à compresser-cuber les déchets… Des robots tueurs traquent les humain·es pour les tuer à coups de pinces-bennes, on doit se cacher, courir, se terrer et tout. Un humain à la solde des robots essaie de nous tendre un piège en nous envoyant un message prétendument envoyé par l’un d’entre nous mais je sens l’embrouille parce que je sais que le prétendu auteur de ce message ne sait écrire que des gros mots, du coup on s’enfuit encore… Un peu plus tard, dans un monde vert, un homme et son fils arrache les feuilles des derniers arbres vivants pour tromper l’ennui ce qui me mets pas contente du tout !]

Et justement dehors, les arbres commencent à verdir, d’un vert tendre qui nous apporte de la fraicheur et de l’ombre. Il pleut.

L’ambiance pendant les repas part vraiment en couilles, M. a beaucoup de mal avec les règles du cadrage, les poils dans les assiettes et la saleté de manière générale, ce que je comprends bien. Elle se prend le bec avec R. et C., j’appelle une infirmière en renfort pour régler le « débat » parce qu’on va pas s’envoyer des noms d’oiseaux non plus, hein. Elles se calment et mon état de tension redevient relativement normal. On est là toutes les 4 (5 en fait mais J. se fait toute petite au milieu de tout ça et fait ses heures de cadrage dans sa chambre en raison de son état de santé) dans la même pièce 8 heures par jours, on ne peut pas vraiment se permettre de se détester pour des vétilles, on n’a plus 10 ans, merde. Oh. Et si j’étendais ce principe à la planète Terre et aux 7 milliards d’humain·es qui m’entourent ? Ok,je vais y réfléchir…

La soirée est un peu plus détendue (M. a entrepris d’organiser son transfert dans une autre clinique pour lundi), jusqu’à l’appel de Machérie qui n’a pas vu mon chat Oz depuis lundi et puis qui me raconte le délitement lent et douloureux de notre petite association culturelle, avec elle en première ligne puisqu’elle en est l’unique salariée.

Jour 58 : vendredi 5 avril

[Je voyage en bus avec toute une classe d’enfants. Je suis assise devant le conducteur, qui me tripote sans que je n’ose rien dire, parce que ça pourrait effrayer mes élèves… Il conduit mal, distraitement. Nous nous engageons sur un pont de bois dont il manque toute la moitié gauche de la chaussée. Il estime que ça passe. À la moitié du parcours, on croise un flic qui nous laisse passer, sauf que le pont s’arrête là et le bus se précipite dans le fleuve. Tous les enfants s’en sortent indemnes parce que je leur ai appris à nager (la natation est au programme nesspa), mais pas le chauffeur.]

Oui, beaucoup d’enfants et de noyade dans mes rêves. Les enfants c’est assez nouveau (déformation professionnelle et maternité aussi), par contre aussi loin que je me souvienne de mes rêves, il y a de l’eau. C’est assez rare que je m’en sorte d’ailleurs.

À midi, J. se fait prendre la main dans le sac, avec dans sa poche ses deux tranches de pain et les croûtes de sa quiche Lorraine. Ça me soulage parce que son manège me mettait extrêmement mal à l’aise.

Dans l’après-midi, le groupe de parole « Corps émotion nourriture » vire au conflit frontal, un quart d’heure d’esclandre entre C., R., et une tierce personne dans lequel je suis prise à parti, j’en ressors assez énervée.

J’ai hâte que la journée se termine. Je prends mes distances avec C. à défaut de trouver une autre attitude, ce qui n’est pas facile vu que je passe mes journées dans la même pièce qu’elle.

En fin de soirée, ma fille m’appelle : son père organise ses vacances sans moi, à savoir un peu chez mon père, un petit peu chez sa mère et un petit peu chez la mienne. À aucun moment il n’est question de venir me rendre visite et son père fait la sourde oreille à mes messages, certainement pour que ce sujet ne soit pas abordé. Je ne l’ai pas vue depuis 2 mois.

Jour 59 : samedi 6 avril

Je me réveille avec les seins douloureux : ils grossissent à vue d’œil ! J’ai bien dû gagner 2 tailles de bonnet.

Je passe la quasi-totalité de mon temps de cadrage à établir une connexion sur mon ordi via le téléphone portable de M. (merci !) afin de participer au Mouvement, ce ballet informatique pour demander un changement de poste. Je viens d’être mutée dans l’Ain (mauvais timing mais bon) je dois donc y participer d’office. Je dresse la liste des 30 vœux qui me déplaisent le moins vu que je suis pas du tout à deux doigts de reprendre le travail et que j’envisage même de redéménager (loin de l’Ain), voyez. Ça m’a pris 4 bonnes heures, je suis crevée.

Mon humeur s’améliore doucement au fil de la journée, avec une nouvelle session jeux en fin de soirée qui me détend tout à fait. M. me demande de me « faire belle » demain, elle veut m’épiler les sourcils. Personne n’a jamais touché à mes sourcils. Je veux pas qu’on me touche les sourcils. Je cède, par lassitude (ça fait des jours qu’elle insiste) et puis parce que je t’aime, M..

Jour 60 : dimanche 7 avril

[Je fais partie d’une famille de voleurs qui se volent entre eux : il y en a un qui vole, un frère qui vole le butin du premier et puis finalement la mère qui vole le second. Nous vivons dans un bus et on est tellement nombeux·ses que l’intérieur est juste un amoncellement de couvertures.]

Je me « fais belle » comme promis. Ce que les filles entendent par là c’est mettre ma jolie tunique et me maquiller. J’aime pas, ma peau n’aime pas, mes yeux piquent et pleurent, ça me donne des boutons, on n’a pas la même vision du beau, définitivement. Mais j’obtempère. Je me retrouve donc assise, la tête en arrière sur un fauteuil de notre salon de cadrage, à me faire retirer les poils les plus rebelles de mon arcade. Elle avait juré n’en enlever « que quatre ou cinq » mais apparemment ils sont vachement plus nombreux que prévu à être en trop. Ça fait mal nom de dieu ! Mais pourquoi, pourquoi s’infliger ça ??? Du coup je suis en rogne et je mets assez vite le holà.

Et puis rien ne va aujourd’hui : les infirmièr·es n’ont pas pensé à déverrouiller les portes qui donnent sur le parc jusqu’à midi, ça sent la merde dans le couloir, C. m’exaspère et puis M. se fait voler ses lunettes, la clinique me sort doucement par les yeux.

Je passe une partie de l’après-midi avec R. à visionner La domination masculine, ça me détend et puis le mot que je cherche pour qualifier le comportement de toutes ces femmes qui prétendent « se faire belles » (comportements douloureux, clivants et coûteux pour la plupart) pour elles-mêmes me vient à l’esprit : aliénation.



Je termine la semaine en me disant que j’adorerais être moins poreuse et moins méprisante.

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