Anti-manuel du scénario - Les Cahiers du Cinéma n°710 avril 2015



Les Cahiers du Cinéma ont sorti en avril leur « Anti-manuel » du scénario. Je l’ai trouvé passionnant. Ça torpille sec les méthodes conventionnelles d’écriture, Truby en prend pour son grade et on se vautre allègrement dans le conceptualo-cérébral bien frenchy. Mots anglais interdits ! Bref, il faudra faire le tri et surtout, dégoter le numéro pour pouvoir le lire !  Je t’en fais ici un bref sommaire, afin d’apaiser ma violente soif de faire des listes.

J’aime les listes.

Et tous les scénaristes avec moi aiment les listes. C’est leur mode de perfusion créative. Par exemple, Truby fait des listes. Pixar fait des listes. Il y a aussi la liste des 36 situations dramatiques.

Les Cahiers du Cinéma se défendent justement d’en faire, des listes, des dogmes. Quand tu titres «  il n’y a pas de règles », t’es emmerdé pour faire une liste derrière. C’est trop formel pour un concept libre. Que nenni ! moi je dis qu’on a tous besoin d’une liste plus grande que soi. C'est pratique la liste, c'est pédagogique.

Voici donc la liste, fidèle, que les Cahiers du Cinéma n’ont pas voulu faire.


 
EXPLORATION DE L’IDÉE
  • Ne racontez pas une histoire : déroulez des idées.
  • Faites confiance à l’idée initiale, restez-lui fidèle
  • Explorez l’étendue de ses possibles, développez votre hypothèse jusqu’au bout.
  • Le pitch ne sert qu’aux investisseurs : il est bien plus petit que l’idée.


LE PROBLÈME, PAS LE CONFLIT
  • Créez un problème vivant qui force à penser.
  • N’enfoncez qu’un seul clou, par tous les moyens.
  • Le souci de donner des informations ne doit pas remplacer celui de donner forme à une pensée.
  • Évitez les termes anglicisés.
  • Il n’est pas indispensable de plonger ses personnages dans un « struggle for life » permanent.
  • Préférez donner au spectateur la pleine conscience d’un cas plutôt que les tourments d’un cas de conscience.


AFFECTS ET IMAGES
  • Il y a trois sortes de pensées : la pensée philosophique par concepts, la pensée scientifique par fonctions et la pensée artistique par affects (Deleuze et Guattari). Vous avez des concepts (pitch), vous avez des fonctions (personnages, lieux, objets), n’oubliez pas l’affect, les émotions !
  • Faites découvrir des émotions inconnues ou méconnues. Découvrez jusqu’où peuvent aller vos personnages.
  • Faites naître les images. Mettez en œuvre un programme iconographique pour l’ensemble du film : répétition et variations, diversion, réseau de symboles qui interpellent l’inconscient…


PASSER DES VITESSES
  • Une apparition vaut toutes les expositions.
  • Donnez un seuil, une voix d’accès qui accueille le spectateur dans le film.
  • Créez une faille, un écart à partir du seuil pour amorcer le récit. Le passage d’un monde à l’autre crée l’illumination et donc le plaisir.
  • Passez des vitesses : prenez en compte le temps et l’expérience du temps, utilisez différentes temporalités entre les personnages et entre les parties du film.
  • Attention aux « red herring », « twist » et « cliffhanger », qui trompent le spectateur pour lui ménager une surprise. Une simple idée peut suffire à donner une autre direction.
  • Le personnage principal peut disparaître du film : on peut alors faire émerger les autres personnages.
  • Organisez un grand basculement.
  • C’est l’idée qui structure et compose le scénario.
  • Vous pouvez trouver une métaphore pour structurer chaque récit.
  • Cachez un tigre, mettez un motif dans le tapis. Mais ne le montrez pas du doigt !
  • Affrontez l’impensé : creusez votre idée jusqu’au face-à-face qu’elle implique, jusqu’au potentiel point de contradiction.


AVENTURES
  • Une logique littérale n’est pas indispensable.
  • Les actrices/eurs « stars » colorent le film, permettent de donner de l’affect aux personnages et au récit.
  • Faites une pause n’importe où dans le récit.
  • Les personnages peuvent être mus par une logique de la dérive.
  • Collectionnez (des objets, des personnages…) et composez un bouquet.
  • Un film peut être la collision d’évènements de natures diverses : n’oubliez pas l’épique (élargir et confronter le récit à la géographie et à l’histoire, au collectif), le picaresque (rencontres de cas contradictoires, sans conclusion morale ou psychologique) et le didactique (donner une information documentaire qui va droit au but).
  • Changez de ton, mélangez les genres… mais ne saupoudrez pas, le résultat doit être monstrueux !
  • Prêtez le film à quelqu’un : unE artiste, unE philopsophe peut apporter une récréation, un avis, un commentaire…
  • L’incertitude captive : pourquoi tout clarifier ?
  • Évitez les « chevilles », ces transitions qui bouchent les trous et assoupissent l’attention.
  • Mack Sennet payait un dingue pour participer à ses réunions de gags.
  • L’espace n’est pas qu’un décor ou pire une « arène », mais « le lieu d’un drame spatial » (Claude Ollier).
  • Les lieux sans vie propre sont souvent habités par des personnages secondaires sans consistance.
  • « Ne pas s’identifier au personnage mais au film » (Raoul Ruiz).
  • Il n’y a pas vraiment de différence entre un « stéréotype » et un « archétype », ça reste des « types ». Les personnages ne sont pas des types, ceux qui voient des types dans des films sont ceux qui voient des types dans la vie.
  • Un personnage n’a pas vraiment besoin d’être « caractérisé ». Les « tags » et tics de caractérisation sont rarement convaincants.
  • Demandez à vos personnages : « Comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu inventes ? »
  • Ne cédez pas au personnage-roi entouré d’adversaires.
  • Dans les dialogues, faites confiance au mot et sa puissance évocatrice.
  • Luttez contre le langage fonctionnel… Les personnages peuvent analyser et commenter ce qu’ils disent.
  • Cherchez différentes façons de dire les choses, faites des écarts.
  • Évitez les dialogues-mitraillettes. Ils peuvent être flottants, hétérogènes, joueurs ou même incompréhensibles.


THE END
  • La fin n’est pas forcément une résolution qui répond terme à terme aux questions soulevés par le film.
  • Le récit peut avoir un héros caché : le personnage principal ne se révèle qu’à la fin.
  • On peut éteindre le film en douceur et refermer tout ce qui était ouvert pour le rendre autonome… ou créer une nouvelle plaie et un « après-film » qui le rend « sans fin ».
  • Vous pouvez finir dans un rêve.
  • Osez l’image finale.
  • Donnez votre langue au chat.


Je conclurai avec mon horoscope de la semaine, par Rob Brezny.

Gémeaux (21 mai – 20 juin) : Selon l’auteur de science-fiction Samuel R. Delany, “pour être efficace, un dénouement doit être irrésolu”. Garde ce principe à l’esprit dans les semaines à venir, Gémeaux, ainsi que cet autre conseil du dramaturge Sam Shepard : “La tentation de tout résoudre et de bien ficeler son intrigue me paraît être un terrible piège. Les dénouements les plus authentiques sont ceux qui ouvrent vers un autre début.” Au lieu d’imaginer des conclusions tranchées et des fins spectaculaires, songe que tu peux échapper à un passé compliqué et avancer vers l’avenir sans roulements de tambour.
Horoscope de la Semaine du 14 au 20 mai 2015 .

Commentaires

Enregistrer un commentaire

À lire

Le Tzolkin : les bases

Le Tzolkin : pratiques personnelles

Hard Lemon - Volubilis

Relations inclusives / exclusives

Bob le Blob

Inception - Christopher Nolan (2010) / Déroulement - Dénouement