Tirer




Trois semaines que j'ai pas tiré.

Forcément, ça me manque.

Entre la Mimi Cracra qui fait des siennes et les aléas de la garde d’enfant, j’ai pas rejoint mon club de tir depuis trop de lustres.



Plus fort que le yoga, meilleur que Juvamine, ça me fout autant de G qu’une séance de jambes en l’air en parachute. Genre.


Vous connaissez mon amour de la mécanique, des choses de mecs en général… et ben justement ! Le tir, quand j’étais gamine, c’était comme la course : j’aimais ça parce que j’étais plus forte que les garçons. Ça faisait de moi une surfille, mine de rien.

À la course, je me suis vite essoufflée. Au tir, j’ai pas creusé. Je suis donc redevenue la merde que j’avais toujours été. Hum. Une fille quoi. Là, finalement, c’est un peu mais pas tout à fait ça. Des meilleurs que moi, y a quasiment que ça. Des plus forts, des plus compétents, des plus connaisseurs, à la pelle. Je retrouve le plaisir d’apprendre, un truc vraiment dur.

Parce que placer un pruneau à 20 mètres dans une pièce de 1 euro, c’est dur. Pour moi, c’est que de l’émotion de A à Z.

D’abord, une arme est un objet particulier. Il fait partie de vos objets confidentiels et intimes, comme vos bijoux, vos dessous, et en plus, c’est strictement réglementé par la loi, ce qui peut vous faire balancer très, très vite du mauvais côté de la ligne jaune. Elles traînent derrière elles une réputation qu’il n’est même pas nécessaire de développer. Une arme a un « esprit », une façon d’être, de se comporter et d’être utilisé, qui tient à toutes ses caractéristiques : d’épaule, de poing, revolver ou pistolet, son calibre, son mode de chargement, ses finitions. Le détenteur la choisit pour ça. Un peu comme un animal domestique ou un outil. Je ne possède pas d’arme, rien qu’une carabine qui bouffe du plomb et de l’air, toute branlante. Une arme est ensuite un objet technologique. L’être humain se penche sur la question depuis fort longtemps mais je vous assure qu’ils ont pris le temps d’y penser.

Tenez, un pistolet le Desert Eagle, une star du cinéma) et son éclaté :




J’ai de belles affinités avec les revolvers, mais je n’ai guère d’occasion d’en utiliser. Le seul que possède le club mange de l’onéreuse munition, donc, on se rabat le plus souvent sur ce qui se fait de plus commun : le 9 mm (mais je trouve ça velu), et le .22 Long Rifle. Le .22, c’est pour les chochottes comme moi, ça se tient tout seul.

Une arme de poing pèse à vide entre 800 gr et 1,5 kg, ajoutez les munitions, propulsez-les à 200m/ s, faut le tenir votre engin. J’ai dû me faire les bras.

Le chargeur est merdique à souhait, je me casse l’ongle du pouce dessus systématiquement, ça me bousille les doigts et une balle sur cinq n’en sort pas correctement, venant se coincer dans la culasse. J’ai mis beaucoup de séances avant d’oser intervenir moi-même. Personnellement, les conditions de sécurité de ce sport, qui demande une attention et un calme permanent (les énervés sont malvenus sur les pas de tir), me cotonne le crâne juste comme il faut. Je ne suis, pendant quelques heures, qu’un vide concentré et attentif. Je charge donc, aïe, 5 balles, quelle que soit la contenance du chargeur (plus souvent 7 ou 9… ou plus), insertion du chargeur, là, je palpe de l’acier, je mouille, fermeture de la culasse, je suis prête.

Dès l’instant que l’arme est chargée, elle ne me quitte plus des mains. À moins de la décharger. Je pose l’extrémité du canon sur le tapis devant moi, l’index hors du pontet. La position du tireur est très décontractée : de profil, bras tendu, c’est pas compliqué. Main à la ceinture ou dans la poche pour assurer la droitesse de l’ensemble. Je souffle. Je me calme, encore plus. Tout le monde (on est peu) tire en même temps, quand tout le monde est prêt, casque sur les oreilles. Vide et concentration. Silence, les bras se lèvent.

Il s’agit d’aligner nettement le curseur de la visée avec celui du guidon avec le centre de la chose floue au loin. On apprend d’abord aux débutants à utiliser des armes réglées pour atteindre le centre lorsque vous viser juste à la limite inférieure de la cible. Puis, quand vous êtes grand, avec votre arme, vous aurez vos réglages « point visé, point tiré ». Toute une initiation.

Bref, j’en suis à la deuxième étape. Je galère. En plus, il se met à faire froid, vous avez remarqué ? C’est l’hiver. Je n’aime pas le froid. Je n’aime pas l’hiver (sauf quand la neige bloque les routes). Ça me fait crisper les muscles du dos jusqu’aux doigts, et tirer avec des moufles, je vois pas.

Quoi qu’il en soit, il va falloir tenir cette arme assez longtemps pour pouvoir viser et tirer avant que votre bras ne se mette à trembler. Je souffle, j’expire, montant et descendant doucement du haut en bas de la cible, quand j’y suis, j’atteins le summum de l’annihilation mentale : il faut arrêter cet instant, de la manière la plus brève et déterminée, mais surtout pas précipitée, possible. Cesser de respirer le temps d’un souffle. Le doigt avance, le tireur doit être surpris par son propre coup, dit-on. Ça ressemble beaucoup à ce que ferait un photographe je crois.

J’ai donc estimé qu’il fallait balancer la sauce. Parce qu’il s’agit quand même de faire de la dentelle avec un truc qui vous enfonce quelques kilos dans les coudes, hein. Si vous en avez marre de mes commentaires à la louche, je peux la faire plus précise… :

Mon index enfonce la queue de détente.

Un ressort vient informer le mécanisme suivant qu’il doit vivement réagir… au final, le chien s’abat sur le cul de la munition, là où se trouve l’amorce, qui met à feu la poudre de ladite… ce qui propulse la balle hors de son étui. L’onde de choc est palpable. Pour moi, en tout cas, y a pas photo : en pleine poire, au premier sens du terme, une chaleur et une fatigue brutale dans les muscles concernés, du bras jusqu’aux oreilles.

S’il s’agit d’un pistolet, l’arme recycle les gaz de la combustion de la poudre pour ouvrir la culasse et éjecter la douille (l’étui) qui vous saute plus ou moins à la gueule. S’il s’agit d’un revolver, la douille reste sagement en place.

Je reste calme, stabilisant mon bras, qui a valsé, quoi que je fasse. D’ici, vous ne voyez pas vos impacts, à moins de tirer quelques calibres au-dessus… Je vide ainsi mon chargeur (à la troisième ou quatrième balle, celle-ci se retrouvant en travers de la culasse mal refermée, il a fallu retirer le chargeur, ouvrir la culasse et retirer la balle, l’inspecter, la remettre ou pas dans le chargeur, recharger). Puis « on va aux cibles » (comme le sage va à la montagne ou le bélier aux brebis, je suppose), armes en sécurité (nouveaux gestes cent fois répétés : retirer le chargeur, ouvrir et vider la culasse, poser sur le flanc gauche). On compte les impacts, on compare avec ce qu’on avait prévu. Puis on bouche les trous, avec des gommettes.

Et c’est reparti.

Tirer 60 coups en 2 heures, c’est le gros maximum. Physiquement, je ne peux pas plus. Après, la concentration fléchit très nettement, la fatigue m’enveloppe. Après, je veux dormir.

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